Etoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactives
 

     Le bruit régulier du ressac rythmait les mouvements de Jones tandis qu’il ponçait avec énergie une nouvelle planche. A quelques mètres de là, l’assemblage des poulies et des échafaudages étendait sa toile autour de la forme élégante du bateau, dont la coque attendait encore les dernières finitions. L’après-midi, pourtant, touchait à présent à sa fin : les gestes de Jones étaient comme engourdis par la fatigue, et déjà les flots, au pied de la falaise, s’irisaient de l’éclat sanglant du crépuscule. La silhouette fugitive d’un lapin bondit à travers les hautes herbes qui bordaient le précipice : l’animal, dont le pelage était d’un blanc immaculé, s’arrêta tout près de Jones, tandis que celui-ci s’aspergeait d’un plein bac d’eau glacée pour se rafraîchir.

- Ah, te voilà. Tu as entendu son appel alors… Toi aussi.

     Jones eut un regard bienveillant pour le lapin, dont les yeux, comme deux billes noires, le fixaient avec gravité.

- Oui, c’est vrai. J’avais oublié.

     Fouillant dans une des poches de son large pantalon de coton usé, il en tira une carotte, qu’il inspecta brièvement avant de la donner au rongeur. Pendant un long moment, seuls les bruits de grignotements vinrent troubler le silence qui régnait sur les lieux. Finalement, Jones s’assit tout au bord de la falaise, et son attention se perdit dans le manège apaisant des vagues.

- Je me demande si je devrais y aller. C’est terrible, tu sais. Plus j’y pense, et moins je me souviens. Les visages, les noms… Et puis, ils sont partis pour la plupart… Pas vrai ?

     Visiblement repu et d’humeur plus légère, le lapin s’approcha en gambadant, bondissant autour de Jones jusqu’à ce que celui-ci ne lui concède une caresse.

- Et ça n’est pas si facile, de repartir encore... Je me sens bien, ici. Presque chez moi. Il y a tant à faire, tant à voir. Peut-être suis-je plus utile ici que je ne pourrais l’être là-bas ?

     Le rongeur, d’un bond, monta sur ses genoux, où il se lova à la manière d’une peluche. L’espace de quelques minutes, une quiétude parfaite régna sur la falaise ; le murmure du vent faisait bruire les hautes herbes à l’unisson, la mer poursuivait sa danse sous le soleil du crépuscule, tandis que les pensées se bousculaient dans l’esprit de Jones. Soudain, le lapin se redressa et trottina jusqu’à terre : quatre petites crottes maculaient à présent le pantalon où il s’était trouvé un instant plus tôt.

- Oui, je crois que tu as raison. Ah quoi bon se mentir ? Je vais y retourner, pas vrai ? Et puis, je dois bien ça à Myself. Nous verrons bien ce que ça donnera.

     La nuit tomba progressivement ce soir-là, et, avec elle, sa cohorte d’ombres clair-obscur. Au plus profond de l’obscurité, pourtant, un brasier éclatant éleva ses flammes depuis le sommet de la falaise jusque haut dans le ciel, dont les langues rouges et blanches étincelantes étaient visibles à des lieues à la ronde.

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