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Bastian se débattait dans les flammes qui l’entouraient. Le spectacle continuait dans l’arène, sans que ses cris n’alertent quiconque. Finoa avait posé la main sur la garde de son épée, et fixait le rhymandien. L’autre homme s’était assis dans un fauteil faisant face à l’entrée, et regardait avec attention Bastian. Une pointe d’émerveillement se lisait dans ses yeux.

"Eteignez ces flammes maintenant... s’il vous plaît" demanda-t-il calmement, élevant la voie juste assez pour que Bastian comprenne bien son ordre.

Cessant ses cris, celui-ci se retourna et tint le regard de son interlocuteur. Une grimace de douleur se lisait sur son visage, léché par les flammes. Le côté gauche était incrusté de morceaux de verre jusqu’à la tempe, mais ne saignait pas. Aussi étrangement, les flammes ne brûlaient pas ses chairs. Le haut de son corps était nu à présent, sa veste et son chemise ayant brûlées. Les flammes s’en tenaient au haut du corps, comme si elles y étaient retenues. La lampe à huile dont s’était servie Finoa trônait, brisée, dans un coin de la piéce. Les flammes ne s’étaient pas propagées.

"Je ne peux pas les éteindre... pas encore."

"Je n’aime pas cette lueur dans votre regard..." se vit-il adressé comme seule réponse. L’homme à l’origine de la rencontre avait changé sa position, et fixait maintenant Bastian penché en avant, les coudes sur les genoux et les mains croisées devant sa bouche. Au même instant, Finoa se décala sur le flanc de Bastian, qui répondit, une lueur de colère dans les yeux.

"Je n’aime pas être brûlé vif..."

Avançant rapidement d’un pas, Bastian tendit le bras droit, enflammé, pour frapper. Sans que son vis-à-vis n’esquissa le moindre geste, Fiona stoppa net l’agression. Bastian détourna les yeux vers celle qui l’avait conduit ici, puis regarda l’épée plantée dans ses côtes. Plus de la moitié de la largeur était enfoncée dans les chairs. La souffrance se lut sur le visage de Bastian quand Finoa retira d’un coup sec sa lame. Bastian tomba en arrière en hurlant, mais déjà les chairs se refermaient. Il releva la tête. Les larmes qui coulaient de ses yeux s’évaporaient au contact des flammes dont l’intensité baissait.

"Mais qui êtes-vous ! Que me voulez-vous ! Par les Huit, répondez-moi !" "Nous voulons seulement t’aider." répondit Finoa, qui s’était rapprochée. Elle dirigea la pointe de son épée vers le bras dans lequel étaient encore présents des morceaux de verre. "Laisse-moi t’aider, s’il te plaît."

Avec une extrême minutie, la jeune femme commeça à retirer le verre de la lampe autour duquel la chair s’était déjà reformée. Le contrecoup de la tension se fit sentir chez Bastian, qui se laissa faire sans réaction. Les coupures minutieuses faites par la pointe de la lame se refermaient au contact des flammes. Si Finoa trouvait ça étrange, elle n’en laissait rien paraître. Quand elle en eut terminé avec le bras, les flammes avaient déjà effacé toute trace des précédentes blessures. Du plat de la lame, elle demanda à Bastian de lui présenter le côté de son visage abîmé par le verre. Il lui obéit sans résistance, appuyant sa tête contre le mur. Seule une maigre flamme subsistait autour de sa main. Le sang se remit à couler abondamment alors que la lame opérait avec minutie, taillant la peau puis retirant les éclats aussi précisément qu’un scalpel.

"J’ai terminé." fit simplement Finoa avant de se diriger vers le balcon d’où l’on pouvait suivre les combats. Bastian caressa des flammes son visage, qui eurent tôt fait de soigner les blessures. L’homme, qui était resté silencieux depuis la tentative d’attaque de Bastian, en profita pour se présenter.

"Mon nom est Jabier Scali. Je suis, disons ... un collectionneur d’oeuvres d’art. Et j’aimerais vous avoir à mon service. Je m’excuse à propos de ce que nous vous avons infligé, mais cela était sans doute nécessaire."

"Pourquoi ?"

"C’était sans doute le meilleur "

"Non ! Pourquoi moi !" l’interrompit brutalement Bastian, des larmes coulant le long de son visage. Les flammes s’étaient rapidement éteintes une fois leur oeuvre accomplie. "Je me fiche de vos excuses. Je veux juste savoir pourquoi vous m’avez choisi, moi."

"Vous avez des talents... uniques. Et certains des objets que je convoite se trouvent dans des lieux inaccessibles pour le commun des mortels. J’ai pensé que vous pourriez m’aider."

"Comment avez-vous su ... pour ça."

"Disons que j’ai mes informations de sources non conventionnelles... Mais revenons-en à vous. Ce que je vous propose, c’est de travailler à mon service. Vous ferez équipe avec Finoa, dont vous avez déjà apprécié l’habileté, ainsi que Derenar. Il vous sera présenté plus tard. Quand au travail ..."

"Et si je refuse ?" le coupa Bastian en se relevant difficilement. "Comme je vous l’ai dit, je n’apprécie pas me faire agresser ainsi. Et je ne vois pas pourquoi je devrais vous écouter une seconde de plus."

"Si vous refusez, vous pourrez reprendre le cours de votre existence. Mais il serait regrettable que des rumeurs insistantes sur certains de vos talents particuliers viennent interrompre votre carrière, n’est-ce pas ?"

Bastian, qui se dirigeait vers la sortie, se retourna.

"Vous me menacez ?"

"Non, je vous préviens. Vous avez tout à gagner à nous rejoindre. Je conçois que nous sommes partis sur de biens mauvaises bases. Je le regrette, même. Mais si vous voulez bien vous asseoir, nous pourrons discuter tranquillement." Scali désignait de la main un fauteuil qui lui faisait face.

"Je préfère reste debout, mais allez-y. Voyons ce que vous avez à me proposer."

"C’est très simple. Vous voaygerez en compagnie de Finoa et Derenar, et me rapporterez ce que je vous aurai demandé. Vous aurez carte blanche. En contrepartie, je vous fournirai votre matériel, ainsi que de quoi voyager tranquillement. Vous pourrez également loger dans mes différents pieds-à-terre. Et si vous avez une demande bien particulière, je suis sûr qu’un de mes contacts pourra pleinement la satisfaire."

"Ca m’a l’air trop correct pour être honnête. Où est l’embrouille ?"

"L’embrouille ? Ah oui, disons que certaines des pièces que je désire ne peuvent être achetées. Vous devrez souvent prendre des chemins détournés. Mais, d’après ce que j’ai entendu à votre sujet, cela ne devrait pas trop poser de problèmes, n’est-ce pas ?"

"Et si je souhaite quitter le navire en pleine croisière ?"

"Sachez que je n’ai pas que trois personnes à mon service... Ce sera tout pour les questions ?"

"Non, une dernière... Pourquoi m’avoir fais subir ce ... test ?"

"C’est très simple, comme tous les antiquaires, je suis curieux... Je voulais voir à quoi cela ressemblait vraiment. Et avouez-le, c’est très intéressant ! Maintenant, si vous voulez bien m’excusez, j’ai une réunion d’affaires qui m’attend ailleurs. Je vous conseille d’aller jeter un oeil aux Afilas. Et mettez la chemise que voici, ça sera mieux."

 

Bastian franchit l’espace qui le séparait du balcon, où était resté Finoa. Celle-ci se retourna en l’entendant arriver.

"Tu as décidé de nous rejoindre, alors ?"

"Vous rejoindre, ou devoir à nouveau m’exiler. Où est le choix ? Mais au moindre coup foireux "

"Ne t’attaque pas à lui ... ni à nous. Tu le regretterais amèrement. C’est un conseil d’amie."

"Amie ! Alors qu’il y a quelques minutes tu me plantais ta lame dans le corps !"

"Tais-toi !" fit Finoa en lui saisissant le bras qu’il tendait vers elle. Elle l’avertit tout en baissant la voix : "On peut nous entendre ici..."

"Très bien, mais lâche-moi ! Je n’ai que faire de ton amitié ! Je dois juste travailler pour lui, avec toi. C’est tout... J’ai un spectacle à regarder, maintenant."

 

Accoudé à la balustrade, Bastian découvrit pour la première fois une arène d’Afilas. Circulaire, d’un rayon d’une vingtaine de mètres, son sol était recouvert du sable ocre que l’on trouvait sur les plages de la côte Llarangaise. Les neufs piliers centraux, disposés en trois rangées de trois, étaient levés. A allures différentes, ceux-ci montaient et descendaient, rendant la tâche plus difficile aux deux combattants : un jeune Llarangais, d’après ce que pouvait en juger le rhymandien, et un Lanskar, qui ne pouvait être que celui qu’il avait croisé auparavant. Le jeune homme était perché sur un des piliers. Bastian était stupéfait par le spectacle. Les colonnes de pierre, larges d’un bon mètre, étaient mues par un complexe système hydraulique situé sous l’arène de combat. Présentes avant même l’arrivée de la Troupe sur Cothara, le fonctionnement des arènes était un secret bien gardé par la séculaire Liga das Afilas, dont le savoir se transmettait de père en fils.

Les arènes étaient une des fiertés de Llaranga, qui en dénombrait dix. Deux autres se trouvaient en dehors de la ville, au milieu de vestiges d’antiques temples dédiés à des divinités oubliées. Celle que découvrait Bastian était une des plus petites, mais également une des plus prestigieuses. Le Conteur avait fait bâtir ce bâtiment autour de l’arène, et en avait fait un haut lieu de la haute société Llarangaise.

Le combat gagnait en intensité dans l’arène. Le Lanskar minimisait les risques de se faire toucher en se baissant suffisamment pour se trouver hors de portée des coups de son adversaire, qui sautait de pilier en pilier, tentant au passage de frapper son adversaire de sa lame recourbée. Les deux combattants étaient munis de la même lame, typique des Afilas, longue comme un avant-bras et large comme la paume d’une main. Juché sur un pilier près de deux mètres au-dessus de son adversaire, le jeune Llarangais semblait disposer à faire durer le combat. Chaque combattant tenait sa position, le sol pour l’un, les hauteurs pour l’autre, quand un gong résonna. Les deux combattants se fixèrent plusieurs secondes, pendant qu’autour de l’arène la vingtaine de balcons se remplissait tout de go. Le bruissement des discussions se changea rapidement en brouhaha. Finoa et Bastian faisaient tâche d’encre en n’étant que deux là où une douzaine de personnes se tenaient dans les autres loges.

"Que se passe-t-il ?" demanda Bastian, intrigué, mais presque contrarié de devoir briser la glace.

"La partie vient juste de commencer. " répondit l’Octolienne, un léger sourire au coin des lèvres. " Tu vois le sablier, à son écoulement, la combat passe à mort."

"A mort ? Je croyais que c’était au premier sang ?"

"Pour l’instant, oui, et comme ils se valent tous les deux, ils vont devoir se lâcher dès maintenant. C’est très rare que le sablier arrive à terme. Et tu vas voir, Derenar est quelqu’un de surprenant."

"Lequel est-ce..." Bastian ne put terminer sa question que le Lanskar se lança dans une attaque foudroyante en prenant appui sur un pilier à mi-hauteur. Bastian ne l’aurait jamais cru capable de sauter sèchement sa propre hauteur. Redéployant ses muscles, il se relança immédiatement à l’assaut de la position de son adversaire, qui anticipa le mouvement et se jeta au sol. Courant vers l’extrémité opposée de l’arène, le Llarangais se fit aussitôt poursuivre par son rival à la victoire du soir. Mais, arrivé à quelques mètres du mur d’enceinte, il se détendit pour jaillir sur le mur, et y prit appui pour plonger sur le Lanskar. Ce dernier esquiva en se jetant au sol, mais réussit à toucher son adversaire en effectuant une roulade improbable. Bastian en avait le souffle coupé. Il avait passé la plus grande partie de son existence au contact d’acrobates en tous genres, mais jamais il n’avait vu une succession de prouesses de cet acabit, l’enchaînement n’ayant pas excédé quelques secondes.

Touché, le jeune homme avait roulé dans le sable, perdant au passage sa lame. Il se releva néanmoins avec le sourire. Face à lui, la Lanskar s’était relevé avant de saluer son adversaire en se postant à genoux puis en prosternant. Le Llarangais sortit sous les vivats du public, une lame dans chaque main après s’être vu remettre celle du perdant. Bastian ne comprenait pas à quel moment il avait fait mouche, mais une traînée rouge courait bien le long de la cuisse de celui qui attendait, toujours à genoux, au centre de l’arène. Se tournant vers une Finoa perplexe, qui semblait bloquée sur l’arène, il lui demanda à nouveau lequel était Derenar.

"Il n’aurait jamais dû perdre ce combat, c’est incompréhensible..." se vit-il adresser pour seule réponse. Après quelques secondes où elle semblait plongée dans ses pensées, revisionnant le combat, elle se retourna vers le rhymandien :

"On s’en va. Le spectacle pour nous est terminé. On rejoint Derenar dans le hall."

"Derenar, c’est le Lanskar ?"

"Oui, pourquoi ? Tu sais lire dans les esprits, aussi ?"

"Non, mais vu ta réaction ..."

"C’était de l’ironie. Derenar n’a jamais fait une aussi grossière erreur. Et il vient de me faire perdre gros... il va m’entendre !"

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