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PHASE 3 : LE PIEGE SE REFERME

(ou la terrible vengeance de ces malotrus sur le plus malheureux des auteurs)

 

Lorsqu’elle se retrouva seule dans sa tente, Grien ne put s’empêcher de penser qu’elle avait fait une erreur en invitant les snotlings au camp. Elle ne pouvait oublier que Boubli venait pour la deuxième fois de la tenir en échec. Dans un premier temps, seule la menace skaven avait retenu son bras, elle n’avait pas voulu les attirer trop près dans leurs affaires. Ce soir, elle était beaucoup plus perplexe devant son choix. En effet, elle voyait bien qu’elle avait sous-estimé les risques d’humiliation et de déshonneur qui pesaient si lourdement sur ses épaules. Mais elle était toujours très réservée sur la pertinence de tout autre démarche, obtenir des informations n’était que la première étape de son plan. En effet, si ces soupçons étaient justes, alors ce qu’elle recherchait se trouvait certainement au fond des tunnels des hommes rats et elle comptait bien y amener les snotlings pour les guider dans ce labyrinthe, et rien de plus dangereux, pensait-elle, que d’amener des créatures si bêtes à agir contre leur gré. Que se passerait-il si, tel un âne au milieu d’un passage étroit sur une falaise, ils refusaient d’avancer ou de coopérer même sous la contrainte de la violence ? Ils l’ignoraient mais s’ils étaient encore en vie, cela se limitait à ce simple constat. Du moins le croyait-elle.

Au fond d’elle-même, le désoeuvrement des derniers jours l’avaient amené à réfléchir beaucoup plus sur le sens de sa vie. Force est de constater que bien des choses n’allaient pas, elle doutait soudain de ses motivations profondes à jouer son rôle de responsable au sein de son unité, sa vie depuis maintenant de si longues années était tournée toute entière vers la guerre et le sacrifice d’elle-même et d’autrui. Avait-elle fait le bon choix ? N’aurait-elle pas été plus heureuse en s’orientant vers une autre voie ? Elle ne savait pas encore précisément les réponses et elle n’avait personne autour d’elle à qui confier ces doutes, au contraire, elle devait paraître plus forte que jamais si elle voulait conserver son rang. L’arrivée inopinée des deux amis lui avait apporté toute la fraîcheur et un esprit de jeu propice à la sortir du petit abîme qui la rongeait depuis peu. Pour l’heure, leur innocence constante l’agaçait au plus haut point. Elle devait prendre sur elle pour ne pas les décapiter car leur manie à déjouer ses plans commençait à l’énerver. Seulement, ils étaient ses seuls atouts contre la probable colère de la matriarche si elle restait bredouille concernant sa quête. Une partie de l’échec de leur mission lui incombait.

En fait, pour réussir son plan, elle devait avant tout préparer ses sœurs à y adhérer, même s’il écornait au passage beaucoup des principes elfes noirs. Si elle y parvenait, son autorité s’en retrouverait renforcée doublement. Et jusqu’à présent, l’esprit ludique avec lequel elles oeuvraient lui avait finalement permis de resserrer les rangs derrière elle. Rien n’est plus dangereux que l’inaction pour des soldats, cela les oblige à réfléchir sur des questions bien inutiles pour le déroulement de leur travail. Elle savait que tout pouvait changer vite, que ces derniers échecs lui avaient porté préjudices, mais elle était encore suffisamment crainte et respectée pour ne pas être encore inquiète. Dans l’ensemble, la plupart des furies partageait son analyse sur les enjeux autour des skavens et le proche retour d’Anarylle, leur matriarche si colérique, n’était pas non plus sans la renforcer.

Tout ceci était fort exact, voire pertinent, admettez-le. Seulement elle n’avait pas perçu la dimension profondément dynamique du processus d’intégration et, je rajouterais, de destruction snotling. D’ailleurs, j’admets avoir été aussi inconscient qu’elle sur ce point. Dans l’ombre, ils s’activaient à une vitesse et une efficacité insoupçonnées, car tous ces épanchements nous ont fait perdre de vue le point essentiel, Grobul était en quête, lui aussi, et rien au monde ne pourrait l’arrêter en ce moment. Son ardeur et sa fougue étaient sans commune mesure avec l’énergie déployée par l’ensemble des furies pour obtenir leurs informations. C’est là que je commençais à craindre plus encore sur la qualité de mon récit. Les faits étaient là, j’étais à deux doigts d’une nouvelle catastrophe.

 


 

Difficile de trouver tous les ingrédients d’un plat aussi typique dans une forêt. Grobul s’était décidé à faire un ragoût à la bouillie d’herbes, la spécialité hautement culinaire des gobelins. Il ignorait la recette exacte mais c’était là son inspiration, et autant dire qu’il s’en donnait les moyens. La première chose était de trouver de la viande bien pourrie, idéalement un cadavre humain ou gobelin. Malheureusement, la paisible quiétude qui régnait aux alentours n’était pas pour le favoriser. Par conséquent, il s’était rabattu sur des lapins ou des souris, mais tout ça allait trop vite pour lui. Il s’était résigné à rentrer bredouille au campement, lorsqu’il croisa Boubli, l’air très triste.

- Ca va pas, Boubli ?

- Si, si.

- Non, je suis sûr que ça va pas !

- Ouais, t’as raison. Ca va pas du tout, je serais jamais un bon guerrier, j’arrive pas à me concentrer suffisamment.

- Ben, mais c’est pas grave. Y a pas besoin d’être concentré pour taper sur quelqu’un !

- Si, il faut savoir rester hyper concentré en toute circonstance, c’est Grien qui me l’a dit, et je t’assure que c’est pas de la tarte ! Elles font des trucs pas possibles !

- Ha, bon ? Et quoi par exemple ? La voix de Grobul devint à nouveau soupçonneuse.

- Oh, des trucs… bizarres qui… te déconcentrent… A chaque fois. ! Je me demande d’ailleurs si je préfère pas être déconcentré, fit-il d’une voix toute rêveuse ? Et toi ? Ca va ?

- Oui, oui, moi ça va. Excuse-moi, j’ai plein de choses à faire !

- A oui ? J’peux t’aider ?

- Naaan !

- Allez, dis-moi ?

- Naan, j’te dis, t’es bien trop occupé à apprendre à te battre !

- Allez, boude pas ! C’est toi mon meilleur ami et je préfère rendre mon épée si tu devais m’en vouloir !

- T’en vraiment sûr de ce que tu racontes là, mon Boubli, fit Grobul d’un ton sceptique mais confiant.

- Sûr de sûr !

- Bon, d’accord ! Dis, Boubli, d’après toi, ça leur ferait plaisir qu’on leur cuisine un bon repas à la mode gobeline ?

- Oh oui, t’as raison, c’est une super idée, parce que ce qu’elles mangent est bon, mais un peu fade quand même ! On va leur faire la spécialité des gob : le ragoût à la bouillie d’herbes !

- C’est exactement ce que je voulais faire ! Comment t’as deviné ?

- Ben, je sais pas, p’têt parce que les gob’ ne savent faire que ça ?

- Dis, toi, tu sais comment ça se cuisine ?

- Nan, mais j’ai vu plusieurs fois les gob’ le faire…

- Ouais, mais le truc c’est qu’on n’a pas de morceaux de cadavres… Je voulais prendre des lapins ou des souris mais ça court trop vite…

- T’as essayé avec des pièges ?

- Non, pourquoi ?

- Andouille ! Il faut faire des pièges pour les capturer ! Il suffit d’avoir du fil de fer. Laisse, j’ai une idée.

 

Au départ, Grobul avait regretté de devoir partager son idée, mais, au fond de lui, il était tout content de redevenir copain avec Boubli, même s’il gardait une rancœur prête à éclater au premier signe.

- Dîtes, Madame, on pourrait avoir du fil de fer ?

- Pour quoi faire ?

- Oh rien, c’est pour faire des hameçons pour aller pêcher !

 

Deux minutes plus tard, Boubli avait son fil de fer pour poser des collets. Ils cherchèrent tout ce qui aurait pu servir à leur recette : des feuilles mortes, de la fougère, des violettes, des baies de houx (ils avaient même un moment garder quelques feuilles pour donner du piquant). Bref, tout ce qui avait l’air comestible. Ils s’arrangèrent pour trouver une marmite, prirent un peu de feu et s’installèrent derrière un tas de bois à quelques dizaines de mètres du camp. Petit à petit, le plat prenait tournure. Enfin, ils goûtèrent mais immédiatement ils trouvèrent ça trop fade.

- Va chercher du piment, du poivre et du sel en cachette !

- D’accord, fit Grobul surexcité.

 

Il revint quelques instants avec sous les bras les réserves complètes du camp en sel et condiments et les mit directement dans la marmite avant que Boubli n’ait eu le temps de faire quoique ce soit.

- Mais t’es complètement fou ! Ca va faire trop !

- Mais, non, c’est très bon ! J’adore quand c’est fort comme ça.

- Fais voir ! Ouais, t’as raison, c’est super bon ! Le problème c’est que le piment a tout absorbé ma sauce. Et pis, je me demande si on ne devrait pas adoucir un peu pour les elfes, elles ont l’air d’être un peu plus fragiles que nous, non ?

- Oui, mais avec quoi, fit Grobul, déjà tout inquiet de rendre son plat incomestibles ou de voir sa Grien malade ?

- Je vais chercher de l’eau. Surveille et remue bien pour que ça n’attache pas.

Boubli alla chercher de l’eau croupie dans une flaque d’un chemin. En la ramassant, il vit un champignon. Il le cueillit en se disant que ça adoucira le plat. Il en vit un autre tout rouge, il le prit aussi en se disant que ça fera, en plus, jolie au milieu du marron très très foncé du plat, et ainsi de suite. Il ne tarda pas à avoir des champignons plein les bras, d’aspect très variés et esthétiquement chatoyants, mais tous aptes à adoucir le plat selon les critères snotlings. Grobul accueillit l’idée avec enthousiaste.

- Des champignons ? C’est une super idée !

- Tu crois que ça doit encore cuire longtemps ?

- Je sais pas, moi j’aime bien quand c’est noir.

- Mais… Dis, fais voir ? Mais ça a attaché !

- Meuh non !

- Si ça a attaché ! Qu’est-ce que tu as fait pendant que j’étais pas là ?

- Rien, j’ai remué !

- Non, c’est pas vrai !

- Si, je t’assure. Mais le feu commençait à baisser. Donc je suis juste partie chercher du bois. Je crois qu’après, en fait j’ai trop mis de bois… Je pouvais plus remuer parce qu’il faisait trop chaud autour de la marmite.

- C’est pas vrai, c’est encore plus sec que tout à l’heure…

- T’en fait pas, t’a dit qu’il fallait remettre de l’eau. Y a une grosse flaque vers un gros tronc d’arbre juste à côté. On va pouvoir faire plein de sauce !

Ainsi, les deux compères passèrent la matinée à mitonner leur petit plat et effectivement, ils avaient plein de sauce. Puis vint le moment d’annoncer leur intention à Grien.

- Euh ! Oui…Oui… Oui… C’est… euh ! Une très bonne idée ! Mais vous ne voulez pas qu’on vous aide un peu ?!?

- Non, non ! On veut surtout pas, c’est déjà tout prêt ! C’est pour vous remercier de tout ce que vous avez fait pour nous, dit Grobul euphorique. On vous a préparé une spécialité ! Faudra juste nous donner un peu de poivre ou du piment pour adoucir ! (Boubli lui donna un coup de coude, car ils avaient déjà tout mis les réserves des elfes dans leur plat)

 

Des voix, a priori vigoureusement contestataires, s’élevèrent dans tout le camp. Grien eut toutes les peines du monde pour obtenir un consensus pour y goûter. Elle allait enfin pouvoir se rendre chez les skavens, ce n’était pas ce petit obstacle qui allait tout faire manquer ! En regardant son assiette, elle se mit à douter, peut-être que si finalement… Tout ça n’était vraiment pas engageant. Il est vrai que l’odeur dégagée n’était pas foncièrement rassurante non plus… De manière à donner l’exemple, elle se résigna à prendre la première bouchée.

A sa grande surprise, le plat, quoique curieux, avait une consistance et un goût très original mais nettement plus agréable que ce qu’elle redoutait. C’était extrêmement fort et tellement cuit, qu’elle était incapable de distinguer le goût de quoique ce soit. Elle réussit à finir le plat, les larmes aux yeux par tant de piment et d’assaisonnement, mais avec un soulagement indescriptible. En mâchonnant le dernier morceau qui passait difficilement, elle invita ses sœurs à l’accompagner, en leur conseillant tout particulièrement la sauce, sur un ton des plus énigmatique. Puis, elle regarda ses sœurs avec un large sourire carnassier et leur lança le défi de manger elles aussi leur assiette en leur rappelant les enjeux et l’heure du proche retour de la matriarche. Devant un tel stoïcisme et de tels arguments autour, ses congénères, bien que très hésitantes, furent obligées de la suivre. Il y eut un grand moment de silence, tout au plus quelques bruits de déglutition ou de quintes de toux. Enfin, après les premières craintes passées, le repas devint fort animé, quelques plaisanteries sur leur appréhension et sur l’apparence rustique du contenu de leurs assiettes détendirent très vite l’atmosphère.

En fait, une fois terminé, le plat donnait envie d’y regoûter, il avait un petit effet pas désagréable, comme s’il avait été légèrement alcoolisé ou qu’il amenait de belles pensées dans la tête de chacun... Bizarrement, toutes avaient très chaud, elles ne tardèrent pas à découvrir leurs épaules des gilets qu’elles avaient enfilés pour se protéger du froid nocturne. La lune elle-même se joignit au manège en drapant de lumière leurs magnifiques courbes félines d’ombres valorisantes et caressantes. Peu à peu, toute la marmite fut engloutie et bon nombre de furies, on ne sait pas trop pourquoi, riaient sans raison apparente.

Grobul et Boubli adoraient voir les elfes dans cet esprit de joie parfois si taquine. Eux aussi avaient très chaud, mais visiblement pas pour les mêmes raisons. Certaines elfes, sans s’en rendre compte, donnaient à cette scène de quoi leur faire perdre la tête en jouant espièglement et ironiquement avec eux. Elles voyaient bien tout l’effet qu’elles produisaient sur ces si petites créatures sans défense (il est probable que Grien ne leur avait pas révélé précisément la totalité de ses déboires sur la question pour avoir encore de telles certitudes), elles leur proposaient des paris insensées pour obtenir leurs faveurs, qu’ils s’empressaient d’exécuter et de manquer immanquablement en revenant tout penaud, ce qui augmentait encore l’hilarité générale. Pour eux, qu’on puisse rire à leurs dépens n’avait aucune importance, encore fallait-il de toute façon qu’ils le comprissent, ils étaient sûrs d’une chose, leur succès était total. La lune aurait pu se cacher derrière les nuages pour jeter un voile de mystère sur leur soirée, de leur côté, ils rayonnaient suffisamment tous deux de fierté pour compenser sa disparition.

- Alors, tu veux pas aller me chercher cette branche de gui là haut qui brille si magnifiquement dans la nuit ?

- Si, bien sûr !

- Non, c’est moi qui irai car je suis le plus grand !

- Non, c’est moi ! J’ai répondu en premier d’abord !

- Et toi, tu veux pas prendre la poignard de ma copine là-bas qui s’est moqué de moi quand je voulais pas finir mon assiette ?

- Si, tout de suite !

- Et tu veux pas me chercher un verre d’eau à la rivière ?

- Contre un bisou ?

- Ne l’écoute pas, si tu veux me faire plaisir à moi, il faut que tu me ramène la fourrure d’une hermine !

- Et je pourrais toucher ?

Etc.

Je vous laisse imaginer quels étaient les différents auteurs de ce dialogue sans fin. Toujours est-il que nos deux snotlings étaient bien occupés et jamais ils ne baissaient les bras, voulant remercier par leur dévouement toute la gentillesse qu’ils croyaient avoir reçue.

 

Pendant ce temps là, un peu plus loin mais pas tant que ça, la matriarche avait repris sa route vers l’unité, l’âme impatiente de connaître les nouvelles fraîches mais sans doute inconsciente de la terrible tragédie qui venait de se dérouler sous nos yeux.

 


 

PHASE 4 : LE POISON COMME ARME DE COMBAT

(Ou comment l’intrigue tente de reprendre le dessus sur les bêtises des uns)

Laissons là un moment mes elfes à leur triste sort. Avant de poursuivre immédiatement mon récit, je souhaiterais quand même justifier de la qualité de mon travail aux yeux de mes lecteurs, qui, je le sens, sans pour autant d’ailleurs les blâmer, commencent à se moquer de moi, voire même à se sentir blesser de m’avoir fait confiance jusqu’ici (si, si, je le sens, inutile de le nier, je vous entends même dire : " Zarathoustra ne nous avait pas habitué à ça ! " Mon Dieu que c’est vrai ! Croyez que, si j’ose continuer, c’est bien par respect pour vous et parce que vous méritez mieux que ce que vous avez lu). Il faut dire qu’avec tout ça, je n’ai pas eu le temps de trop développer les mésaventures initiales des elfes par la faute de qui vous savez, alors que, je le rappelle, là était ma véritable histoire, voyez l’étendue du massacre. Puisque je vois quasi disparaître les chances d’exploiter au mieux mon beau travail, je vais tacher de vous brosser en quelques phrases quel était mon plan initial, et peut-être comprendrez-vous davantage mon sentiment de frustration et de perplexité et partagerez-vous ma colère.

 

Les plus hautes autorités des elfes noirs avaient confié une mission d’une ampleur considérable à nos belles et troublantes furies (au moins, sur la question, soyez m’en reconnaissant de ne pas m’être trop trompé sur la marchandise ! C’est peut-être là la seule excuse que je tiens pour me faire pardonner, aussi, oserai-je le souligner modestement. Imaginer mon récit avec des humains à barbe, style aventuriers désœuvrés et désargentés, je ne suis pas sûr que vous m’auriez pardonné…). Elles devaient trouver l’un des plus vieux artefacts des terres humaines, je parle de la Seconde Prière de la Dame du Lac, un objet si ancien que la plupart des gens doutent même de son existence. Les Grandes Matriarches d’Aubemorte, suite à différents raids sur divers pays, ont commencé à découvrir plusieurs pierres, qu’elles finirent par identifier comme étant des clés d’activation de l’artefact. Aujourd’hui elles sont persuadées de pouvoir enfin neutraliser la source de bien des massacres sur leurs élèves et sur ce qui est à l’opposée de leur philosophie du combat et de leur foi, j’ai nommé la magie, cet artefact devant créer un cercle de protection infranchissable si l’on possédait la bonne clés. Depuis près d’un siècle l’ordre de Khaine poursuit son investigation, Anarylle eut un jour la chance de découvrir son emplacement à l’aide d’une simple phrase inscrite sur une pierre du plus vieux monastère dédié à la Dame, d’ailleurs aujourd’hui abandonné, non loin de Camelot : " A la source de sa dévotion, le plus humble de mes serviteurs saura retrouver mon soutien ". C’est justement non loin de cette forêt qui les abritait qu’elle trouva l’objet. Seulement, la nuit même de la découverte, celui-ci avait mystérieusement disparu.

Depuis, elle menait une enquête auprès des nobles de la région en se faisant passé pour la gentille, innocente et prude elfe, qu’elle n’était aucunement. Voilà le pourquoi de mon histoire, voilà tout ce que nos snotlings ont torpillé en une seconde. Notez mes efforts pour ramener mon scénario vers le droit chemin : duel sanguinaire, numéro de charme, torture mentale, strip tease… Et rien de tout ceci n’a produit la moindre lueur d’espoir. Je joue donc ici mon dernier atout : le retour de la matriarche dans l’unité. Priez avec moi pour qu’elle me débarrasse au plus vite de ces fous furieux.

 


 

La matriarche, Ainarylle, allait enfin pouvoir regagner son camp après un si long séjour auprès des humains. Elle n’avait pas réussi à obtenir les informations qu’elle souhaitait et, intérieurement, elle bouillonnait de colère contre elle. Nulle part, on lui avait mentionné une présence dans les environs ou signalé un objet particulièrement puissant. Aucune autorité religieuse ne semblait informé de quoi que ce soit, et, elle avait suffisamment travaillé la question au plus près du sujet pour en être sûre. Ces humains étaient tous médiocres : médiocres en intelligence, médiocre en amour, médiocre en négociation. Comment pouvaient-ils régner sur tant de terre ? Pourraient-ils le faire longtemps en faisant preuve d’autant de bêtise ? Elle ruminait ce type de pensée, excédée par sa perte de temps. Elle espérait impérativement trouver des nouvelles intéressantes pour remettre la main sur l’artefact. Chemin faisant, en pénétrant dans le camp de ses furies, l’absence de surveillance augmenta encore son courroux. La fureur qui l’habitait monta d’un cran supplémentaire, et les premiers visages qu’elle vit le sentirent immédiatement en évitant d’affronter son regard. Néanmoins elle fut surprise par le relâchement et l’extrême pâleur de ses furies. Que pouvait-il s’être passé ? Une attaque ?

 

Prévenue de son arrivée, et sans doute de son humeur, Grien vint au plus vite dans sa direction, elle-même livide et le front moite.

- Bonjour, ma mère. Excusez-nous du désordre… mais nous avons des hôtes qui devrait vous intéresser ", fit-elle d’une voix faible et désabusée en lançant un regard oblique vers le snotling qui l’accompagnait.

 

Ainarylle, sans le savoir, contemplait bien une unité qui avait livré un dur combat, mais elle n’aurait jamais imaginé si surprenant et imprévisible adversaire ! En effet, la nuit qui suivit le repas fut particulièrement animée. Dans un premier temps, le plat procura de curieux effets sur les elfes : d’abord, la plupart se mirent à rire un peu bêtement, comme si elles avaient trop bu, puis certaines commencèrent à avoir de drôles de regards absents, les yeux peu à peu exorbités. Grien, affolée, reconnut dans un coin de son assiette un morceau de champignon.

- Vous avez mis des champignons ?

- Oui, on a voulu essayer, c’était pas dans la recette mais je trouve que ça a bien adoucit la sauce, fit Boubli, très fier de son initiative.

- Et ils étaient comment, vos champignons ?

- Très jolie !

- Mais encore ?

- Ben, y en avait de toutes les couleurs, j’avais pensé que ça égaierait le contenu de l’assiette mais tout est devenu noir après la cuisson.

- Mon Dieu, faîtes que ce ne soit pas ça !

 

Ce furent les dernières paroles de la lieutenante de l’unité, qui ne tarda pas à se plier en deux en poussant un cri de douleur. Comme elle, au bout de quelques heures, toutes suivirent la même courbe, selon une logique toute particulière en fonction des réactions qu’elles avaient eues de prime abord. Après avoir ingurgité le si atypique repas préparé par les snotlings, de terribles crampes au ventre commencèrent à se déclarer dans tout le camp. Malheureusement pour elles, leur estomac n’était biologiquement pas construit pour faire face à une telle menace, loin s’en faut. Les quelques unes qui semblaient être épargnées se mirent à chanter, d’autres à essayer de voler comme des petits oiseaux ou de faire des rêves extrêmement compliqués

Voyant l’épidémie se propager avec une vitesse déconcertante, les deux invités devinrent tout penauds d’avoir causé tant de dégâts et cherchèrent à soigner comme ils le pouvaient les elfes. Certaines préférèrent néanmoins ne plus les voir s’approcher d’elles et poussaient des cris hystériques à leur vue, d’autres, redoutant de tomber encore plus malades ou de subir une nouvelle maladresse de leur part, les suppliaient de ne rien faire en leur disant que tout allait bien. Seules celles qui étaient inconscientes ou encore pendues à une branche d’arbre avec leur pagne, si esthétique et ô combien fragile derrière elles, en train de hurler des " cui-cui, ouille, cui-cui, aîe ! ", voire même en train de se débattre contre des monstres invisibles, se laissaient soigner par eux sans résistance particulière. Mais force était de constater qu’ils étaient meilleurs cuisiniers qu’infirmiers. Toutes finirent par succomber aux affres de spasmes terrifiants. Ce fut qu’une fois complètement épuisées qu’elles finirent, à la longue, par sombrer dans un profond sommeil.

Les deux snotlings étaient eux aussi à bout, mais leur sentiment de culpabilité les poussait à tenir bon, surtout Grobul qui resta au chevet de Grien toute la nuit, les yeux rouges d’angoisse et de remords. Il la voyait se contracter toutes les minutes, en serrant les dents, les yeux vides, l’ignorant complètement. La seule chose qu’il réussit à faire pour la calmer, c’était de lui passer un peu d’eau sur son front. Alors, elle se mettait parfois à parler en elfe, et c’était pour lui comme le plus beau des chants, une preuve qu’elle n’allait pas mourir. Son inquiétude augmentait au fur et à mesure que la nuit avançait.

 

Tels étaient les derniers évènements du camp avant l’arrivée de la matriarche. En voyant Grienlyce l’accueillir, elle ne pouvait qu’ignorer qu’elle remarchait seulement depuis une petite heure. L’arrivée et l’humeur de sa supérieure ne lui firent aucun effet, elle avait toujours une terrible migraine et son esprit restait tout engourdi par le mauvais sommeil qui l’avait emporté au milieu des douleurs, Grobul la suivant comme son ombre, prêt à la soutenir à la moindre faiblesse.

- Alors, avez-vous enfin du nouveau à m’annoncer ?

- Pour ce qui est de l’artefact toujours nulle trace. Mais j’ai deux snotlings qui savent des choses sur les skavens… Je crois que si nous devons avoir des soupçons, nous devrions nous retourner vers eux. Il est improbable que des humains aient pu déjouer notre surveillance et laisser aussi peu de trace. Il se trouve que j’ai découvert l’ouverture d’un tunnel skaven… avec l’aide involontaire de ces deux créatures.

Le regard d’Ainarylle s’éclaira pour la première fois à ces mots. Elle tenait une explication à son échec auprès des humains.

- C’est également mon avis. Qui d’autres auraient pu nous le dérober de la sorte ? Mon enquête parmi les humains ne m’a apporté nulle piste sérieuse. Alors, petit snotling, tu connais les skavens ?

- Vouiiii ! Même qu’ils sont très méchants ! Et que vous, vous êtes très gentilles.

- Effectivement, nous sommes très gentilles… C’est ce qu’on nous dit à chaque fois. Et savez-vous ce qu’ils manigancent dans la région ?

- Naaaaan !

- Comment ça, non ?

- Ben, non, j’en sais rien ! Pourquoi je saurais ?

- Euh, a priori, c’est l’autre qui sait plus de choses, rattrapa la lieutenante d’une voix timorée, désarçonnée par la franchise de Grobul.

Alerté de la présence de la matriarche, Boubli s’était dépêché de rejoindre son ami de manière à ne pas lui laisser le temps d’en dire trop. Il arriva donc juste à temps.

- Dîtes, c’est vrai que vous pouvez couper la tête d’un homme en un coup, coupa insolemment Boubli

- Oui. Et ça tombe bien j’ai soudain grande envie de faire tomber des têtes, lança Anarylle en regardant durement et ironiquement tour à tour à tour les snotlings et sa lieutenant. Les deux créatures avalèrent leur salive avec appréhension.

- Oui, je m’étais permis de leur promettre une petite démonstration contre leurs informations, osa nerveusement et timidement Grienlyce.

- Crois-tu que j’ai du temps à perdre pour de telle bêtise ?

- Sans doute que non, mais j’ai peur que ce ne soit la seule solution pour qu’ils nous conduisent de plein gré dans les tunnels …

- Très bien, fais moi penser de t’en reparler demain… Qu’on m’apporte ma Draîch ! Je commence par qui ? Toi, petit insolent ? Fit-elle en désignant Boubli avec un étrange sourire. Ce dernier ne trouvait pas très drôles les plaisanteries et sentit son estomac se nouer.

 

Elle retira sa lourde cape, le court gilet sans manche qui enserrait son buste et glissa à terre sa somptueuse robe elfique cintrée et bleue ciel, puis enfila, le temps de montrer aux regards aguerris des snotlings de quoi faire perdre le sang froid à une nuée entière de lézard, la tenue rituel de combat des furies. Elle soupesa son arme, ferma les yeux et exécuta dans le vide de larges mouvements élégants qui sifflèrent dans l’air, comme si elle dansait en affrontant un ennemi invisible. Sa respiration devint progressivement ample et espacée. Puis, le visage complètement serein, elle demanda que l’on arme la petite créature. Boubli ne voyait pas la démonstration se passer ainsi, mais il ne dit rien, impressionné qu’il était par l’elfe et la parfaite maîtrise de son arme. " Et bien, es-tu prêt à me montrer ce que tu sais faire… avant de perdre ta petite tête ? ", lança l’elfe d’une voix énigmatique.

- Heu, vous n’oubliez pas… J’ai plein de choses à vous dire après, tenta Boubli pour se rassurer.

- Crois-tu que le marché soit équitable ? Moi, je suis sûre que ton ami en sait autant que toi…

Boubli tenait son petit poignard de la manière la plus menaçante qu’il put. L’elfe se jouait de ses parades en le chatouillant avec son arme. Il chercha à enchaîner une parade avec l’une des bottes secrètes qu’on lui avait apprises, mais il se trouva en deux secondes devant un immense vide, l’elfe était passé derrière son dos, et lui grattait le bas du dos avec la pointe de son arme. Il se retourna et vit la matriarche lui faire une moue de petite fille qui a fait une bêtise, avec l’index malicieusement placé entre ses lèvres carmin et pulpeuses. Il repensa à la leçon de Grien, " autocontrôle ", se répétait-il en boucle.

- Alors veux-tu toujours jouer avec moi ? Ou veux-tu que la leçon commence vraiment avec tout ce que cela implique ? La matriarche prononça la phrase d’une voix atone et polaire qui fit frémir le petit snotling. Il se crispa sur le manche de son poignard et lança un défi.

- D’abord, vous me faîtes pas peur et pis, j’ai ma botte secrète que vous connaissez même pas ", fit-il en cherchant du regard une branche pour se prendre les pieds dedans.

- Tant mieux, tant mieux ! J’aime qu’on me résiste. Mais pas trop longtemps ! , répondit exquisément la chef.

Soudain, alors que Boubli cherchait toujours une racine, sans qu’il eut pu esquisser le moindre mouvement de défense, l’elfe se vrilla sur elle-même, changea l’arme de main, puis traça du revers une formidable diagonale en direction de sa tête. Il eut juste le temps de deviner comme un éclair s’approcher et de sentir un grand courant d’air. De son côté, tétanisé par la soudaineté de l’attaque, Grobul préféra fermer les yeux pour ne pas voir le spectacle. Il entendit un premier petit bruit sourd étouffé par le tapis de feuilles mortes, puis Boubli s’effondrer. Grobul cria de terreur en ouvrant les yeux. Il était bien inanimé à ses pieds. Il s’approcha de lui, complètement paniqué. Le coup avait dû le couper net, aucune trace n’était visible. Il commença à s’effondrer en larmes. Pendant ce temps là, sans doute plus touché par l’émotion de son amie que par l’épée, son ami rouvrit les yeux, indemne.

 

- Boubliiiiiiiii !!!!, fit Grobul en lui sautant au cou et follement heureux de voir son ami en un seul morceau.

Ainarylle avait simplement sectionné la cordelette qui maintenait une étrange pierre aux rayonnements verdâtres (mais si ! je l’ai déjà précisé avant qu’il en détenait ! Relisez un peu le premier paragraphe de la phase 2 du récit (je sais, vous en avez pas trop envie vue la capacité des snotlings à foutre en l’air mon travail (commenceriez-vous à me comprendre, peut-être à me plaindre ?)), au lieu de vous gausser ou de vous distraire par ce je ne sais quoi qui fait briller vos yeux d’un regard lubrique ! En plus, comme vous le savez, la lecture, c’est très bon pour la santé, ne vous privez pas, pour une fois que les snotlings m’apportent sur un plateau un truc intéressant, vous ne pensiez pas que j’allais le laisser tomber. (Quand je vous dis que je cherche à me sortir de là, vous noterez que j’y mets tout mon possible et que j’exploite toutes les pistes !) Donc oui, les snot’ avaient bien ce truc sur eux, c’est comme ça, cherchez pas, ça fait partie du concept spatio-temporelle très particulier de ce texte… Tout ça est si nouveau pour moi, et même si ça vous parait improbable, admettez-le ? Et pis d’abord, depuis le début, j’ai pas vraiment de chance, donc là, je dirais que c’est peut-être juste une petite accalmie qu’il ne me faut pas louper. Dont acte !). Cette dernière avait immédiatement attiré son œil. Elle ressemblait à un fragment de Malepierre.

 

- Comme prix de la démonstration, je garde ton pendentif, et c’est meilleur marché que d’habitude, ria-t-elle ! Alors, petit snotling, maintenant dis-moi tout ce que tu sais sur ces skavens ? Sa voix était redevenue douce et charmeuse.

Les deux snotlings, retrouvant l’esprit joueur des elfes, furent rassurés et racontèrent leurs histoires dans les tunnels des hommes-rats. Le passage avec un artefact éveilla particulièrement la curiosité de leur chef, le technomage qui les avait capturés pour faire des expériences nouvelles venait de recevoir un curieux objet qui correspondait assez à son signalement. Après avoir attentivement écouté le récit, Anarylle se retourna vers Grien et s’entretînt en elfique avec elle.

Pendant ce temps, ayant pris conscience de tous les désagréments qu’ils avaient causés et Boubli n’ayant pas trop apprécié l’esprit de la leçon, il commença à motiver son compère pour s’éclipser le plus discrètement possible. La matriarche avait, quant à elle, d’autres chats à fouetter.

- Grien, je te confie ce morceau de Malepierre, quelque chose me dit que nous tenons là une autre pierre d’activation et qu’elle pourrait nous être utile pour la suite de notre expédition. Si je n’ai pas entendu parler de la Seconde Prière de la Dame du Lac parmi les humains, j’y ai par contre beaucoup entendu parler des skavens.

- Effectivement, nous avons nous aussi entendu bien des rumeurs sur leur présence et leur menace. Difficile de savoir ce qu’il manigance. Je me demande s’ils n’ont pas en vue une action de grande ampleur.

- Par contre, je ne comprends pas le lien entre leur probable plan d’invasion et l’artefact. En fait, je ne conçois pas qu’ils aient pu avoir connaissance de son existence. Notre quête dure depuis un siècle et est le fruit d’études sur des centaines de grimoires et autres manuscrits, je doute qu’ils disposent de notre savoir sur la question…

- A moins qu’ils n’aient surpris des conversations. J’ai l’impression que la région est truffée de tunnels. Il aura suffi que nos interrogatoires ne les renseignent. Malheureusement, nous avons tendance à faire parler nos victimes de manière certes cohérente avec le raffinement que cela implique mais parfois peu discrète. En fait, j’attendais votre retour pour déplacer notre campement. L’entrée par laquelle les snotlings sont apparus est vraiment toute proche. C’est pourquoi je n’ai pas osé employer la méthode forte, et j’avoue également avoir voulu nous détendre un peu avec eux, le temps commence à durer et l’inaction n’est pas saine pour notre unité.

- Nous reparlerons aussi de cela plus tard, coupa court Anarylle. Et bien, qu’on m’apporte nos deux invités et qu’ils nous emmènent là où sont les skavens, puisque tu me dis qu’ils sont d’accord de nous y conduire. Malheureusement pour Grien, ce qu’elle ignorait à cet instant précis et qui lui aurait évité une fausse joie, c’est qu’ils avaient disparu tous les deux du camp. De son côté, ce qu’ignorait Anarylle, c’est que, en oeuvrant de la sorte, elle avait certes exécuté mon souhait initial de les voire partir de mon récit (je la remercie malgré tout de ses beaux efforts), mais qu’elle détruisait là paradoxalement tout espoir de le voir repartir sur des bases enfin saines. Et tout ça, juste quand tout se mettait si merveilleusement en place grâce à mes souterrains efforts ! Y a-t-il une justice en ce monde ? Quelqu’un a-t-il une idée où ils ont bien pu passer ? Et qui a dit que j’avais eu de la chance dans ce chapitre ? Hein, qui ?

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