Akkra, mesure du temps
- Vuld Edone
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- Zarathoustra
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Même s’il ne s’agit que d’une succession épistolaire de texte et qu’il n’y a qu’une personne qui parle, il y a comme un dialogue avec le lecteur. Tout d’abord le narrateur est un peu le lecteur qui s’interroge sur ce qui l’attend et notamment sur le où et comment sera le piège.
Donc le personnage absent autour duquel tourne le texte (autre petit lubie de ta part) et qui ne fait pourtant rien joue un rôle en crue très important ; Il s’agit d’ailleurs certainement d’un renard, mais c’est un peu accessoire.
Ensuite l’intrigue pique la curiosité de manière très habile ; J’ignore si c’est volontaire mais elle m’a beaucoup fait penser à Borges. On a donc une trame tournée vers le fantastique. C’est d’ailleurs plus le fonctionnement à la Borges (ce côté poupée russe d’une idée qu’on croit simple et qui nous fait envisager l’infinie malgré nous) que le piège lui-même qui m'a interessé. A dire vrai, je n’ai pas envie de savoir pourquoi le démon disparaît, ni ce que signifie cette montre. Pour moi, c’est une sorte de McGuffin hitchockien. On suit l’intrigue par curiosité mais, au final, je me suis plus intéressé à ton personnage (et à ceux qui l’entourent) qu’au petit jeu que tu nous tend.
Et en te lisant, je me dis que le récit à la première personne te va bien. Par ce procédé, tu introduis une certaine proximité avec tes personnages qui manquait parfois à tes textes (enfin, on se comprend, ils n’en avaient pas besoin parce que là n’était pas l’essentiel). Sauf qu’ici, tu racontes le quotidien et surtout la fin d’une vie de manière très pudique.
Un autre pont qui m’a plus, c’est que ton procédé narratif te permet d’utiliser le « tu » en t’adressant au lecteur (qui est en fait un narrateur dans les faits). Autant je trouve que ça coinçait quand tu l’as employé dans le chapitre 4 de Renard au Harnais (faudra que je te fasse également retour, mais j’ai pas trop aimé), autant ici, l’utilisation fonctionne merveilleusement. C’est vraiment très habile.
Pour revenir au fonctionnement de ce texte, il y a un vrai glissement sur ce narrateur. Il est d’abord à l’image du lecteur qui s’interroge, puis il devient à son tour narrateur car il finit par vraiment raconter son histoire. Et à la fin, il devient acteur, sauf que tout est hors-champ et que c’est au lecteur d’imaginer la vraie fin.
Voilà en gros ce que j’avais à te dire sur ce texte. Autre précision, je trouve que tu arrives vraiment à concilier le fond et la forme, ainsi que tes préoccupations intimes avec l’intérêt du lecteur. J’ignore si c’est pour toi un récit proche ou éloigné de ce qui te tient à cœur d’écrire, mais je trouve que celui-la a écrit par un renard très charmeur et qu’il est très réussi.
Voilà un peu en vrac ce que j'avais envie de te dire. J'espère en tout cas que nous pourrons en discuter ensemble;
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- Vuld Edone
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Donc je vais plutôt te répondre en disant comment il a vu le jour.
Au départ, c'est une réplique trouvée dans Sword Art Online (un anime que je déconseille) qui m'a frappé. "Errors accrued in my code" ou quelque chose "les erreurs se sont empilées dans mon code", ce qui informatiquement n'a pas le moindre sens (le code ne change pas, c'est la mémoire qui fait nawak) mais qui, philosophiquement, reposait l'éternelle question du passage à l'état de conscience.
L'idée qu'une série d'erreurs dans ce qui est autrement un automate puisse être à l'origine d'une volonté m'a fasciné, et j'ai exprimé cela au travers d'un mécanisme qu'en tant que Suisse on me rabat sans cesse les oreilles avec : les montres.
Et là je on peut comprendre en quoi les démons, des créatures obnubilées par la volonté, aient expérimenté avec la mesure du temps. En fait, ils voient la montre comme ils voient un être humain. Ils sont uniquement intéressés de voir si cet objet échappera à la chaîne des causes à effets (prendre "chaîne" au sens carcéral).
On se croirait presque dans Chimiomécanique. D'autant que c'est le même univers.
Seulement pour poser mon problème philosophique, j'avais besoin d'une histoire. Notamment, et pour un récit fantastique, il me fallait l'habituel personnage scientifique décidé à tout foirer pour découvrir rien du tout. Évidemment j'ai inversé la logique et voulu un héros qui au contraire n'en aurait rien à fiche et qui ferait exactement la bonne chose : boucler la montre dans un tiroir ou la jeter à la poubelle. Ou la détruire.
Mais bien sûr, avec un tel personnage mon histoire se terminerait au premier paragraphe. Il me fallait une excuse pour le forcer à continuer. Je me suis donc inspiré de deux expériences, la correspondance et la vieillesse (pas la mienne) pour mettre en scène Prélin, inspiré de Pasquinot qui était, à l'origine, un lecteur de journal à l'arrêt de bus. Ouais.
Donc quelque part il y a du self-insert. Par exemple Prélin qui va pêcher vient de moi rêvassant au bord du lac, écoutant comme lui l'eau clapoter sur les rochers.
Le texte a alors pris une autre tournure, qui a vraiment lancé l'écriture : l'idéal. Tout comme Prélin se raccroche à l'idée que son ami va répondre, les démons se raccrochent à l'idée que la montre a une volonté. Parce que dans le cas contraire, c'est comme si on venait t'annoncer que la vie n'existe pas (et que tu es mort. Enfin pas mort, juste... t'es un caillou).
Le texte oppose ces idées à la réalité et sous-entend que c'est incompatible. Les idées sont impossibles, elles nuisent, il faut les abandonner. Ce que Prélin résume par "tes idéaux contre mon expérience". Le démon est du côté des idées, le reste du monde est du côté de la réalité et Amandine, c'est-à-dire Akkra, cherche un juste milieu.
Pour parler du personnage absent, au départ je voulais utiliser deux professeurs, l'un de mon univers et l'autre de l'Apocalypse de Petch. Celui de l'Apocalypse aurait reçu la montre et la mécanique de l'Apocalypse serait rentrée en jeu.
Je ne sais plus pourquoi j'ai abandonné cette idée. Sans doute parce que les professeurs se seraient trop conduits, justement, comme le prototype que je voulais éviter. Mais il y a toujours cette arrière-pensée, et c'est aussi pour ça -- et pour que mon personnage n'ait pas à aller travailler -- que j'ai opté pour une personne âgée.
Actuellement, et en oubliant que je veux avant tout qu'il s'agisse du lecteur, dans ma tête le personnage absent est un érudit vivant en Atasse, terre d'idéal, et qui aurait voulu mettre la montre en sécurité en l'envoyant à cet ami plus âgé au Liscord, terre beaucoup plus matérielle. Je n'ai jamais fixé la raison pour laquelle il aurait fallu protéger la montre, ni ce qui est arrivé à ce personnage.
Bref.
C'est effectivement un texte de renard, écrit sur un coup de coeur et surprenamment complet. Ce genre de texte que je peux lire d'une traite, même si je reste d'avis que l'épistolaire est grmf et que je préfèrerais la troisième personne.
Surtout, je me dis que si tu as trouvé Prélin réussi, c'est probablement qu'au-delà du possible self-insert il y a surtout que Prélin fait face à des problèmes dont je me soucie effectivement, et dont il se soucie donc par conséquence. Ce n'est pas comme "oh non. Ce personnage est mort. Oh la la." Il est en train, sans même le savoir, de participer à l'expérience de la montre.
Pour l'anecdote, il y a une variante où un personnage demande l'omniscience, et le démon, pour lui expliquer pourquoi c'est une mauvaise idée, lui offre cette montre et lui propose de voir l'heure qu'il est.
Le personnage devient fou.
EDIT: J'oubliais, autre anecdote. Akkra va inspirer un monstre pour les Anges. Ce monstre aurait une montre et la capacité de trouver le "moment décisif", un moment où il a une chance même infime de tout faire.
Ce n'est pas un mauvais monstre parce que, d'une part, il n'a que cette montre pour lui, et du coup un peu comme Samuels il est encore forcé de réfléchir comme une simple bête et, d'autre part, il n'est véritablement un monstre que durant ce 0.01% de temps
Je me demande encore comment un tel personnage pense.
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- Zarathoustra
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Et le fait que l'histoire soit assez ouverte et que tu aies pris soin de construire un vrai personnage avec une vraie vie le rend également attachant, tout en abordant le thème du temps de manière indirecte.
On sent à la lecture que le texte s'est bien déroulé au niveau de l'écriture, qu'il s'est imposé un peu de lui-même. Je dirais qu'on sent le plaisir que tu as eu de l'écrire (c'est bien le cas, non?). Pourtant, je suis impressionné par le travail en amont, tes intentions premières et à dire vrai même les idées que tu veux mettre en oeuvre (qui plus est dans une toile plus vaste).
Par contre, tu nous délivres souvent des textes (souvent sous formes de nouvelles) qui ont leur place dans un tout, mais tu nous montrent que des petits bouts. J'ai du mal à voir l'ensemble. Notamment les personnages qu'on croise et qui ne reviennent jamais. En fait, tu en es où dans dans tes grands récits? Ils avancent indépendamment de ce que tu nous montres?
Et il y a des points ou des problématiques que tu voudrais creuser?
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- Vuld Edone
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Tout d'abord, précisons que l'univers de l'Atasse et celui des Anges est différent. Tout comme celui des Anges et celui des Reniants l'est également, même si là on est dans la même galaxie. Tout est réuni sous un "super-univers", si tu veux, de Merra. Mais bref.
Actuellement, quand je réfléchis à mes textes, je réfléchis aux Anges.
C'est-à-dire à Alquières.
Alquières, c'est une planète, reliquat d'une guerre intergalactique et qui en a conservé, entre autres, un canon orbital. C'est le "Puits". Ce puits sert de deus ex.
La première civilisation qui le découvre va le vénérer comme un dieu et s'en servir pour administrer la justice. Le canon est capable de tuer n'importe qui n'importe où sur le globe en un peu moins de trois secondes, et sans dégât collatéral. C'est un peu là qu'apparaît la notion "d'Ange", celui qui décide qui doit mourir.
Lorsque la civilisation évolue technologiquement, elle va se mettre à utiliser le puits pour produire de l'électricité. Le puits cesse de tuer les gens au pif et va produire en gros assez d'énergie pour subvenir aux besoin de tout le monde sur la surface du globe.
Puis on a Alquières.
Le canon orbital est également une usine, qui semble produire "à partir de rien". Les gens ne le savent pas mais découvrent que s'ils veulent quelque chose très fort, le puits va le produire. La société se réorganise alors pour entraîner des gens à créer les ressources qui vont ensuite inonder la planète.
Les Anges n'existent vraiment qu'à partir de là. Ce sont des produits du Puits, une police créée de toutes pièces de l'imaginaire de la population et chargée de prévenir les excès de cette politique.
Mais même ça ce n'est pas assez. La planète développe son propre Gilles, qui est l'ordinateur de Chimiomécanique. Gilles va en gros remplacer l'école d'Alquières et continuer à produire ce que veulent les humains. Gilles fonctionne à l'identique de sa version d'Atasse : il obéit à l'humanité, aveuglément et exclusivement à l'humanité.
Et c'est là que ça dérape. L'humanité a envie de progresser. Plus rapide, plus forte, plus intelligente, un peu plus tout. Gilles obéit et utilise le Puits pour créer une sorte d'énergie, le "chaos", qui va permettre cette évolution. Le résultat, c'est que l'humanité est réduite à l'état de bêtes. Des créatures surhumaines et à peu près dépourvues de volonté.
En deux mois, 90% de la population planétaire meurt. Les continents sont fracturés et noyés. Six ans plus tard, l'espérance de vie est d'environ 2 ans, la nouvelle génération ne sait même plus d'où elle vient et l'humanité n'existe plus. Tout ce qu'il en reste, c'est Gilles, dans la ville d'Alquières, avec son Puits, dont la dernière instruction de l'humanité est de leur fournir le "chaos". Gilles prend alors le nom d'Homs, et n'a plus qu'un but : trouver l'humanité.
C'est sur cet univers que j'ai envie actuellement d'écrire.
Je te reviens pour ce qui est des problématiques, plus précisément des problèmes que je rencontre (et des idées que j'ai en tête, d'histoires, sur cet univers) mais là je dois aller travailler.
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- Vuld Edone
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Le résultat, d'ailleurs, est une règle du pouce consistant à dire qu'à partir d'une certaine différence en puissance (quelle qu'elle soit) le plus fort ne comprend plus le plus faible, est donc incapable d'empathie et c'est la définition d'un monstre. Comme un éléphant dans un magasin de porcelaine.
Un problème qui se pose pour moi est que je n'aime pas les monstres. Je ne peux les voir que comme des caricatures : caricature du gentil héros qui sauve la veuve et l'orphelin, caricature du méchant qui veut faire le mal parce que... je sais pas, moi... caricature de celui qui est teeeellement au-dessus de tout ça. Ce qui ne serait pas un problème si ce n'étaient pas les personnages principaux.
J'essaie d'esquiver ce problème avec des personnages comme Madèche, qui n'est qu'une "simple bête", mais deux pages plus loin je dois introduire des monstres parce qu'il va inévitablement tomber dessus, et on retombe dans le ridicule. Je n'arrive juste pas à les traiter sérieusement.
Un autre problème serait, outre d'introduire tous ces concepts au lecteur, que ce dernier n'a aucune idée de la puissance réelle des monstres. Ce qu'il peuvent encaisser, ce qu'ils peuvent causer. Et honnêtement les monstres non plus. Il n'y a juste... pas de repère. À part la mégalomanie de ces créatures.
Et puis il y a mes préoccupations.
J'ai toujours une dent contre ces héros, mais j'ai plus ou moins réglé le problème en arrêtant de lire. Actuellement je suis beaucoup plus préoccupé par des questions de modération, de centrisme, de compromis & co. Dans un sens... aucun des mes univers n'est adapté pour traiter de ces questions.
À côté de mes univers j'ai une fanfiction assez audacieuse qui est bloquée à la vingtième page parce que... ben... elle traite d'humanisme, de modération, toutes ces question... mais si je doute moi-même de ce que j'essaie d'écrire, je ne risque pas de pouvoir l'écrire.
Bref bref bref.
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- San
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J'ai souvent cette impression concernant la vie IRL, encore qu'il faudrait parler de ce qu'on appelle "bon". Etre au bon endroit au bon moment, c'est ce qu'on recherche tous. Etre là où on veut vraiment être. Etre heureux, c'est être au bon endroit au bon moment.En somme, il doit vraiment être "au bon endroit, au bon moment" et toute sa vie se résume à devoir trouver ces instants.
Enfin bref
Quelques remarques sur le texte.
Il doit y avoir qqch qui m'échappe, mais je ne comprends pas comment une montre peut être ou non à l'heure, si elle n'a pas d'aiguilles. C'est une montre à écran digital?En ouvrant le couvercle j'ai tout de suite réalisé deux choses. La première était qu'il n'y avait pas d'aiguilles. Ni grande ni petite, ni même les coches. La surface était d'un blanc laiteux et le verre, usé et terni. La seconde chose que j'ai remarqué était que la montre n'était pas à l'heure.
On en apprend davantage par la suite sur cette montre et sur l'intellect du narrateur, mais cette phrase continue à me choquer.
J'ai vu plusieurs typos / mots manquants dans le texte comme les 2 ici. Comme c'est censé être une correspondance, je ne sais pas si c'est volontaire ou pas.mais il semble entendre que t'y connais assez pour échapper aux périls quetu as si longtemps sous-entendu dans notre correspondance
Du coup, une lecture agréable. La fin est un peu trop rapide à mon goût. Ca m'a donné envie d'aller me promener dehors, et même d'essayer la pêche, alors, c'est bien
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- Vuld Edone
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Rien ne t'échappe, il est effectivement impossible de lire l'heure sans aiguilles. C'est bien une contradiction. Et le héros ne s'en aperçoit pas. En même temps, bonne chance pour lire l'heure universelle avec des aiguilles ou des chiffres.
Tant mieux si ça t'a poussé à sortir. Après tout, et comme toujours dans mes textes, j'essaie de mettre les deux camps sur un pied d'égalité. Mais la montre représente un idéal, un devoir. "Garde la montre", c'est "n'abandonne pas ton idéal". C'est facile de passer à autre chose, par manque de temps.
Je crois qu'on est tous bien placé pour connaître ça.
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- San
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