file Feuilleton - Libra

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il y a 15 ans 2 jours - il y a 14 ans 11 mois #16315 par Vuld Edone
Réponse de Vuld Edone sur le sujet Re: Feuilleton - Libra
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>Bureau< Page 131

Il ne fallut pas longtemps aux trois chroniqueurs pour comprendre quel était cet ouvrage supplémentaire. La reliure familière ne portait aucun titre et quand il l’ouvrit, Akdov ne feuilleta que des pages blanches. C’était un Libra, un troisième, encore un. Tout de suite cela leur sembla moins glorieux, ce livre tombé du ciel après une simple lecture d’ouvrage. Quirinal rajustant ses lunettes trouva le fait fâcheux, ce drogué de Vlad lui n’en pensait rien mais pour leur grand râleur d’ami, c’était mieux que rien.
« C’est à croire que ces ouvrages poussent sur des arbres. »
Le docteur fut très content de ce trait d’humour que personne d’autre ne comprit mais peu porté à s’intéresser de trop près à un énième ouvrage mystérieux, et la fatigue lui revenant, il proposa de sortir. C’est alors que le nouveau chroniqueur eut un cri d’horreur :
« Qu’est-ce que cette machine, ce machin fait là ?! »
Son doigt pointé accusait l’énorme monstre de machine à écrire qui avait, le temps de leur absence, comme écrasé le bois. Ce fut la panique. Qu’il fallait l’enlever maintenant, trop lourde, le bois craquait à l’oreille leur ami grognon répétait qu’il fallait sortir cette abomination de l’administration ou il faisait un malheur, le tout entrecoupé des remarques du drogué qui fouillait toujours sa bourse.
Ni une ni deux ils prirent à quatre bras puis à six la lourde machine qui alla s’écraser au plancher aux redoublements de cris et de soupirs affligés jusqu’à ce que Vlad fasse remarquer que la brouette était toujours dehors, ils tombèrent dessus à bras raccourcis et y chargèrent la chose. Quand ce fut fait le docteur suant s’épongeait le front d’un mouchoir l’air sévère.
« Et maintenant, je voudrais des explications. »¨
« Sur quoi ? »
Il apparut à au grand chroniqueur que ses deux compagnons n’avaient pas la moindre idée des événements qui secouaient les Chroniques, tandis qu’il apparaissait plus nettement à ces deux-la que lui en savait déjà plus long. Ils parlaient de ce faux nom de Naïa (pas très subtil) des portes fermées et de la dévastation dans les ouvrages. Les uns trouvant évident qu’ils avaient besoin d’explications, l’autre évident la situation actuelle, ils se regardèrent en silence un long moment, puis Quirinal entendit le mâchonnement de Vlad entre ses lèvres et soupira.
« Vous voulez dire », reprit Akdov presque railleur, « que vous ne savez rien ? »
« Mais c’est qu’tu s’rais génial, tu l’sais ça ? R’garde, j’t’applaudis ! »
« Excentrisme à part, nous ne savons en deux mots que ce que nous avons pu voir et nous n’avons jusqu’à présent pas vu grand-chose. »
C’était une situation suffisamment ennuyeuse pour que le chroniqueur se gratte la tête, à la recherche du début du commencement pour leur expliquer la situation. Il n’aimait pas les grands discours, pas plus que les choses compliquées et de devoir admettre une péripétie dans le sanctuaire inviolable des Chroniques était pour lui une sorte de gêne.
« Un personnage s’est échappé. »
« C’est tout ? »
« C’est tout ?! Tu te moques de moi, Quirinal ? Un personnage échappe au contrôle d’un chroniqueur – même pas d’un écrivant, note, mais d’un chroniqueur… »
« Nous n’allons pas débattre de l’élitisme… »
« Mais je ne te parle pas d’élitisme ! »
« Vous parlez d’élitisme ? »
« Non ! »
Et ce fut le fou rire pour tous, de se rendre compte que même avec le château saccagé ils ne pouvaient pas s’empêcher de prendre les choses à la légère et de se disputer pour des choses qui n’avaient plus le moindre sens.
Même s’ils ne le disaient pas, c’était pour tous un soulagement de se retrouver. Et même s’ils n’étaient pas tout à fait remis de leur lecture, au moins sentaient-ils que cette fois ils iraient quelque part, que l’errance avait peut-être bien cessé (on espère).

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>Bureau< Page 132

Leur ami, idéaliste, profita d’une ellipse alors qu’ils reprenaient une marche hasardeuse dans les couloirs pour leur exposer les grandes lignes de ce qu’il savait. Mais contrairement à un idéaliste il ne s’extasiait jamais, il jetait tout à terre et le foulait volontiers du pied. Un drôle d’idéaliste que faisait Akdov, jugeaient ses deux compagnons (enfin pour ce que Vlad était capable de juger…) Une drôle de situation aussi.
Tout se résumait à peu près à un personnage hors de contrôle. Ce qui constituait la plus quotidienne des idées pour un écrivant, à savoir la rupture d’un cadre d’histoire – le personnage sortant du livre ! – était à peu près impossible aux Chroniques de par leur familiarité avec ce thème et de par leur maîtrise de l’écriture qu’on leur supposait. Mais voilà, ce râleur assurait qu’il avait ni plus ni moins rencontré ce personnage, sans pour autant avoir pu l’identifier.
« Les chroniqueurs ont alors tout verrouillé et créé le Libra. »
« Attends, attends. »
Ils s’arrêtent de marcher. Le docteur, l’air fatigué se frotte l’arête du nez à deux doigts tout en cherchant ses mots. Après des heures de puzzle et d’errance, pas question de laisser quelque chose dans l’ombre. Or il y avait déjà suffisamment de points sombres dans ce résumé.
« Qui, exactement, a verrouillé les Chroniques ? »
« T’écoutes pas, Quir’ ! C’tait nous ! »
« Qui, nous ? Je n’y étais pas. Et toi ? Et toi ? Il faudrait savoir qui. »
Pour le coup même le loqueteux drapé de ses haillons fit mine de réfléchir. La longue hésitation d’Akdov fut plus révélatrice que bien de longs discours qu’il n’était, de toute manière, pas disposé à donner. Aucun nom ne venait et pourtant ils les sentaient au bout de la langue, mais relégués à des souvenirs trop lointains d’autant plus vagues que ces Chroniques closes et à l’abandon n’étaient pas tout à fait les lieux familiers de leur mémoire.
Enfin, bien pris à défaut, il parla pour lui-même :
« Je n’y étais pas, je mhr-mmmrh j’étais occupé ailleurs. »
Il y eut la fausse surprise que le loqueteux tête dressée sous son capuchon de mites ne fasse pas de commentaires. Il aurait eu pourtant la part belle de railler.
« De toute manière tu n’y étais pas non plus, que je sache. »
« Je travaillais. »
« Facile ! Mais je reprends. »
Et ils se remirent à marcher par les couloirs, guidés par ce râleur d’Akdov dont les paroles faisaient plus de bruits que leurs pas. Il fit une allégorie plutôt médiocre mais de circonstance, comparant le château à une maison hantée, le personnage à un fantôme et le Libra à l’outil d’exorcisme. Mais voilà, les chroniqueurs avaient enfermé à leur tour les Libra et disparu du jour au lendemain, comme ça. Ca leur ressemblait bien, rien de surprenant là.
Bien sûr, rien dans cet exposé ne satisfaisait vraiment l’esprit non pas critique mais très mondain de Quirinal qui allait faire observer toutes les failles d’un scénario aussi mal ficelé. Vlad, lui, n’aurait pas pu en être plus satisfait. Il aurait admis tout et n’importe quoi au travers de ses drogues, du moins, il en donnait l’apparence.
Ils arrivèrent nulle part, c’est-à-dire passant par le hall au travers des escaliers jusqu’au mur qui en bloquait l’accès aux archives et où les deux compagnons, alors encore seuls, avaient reposé le mot d’Akdov. Le docteur repensa à l’état de la cuisine après leur passage et se sentit satisfait qu’ils ne soient pas allés par là. En attendant, le mur n’y était plus.
À la place se trouvaient des gravats comme pulvérisés et dont les extrémités avaient été vitrifiées. Ils les voyaient brillantes dans l’obscurité de l’escalier. C’était sans commentaires, néanmoins leur cynique compagnon se permit d’ouvrir le Libra qu’il avait en mains pour y annoter quelques mots. Il avait l’air particulièrement irrité par la disparition de son mur, bien entendu, puisque celui-ci devait protéger les archives et de ce fameux personnage en fuite, et des autres chroniqueurs.

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