Etoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactives
 

Au matin la petite troupe, accompagnée de Thimbur, prit le chemin de l’entrée du souterrain secret de Karak Grong. Personne n’avait osé raisonner le vieux Nain car tous savaient que sa fille était sa seule famille, et qu’il tenait à elle plus qu’à quiconque. Malgré son âge et sa grande fatigue, il avait tenu à accompagner Thror et les siens pour délivrer Lis, et s’était équipé des armes et de l’armure appartenant à sa famille depuis des générations. La colère semblait cependant lui redonner des forces : il refusait qu’on l’aide à avancer et portait seul son propre matériel.

 

La marche dura environ une heure et fut très pénible car la végétation avait totalement envahi l’ancien sentier qui menait au passage secret et les Nains durent ouvrir la route à coups de hache. Thimbur se souvenait malgré tout de la direction à prendre et les guida sans problème jusqu’à l’entrée du tunnel. La porte secrète se trouvait au fond d’une grotte peu profonde, formée par un énorme rocher creux entièrement noir. Taillée dans la roche avec soin, elle se confondait totalement aux parois intérieure et même un œil avisé ne pouvait distinguer ses contours avec précision. Cependant son existence ne faisait aucun doute car un long message runique, richement décoré bien que très érodé, interdisait l’accès à ceux qui ne possédaient pas le mot de passe.

 

_" Donne-moi le poème", demanda Thimbur à Thror. Celui-ci s’exécuta et lui tendit le parchemin qu’il gardait attaché par une ficelle autour du cou. Le silence se fit devant l’entrée, et le vieux maître commença à lire les vers d’une voix grave, en levant la main vers les runes. Une fois qu’il eut terminé tous regardèrent la porte en espérant la voir s’ouvrir, mais rien ne se passa. Au bout d’une longue minute, alors que la déception commençait à apparaître sur les visages, un sourd grondement se fit entendre. Le sol vibra sous leurs pieds, et des fissures apparurent dans le mur de pierre. La porte pivota lentement sur ses gonds dans un bruit assourdissant et s’entrouvrit légèrement, puis sembla se bloquer et s’immobilisa. Une forte odeur de moisi et de renfermé envahit toute la grotte.

 

_" Le mécanisme doit être bloqué, fit Dwali.

 

Il y a assez de place pour pouvoir passer. J’y vais". répondit Thror en se glissant tant bien que mal dans l’ouverture.

 

Ganyal le suivit et eut beaucoup de difficultés à franchir le passage : bien qu’il fut assez mince, l’ouverture était bien trop basse pour lui et les Nains durent le pousser pour qu’il parvienne enfin à entrer. Thimbur, Dwali, Thimli et deux autres Nains passèrent à leur tour sans encombre. Mais au moment où ils s’y attendaient le moins, la porte se remit à vibrer et se referma en quelques secondes, laissant à l’extérieur la moitié de la petite troupe ; par chance, personne ne fut coincé dans l’entrebâillement. Thimbur reprit le parchemin et tenta de rouvrir la porte mais il eut beau répéter la formule, rien ne se passa. Le mot de passe devait être différent pour sortir, et les Nains restés dehors ne se rappelaient sans doute pas des vers magiques. Tous les appels d’un côté comme de l’autre demeurèrent sans réponse : la porte semblait arrêter tous les sons.

 

_"Il n’y a rien à faire, conclut Thimbur. Mieux vaut continuer à avancer, nous aviserons plus tard."

 

Dofur, un des deux Nains à avoir franchi la porte en dernier avait heureusement sur lui l’unique sac où se trouvaient les torches et les briquets qui devaient servir à éclairer le tunnel, aussi la petite troupe ne manqua pas de lumière et put progresser assez rapidement. Le souterrain était taillé à même le roc et respectait une largeur et une hauteur toujours égales, conformément à l’art des Mineurs Nains. Cependant nul n’avait entretenu ce passage depuis des années et les parois étaient recouvertes de mousse et dégoulinaient d’humidité. Par endroits des flaques immenses s’étaient formées où l’eau montait jusqu’aux genoux ; cependant aucun éboulis n’avait obstrué le passage comme on aurait pu le craindre, et au bout d’un long parcours aux pentes très raides l’Homme et les six Nains arrivèrent devant une autre porte. Celle-ci n’était pas fermée magiquement et ils purent l’ouvrir en la poussant.

 

Le tunnel débouchait sur une petite salle éclairée par quelques torches. Les Orques n’avaient sans doute pas remarqué cette issue secrète située au milieu d’un mur et aussi bien dissimulée que la porte extérieure, sans quoi ils auraient condamné le passage en provoquant un éboulement. Thror et ses compagnons pénétrèrent silencieusement dans la pièce et refermèrent soigneusement la porte derrière eux afin de dissimuler toute trace de leur passage. Trois tunnels partaient de la salle où ils avaient abouti ; ils étaient en train de discuter à voix basse de la direction à suivre quand soudain Gror, un des Nains de Gungrond, les interrompit et dit :

 

_" J’entends du bruit. Quelqu’un arrive par ce couloir !"

 

On distinguait en effet des bruits de pas provenant de l’un des trois tunnels, et bientôt la lumière vacillante d’une torche se refléta contre les parois. La petite troupe courut silencieusement jusqu’à l’issue par laquelle l’inconnu allait entrer, et tous se tapirent dans l’ombre autour de l’ouverture. Au bout de quelques secondes, un Orque pénétra dans la salle. Il n’eut pas le temps de proférer la moindre parole et fut en un instant jeté à terre, bâillonné et ligoté.

 

_" Pourquoi ne l’avez-vous pas tué, Thror ? demanda Thimli dont les yeux brillaient de haine.

 

Ce Peau-Verte va d’abord nous mener jusqu’à Lis, dit Thimbur. Sans lui nous n’avons aucune chance de retrouver ma fille."

 

On délia donc les jambes du pauvre Orque qui se demandait encore ce qui s’était passé et comment ces étrangers étaient arrivés jusqu’ici. Ganyal lui ôta son bâillon après l’avoir menacé de le couper en deux dans le sens de la longueur si il se mettait à crier ; l’orque se releva en gémissant, et dans un patois épouvantable ponctué de grognements et de reniflements il expliqua aux Nains et à Ganyal qu’il savait où se trouvait la fille de Thimbur, et accepta de les conduire jusqu’à elle.

 

Durant un long moment, ils suivirent l’Orque le long d’obscurs couloirs aux nombreux embranchements. Leur guide prenait systématiquement les chemins qui montaient, et bientôt toute la petite troupe fut passablement fatiguée. Ganyal, qui marchait courbé en avant, se cogna la tête plusieurs fois et faillit même tomber en trébuchant sur une pierre.

 

_" Ce porc nous mène en bateau ! pesta-t-il, excédé. Les cachots sont toujours au plus profond des forteresses, c’est bien connu. Il nous emmène droit à son maître, ou dans un piège quelconque !

 

" Pas un piège ! grogna l’Orque, furieux d’être soupçonné. Prisonniers importants dans les salles du Haut."

 

Cette nouvelle semblait de bon augure, car Lis avait due être traitée différemment des autres prisonniers qu’on enfermait habituellement dans les étages du bas de la montagne, à côté de la salle des tortures. Mais de toute façon, être prisonnier de Tarkang n’était jamais une bonne chose et les paroles de l’Orque inquiétèrent encore davantage Thimbur, qui se demandait dans quel but exact avait été capturée sa fille.

 

Au bout de quelques minutes, ils parvinrent à une nouvelle salle richement décorée, dont les bas-reliefs représentaient les anciens rois Nains de la forteresse. L’Orque s’arrêta et dit :

 

_" Là, fille dans la chambre, fit-il en désignant de ses mains encore entravées une porte en métal dont un gros cadenas interdisait l’accès.

 

As-tu la clef ? demanda Thimbur d’un ton sec.

 

Non, non. La clef, seul le Maître l’avoir. Gardiens ont clefs des cachots, pas des salles du Haut.

 

Tant pis, nous en viendrons bien à bout avec nos haches. Reculez-vous !" ordonna-t-il avant d’asséner un coup terrible sur le cadenas à l’aide de son arme.

 

La hache de Thimbur avait été forgée par l’un de ses ancêtres et était gravée de puissantes runes, aussi le cadenas ne résista pas longtemps à l’énergie magique et se brisa en deux très rapidement. Le vieux Nain ouvrit grand la porte, et appela sa fille qui s’était réfugiée dans un coin de la pièce, effrayée par le bruit. Une fois sa surprise passée, elle courut se jeter dans les bras de son père.

 

_" Ils ne t’ont rien fait ? demanda Thimbur.

 

Non. J’ai même été bien traitée. Je ne sais pas pourquoi j’ai été enlevée, mais à présent cela n’a plus d’importance puisque tu es là.

 

Il faut encore sortir d’ici. Et je ne sais pas..."

 

Thimbur fut soudainement interrompu par un cri. L’Orque, voyant une ultime possibilité d’évasion s’offrir à lui, avait profité de la distraction passagère de la petite troupe pour fausser compagnie à Ganyal en lui donnant un coup au visage, et s’était engouffré dans le tunnel par lequel ils étaient venus. Tout en courant, il hurlait des cris d’alarme dans sa langue en appelant ses congénères à la rescousse. Dwali fut le premier à réagir : saisissant son arbalète, il ajusta le fuyard et lui décocha un carreau qui alla se ficher dans la nuque de sa cible. L’Orque s’écroula, touché à mort.

 

_" Ne restons pas là ! cria Thror. Il va en arriver d’autres en quelques minutes !"

 

Ils se ruèrent dans le passage opposé à celui par lequel l’Orque avait fui ; cependant, ils n’avaient pas fait cent pas que déjà ils entendirent derrière eux les cors d’alarme des Peaux-Vertes lancés à leurs trousses. D’un commun accord, ils s’arrêtèrent pour faire face à la meute hurlante : en effet, si ils étaient rejoints dans leur course par leurs ennemis, ils n’avaient que peu de chance de survivre. Thror, Ganyal et Thimli retournèrent donc sur leurs pas et se postèrent à un endroit favorable, dans un tournant, bloquant le passage et attendant leurs poursuivants l’arme à la main. Les Orques ne furent pas longs à arriver, mais furent stoppés net dans leur course par Thror et ses deux compagnons. Les premiers Peaux-Vertes tombèrent en ayant eu à peine le temps d’apercevoir leurs adversaires, et l’effet de surprise fut total. Thror terrassa quatre Orques et Ganyal et Thimli en tuèrent sept à eux deux. Leurs ennemis, trop surpris par cette attaque subite, n’eurent pas le temps de leur opposer de véritable résistance et bientôt les survivants s’enfuirent par où ils étaient venus.

 

_" Ils vont chercher des renforts. Allons-y !" cria Ganyal au reste de la troupe.

 

Tous reprirent leur course le long du souterrain, et bientôt ils purent entendre de nouveau la horde de poursuivants sur leurs talons. Le tunnel continuait à monter, semblant se diriger vers les étages les plus élevés de Karak Grong ; curieusement l’air devenait de plus en plus lourd et nauséabond au fur et à mesure de leur progression. A bout de souffle, ils s’arrêtèrent pour repousser encore une fois leurs adversaires mais au bout de quelques secondes, ils se rendirent compte qu’aucun bruit de poursuite ne leur parvenait plus, et durent se rendre à l’évidence : les Orques avaient renoncé à les rattraper.

 

_" Cela ne me plaît pas trop, fit Thror. Ils ont certainement une bonne raison pour avoir abandonné la poursuite. Avançons plus prudemment, il se peut qu’il y ait des pièges dans les parages."

 

Ils reprirent donc leur chemin en marchant, redoublant de méfiance et s’attendant à tout moment à être surpris par un piège quelconque, mais rien d’anormal ne se produisit. L’atmosphère était à présent étouffante et des vapeurs envahissaient le sombre tunnel, mais ils n’avaient pas d’autre choix que de continuer droit devant eux, car tout retour en arrière était désormais impossible. Dwali et Gror s’étaient portés volontaires pour ouvrir le chemin, et avançaient une dizaine de mètres devant leurs compagnons. Au bout d’un long moment de marche au milieu des ténèbres, Thror aperçut les deux Nains revenir vers le reste de la troupe, l’air inquiet.

 

_" Notre situation ne s’améliore pas, firent-ils. Nous allons tout droit dans l’antre du dragon. Il dort dans une salle immense où aboutit le tunnel un peu plus haut ; nous l’avons vu couché sur son trésor.

 

Il n’y a pas d’autre passage ? demanda Thimbur.

 

Non, répondit Gror. Nous avons aperçu une porte dans l’obscurité mais pour l’atteindre, il faudra traverser toute la salle sans réveiller Umfir. Mais après tout, nous sommes venus ici pour le tuer : nous pourrions profiter de son sommeil pour y parvenir : c’est là notre meilleure chance de succès. Je ne vois pas en effet comment combattre un monstre pareil une fois qu’il sera réveillé.

 

Tu as raison, dit Thror. Nous allons tenter ne nous approcher de lui et nous verrons bien ce qu’il y a à faire. Aucune créature n’est invulnérable, il doit sûrement avoir un point faible. Mais je pense, Maître Thimbur, qu’il vaut mieux que vous restiez en arrière avec votre fille ; après tout vous n’êtes pas venu ici dans le même but que nous. Choisissez l’un d’entre nous pour vous protéger, si les Orques revenaient vous ne pourriez rien faire seul contre tous.

 

Tes paroles sont pleines de sagesse. Voulez-vous me faire l’honneur d’accepter de défendre ma fille avec moi, Ganyal, fils de Paryan ? dit le vieux Nain en se tournant vers l’homme. Je sais que vous êtes quelqu’un de valeureux et que je pourrai compter sur vous.

 

Tout l’honneur sera pour moi, maître Thimbur, fit Ganyal un peu déçu cependant de ne pas pouvoir aller combattre avec ses compagnons.

 

Bien, allons-y à présent", conclut Thror en prenant la tête du groupe de Nains.

 

La salle ne se trouvait qu’à quelques mètres de l’endroit où ils s’étaient arrêtés, et bientôt ils aperçurent à leur tour le dragon qui dormait au milieu de la pièce, affalé sur son trésor. Umfir devait avoir un âge très élevé, car il était énorme et occupait pratiquement la moitié de son immense antre. Des vapeurs lui sortaient des naseaux et la voûte de sa caverne était entièrement masquée par cette fumée opaque et malodorante. Son aspect était réellement terrifiant, et même endormi Umfir inspirait la crainte à quiconque le voyait pour la première fois. Les Nains réussirent cependant à maîtriser leur peur, et pénétrèrent dans la salle en faisant le moins de bruit possible.

 

Arrivés aux pieds du dragon, ils se séparèrent pour tenter de découvrir un point faible dans l’armure d’écailles du monstre. Dwali et Thimli, les deux frères, contournèrent Umfir du côté gauche tandis que Gror et Dofur inspectaient son flanc droit. Thror, quant à lui, avait remarqué un chemin taillé dans la roche qui grimpait le long d’une paroi et aboutissait à une sorte de plate-forme juste au dessus de la tête du dragon, et décida d’y monter pour pouvoir regarder le dos de la créature.

 

Il était à peine parvenu à ses fins qu’il entendit un bruit métallique retentir dans toute la caverne. Du haut de son poste d’observation il aperçut Dofur étendu à terre, et comprit que ce dernier avait trébuché sur quelque chose et était tombé au milieu des pièces d’or, provoquant la chute de quelques objets en métal. Il ne put s’empêcher de pousser un juron en voyant le dragon, alerté par le bruit, sortir de son sommeil et ouvrir les paupières.

 

Umfir avait l’ouïe fine lorsqu’il s’agissait de son trésor, et comme tous ses semblables il y tenait plus qu’à tout. Il se leva d’un bond et déploya ses ailes, cherchant du regard le ou les intrus qui avaient pénétré sur son domaine. Les Nains, comprenant qu’ils n’avaient aucune chance de survie en restant sur place, prirent la fuite et tentèrent de regagner le tunnel par lequel ils étaient venus. Ils étaient presque arrivés jusqu’à l’ouverture quand le monstre les aperçut ; immédiatement, un souffle enflammé sortit de sa gueule et frappa la paroi juste au-dessus d’eux. Sous l’effet de la chaleur, la caverne trembla et se fissura ; d’énormes blocs de rocher se détachèrent des voûtes et vinrent s’abattre avec fracas sur l’entrée du tunnel, l’obstruant complètement et empêchant toute fuite par ce côté là. Les quatre Nains faillirent être pris sous l’éboulement mais en réchappèrent de justesse, pour se trouver face au dragon.

 

Umfir allait de nouveau cracher ses flammes mortelles sur ses ennemis lorsqu’il sentit quelque chose lui tomber sur la tête, tout près de son oreille droite. Thror avait failli s’écraser au sol, mais était parvenu à se raccrocher tant bien que mal aux écailles du monstre et s’était relevé. En un éclair, il leva sa hache et l’abattit de toutes ses forces au sommet du crâne du dragon. Des étincelles d’énergie magique fusèrent de la hache runique, et les écailles fracassées furent projetées dans les airs ; la lame avait touché juste et s’était enfoncée profondément dans l’os, le transperçant et faisant jaillir un flot de sang verdâtre. Sous la douleur, Umfir poussa un terrible rugissement et secoua la tête dans tous les sens pour se débarrasser de la morsure du métal, mais l’arme était coincée dans la blessure et Thror, enchaîné à sa hache, tournoya dans les airs mais ne fut pas projeté à terre. Au bout de quelques secondes, le dragon vacilla et tomba lourdement sur le sol, blessé à mort.

 

Une clameur de joie retentit dans la grotte, alors que le Tueur du Dragon se relevait indemne. Tandis que ses compagnons accouraient vers lui en proie à une joie inexprimable, Thror, repensant à Borri murmura pour lui-même à voix basse, les larmes aux yeux :

 

_" Vous voilà vengé, mon Maître."

Connectez-vous pour commenter