Lentement je reviens à moi, une forte douleur me martèle la tête. J’ouvre les yeux et me trouve face à face avec un hideux Skaven, le Skaven noir qui nous gardait moi et Mir-Khator.
Ses dents jaunies révèlent un sourire disgracieux. Solidement campé sur ses pattes arrières, il me prend à la gorge en me menaçant d’une lame rouillée. Il me souffle au visage son haleine fétide et m’offre le spectacle peu engageant de sa mâchoire : on y aperçoit des restes de charognes dont les relents nauséabonds masquent l’odeur aigre de la langue boursouflée et sale de la créature.
"Où est la Malepierre ? Parle ou je te tranche la gorge, chose lézard !"
Tout en parlant, il s’agite nerveusement, ses moustaches rognées secouées de tics nerveux, son œil rougi de haine me fixe avec une intensité maladive.
"Du calme, rat ! Tu auras ta pierre ! Où sont les autres ?
-Ils ont retiré la mauvaise plaque-plaque de la machine Skyre et maintenant tout marche ! Ils sont partis essayer leur nouvelle machine !"
Je blêmit en pensant aux innocents massacrés par ma volonté de retrouver la plaque sacrée, mais ses paroles m’aident à reprendre mes esprits :
"Le clan de la rivière commençait à nous faire de l’ombre. Où est la Malepierrrre ?"
Je ne prends même pas la peine de répondre, le sang du Skaven m’éclabousse le visage. Derrière lui se tient, le visage fier, mon compagnon Nain qui lui a abattu une lourde pierre à l’arrière du crâne.
"Débarrassé de cette engeance, il nous est à présent plus facile de nous enfuir !"
Mais le Skaven, dans un dernier sursaut de haine ramasse un objet brillant qui traînait là et le projette à la figure du Nain avant de mourir de ce dernier et vil effort.
Le visage éborgné par le coin de la plaque, le Nain me la tend :
"Tiens, il me semble que c’est ce que tu voulais si avidement tout à l’heure. Les lézards ont un goût bien curieux pour l’or, celui-ci n’a que peu de valeur, mon peuple le travaille depuis des millénaires.
-Je te remercie Mir-Khator le Nain, tu honores ton peuple en me remettant cette plaque car mon devoir sacré est de veiller sur elle par ma vie ou ma mort."
N’entendant sans doute pas grand chose à mes paroles, le Nain se tourne et me fait signe de le suivre par-delà la forêt. Nous arrivons devant un étrange assemblage de toile et de métal
Mir-Khator me regarde longuement et me demande : "As-tu déjà volé ?"
Je ne me souviens que trop bien de mon envol dans les serres de Gulzan mais décide de ne pas en parler. Après tout, il y a trop de secrets, trop de mystères enfouis sous ce récit pour que je puisse l’évoquer. Sans attendre ma réponse il me pousse à l’intérieur de l’étrange vaisseau et s’y jette lui-même. Il actionne quelques leviers et boutons et la grande aile au-dessus de ma tête se met à tourner en me donnant mal au cœur. Soudain, par je ne sais quelle magie, l’étrange vaisseau quitte le sol. Je me retourne vers mon compère, complètement affolé de devoir ainsi quitter la terre ferme, mais il ne semble pas se soucier le moins du monde de mon air terrifié. Il manœuvre tranquillement son appareil et moi-même je commence à trouver cette sensation tout à fait grisante et agréable. Finalement, lorsque la machine se repose sur le sol avec un soubresaut, je ne veux plus descendre du gyrocoptère, comme le nomme mon compagnon. Mais je dois me résigner à sortir de ce moment de détente, un moment comme je n’en avais pas connu depuis longtemps...
Cela m’a fait du bien. Je salue Mir-Khator et m’éloigne dans le lointain, non sans promettre de le revoir à Karak Ungroth, sa forteresse.
C’est ce genre de moments de ma vie passée qui me manquent, les batailles de boue dans les marais de Lustrie, le chapardage à la table des Saurus guerriers...
Je me demande si je n’ai pas le mal du pays. Ce n’est pas important, j’ai une mission à accomplir. En tant qu’homme-lézard, je ne dois pas m’en détourner à aucun prix.
Le voyage me semble monotone, je devrais sans doute me contenter de Kaxlaty, la plaque de la Raison, mais quelque chose me pousse à aller plus loin. Malgré les indications du Slann, qui m’a dit que trouver une de ces plaques était mon destin, malgré tous les maux que j’ai enduré, je continue. Cela doit faire partie de ce que nous appelons "détermination" mais que d’autres qualifieraient de folie ou d’inconscience.
Ma conscience. Voilà longtemps que je n’ai pas interrogé la mienne. Je suis perdu en plein Nord, avec un artefact dont la puissance me dépasse complètement, mes écailles sombres exposées à la morsure du froid. C’est vraiment quelque chose de terrible.
Souvent, le soir, j’observe attentivement le ciel, cherchant un signe, une vérité. Une vérité que nul encore n’a su découvrir. Il faut observer, toujours observer. Et dans ce monde de misère et de pauvreté, de mesquinerie, de méchanceté et de guerre, l’observation béate des étoiles dans le firmament étincelant est la seule source de mon réconfort. Je me suis fixé un but, et sans ce but j’aurai sombré dans a folie depuis longtemps. Chercher ces plaques est devenu plus pour moi un mode de vie qu’une réalité ou une quête. Je commence à comprendre les propos du Slann : "Ton destin est de trouver au moins un de ces objets."
Drulcheapoc, l’Innocence. Je suis passé par, là, j’ai découvert ce monde, mais mes illusions sont tombées. Drulcheapoc m’a échappé.
Vaxloc, la Découverte. En effet, j’ai voyagé et découvert, mais j’ai dans le même temps négligé d’apprendre, d’observer les mœurs des cultures locales, j’ai oublié tout mon savoir d’archiviste. Vaxloc m’a filé entre les doigts
Zixtlec, la Gloire. Une vertu que je n’ai jamais connue, je suis resté humilié et méprisé toute ma quête durant, les dieux du Chaos possèdent Zixtlec, jamais je ne mis la main dessus.
Enfin il reste Kaxlaty, la plaque de la Raison, celle que je possède à présent. Je ne prétends pas posséder la Raison, mais j’en suis pour le moment le détenteur et le gardien. Je comprends à présent l’enchaînement des évènements récents. Mais il me manque une clé. Gulzan. Il est partie intégrante du Chaos mais me semble impliqué dans quelque chose de beaucoup plus noble. "D’un mal naît un bien". Cette phrase, qui tombe comme une vérité, est le grain de sable qui empêche les rouages de tourner correctement.
Sans pouvoir méditer plus longtemps, le ciel s’assombrit soudain et se déchire, les étoiles s’éteignent, les parois de la grotte dans laquelle je me suis abrité deviennent changeantes, hasardeuses, des excroissances apparaissent et disparaissent dans un tourbillon de couleur, le feu que j’avais allumé semble se moquer de moi, il grandit, grandit, et explose dans un million d’éclat de rires. Se tient devant moi un démon majeur de Tzeentch, ses grandes ailes chatoyantes déployées, un livre relié de cuir marqué des huit flèches entre les serres.
Sa voix ressemble à une pierre qui crisse sur une meule, une voix insupportable qui murmure à mes oreilles des mots insensés, tout est noir, tout est flou, je sombre...
Je suis à plat ventre, cloué au sol de fatigue et de peur, sur un monticule de cendres, balayé par la tourmente et la tempête, battu par les vents. Les lambeaux de ma cape à présent terne et poussiéreuse sont soulevés par intermittence dans les bourrasques et me fouettent le bas des pattes. Je me relève péniblement et le spectacle qui s’offre à mes yeux est à la fois superbe et terrifiant : des millions d’hommes et de femmes, parfois en armures étincelantes ou rouillées, agenouillés et gémissant des prières aux quatre infâmes. Les quatre dieux, sous la forme d’immenses démons majeurs sont réunis sur une butte, au centre de l’océan de leurs suivants. Certains tuméfiés par les bubons purulents qui jaillissent de leur peau décomposée, d’autres brandissant des crânes empalés sur des pieux, les mains tachées de sang, d’autres encore déformés atrocement par des mutations et mutilés pas leurs adorations, enfin des esclaves hurlants et dansants sur un air macabre avec des cadavres.
Les quatre dieux, réunis en cercle autour de ce qui semble être un puits sans fond, une porte ouverte sur le Warp, brandissent chacun une plaque d’or. Je reste là impuissant, regardant tranquillement, avec même une certaine ironie, le destin du monde se sceller devant mes yeux. Les dieux sont en transe, je ressens leurs immenses auras d’énergies se relier entre eux par des liens psychiques forts, matérialisés même par un éclair ténu et violacé qui relie les quatre plaques.
Je vois Gulzan, au milieu de la tourmente, et si ma vue aiguisée de Skink ne me trompe pas, des larmes coulent de ses yeux. Oui, son visage dur est déformé par la tristesse et les marques d’une douleur sans nom tirent ses traits. Il est triste de voir ce Vieux Monde disparaître sous les cendres, triste de voir une ère s’achever dans le sang et l’amertume. Je suis assis sur une butte, les larmes déformant ma vision, pendant que se joue l’avenir de notre monde.
Oui, la mort me guette et non, je n’en souffre pas. Par contre déjà j’entends les cris d’agonie des millions de personnes qui vont mourir. Des millions de personnes qui vont tomber sous les coups de ces faux dieux. Je me lève et hurle.
"Retournez-vous, hommes et femmes, esclaves de fausses idoles et tournez-vous vers la lumière des Anciens."
Mais ma voix est emportée par une bourrasque et le vent se charge de disperser mes paroles dans un écho inutile.
Les quatre dieux avancent chacun d’un pas en avant et jettent les plaques au fond du puits.
Lentement je les vois choir, lentement je vois notre destin à tous s’effriter, je serre les poings en voyant le monde s’effondrer. Les secondes passent, puis les minutes. Les dieux prennent un air contrarié. Je souris.
J’ai compris.
D’un mal naît un bien.
Cela m’a fait beaucoup de bien de me replonger dans cette histoire par lien psychique. Elle contient sans doute quelques approximations dues au flou de mes souvenirs. Certaines transitions entre les évènements sont bâclées, je ne suis pas content du résultat. C’est pourtant tout ce que mes souvenirs peuvent produire. Les liens psychiques du Warp me permettent de revivre mes souvenirs, mais exactement tels que je les vois. Alors j’ai écrit pendant ma transe. J’ai écrit ce que je voyais, ce que je vivais. Certaines tournures sont fausses, c’est pourtant le fruit de mes souvenirs, le reflet plus ou moins véritable de mon histoire. Je vis à présent dans une grotte, reclus au fond du Vieux Monde. Je ne vous dirai pas où je suis mais chaque matin, je vois le soleil se lever devant mes yeux. Et je suis émerveillé de la splendeur du monde.
Les pots de terre qui contiennent les denrées apportées par mes visiteurs occasionnels s’alignent sur des étagères de bois rustique. Les parchemins innombrables qui sont le fruit de mon travail d’archiviste sont précieusement rangés dans des coffres de bronze, cadeau de Mir-Khator et de ses compagnons de Karak Ungroth. Je mène une vie simple et humble à présent, mes rêves de gloire sont oubliés.
Les éléments se sont enchaînés pour que je comprenne.
Les quatre plaques n’étaient que des leurres, des objets destinés à tromper les dieux du Chaos qui tenteraient un jour de détruire le monde.
J’ai repris mon travail d’archiviste car c’est le seul que je connais. J’écris, je classe, je trace des cartes et des croquis dont je fais part à mes amis. Ma confrérie.
Plusieurs questions se bousculent dans vos têtes ?
Je n’en doute pas. Les paroles du Slann, ma quête ? Tout n’était donc qu’un leurre ?
A vous d’en décider, mon opinion est fondée sur l’expérience, tirez les conclusions de mon histoire.
D’un mal naît un bien.
De l’acharnement des dieux du Chaos, des maux par lesquels je suis passés, est sorti un bien : le monde est toujours là. Avec ses mesquineries, ses défauts. Mais aussi ses beautés et ses splendeurs.
Je souris en regardant l’alliance passée à mon doigt. Dans le fond de la pierre brille un millier de galaxie, souffle un vent discret mais tenace sur le Warp.
Oui, je pense l’avoir trouvé. Alors qu’il était à mon doigt depuis le début. Quelle ironie.
Qui était-ce ?
Cet homme dont j’usurpe le nom ?
Qui était-il pour mériter ce présent des Anciens ? Pour détenir un des Quatre Vents de la Vertu ?
C’est par là que se tournent à présent mes recherches. Vers ce Jolrael que je ne connais pas.
Vit-il encore ?
Est-il là, quelque part ? A observer le ciel et les étoiles ?
C’est son nom, je vais le lui rendre pour en prendre un autre.
Quatre vents, quatre vertus, quatre lettres, mon nom sera simple.
Drulcheapoc, Vaxloc, Zixtlec et Kaxlaty. Innocence, Découverte, Gloire et Raison, les quatre biens dont je suis à présent le gardien.
Oui, Quatre Vents de Vertu soufflent encore sur le monde.
A jamais je serai Dvzk...