Etoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactives
 

L’eau grondait dans les couloirs contre les portes étanches des crépitements d’étincelles troublaient les ténèbres. Le travail des métaux rendait chaque pièce assourdissante, l’eau s’engouffrant diluait peu à peu la frontière du dedans et du dehors. Une pièce de blindage s’effondra d’elle-même dans le sillage. Au matin les incendies faisaient rage sur tous les ponts la citadelle offrait un dernier rempart à l’équipage.

Des heures durant ils avaient écouté les lances d’incendie et les flammes par les impacts profonds dans la cuirasse le bruit des vagues perçait parfois. Plus personne n’occupait les tourelles, ni les machines, ni les radios. Ils attendaient aux lumières pâles que revienne la lueur du jour. La plupart n’attendaient rien du bloc médical ils constataient simplement leur état. Une voix rassurante, d’heure en heure, confirmait leurs espoirs. Depuis l’ouverture béante les odeurs flottaient de fluides et de tranquillisants. D’autres venaient aux renseignements, encore, savoir quand elle serait opérée.

Ainsi le lieutenant Colin collé au mur du passage fixait ses mains tremblantes. Le métal avait aux oreilles les échos du combat. Il ne se souciait que de savoir l’assistant et son artilleure là, dans la même pièce, à se parler peut-être.

Quand le docteur se montra enfin, le lieutenant mit quelques secondes à réagir. Ses mots, s’il en avait, se perdaient dans le souci constant de ce couple. Quirinal prit l’initiative aussitôt de lui donner un ordre médical de le réitérer, il l’opèrerait plus tard, il ne voulait pas parler d’elle. De rares personnes parmi ceux du couloir les écoutaient. Une fois de retour à Beletarsule elle serait transférée dans un hôpital, tout serait terminé pour elle, alors. Ses lunettes en mains sourcils froncés le docteur détacha ses derniers mots encore une fois. Sur un soupir tous deux se séparèrent, chacun retourna à sa tâche.

Tandis que Colin restait derrière lui se rendait au poste secondaire pour la réunion des officiers. Sur son chemin les cursives vides faisaient résonner ses pas, il ne les entendait que couverts par le ronflement du brasier. La cage d’escalier n’était plus alimentée. Il s’y arrêta, alluma sa pipe entre ses lèvres le tabac reprit goût. Quand il vit la fumée stagner le docteur reprit sa marche d’un pas égal les parois rendaient comme un bruit de grêle. Ses semelles accrochèrent quelques éclats.

Il rencontra Londant dans le couloir, près de la porte blindée. La voix du commandant continuait monotone qu’il écoutait la tête penchée contre le plafond. Avant tous le capitaine avait rendu son dernier rapport, son équipe désoeuvrée se reposait dans un bloc à sec. Il avait décidé de laisser sa place dans la pièce les instruments occupaient l’espace à chaque recoin la lumière avait faibli. Arnevin arrivait au bout du rapport d’engagement minute après minute tel qu’allait l’enregistrer le journal. Épars devant lui les capitaines hochaient la tête ou raidissaient leur tenue. Aucun ne prit la peine de relever l’entrée de Quirinal.

Dès la fin du rapport la parole revint à l’officier Bramelin. Elle eut un petit rictus fier le menton relevé agaçait les personnes présentes. Selon elle les dommages n’avaient aucune sorte d’importance, ils coulaient, l’important à court terme restait de franchir la frontière. Sans l’officier de pont nul n’aurait pu dire le jour levé, le chronomètre donnait encore presque cinquante minutes. Il fallut que Roland confirme, le calcul tenait compte des dommages comme de ses conséquences, toutes, au détail près. Après quoi il rappela que le cuirassé ne devait pas revenir, aussi cette information manquait-elle de pertinence.

En vérité leur dernier espoir consistait à franchir la frontière.

Ce premier rapport fut suivi d’un second, les dommages ne feraient que s’aggraver avec le temps. Bramelin comptait toujours noyer les chargeurs par sécurité, à quoi s’opposa l’officier de tir. La superstructure avait encaissé dix-huit impacts à quoi s’ajoutaient trois autres coups à la citadelle, plus vingt-et-un aux deux ponts avant et arrière. Tant qu’ils tiendraient leur vitesse actuelle les incendies continueraient alimentés par leur propulsion.

L’ordinateur répondit à toutes les questions puis le capitaine Radens s’avança. Son rapport, en les circonstances, ne tenait que de la formalité : il devait estimer la capacité du cuirassé au combat. Les tourelles n’avaient plus d’hydraulique tandis que sans radar l’acquisition et le suivi se révéleraient difficiles. Il tira un imprimé de sa poche, le déplia, le lut à voix haute faisant état des dotations. L’artillerie avait épuisé quatre obus sur cinq en troisième écran tout nouvel engagement les ferait taire en moins d’une minute. L’accès aux lanceurs avait été rendu impossible depuis son poste il n’avait pas eu accès à l’information. Ils pouvaient aussi bien être à court. Seuls les puissants obus de cinq cents restaient en quantités suffisantes, sinon excédentaires.

Cette formalité passée, l’ordinateur conseilla de reprendre le combat.

Bientôt la nouvelle trajectoire était donnée, à l’approche de la frontière virer, le contrôle des dommages se concentrerait sur l’hydraulique. Dans ce discours s’élevait un léger étouffement retenu entre ses lèvres le docteur Quirinal prévenait le besoin de rire. Il demanda la parole, ne la prit pas, laissa planer le silence. Ensuite :

« Reprendre le combat ? »

Sur quoi cette fois son rire s’éleva assez léger, régulier. Il se tapa le ventre tout en parlant encore pour lui plus que pour les officiers, la pièce lui paraissait trop sombre, sans les meurtrières une passerelle s’enlaidissait, le docteur désapprouvait ce manque de soleil prolongé. Il cita encore quelque nom avant de se taire. Alors Arnevin, surpris, lui demanda où il voulait en venir.

Le docteur se contenta de répondre : « Reprendre le combat ? » Il se remit à rire doucement, pour lui, la main devant lui pour prévenir une quinte de toux possible.

« Que faire d’autre ? » Demanda Roland.

« Fuir. »

« Fuir n’est pas une option. »

Non par volonté mais par défaut l’option la plus rationnelle se révélait la plus insensée. De tous les choix qui se présentaient faire face offrait le plus de chances de survie tant pour l’équipage que pour le cuirassé. Il le démontra en une poignée de secondes, leur rappela ce qui les attendait. Sa démonstration faite Roland conseilla d’abandonner le combat calcul fait de passer la frontière pour se laisser remorquer jusqu’à Beletarsule. Arnevin demanda encore son rapport à l’officier de pont Hersant. Ils naviguaient à l’aveugle sur la carte chaque étape était donnée à la seconde.

Enfin le commandant rendit sa décision, les officiers retournèrent à leurs équipes. Néanmoins Quirinal se permit de rester encore. Quand il ne resta plus que lui et Arnevin, il lui demanda où était l’équipage. Il voulait dire, ils étaient seuls sur la passerelle secondaire. Ils s’entendaient respirer. Par tout le bâtiment cette pièce était la seule où ils n’entendaient rien des ravages.

Ils parlèrent aussi d’Ertanger, de la perte de Tristan qui les avait peut-être avantagés. Le commandant entrecoupait ses répliques de pauses et d’hésitations. Leurs propos traînèrent sur l’Atasse, sur l’amirauté, sur la perspective d’une guerre. Ils avaient, après tout, franchi la frontière. « Vous pouvez choisir ? » Proposa le docteur tout occupé à tapoter sa pipe. Enfin ce dernier fit remarquer comment tout s’était déroulé, jusqu’ici, tout à fait parfaitement, au point que ce ne pouvaient être des suites de coïncidences.

Roland répondit : « Vous avez raison, et tort. »

Comme les minutes passaient les deux officiers durent se séparer l’affrontement approchait qui devait les empêcher de repasser la frontière. Il lui sembla, de retour dans les corridors d’acier, que le bruit des flammes et le travail de l’acier se faisaient moins pressants. Dès son retour le lieutenant Colin lui demanda des nouvelles, pour son artilleure, où en était l’opération. Il fut capable de lui répondre. Le docteur tapa aimablement l’épaule du sous-officier, ensuite rejoignit ses assistants. Il trouva son poste plus tranquille qu’à la passerelle, le lieu plus agréable. Presque.

De derrière les rideaux il supervisait quand l’alarme s’éleva des tréfonds. À peine quelques patients tournaient la tête vers la radio du bord. Le son exécrable, grevé de parasites troubla bien plus l’équipage. Roland annonça un contact en approche large qui avait pénétré le second écran. C’était le Fore, l’intercepteur remontait par l’est à moyenne altitude, l’ordinateur avait été capable de le détecter. En même temps les assistants commentaient l’opération en cours, les ustensiles, le statut des appareils.

Ils se retrouvèrent dans le noir assez longtemps pour le remarquer, les lampes de secours leur permirent de reprendre. Elle se mit à geindre malgré l’anesthésie, elle poussait de petites plaintes brèves qui attendrirent les membres du bord. Les seringues continuaient de goutter. Une impression de chaleur faisait suer plus que de raison. Fernier tenait la main de la patiente assoupie elle remuait très faiblement la tête quand il s’approchait d’elle, il murmurait. Le bras de la jeune femme en un long espace sous le poignet paraissait de craie les doigts qui la serraient brûlaient au contact.

De plus en plus de personnel se pressait dans le couloir, certains se montraient à l’entrée obligés à rester dehors ils formaient une rumeur pesante. Pour ce qu’il pouvait en estimer, tout le bâtiment se concentrait là, à son poste médical. Le docteur fit quelques pas du côté des curieux, les informa que tout se passait pour le mieux. Il accepta, de bonne humeur, de leur révéler quelques mots dits et les gestes.

L’intercepteur tombait sur eux dans une pluie de leurres l’artillerie tira au jugé déjà les obus grêlaient sur toute la structure arrière, l’engin fila juste au-dessus des lanceurs puis piqua vers le ciel, derrière lui deux missiles frappaient la poupe successivement. Hersant arrêta son chronomètre, régla soixante et trente secondes avant de redresser la tête. Elle cherchait la barre, les consoles et les meurtrières, elle ne voyait que les tuyaux et les grilles au plancher, l’épaisseur du blindage. L’officier constata qu’elle ne se trouvait pas à son poste, se replongea dans le décompte. Seulement le temps passa, l’intercepteur tournait toujours.

Dès qu’il l’apprit, Arnevin voulut savoir pourquoi.

Alors l’ordinateur lui proposa de quitter la passerelle où il se tenait seul. L’ennemi voulait les immobiliser à la poupe la propulsion demeurait capable cela ne durerait pas. Il proposa au commandant de venir le voir, plutôt que de se tenir seul sur la passerelle. Arnevin refusa. Les minutes s’écoulaient sans que rien n’arrive le cuirassé continuait sa course aveugle. Aucun écran n’affichait les échos de la défense rapprochée, la passerelle était plongée dans les lueurs du combat. De longues secondes durant il pouvait calculer ce qui se passait, jusqu’à ce qu’un bruit quelconque le distraie.

Elle appuya sur son chronomètre. L’artillerie tira deux salves désordonnées à l’approche de l’adversaire la grenaille alla s’effondrer dans les vagues lointaines. Les pièces de blindage soumises au martèlement se détachaient de la citadelle, s’effondraient avec fracas. Deux nouveaux missiles frappèrent sous la ligne de flottaison, toujours à la poupe, en forme d’acharnement.

Ces déflagrations ne rendaient que de très faibles secousses au poste médical, l’équipage se tendait pour le résultat de l’opération. Ils disaient que Fernier avait cédé à l’émotion, qu’il avait craint de la perdre. L’assistant avait dû se retirer ensuite, il avait fallu lui faire lâcher la main de la patiente. Quand le docteur se présenta devant eux, tout le monde se tut. Il choisit son ton le plus docte pour leur décrire et le mal et le remède, après quoi Quirinal les informa du succès. Il diagnostiqua de la joie sur leurs visages éclairés la nouvelle les enchantait, un emportement les poussa à se renseigner encore.

Son seul argument fut le repos de la victime qui devait se remettre, il parvint à les convaincre de se retirer. À cet instant pour lui venir en aide Roland informa le bord que l’intercepteur allait attaquer.

Il devait rester au moins un lanceur actif à la structure centrale, l’artillerie avait détecté un missile poursuivant le Fore après son second passage. Le seul accès restant passait par le secteur central. Au poste de tir le capitaine Radens se proposa pour y aller mais Roland, par procédure, conseilla au commandant d’accomplir cette tâche. Ce dernier approuva de la tête il laissait derrière lui la passerelle vide, dans les couloirs son impression fut de manquer d’air, la tête lui tournait. Il y voyait à peine, les rumeurs autour de lui se multipliaient. Roland le dirigea vers le premier niveau, devant les portes de couleurs pourpres où après réticence il s’engagea.

Ce secteur aussi avait été touché, les éclats avaient raflé les cloisons, crevé plusieurs angles, des câbles sifflaient. Le bloc central n’avait pas été inquiété. Arnevin fut surpris par le trouble qui régnait ainsi que la forte lumière. Il passait devant le bloc quand son attention se porta sur la porte de sas ouverte. Une frayeur le secoua, du même pas pressé le commandant voulut la refermer. Il arrivait contre, sa semelle écrasa une carte de jeu abandonnée sur le grillage. Il se baissa pour la ramasser, n’y parvint pas, le carton se déchira entre ses doigts. Ce bruit fut suivi d’un autre, la seconde porte du sas qui s’ouvrait.

Le cuirassé venait de freiner dans l’urgence les machines lançaient un plein arrière en vue du choc à venir, sur quoi l’artillerie se replia dans les cocons. Un ordre parcourut la citadelle qui préparait l’équipage à l’emploi d’une arme thermobarique. Cet ordre Arnevin ne l’entendit pas, il avait traversé le sas, il découvrait le contenu du bloc par le sas entrouvert. La voix de Roland retentit au loin qui le conjurait de se mettre à l’abri, il se mit à courir enfin. Au bloc médical Quirinal venait d’estimer qu’il s’agissait d’une arme capable de les couler.

Douze secondes.

Sa soute ouverte l’intercepteur achevait un vaste cercle pour gagner près de deux mille mètres, à ce plafond l’appareil se stabilisa. Sa course s’adapta à la dernière manœuvre du cuirassé. Il fila en ligne droite, largua sa bombe. Aussitôt allégé l’intercepteur sembla bondir pour disparaître tandis que la charge s’effondrait vers l’océan. Elle éclatait quelques mètres au-dessus du Dominant.

Une explosion équivalente à mille tonnes étincela une fraction de seconde. Le gaz peinait à se consumer entièrement, une balle de gaz grimpait dans le ciel crevée en son centre elle disparut rapidement. À la place l’océan fut en flammes. L’eau creusée par le souffle revenait démontée s’abattre sous des masses énormes de scories et de vapeur, l’air encore brûlant dégageait une fumée de volcan. La chaleur dégageait son halo trouble au point de former un mirage. Il ne restait plus la moindre trace du Dominant.

Une arme thermobarique n’était pas destinée à venir à bout des blindages mais l’effet du souffle, particulièrement la dépression qui suivait, suffisait à éliminer toutes les cibles. Le creux formé brisait la coque puis les vagues formées en tsunami engloutissaient le bâtiment. Il s’agissait enfin d’une bombe. Pour toutes ces raisons cette arme n’était jamais employée contre la mer. Le Fore continuait de cercler la dernière position de sa cible pour en confirmer la destruction.

Les nappes en flammes venaient en grande partie de la bombe, en partie également des cloisons cuirassées, elles avaient répandu le carburant sur presque soixante mètres de chaque côté. Le Fore continuait de communiquer avec les deux continents, à une vitesse proche du décrochage il faisait mine de planer pour garder le contact visuel avec la colonne de fumée. Il était alors le plus vulnérable, à la merci d'un adversaire. Il ne restait plus d'adversaire pour l'exploiter. Les vagues tourmentées faisaient rejaillir des pièces de dizaines de tonnes, le blindage du Dominant. Quarante, cinquante secondes passaient au chronomètre, une minute bientôt. Même s'il flottait encore, le cuirassé n'avait plus d'équipage.

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