L’image le poursuivait, l’image de la roche renversée, de la tombe sans
corps, d’un corps qui hantait le désert. F. marchait, il marchait
encombré de ses outres et de ses sacs comme autant de fers. Cette idée
du corps seule le hantait, sinon rien, rien que du vide puissant, ce
vide qui l’effrayait.
Il ne vit pas la pente.
Son pied ne trouva
plus d’assise, il s’encoubla, il chercha encore un équilibre fragile
avant de rouler bas sur la pente parmi les rochers. Ses bras, sa tête,
tout son corps s’endolorit, il y eut du sang peut-être, il ne voyait
rien. À la fin de sa chute, il se trouvait sur le dos et comme assis,
et incapable de se relever. Sa jambe gauche, il la sentait, elle était
posée à même la pierre car l’habit s’était déchiré. La droite, il
pensait la sentir bouger et ne voyait rien. Mais ses bras surtout, ses
bras semblaient des membres étrangers, de la chair où le sang manquait.
Un
bruit d’éboulis sur la droite lui fit tourner la tête. Les pierres
tombaient encore, de ce côté-là, comme un effet de la chute ou comme
quelqu’un qui les manipulerait. Il prit peur. L’image du corps qui
hantait le désert s’imposa à lui effrayante. Pouvait-ce être cette nuit
? Il n’osa plus faire de bruit, plus le moindre. F. retint son souffle.
Quelques secondes s’écoulèrent, sans bruit, absolument sans bruit
aucun, dans le vide. Puis quelques pierres roulèrent encore. Puis il
entendit, à peine audible, une infime respiration qui trahit sa
présence.
« C’est toi ? »
Elle lui était familière. Le bruit se
rapprocha, il se trouvait au-dessus de son bras et les pierres
roulaient les unes après les autres.
« C’est toi ? Dégage mon bras ! Dégage-le ! Je ne sens plus rien. J’ai mal. »
Les
pierres roulaient puis il sentit son sang fourmiller dans le bras, la
chair redevenir sa chair, l’image du corps s’éloigner dans le vide. «
L’autre bras maintenant ! » Et les pierres roulaient, le sang revenait,
il dut serrer les dents pour ne pas crier de douleur, il cherchait à
bouger ses doigts quand un contact froid le toucha, un contact glacial
comme la mort.
Il n’y eut plus de bruit, plus aucun. À nouveau, il
retint son souffle, quelques secondes, mais son cœur battait trop vite.
Il expira. Ses bras dégagés, F. put retirer des pierres de son torse.
Le sable avait déjà empli son habit de draps, et l’avait déchiré aussi
facilement que du papier. Il se releva, sentit sa jambe qui le tirait.
Il devait être couvert de plaies.
« Tu es là ? Je peux marcher. Je boîte, ce n’est rien. Tu aurais pu m’avertir, tu n’as pas vu venir la pente ? »
À
peine debout, son premier geste fut pour retrouver la carte. Elle était
restée dans sa poche, la grande poche intérieure de son habit de draps.
Il la tâta, sans trouver le moindre dommage. Alors F. s’apaisa. Il crut
même la distinguer, et en effet, la distingua. F. vit la carte, ses
contours, sa texture, et ses doigts plaqués par le sable qui la
tenaient.
Ils se trouvaient dans un ancien lit de fleuve, où avaient
roulés de gigantesques blocs détachés de la montagne, ainsi que les
sédiments, sur toute la distance jusqu’au vide de l’océan. Il se
trouvait dans ce lit à sec, devant l’un de ces blocs dont les contours
se détachaient péniblement des ténèbres, et d’où montait, à peine
discernable, les premières fumées d’un feu. F. boita sur la pente
raide, grimpa jusqu’à son sommet. Un homme ajoutait des branchages secs
à son feu, un homme assez vieux et rabougri dans un complet d’avant le
désert, en loques. Il le distinguait mal même avec les flammes près de
lui.
« C’est un homme ! » souffla-t-il. « Tais-toi ! Je me fiche du danger, c’est un homme ! Moi, j’y vais ! »
Il
se dressa, il descendit la pente de sédiments mêlés aux roches et
s’étonna que l’homme ne le vit pas avant qu’il n’atteigne le feu.
Soudain l’homme se dressa, prit un lourd bâton rencogné, dur comme du
basalte avec lequel il menaça F. Ce dernier tendit une outre.
« J’ai de l’eau ! J’ai de l’eau ! »
L’homme
regarda l’outre, l’attrapa, y but et se rassit devant le feu. F.,
soulagé, prit place à côté de cet homme et l’observa de plus près, au
travers des flammes.
4 - Mannen, menacé
- Détails
- Écrit par Vuld Edone
- Catégorie parente: Autres Genres
- Catégorie : Libra
- Affichages : 2040
Discuter de cet article
Connectez-vous pour commenter