Une odeur infecte d’herbes macérées s’échappait de l’inconnu. Il
portait une barbe épaisse, blanchie par le désert, qui s’opposait à son
front dégarni. Les rides couvraient son visage, au point de rendre à
ses yeux l’aspect de deux minuscules éclats. Au travers des flammes,
l’homme se fit sensationnel. Il se tenait rabougri, dans une pose de
sorcier. C’était un sectaire, un prêtre sans doute.
F. comprit qu’il
était menacé. Mais sa fatigue, le vide, le désert, l’image du corps, la
solitude surtout le poussaient à toutes les compagnies.
« Vous avez un nom ? »
L’homme
lui répondit presque par un aboiement : « Es-tu seul ? » F. opina de la
tête. « Tu mens. Les gens ne voyagent jamais seuls, dans le désert.
Quand on est seul, on devient fou, on se met à imaginer. » Il
s’appelait Q., c’était bien un prêtre. Peut-être l’avait-il connu,
voilà des années, à la ville.
« Tu viens de Mannen ? »
« Mannen n’existe plus. »
« Alors Megereve l’a mangée. »
Jamais
F. n’avait entendu parler de Megereve. Il fut surpris de la réponse,
qui lui parut pourtant la plus rationnelle, et se surprit à l’accepter.
« Qui est Megereve ? »
«
Attends. » Le prêtre tira à lui deux livre, un petit plat et rouge et
un autre épais et sur le petit rouge il était écrit « feste » presque
effacé. Le prêtre ouvrit le second. Il tira de minuscules lunettes,
feuilleta puis lut à haute voix : « Il vainquit Megereve, et ce fut la
fin du combat, et Megereve se contenta des étoiles. Mais il possédait
les étoiles comme le désert. Les étoiles lui parurent froides, alors
Megereve fut attiré par les créatures du désert. Il happa l’espace, il
happa le ciel et croqua dans la pierre une large part. Megereve dévore
les égarés. Megereve dévore les errants. Megereve dévore l’esprit des
hommes et si l’esprit manque, alors il dévore l’homme. Seule la raison
la plus froide peut s’opposer à Megereve. Il est le vide. »
Le
prêtre coupa là, en pleine emphase, pour peser de ses yeux rougis
telles des braises sur l’esprit de F. comme une presse. « Tout ça est
fantaisiste ! » Mais F. ne trouva aucun réconfort dans sa voix.
«
Crois-tu ? J’avais averti les gens de Mannen, pourtant. Ils cherchaient
la raison, nous écartions les égarés, nous les livrions à Megereve.
Dans le désert. Tu n’es pas un égaré ? Non, je me souviendrais de toi
sinon. Je me souviens de chacun d’eux. Dix-huit. »
« Combien ? »
«
Dix-huit. Ou dix-neuf peut-être. Mais toi, tu n’as pas leur regard,
toi, tu raisonnes encore. Mais tu vois, il y a toujours cette maudite
voix dans la tête, cette faille ouverte par Megereve, et les gens de
Mannen n’ont pas réussi à s’en débarrasser. »
« Mais le jour, on ne risquera plus rien ? Le jour le désert est calme ? »
«
Le jour ? » Q. partit d’un rire maniaque. « Il n’y a plus de jour ! Ne
vois-tu pas ? Megereve l’a mangé ! J’avais averti les gens pourtant, je
leur répétais de raisonner mais rien à faire. Mais, » et il s’avança
presque au-dessus des flammes, avec l’air sombre, « ce n’est pas ça qui
m’inquiète. C’est la chaleur. Les textes ne parlent pas de la chaleur. »
Et
Q. brandissait l’épais livre qu’il avait lu, tandis que l’autre
traînait dans la pellicule de sable. Au travers des flammes, Q.
paraissait terrible, un paquet d’os garni de peau que les rires
secouaient. Il toussa.
« Partage ton eau, partage ta nourriture et
je te protégerai de Megereve. Mais tu devras m’obéir. De toute manière,
tu n’as pas le choix. »
Un éboulis de pierres les surprit. Ils
tournèrent tous deux la tête du côté de la pente, que la lumière
n’atteignait pas. F. serra de ses deux bras sur sa poche la carte, par
crainte que Q. ne voie au travers du drap. Ils attendirent, quelques
secondes, et comme rien ne bougeait, tous deux s’apaisèrent. Mais F.
sentait parfaitement la présence tapie dans l’ombre, près d’eux.
5 - Mannen, Megereve
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- Écrit par Vuld Edone
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