De terribles fracas bouleversaient la forêt du désert. Les branches
pliaient, s’ouvraient, s’écornaient au passage des deux hommes. Ils
mimaient une course que leurs deux corps, l’un trop vieux, l’autre
boitant, ne pouvaient plus soutenir. Le bruit seul les guidait. Déjà le
terrain prenait un angle en montée, couvert de troncs toujours plus
serrés, cimentés à la roche et qui s’enchevêtraient. La flore avait
l’aspect de buissons, d’épais buissons dont les extrémités les plus
fines à l’aspect d’épines se brisaient sans peine, des masses
entrecroisées comme de la fibre et qui dans le noir n’avait plus de
couleur, seulement leur surface rugueuse et sèche, et insensible,
jusqu’à ce que la pente s’aggrave et que ces buissons eux-mêmes perdent
leurs branchages, pour devenir comme des forêts d’ajoncs serrés, qui à
leur tour se dégradèrent quand les deux hommes les franchirent.
Ils
s’appelaient sans cesse, lui, boitant, d’un ton suppliant et lui,
épuisé, une colère tremblante dans la voix. Derrière eux allait leur
poursuivant, moins vite qu’eux mais plus sûrement, dans moins de bruit,
comme si lui pouvait percer les ténèbres environnantes et ainsi éviter
la végétation. Il les rattrapait tantôt, et quand les troncs se
dégageaient, ils perdaient en distance. Mais les deux hommes
n’écoutaient pas le bruit derrière eux. Ils n’écoutaient que leur
vacarme et leurs voix qui se cherchaient.
L’un atteignit le sommet,
quand il y fut il bascula de fatigue et se rattrapa à quatre pattes,
pour avancer encore, hors d’une piste dégagée dans la couche de sable
qu’il devinait sous ses doigts. À un peu plus de cent mètres, une
moitié du bâtiment émergeait des sables. Il sembla que le bâtiment se
détacha du vide, si bien que ce premier le vit en se relevant. Cela
ressemblait à un mirage, un oasis irréel dont les bords indistincts
trembleraient sous une tempête invisible jusqu’à disparaître, et en
certaines parties ces bords n’existaient plus. « Par ici ! » L’autre le
rejoignit, hagard.
Devant eux cependant se fit sentir une masse, une
masse qui ne cessait de grandir. Elle commença à recouvrir le bâtiment,
le fit disparaître, grandit et les deux hommes sentaient que cette
masse grandissait devant eux. Ce n’était pas humain.
« Megereve ! »
Le
prêtre avait perdu toutes ses couleurs. Il chercha de ses deux mains
tremblantes son compagnon juste à côté, sans le trouver. F., en
entendant la voix du prêtre, avait reculé d’un pas, et mit une distance
avec le prêtre qu’ils ne pouvaient plus franchir. La masse se rapprocha
de lui, sensiblement. C’était un monstre, un monstre de cauchemar, qui
s’étendait tout autour de lui tentaculaire, qui ouvrait la gueule et
quand il l’ouvrait, la réalité même y semblait absorbée, il s’y créait
un vide tel que le vide de la nuit n’était plus rien. F. prit la fuite,
emporté par une pulsion si forte que sa jambe boiteuse retrouva toutes
ses forces. Il entendit le prêtre hurler son nom, avec la même colère.
Tous les bruits s’amplifiaient démesurément.
Quand il crut l’avoir
semé, l’homme sentit sa jambe l’élancer tant qu’il dut mordre sa lèvre
pour ne pas hurler. Alors l’image s’imposa. L’image, l’image effrayante
du corps hantant le désert, cette image apparut devant lui et quoi
qu’il fît, il ne put pas la chasser. Alors Megereve reparut devant lui.
Il allait être broyé et englouti, il le savait mais la vision du corps
l’effrayait trop pour qu’il réagisse. La voix était rauque, sèche comme
la mort.
« Tu ne veux plus le voir, c’est ça ? Moche, hein, ce
corps, ça fait tache dans le désert. Eh, pas de problème ! Je vais le
dévorer pour toi. Je les dévorais tous, tu te rappelles ? Le bon vieux
temps. Ca fait combien déjà ? »
« Dix-huit » articula F., « ça fait dix-huit. »
«
Dix-huit ans déjà ? Non, c’est trop long. Mais ne t’inquiète pas. Je
vais dévorer ce corps. Je vais dévorer toutes tes créations. Tout est à
cause de ce journal, c’est bête de laisser traîner ce genre d’ouvrage. »
Il
ne termina pas. F. entendit le bruit d’un combat, près de lui, le cri
de rage de Megereve puis le combat s’éloigna. Il vit le bâtiment dégagé
devant lui. Il courut.
7 - Mannen, par ici
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- Écrit par Vuld Edone
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