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Q. avait déjà rejoint le bâtiment à moitié enfoncé, détruit par le temps, délabré. Il n’était qu’à quelques mètres d’une porte autrefois en hauteur, dont la passerelle suspendue avait été brisée et absorbée par le sable. Dans l’obscurité, le prêtre ne distinguait rien. Il se rendit soudain compte que sa valise lui avait échappé des mains, durant sa course. « Non ! Non ! » Cette perte le rendit comme fou. « Les livres ! Le journal ! Je les tenais ! Non ! » Il n’entendit pas F. qui courait dans sa direction, guidé par les courbes vagues et indistinctes du bâtiment, ainsi que par les éclats de voix.
Quand il trouva le prêtre, ses pensées ne se concentraient plus sur rien sinon sur le combat qui se déroulait. « Il faut fuir, » lança-t-il au prêtre, « avant que Megereve ne revienne ! »
« Inutile ! J’avais le journal, je le tenais ! Megereve n’est pas son nom, il me l’a dit – si seulement les livres avaient été en meilleur état ! Lâchez-moi ! » F. laissa s’échapper le vieil homme, épouvanté. « Il fait si chaud ! J’avais le journal, est-ce que vous comprenez ? Non, bien sûr. »
Un hurlement bestial creva la distance. Ils n’y reconnurent rien, rien qui faisait sens, sinon de la terreur pure. Le combat faisait rage, ils n’en entendaient que des rumeurs, sans rien voir, sans rien deviner même. À chaque fois qu’il croyait l’entendre se rapprocher, F. sentait le sang qui le quittait.
« Vous ne pouvez pas vaincre Megereve ! Pas avec votre esprit rempli d’erreurs. Seule la raison la plus froide peut s’opposer à Megereve. Si chaud. »
« Non ! Ce bâtiment, là on sera en sécurité ! » Il ne pouvait plus se détacher du prêtre qui continuait à murmurer, tant la présence humaine lui était devenue importante. « Mettez-vous à l’abri, ensuite vous pourrez vous plaindre ! »
« Et qu’est-ce que vous en savez ? Hein ! »
Les rumeurs du combat se calmèrent, s’étouffèrent presque complètement. Soudain il n’y eut plus de bruit, plus aucun sinon leur respiration. La nuit avait retrouvé sa suprématie sur toute chose, ne laissant plus que le vide enivrant de l’infini, à portée de main. Ce gouffre qui semblait absorber même le sol du désert, qui à tout moment pouvait dérober le sol sous ses pieds, laissa les deux hommes sans forces.
« Votre compagnon est mort. »
« Je n’ai jamais eu de compagnon ! J’étais seul ! »
« Ah arrêtez de mentir ! Vous n’étiez pas seul, vous êtes incapable de solitude ! Sinon, vous seriez déjà entré depuis longtemps ! Il y avait quelqu’un, tout du long, quelqu’un qui vous accompagnait, là ! »
F. ne sut jamais que le prêtre avait désigné sa tempe, avec insistance, en pressant l’index. Il balbutia seulement, en dernier recours : « Mais la carte m’avait dit- »
« La carte ? »
Instantanément F. se replia sur lui-même, l’air farouche. Il écouta Q. répéter « quelle carte ? » tout en reculant millimètre par millimètre, en enfonçant la tête entre ses épaules, le front baissé, épais. Pas la carte. Il ne donnerait jamais la carte. Il hésita à se précipiter vers la porte, qu’il savait quelque part, là-bas, à deux ou trois enjambées. Cependant le prêtre s’était mis à balbutier, pris d’une terreur inconcevable, il cherchait à aligner les syllabes de Megereve. Dans son dos le monstre grandissait, ombre parmi les ombres, et qui s’enfonçait déjà en lui, qui le traversait de part en part.
« Sais-tu quoi ? » Cette voix, sèche, qui pénétrait, et dévorante. « Je connais tes rêves ! »
Sans plus une pensée de valable, F. se laissa porter par son instinct. Il courut en direction de la porte, il trébucha. Le prêtre alla jusqu’à lui, buta sur lui, l’agrippa pour le soutenir. Dans leur dos Megereve les suivait, s’étendant toujours, toujours plus, lentement, alors qu’ils marchaient vers la porte de toutes leurs forces.
« Qu’y a-t-il ? Pourquoi fuyez-vous ? Je ne dévore que les illusions ! Ah mais, suis-je bête. »
Et il s’étendit brusquement pour les envelopper.

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