« Non. »
En dernier recours, Q. s’était retourné et avec son bâton,
il avait écrit les trois lettres sur le sol, puis avait frappé dans le
sable. Megereve enveloppa les deux hommes, le prêtre et le voyageur.
Son mouvement avait soulevé le sable en une bourrasque et effacé le
mot. Il les broyait, lentement, il les attirait à sa gueule. Leurs
corps traînaient sur le sol, s’éloignant de la porte, et toujours plus
serrés, si serrés qu’ils étouffaient.
Toujours ce noir, cette
obscurité. Q. entendit son compagnon gémir de douleur, sans trouver
assez d’air pour assembler un cri. Il devait appeler, il devait appeler
encore un de ses rêves, dans l’espoir qu’il le sauve. Mais c’était
Megereve. Le prêtre entendait aussi son corps craquer, les muscles se
tendre. Le sang quittait sa tête, il ne sentait plus rien. Tout ce que
contenait son esprit était « Non. » Il allait être dévoré le premier.
Le
monstre dévorait déjà la poussière. Les jambes du prêtre
s’engourdirent. Il ne sentit rien mais sut qu’elles entraient dans sa
gueule. Tout cela lui apparaissait sous la forme d’un horrible
cauchemar. La pression l’avait laissé sans souffle. Il avait encore
entendu un sifflement dans ses oreilles, puis plus rien. Q. se laissa
effondrer.
Il entendit F. crier de douleur. Puis un son indistinct,
du métal qui s’entrechoquait, lui fit ouvrir les yeux. La pression
avait cessé. Il voyait sa valise ouverte, vidée, tout près de lui, il
la voyait sans couleur dans le noir mais la voyait quand même. Alors le
prêtre chercha des yeux la source de lumière, vit une vieille lanterne
allumée, qui s’opposait à Megereve. « Il l’a trouvée à l’intérieur » se
dit Q. sans même se demander qui la tenait. Le monstre s’effaçait aussi
vite que s’effaçait l’ombre mais même la lanterne ne parvenait pas à
percer le vide du ciel. Il parvint à se relever. Il alla à F. et l’aida
à se remettre sur ses jambes.
« Il faut y aller, maintenant. »
F.
à peine debout le repoussa. Il souffla, méchant : « Vous n’aurez pas la
carte ! » Il vit la grande carte pliée entre les mains de l’homme. La
lanterne tomba à terre.
« Maintenant ! »
« C’est tout ce qu’il me reste ! Tout ! Vous n’aurez pas cette carte, jamais ! »
Le
prêtre devina des larmes qui coulaient. Il diagnostiqua la folie mais
lui-même n’arrivait plus à se contrôler et il le savait, il voulait
cette carte. Il la lui arracherait de force, à tout prix. « Si vous ne
voulez pas être dévoré, donnez-moi cette carte ! » F. tituba, hésitant,
lorsqu’il entendit un cri dans la nuit. Megereve s’était jeté dessus et
à présent, il dévorait, il dévorait d’un appétit fou, il avalait tout.
« La carte ! »
«
Non ! Non, non, non ! » Et Q. comprit que le mot qu’il avait écrit, le
mot qui les avait sauvé peut-être, ce mot influençait également son
compagnon. F. s’était jeté sur la lanterne, loin du prêtre. Il en
menaçait à présent Megereve. Le monstre, après s’être détaché de sa
proie, lui tournait autour, et se taisait. Il comprit que cet homme
n’avait plus la moindre chance, et aussi dur que ce fut pour lui, ayant
perdu le livre, le journal, la carte, il se résolut à conserver sa vie.
Q. se mit à trotter en direction de la porte. L’appel suppliant de F.
ne suffit pas à le faire se retourner. Il était trop tard, bien trop
tard à présent.
Ce vide, ce vide puissant, qui écrasait tout, ce
vide nourrissait le monstre qui grandissait, grandissait encore, une
masse sans forme, une créature dans l’esprit des gens. Alors qu’il
tendait de tout son être vers la porte, Q. ne put pas s’empêcher d’y
songer. Jamais Megereve n’avait été aussi puissant. « Megereve est le
vide » souffla-t-il entre ses lèvres, avant de s’encoubler, de se
reprendre, de se précipiter ventre à terre. La voix du monstre grimpa
dans son dos, dans un terrible grondement.
« Tu vas l’abandonner ?
Laisse-moi deviner. Le laisser pour vif ? Mais sais-tu, petit prêtre,
sais-tu que cela va hanter tes rêves ?! »
Il ne pensait plus à rien,
plus à rien, il ne voulait plus imaginer ce qui adviendrait si Megereve
l’attrapait encore. Q. atteignit la porte, il agrippa la poignée,
entendit le monstre hurler, ouvrit.
9 - Mannen, non
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- Écrit par Vuld Edone
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