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Déjà le désert et sa nuit n’étaient plus que de très lointains souvenirs, pareils au sortir d’une lecture. Mais un raclement mou – oui, mou – traversait encore la porte. Vlad le confondait avec le pétillement des torches qui éclairaient ce vestibule de pierre taillée, couvert de tapis et aux murs tapissés, chargé de tableaux, de lustres, de statues, un foisonnement d’art devenu banal à force de passer devant. Ils étaient chez eux aux Chroniques, comme deux visiteurs étrangers à ce lieu qui leur était si familier.
Il s’amusait de ce sot de Quirinal, l’archétype du bourgeois satisfait et incapable de récupérer quelques papelards. Il fouilla dans sa sacoche, celle qui pendait en permanence à son cou – il y gardait ses substances ainsi que ses crayons – jusqu’à en extirper entre ses doigts son éternel bâtonnet noir, qu’il comptait bien mâchouiller, au dégoût à peine dissimulé de son compagnon.
« Comme j’te disais, j’ai du nouveau. Sur les bouquins, tout ça. »
« Une minute, » détacha Quirinal avec les deux sourcils relevés, « nous devons d’abord récupérer la carte. »
Vlad précéda sa réponse en se grattant le nez. «T’fallait y penser avant d’clore la porte. »
« La porte est close mais pas le sujet. La carte était à portée de ma… »
« Chut ! »
Son compagnon se tut immédiatement. Il pencha curieusement la tête, plissa les yeux et cette fois il distingua clairement le raclement sur la porte. Le bâtonnet lui resta entre les dents. De l’autre côté, quelque chose essayait d’entrer. Le petit homme avait beau être une loque, ses sens s’étaient aiguisés : la drogue, bien entendu. Là, juste sous la porte, il aurait juré voir des grains de sable. Mais derrière c’était un être conscient.
« Eh ben, Quir’ ? T’as laissé un ami derrière ? »
Quirinal fit une moue d’ennui tout à fait hors de son caractère. Il mit un temps à répondre, car il confondait les personnages.
« Oh, ça » constata-t-il enfin en voyant le loqueteux se pencher contre le battant. « C’est Mgrv, je crois bien que les voyelles… »
« Elle gratte, la bête. »
Il s’était mis à osciller, d’avant en arrière, et tirait un sourire inquiétant. Vlad avait repris son mâchonnement, qui coupait ses paroles et les rendait plus difficiles à comprendre. Le docteur en vint à se demander si son compagnon ne sortait pas tout droit du désert que lui venait tout juste de quitter. Mais il continuait :
« Elle gratte, elle gratte et grogne. Mignonne p’tite bête, joue-nous ta berceuse, égaie donc mon ami Quir’… »
« Ah, ça suffit ! »
Il crut à son tour entendre la masse de ce monstre de fantaisie frotter contre la porte, racler le bois ou bien c’était le raclement d’une gorge énorme. Mais Vlad se tira en arrière et il n’y eut plus de bruit, seulement la certitude qu’il ne fallait plus ouvrir cette porte. Le petit homme tourna la tête vers son compagnon chroniqueur qui grommelait d’agacement et s’extirpait de sa veste pour la faire pendre au porte-manteau (un porte-manteau aussi ?)
Derrière sa démence apparente, le chroniqueur drogué songeait que cette porte close ressemblait trop à toutes les autres portes verrouillées du château. Il avait traversé des couloirs entiers de portes fermées, parfois même barrées de chaînes, qui donnaient au château des Chroniques un aspect de labyrinthe à force de déambuler. Lui, il avait beau se savoir chroniqueur, il avait beau se sentir chez lui, ce château lui paraissait aussi étranger que tous les mondes inscrits dans les livres. Il n’avait même pas besoin de drogue pour s’en détacher. En même temps, il était peut-être juste dément. Il ne savait pas. Il trouvait juste que ce n’était plus une très bonne idée que de rouvrir toutes ces portes.


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