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Sur l’une des tables en chêne du petit salon (ah bah tiens…) avait été abandonné un jeu de compagnie avec son plateau coloré, ses petites figurines et ses dés. Les deux chroniqueurs s’étaient assis à l’écart – du moins l’un d’eux avait-il obligé l’autre – pour reprendre leur discussion morte-née quand ils étaient encore dans le vestibule. Par les fenêtres ils pouvaient voir la lande alentours, noyée en partie dans la brume du matin. Quirinal, assoiffé par sa lecture, avait ouvert une bouteille aussi enveloppée que lui et servait de force le loqueteux qui lui servait de compagnon.
Ce salon faisait partie des dernières parcelles accessibles du château, depuis qu’à leur retour ils avaient constaté que toutes les autres parties avaient été, pour ainsi dire, condamnées. Des trois accès à cette pièce, deux ne les laisseraient pas plus passer que les murs. Pourtant, leur impression n’était pas celle de l’enfermement mais celle, au contraire, d’avoir laissé trop d’ouvertures. Ils sentaient s’infiltrer quelque chose de malsain, autre que la puanteur du loqueteux.
Depuis son retour, Quirinal s’attendait d’un instant à l’autre au « alors Quir’, on fait quoi maint’nant » que lui demanderait inévitablement Vlad, quand bien même le docteur ne savait pas le moins du monde quoi répondre. Et la question vint.
« T’as un plan, Quir’ ? »
« Dans le manuscrit brûlé, » commença le bonhomme en parlant du désert, « ce Q., le prêtre… il a écrit un mot sur le sable. Il allait être dévoré et il a écrit non. On dirait que ça a changé l’histoire. Tu saurais l’expliquer, toi ? »
Mais le chroniqueur rachitique ne voulut pas répondre. Il savait ce qu’était ce pouvoir, pour l’avoir expérimenté. Il pensait l’avoir compris. Seulement ce pouvoir devait permettre de rouvrir les portes et ça, ce n’était vraiment plus une bonne idée, plus du tout. Alors il se taisait et son silence fut mal interprété par Quirinal, qui y vit de la méditation.
« Et si tu t’trompais ? Si la question c’tait pas, comment qu’on ouvre une porte, mais qui les a fermées ? »
« Qui ? »
« Y a qu’des chroniqueurs aux Chroniques, donc c’t’un d’entre nous. Pas d’nous deux, hein Quir’ ? Un autre. Mais un seul, certain. J’ai fait l’tour des portes, c’est l’travail d’un seul. ‘Suffit d’le r’trouver et tout est réglé. T’en dis quoi, Quir’ ? »
« C’est un bon plan. »
Le sourire de Quirinal était aussi bonhomme que lui, un peu chaleureux, un peu grotesque, en tous les cas beaucoup plus rassurant que les chicots noirs de Vlad. Ils terminaient la bouteille en songeant l’un que cela impliquait quand même de fouiller au hasard dans les manuscrits, l’autre que cela impliquait d’ouvrir une porte et que ce n’était pas, mais définitivement pas une bonne idée. Ce qu’avait fait le docteur avait dû être ce que firent tous les chroniqueurs, et même son esprit malade pouvait en conclure qu’ils se trouvaient ou bloqués derrière les portes, ou enfermés dans les livres.
« À ton avis, » demanda-t-il au docteur, « qui avait commencé cette partie ? »
Il désignait le jeu de compagnie, laissé à l’abandon pas si loin d’eux. Il s’agissait d’un jeu à plusieurs mais un seul pion était posé sur le plateau. Les autres avaient été entassées par-dessus un petit manuel imprimé noir sur blanc. La poussière avait fini par tout recouvrir.
« Je crois savoir qui. Cette tête de linotte n’a jamais suivi les règles. »
L’esprit malade du drogué s’était laissé emporter par l’abime du jeu. Il laissait pendre son regard sur le plateau, fasciné par les couleurs, un petit rire en bouche prêt à sortir. Son bâtonnet noir pendait. Au fond, lui aussi, il s’en fichait des Chroniques. Il le savait bien, ce n’était pas si important, si toutes les portes restaient fermées. Celui qui avait joué à ce jeu l’avait compris, lui.
Les règles étaient juste trop compliquées, trop dangereuses, pour être suivies.

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