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Vlad avait tenu à rester au petit salon sur excuse de le décrire et effectivement il le décrivait, tandis que Quirinal se rendait à la bibliothèque. Cependant il ne le décrivait pas pour les raisons qu’aurait pu s’imaginer l’autre chroniqueur, mais il couvrait la page de petits pictogrammes malhabiles et fortement appuyés pour modeler la pièce à son envie, pour en faire une cachette sûre où placer sa découverte. Il avait porté sous ses haillons un Libra, un ouvrage dont justement il voulait mesurer le pouvoir en même temps qu’il lui fallait le dérober aux yeux de Quirinal.
Six tables de chêne constituaient le principal mobilier. Elles se partageaient une vingtaine de chaises de bois plus clair, plus légères, dont certaines avaient été écartées près des murs. Les tapisseries monochromes côtoyaient les trophées de chasse, assez nombreux, qui faisaient face aux fenêtres. Celles-ci s’avançaient, dehors, au-dessus de contreforts et au mot près pendues dans le vide. Il en compta douze, en nota treize, sur toute la longueur. À hauteur de la huitième, la pièce avait été surélevée de trois marches. Au lieu de tapis, les tables reposaient sur des peaux de bêtes. Le drogué fit mine, avec le pouce, de calculer la distance jusqu’aux grandes armoires vitrées emplies de bouteilles et de coupes.
« Ouah, j’ai dû me tromper. »
En regardant ces armoires pleines, la porte du fond, la porte de service, la trappe, il repensa aux jours d’activité lointaine et son esprit perçant, avivé par les hallucinogènes, imagina la foule diverse et son vacarme. Il écrivit, tandis que sa pensée vagabondait : « Il y a une cache sous la table du coin. » Puis Vlad se rendit au coin et avec peine, soufflant, il écarta la table, rabattit la peau de bête et chercha la cache. Vaine recherche.
Ses doigts tremblèrent sur la pierre nue. Entre ses lèvres soufflait sa pensée la plus brute : « Pourtant j’ai vu ! » Et il revoyait le pouvoir du livre en action. Mais pas de cache. Alors il recommença à écrire, et cette fois : « La cache est là, sous la table, une pierre qui s’écarte quand on presse sur elle deux fois » il raya précipitamment ce passage. C’était stupide, la table risquait de presser dessus par accident. « Quand on fait un rond dessus deux fois avec le doigt, en son centre. » Et il claqua le livre.
Rien.
« Mais foutue saleté de… !!! »
La première chose qui lui tomba sous la main pour calmer sa colère fut le jeu de société. Il en fit valdinguer les pièces et le support, la boîte avec, et regarda l’ensemble se répandre par terre sans grand bruit. Se retournant, Vlad constata qu’il avait déplacé toute la poussière, si bien que même s’il la remettait en place, la table du coin serait suspecte. Cela le fit rire. Il riait sans exactement se rappeler pourquoi, de rancœur peut-être, pour des raisons que seul un esprit malade pouvait saisir.
Néanmoins, aussitôt calmé, retourné à sa place le drogué se remit à écrire, et presque recroquevillé sur le livre, il notait : « Le chroniqueur suspecte son ami d’être dangereux. Alors, avant de le rejoindre, il cache le livre dans le petit salon, là où il a la certitude que son ami ne le trouvera pas. » Il s’arrêta, réfléchit et sans se soucier de vérifier si cela fonctionnait : « Au cas où son ami trouverait la cachette, il installe un mécanisme relié au vestibule pour pouvoir l’ouvrir sans que son ami ne le puisse. »
Le petit homme remarqua enfin qu’il était en train de baver sur la page. Après un acte peu ragoutant il referma l’ouvrage et le regarda encore, comme s’il allait s’animer. La couverture ne portait aucun titre. Il savait toutes les pages blanches, restées vierges. Peut-être se trompait-il sur son pouvoir, peut-être était-il vraiment dément. Il n’était jamais sûr et ça l’amusait. Sans plus se soucier de ce qu’il avait écrit, Vlad rangea l’ouvrage sous ses haillons avec cette certitude que si son ami le trouvait, alors son pouvoir n’était qu’illusion, et qu’au cas contraire son ami ne le trouverait pas.
Il se retourna sur le pas de la porte, pour regarder encore le saccage qu’avait laissé son passage. Et il compta les fenêtres.

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