Sa main tâtait constamment l’ouvrage, alors qu’il traversait les
couloirs labyrinthiques des Chroniques, pour rejoindre la bibliothèque.
Cela déformait sa démarche comme s’il claudiquait, manière de parler,
ou bien traînait le pied. La bourse pendue au cou du loqueteux trottait
sur sa cage thoracique. Mais déjà les couloirs prenaient l’architecture
moderne, Le sol de pierre se couvrit d’un parquet, les murs se
boisèrent et les torches laissèrent place à des bougies sous verre. Des
bougies consumées, dont il ne restait que la flaque. « V’là les
rénovations » se dit-il. Quelques fenêtres heureusement perçaient ici
et là, de sorte qu’il s’engagea dans les couloirs sans autre souci.
Il
trouva son compagnon chroniqueur devant une porte fermée qu’il reconnut
tout de suite à sa poignée – déjà qu’il y en avait une – et au petit
symbole d’étagère à hauteur des yeux. Quirinal le voyant arriver montra
théâtral la porte qui lui résistait.
« Je croyais que nous l’avions ouverte » fit-il observer.
Vlad
se gratta le front, ce qui dégagea immédiatement une purulence d’odeurs
contenues entre les plis de sa peau. Il s’inquiétait du ton employé par
le docteur, où le chroniqueur croyait trouver de la méfiance à son
égard, voire du soupçon. Mais la porte ne pouvait pas être fermée. Il
n’y avait personne, à part eux deux, pour le faire. Ou bien, peut-être,
un chroniqueur se trouvait derrière. Ou autre chose. Décidé à
l’apprendre, il alla jusqu’à la porte, poussa le docteur de côté – ce
dernier se laissa faire d’autant plus volontiers qu’il cherchait à
échapper à l’odeur – et colla son oreille contre le battant. Il crut
bien entendre quelque chose, pour mieux écouter s’appuya plus fort et
soudain tout se déroba à lui.
Il se retrouva le nez par terre dans
la bibliothèque. Quirinal s’était lancé dans une onomatopée à la
première voyelle interminable.
« Il fallait donc pousser ! »
« Ben oui, Quir’, pousser. R’en qu’à voir la porte tu pouvais l’savoir. »
« Moi, tu sais, les rénovations… »
Difficile
de savoir si ce grand gaillard grassouillet le disait sérieusement ou
si, comme le drogué, la situation lui apparaissait dans tout son
ridicule. Il ne savait plus s’il avait eu peur – ç’aurait été ridicule,
dans les Chroniques – mais il lui semblait bien avoir eu peur, et
pourquoi, il n’aurait pas su dire. L’idée l’obsédait que Quirinal
l’avait fait exprès.
La bibliothèque (une des bibliothèques, dites)
avait été entièrement remise à neuf, si récemment qu’il semblait encore
aux deux chroniqueurs qu’ils s’en souvenaient. Des étagères
métalliques, penchées comme des bacs, s’alignaient dans l’anarchie la
plus totale, partout où il y avait de la place, dans un labyrinthe à
l’intérieur du labyrinthe des Chroniques. Il semblait qu’un enfant en
avait imaginé le plan, qu’un vieillard l’avait dessiné, qu’un couple
divorcé l’avait réalisé et que les chroniqueurs étaient passés
derrière. De nombreuses places de travail, faites de bancs montés sur
place, côtoyaient les casiers à tiroirs de couleur grise. La lumière
venait abondamment des fenêtres (y en a partout, des fenêtres,
pratique) et tirait les ombres démesurément.
En tout et pour tout cette bibliothèque de quelques cent mètres carré contenait une demi-douzaine de livres.
Sans
être sûrs de les avoir tous récupérés, ils les avaient empilés sur le
bureau le plus proche de l’entrée, tous les manuscrits qu’ils avaient
pu trouver dans toutes les Chroniques – du moins, les parties
accessibles du château. Sept livres, sept malheureux livres. Rien qu’à
voir ce tas, les deux chroniqueurs sentaient déjà leur moral flancher.
Ils en avaient, du reste, déjà fait le tour auparavant. Mais bon sang,
s’ils savaient ce qu’étaient devenus les autres ouvrages…
« Ça ne va pas. Quelque chose cloche. »
« Pas assez d’tension à ton goût ? ‘Faut en rajouter ? »
« Je parle des livres » soupira le docteur, « il en manque un. J’en avais compté huit, la dernière fois. »
14 - Vérité, ça fait peu
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- Écrit par Vuld Edone
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