Vlad détenait le livre manquant, le livre qu’il avait tenté de cacher à son compagnon de fortune et dont ce dernier notait à présent l’absence. Il cherchait à deviner les pensées de ce dernier dans les petits tics de son visage. Le livre était là, sous ses haillons, il pouvait le sentir contre ses côtes. Mais peut-être n’était-il pas trop tard.
« T’auras mal compté. Là, r’garde, trois, quatre, y en a sept. »
« Merci je vois. »
Ce fut au tour de Quirinal de se poser des questions. Qu’est-ce que c’était que cette réponse ? Son regard étonné devait ressembler à celui d’une chouette effrayée, c’était dire, passablement inexpressif. Le chroniqueur se mit à écarter les livres pour les reconnaître les uns après les autres, dans un décompte assez lent que les plis de son front – qui, eux, étaient dus à la vieillesse – rendaient plus lent encore. En même temps il grommelait parce que le drogué ne l’aidait pas.
Le dernier livre qui lui tomba entre les mains était le manuscrit du désert. Il s’agissait d’un recueil d’histoires, tirées d’un journal, lui-même tiré d’un document oublié, et le recueil lui-même n’était pas l’original mais une copie personnelle retrouvée là par accident. L’ouvrage était petit, format de poche, pas très épais, avec une reliure cartonnée. Il était en majeur partie brûlé, de sorte que son titre n’était plus qu’une poignée de lettres dépourvues de sens. Ils l’avaient trouvé enroulé dans un linge, au salon, mais d’où il venait réellement les deux chroniqueurs n’en avaient aucune idée. Il n’était pas répertorié en bibliothèque.
« Eh, Quir’, p’têtre qu’la grosse bête l’a mangé ? Hein, ton bouquin. »
Il laissa tomber l’ouvrage parmi les autres, sans grand soin. Mangé. Voilà exactement pourquoi le chroniqueur était pressé de retrouver un autre compagnon que ce drogué. Même avec un livre de plus, ce maigre tas de papier ne pouvait pas les aider plus avant. Le manuscrit brûlé avait été encore leur meilleure chance. Ironiquement, elle était partie en fumée. Il songea que deux verres n’aidaient pas à la clairvoyance et qu’une sieste s’imposait. De toute manière, l’odeur de son compagnon lui donnait la nausée.
« Bonne chance pour ta recherche, je vais me reposer. Si tu trouves quelque chose, je serai au salon. »
« ‘Tends, ‘tends ! » s’exclama soudainement le loqueteux chroniqueur, qui prit un livre au hasard : « T’as pas essayé celui-là ? Hein Quir’, ‘faut pas laisser tomber comme ça ? »
‘Faut pas qu’il aille au salon, pensait Vlad. Bon sang ce qu’il m’énerve, rétorquait toujours en pensée Quirinal. Le récit qu’il lui tendait contenait surtout de la poésie, que le drogué aurait pu écrire du reste, et dans laquelle le docteur n’arrivait pas à s’immerger. Aussi ce geste, loin de le dissuader, le poussa plus avant dans le couloir et vers le salon. Il ne pouvait de toute manière rien y découvrir. Il n’y avait rien là-bas à découvrir, puisque c’était lui qui détenait toujours le livre manquant.
À peine le chroniqueur avait-il quitté la pièce que son compagnon tira le précieux ouvrage de sous ses haillons, avec une sorte de jubilation comme l’enfant chapardeur et heureux de son coup. Il déchanta. Ce qu’il tenait entre les mains était le manuel de règles du jeu de société, celui qu’il avait renversé dans le salon. Ce qu’il fit alors, seul un dément pouvait le faire. Mais justement il était chroniqueur :
« Quir’ ! Eh, Quir’ ! »
« Quoi ? » s’exclama le bonhomme en revenant précipitamment dans la pièce, le front plein de sueur d’une course de dix mètres. « Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce qu’il y a ? »
« On m’a volé l’livre ! »
Promesse. Pendant plus de dix secondes, tous les deux se regardèrent à la manière de deux épouvantails, sidérés l’un et l’autre par leurs réactions réciproques. La tête que tirait Quirinal était désormais exactement celle d’une chouette, ou d’un hibou. Après dix secondes, il réalisa de quel livre son compagnon parlait, et balbutiait une espèce de réponse sous le regard goguenard du drogué.
15 - Vérité, vol au Vlad
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- Écrit par Vuld Edone
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