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Il n’arrivait pas à comprendre que son compagnon lui avait caché un livre, il n’était même pas sûr de comprendre exactement ce qu’il voulait dire par « voler ». Mais l’attitude désinvolte, moqueuse de Vlad, son allure de hère, ses haillons, l’agacement qu’en éprouvait le chroniqueur face à son homologue lui suffit pour s’énerver.
« On t’a volé quoi ? »
« L’livre, l’livre manquant, tu sais ? Eh ben, r’garde, j’l’ai plus. »
Quirinal jeta un regard large sur toute la bibliothèque, à la recherche d’une réponse plus cohérente sur laquelle exercer sa colère que les propos à moitié dingues de son ami. Il ne savait plus que penser. Plus encore, son crâne s’alourdissait d’un début de migraine.
« Doucement. Doucement. » Il expira longuement. « Ce livre volé que tu n’avais pas, » il fit une pause, « tu l’avais ? »
Le sourire difforme du chroniqueur, où les lèvres et la gencive se disputaient de crasse avec les dents cariées, le convainquit d’abandonner la question. Son regard était tombé sur le manuel que l’autre tenait dans sa main : c’était bien le même manuel qu’il avait vu au salon. Il tendit la main pour le prendre et son compagnon drogué le lui donna de bonne grâce. Quirinal n’y trouva qu’un banal manuel.
« Voilà qui est des plus frustrant. De retour aux Chroniques, le château est verrouillé et à l’abandon. Je passe mon temps à faire des allers et retours de la bibliothèque au salon pendant que tu te fais voler des livres que tu me caches. Plus vexant encore, le seul lieu auquel j’ai pu accéder était en cendres et ne m’a fourni aucune réponse. Qu’en conclus-tu ? »
« Qu’tu touch’ras pas à mes réserves. »
« Je suis certain que tu t’amuses beaucoup mais les événements actuels m’obligent à repousser ma sieste et cela a tendance à me fâcher. Donc, ou tu m’aides, ou j’asperge les portes avec de l’alcool à quatre-vingt-dix degrés et je les fais brûler avec une torche. »
Le sourire de Vlad disparut instantanément, moins de ce que son ami montrait des signes de nervosité évidents qu’à l’idée de voir de multiples incendies se déclencher chez lui, au-delà de l’évidente violence. « Et si cela ne suffit pas, je les terminerai à coups de bélier, avec une statue ou une table. » Le docteur avait l’art de le dire sans montrer une forme de colère apaisée par des décennies de vie paisible qui ne demandaient qu’à éclater. Il ne pouvait plus l’empêcher de libérer les monstres imaginaires qui effrayaient tant le drogué. Ou bien il n’était plus sûr. Est-ce qu’il avait peur ?
« Non là c’sûr t’as piqué dans ma réserve. »
« Oui, il est plus simple de se disputer et dans une défiance réciproque, de poursuivre un fantôme en boucle pour récupérer un livre dans un but encore inconnu. »
Ces mots dits, Quirinal se retourna l’air le plus bonhomme du monde en direction de ses projets pyromanes, pour se prendre le pied dans le relèvement du parquet (c’est fini de critiquer les rénovations ?) et de se retrouver les deux jambes en l’air dans le couloir.
« Dis, Quir’. »
Le chroniqueur drogué s’était adossé – comme il pouvait – dans l’encadrement, de la lumière plein ses haillons. Il fouillait à nouveau sa bourse pour récupérer le petit bâtonnet noir, une envie soudaine. Lui, il voulait récupérer son livre, et puis ça lui déplaisait d’incendier son chez-lui. Même s’il n’en était pas sûr. Alors au fond…
« L’bouquin en question, t’écris d’dans, c’qu’est écrit s’produit. »
« Excuse-moi, » répondit Quirinal en se relevant, « aurais-tu la traduction ? »
« Avec c’livre t’pourras ouvrir les portes. Ça, c’pas plus simple, hein ? »
L’idée qu’un livre ait ce pouvoir ne dérangea nullement le chroniqueur, qui au contraire y vit la chose la plus naturelle. Il hésitait dans le même temps à attribuer cette réflexion au caractère dément de son ami. Mais son tempérament le poussait à reconsidérer la solution incendiaire, d’autant que les alcools du salon ne devaient pas avoir un indice bien élevé et que, du reste, les portes étaient épaisses.

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