En vérité la situation était plus frustrante encore que Quirinal ne se
l’était décrite. Enfermés chez eux sans en connaître la raison, les
deux chroniqueurs à peine retournés au château des Chroniques
découvraient les œuvres de plusieurs vies anéanties avec, comme
coupable présumé, l’un d’entre eux. La paranoïa de Vlad n’était qu’un
divertissement en comparaison de ce qui arrivait à leur demeure. Ils
étaient tous deux sans réponse, à subir des événements qui les
dépassaient et cela, chez tous deux, même s’ils ne s’en rendaient pas
compte, leur pesait énormément sur les nerfs.
« Tu es en train de me
dire, » reprit Quirinal après avoir ajusté ses lunettes, « qu’il existe
un livre permettant d’ouvrir les portes. C’est bien cela ? »
Son
compagnon drogué secoua la tête dans une approbation théâtrale, qui
renversait de peu son capuchon puant et sale, ainsi que tout son maigre
corps.
« C’tait pendant qu’t’explorais ton désert. J’cherchais dans
les autr’ bouquins quand j’ai ouvert c’ui-là. Toutes les pages étaient
blanches. Toutes. »
« Mais encore ? »
« Bah ‘l est magique. Un
truc d’chroniqueurs, c’doit être le même qu’a fermé toutes les portes.
Quand t’écris d’dans, c’que t’as écrit s’réalise. Tu vois ? Pas dans
l’livre, mais vraiment. »
Il laissa cette fois le docteur perplexe.
Quirinal à défaut de comprendre trouva bon d’astiquer une fois de plus
ses lunettes, et comme son ami attendait toujours de lui une réaction,
les ayant remises sur son nez : « Et ? » Il n’avait aucun mal à
imaginer qu’un chroniqueur écrive un tel livre. Il pouvait s’agir de la
clé laissée par les autres avant leur départ. Seulement les
implications le dépassaient encore et, notamment, que son ami ait eu le
besoin de cacher cet ouvrage.
« Tout cela est bel et bon. Seulement nous n’avons plus ce livre, et je ne compte pas tourner en rond pour le retrouver. »
« Et alors, Quir’ ? Tes jambes t’lâchent déjà ? C’pas loin, l’bouquin est au salon. »
À
cela le docteur allait demander le pourquoi du comment quand il fut
pris d’un long soupir. Il l’aurait deviné, bien sûr, puisqu’il n’y
avait guère plus de trois pièces où cacher ce livre, auxquelles
lui-même exceptait déjà le vestibule, n’y voyant pas une cache idéale.
Pourtant, sa crainte se réalisait, d’être condamné à aller et venir
entre ces trois lieux en huis clos, avec un compagnon des plus
désagréable.
« Allons-y, finissons-en au plus vite. »
Tous les
deux furent pris d’un petit rire en quittant la bibliothèque mais alors
qu’ils se trouvaient dans le couloir, Quirinal s’arrêta. C’était bête,
c’aurait été trop bête de laisser tous les ouvrages là au lieu de les
emporter, pour ne plus avoir à se rendre en bibliothèque. Il s’en
retourna donc sans demander son avis à Vlad, ramasser tous les livres
qu’il pouvait accumuler sur lui, jusqu’à les avoir tous du bout des
doigts jusqu’au menton. Son ami s’apercevant de son retard revint sur
ses pas et le trouva qui se déplaçait lentement, gêné par sa charge
pourtant légère. Il avait peur d’en échapper un.
« Mais aide-moi, au lieu de sourire ! »
« T’les aimes tant qu’ça, ces bouquins ? Ou bien c’est l’rénové qui t’plait pas ? »
« Et arrête de critiquer les rénovations ! »
Le
chroniqueur tira les bras de ses loques pour ramasser deux ouvrages
dans une main, le livre brûlé dans l’autre, et malgré sa petite taille
et ses airs faméliques, tandis que les pages s’imprégnaient de son
odeur – infecte – il repartit avec une aisance étonnante dans le
couloir, d’une allure qui laissait son compagnon pantois. Ce dernier
s’entêtait à porter ses livres empilés contre son ventre et sa démarche
de pingouin ne cessait pas, de sorte qu’il n’avait pas quitté le
parquet de bois lorsque Vlad revint le décharger de deux autres livres
et le laissa bête dans le couloir.
Toutes les portes avaient beau être fermées, ça restait les Chroniques.
17 - Vérité, porte ouverte
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- Écrit par Vuld Edone
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