La vue du petit salon vaguement en désordre, sinon tel qu’il l’avait
laissé, donna au chroniqueur bedonnant le très vif sentiment qu’il
allait encore perdre du temps. Vlad y trônait au centre, l’air
victorieux, mais comme l’avait prévu le chroniqueur il n’y avait pas la
moindre trace de livre. À peine la table du coin avait-elle été
dérangée et il nota le jeu de société par terre. Les livres récupérés
avaient été déposés sur la plus proche table, il y déposa les deux
derniers. Encore un verre, laissé à l’abandon. Autrement, la pièce
était navrante d’ennui.
Pris d’une envie soudaine, il se rendit à la
trappe fermée (mais où pouvait-elle bien mener), pour vérifier que cet
accès leur était toujours verrouillé. Puis, ayant constaté que c’était
toujours le cas, il fit de même pour la porte du fond, n’était-ce que
pour éviter d’avoir à constater qu’il était revenu au petit salon pour
rien. Il s’efforçait de tirer et de pousser le battant, sans résultat,
et reprenait son souffle quand Vlad surgit derrière lui.
« Tu r’marques rien ? Sur la porte, c’t immanquable. »
Il
recula de quelques pas, tourna la tête vers son compagnon persuadé que
celui-ci se moquait de lui, et resta une bonne poignée de secondes à
essayer de voir ce qui était si immanquable sur la surface de bois
rugueuse, sinon qu’elle résistait à ses efforts. Cependant l’autre
chroniqueur s’était mis à déplacer la table du fond, dans un vacarme
qui lui parut tonitruant, avec une jubilation qu’il ne lui avait pas
vue jusque-là.
Tout cela était bien mystérieux. Il déplaisait au
chroniqueur de suivre les quatre volontés d’un drogué mais ses actes, à
force, prenaient une sorte de sens, à défaut d’être dirigés, dans
lequel peu à peu il se laissait prendre. Quel qu’ait été son avis,
Quirinal songea que son ami avait de meilleurs yeux, une plus grand
acuité au détail et qu’il avait meilleur temps de lui faire confiance.
Ce dernier s’acharnait à faire des ronds sur les pierres taillées du
plancher.
« C’était bel et bien immanquable. »
Bon, le loqueteux
avait perdu toute notion de la réalité. Cela ne lui disait ni comment
ouvrir les portes, ni comment retrouver ce fameux livre, si tant était
qu’il existait. Il sentit trop vivement à quel point sa situation était
désespérée, comparable à l’insecte pris dans une toile d’araignée. Sans
l’araignée. Après un coup d’œil sur les armoires à alcool, Quirinal se
décida à retourner vers son compagnon chroniqueur qui s’entêtait à
arrondir les pierres de son doigt.
« J’aurai besoin de ton reste de lucidité pour me dire quoi faire. »
Vlad
releva sa tête à moitié découverte, qui affichait tous les plis mous et
flasques de sa peau – et libérait sa puanteur – avec, dans sa bouche,
son éternel bâtonnet noir, qu’il mâchouillait toujours entre des restes
de dents nécrosées.
« Y a une cache sous la table, j’suis sûr qu’le bouquin est d’dans. »
«
Tu essaies donc d’ouvrir une cache afin, perspective finale, d’ouvrir
une porte. Aussi passionnante que soit ta démarche, voici la mienne :
réveille-moi quand tu auras fini. »
Le loqueteux s’entêta sur le sol
encore quelques minutes, bien après que son ami se soit étendu sur
trois chaises pour s’assoupir. Il devait bien admettre que sa cache
n’existait pas. Donc le livre ne fonctionnait pas. Mais à dire vrai, il
n’était plus sûr de rien. Si le livre n’était pas là, il ne servait à
rien de le retrouver. Or il avait vu son pouvoir, il l’avait vu en
action. Alors délaissant la table du coin le petit chroniqueur se mit à
chercher dans toute la pièce.
« Eh Quir’ ? T’viens pas m’aider ? Tu n’veux plus ouvrir d’porte ? »
Mais
son ami, dans un élan de coopération, ne fit que se retourner sur ses
chaises, à la recherche d’une position plus confortable. Vlad en était
à soulever toutes les peaux de bête, à regarder dans les têtes
empaillées, il fouillait parmi les coupes alignées dans les armoires
et, fatigué, alla se courber à une fenêtre qu’il ouvrit grande pour
respirer. Du moins voulut-il l’ouvrir. Elle lui résista.
« Eh, Quir’ ? Quir’ ? L’bouquin, j’l’ai r’trouvé. Il est… là. »
Son
bonhomme d’ami s’étira, se leva et le rejoignit devant la fenêtre. Il
vit le livre suspendu ou plutôt comme pris dans le verre, de l’autre
côté, bien en évidence. Impossible d’ouvrir. Cependant le drogué
remarquait que cette fenêtre, au bout de la pièce, était la treizième.
18 - Vérité, derrière la vitre
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- Écrit par Vuld Edone
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