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Quirinal venait d’expérimenter l’écrasant pouvoir de Libra, sans même s’en rendre compte, le pouvoir du mot, la plus grande richesse potentiellement parmi toutes celles que détenaient les Chroniques. Il n’aurait pas pu le deviner.
« Maintenant je comprends » dit-il en s’étirant, soudain satisfait, profondément contenté dans tout son être comme le chien qui ayant rapporté la balle voit son maître assoupi et décide de faire un somme sur ses pieds, sa langue bien baveuse au-dessus de la semelle.
« ‘Te prive surtout pas d’me t’nir au courant. »
« Oh, » fit-il en se rendant compte de la présence de Vlad, de cette loque aux haillons imbibés d’alcool, puant, au visage amorphe, vieilli par la prise de stupéfiants. Cela coupa net son petit bonheur.
« Retourne au vestibule, ouvre la porte et tu devrais arriver de l’autre côté de la fenêtre. »
Il se surprit à voir ce même visage amorphe se morfondre dans une sorte d’expression qui devait exprimer de la crainte ou, terme plus médical, de l’angoisse, et qui était une sorte de tiraillement de son sourire sur ses chicots noirs. Bien entendu, le chroniqueur ne comprenait pas où Quirinal voulait en venir. Mais Quirinal ne faisait que suivre les règles.
« Tu ne veux tout de même pas que je te déploie tout le raisonnement ? »
« Avoue, t’attends qu’ça. Pas vrai Quir’ ? »
« Soit. » Il nettoya encore ses lunettes, les rangea dans leur étui puis se pencha vers son compagnon. « En fait, c’était évident. Tout manuel de règles est un manuscrit, même s’il s’agit d’instructions de jeu. Un manuscrit, comme le recueil du désert. Pareil. Un chroniqueur a réécrit ce manuel, de sorte à pouvoir se rendre au lieu où il a caché le livre, donc, de l’autre côté de la fenêtre. »
Pour Vlad, la drogue aidant, cette explication parut limpide. Elle ne l’était pas forcément. Jusqu’alors, enfermés chez eux au château des Chroniques, les deux chroniqueurs avaient pensé que les instructions du manuel leur permettraient de trouver un mécanisme qui ouvrirait la fenêtre derrière laquelle se trouvait le Libra.
En fait, le mécanisme était les instructions elles-mêmes. Ce simple livret de règles pour jeu de plateau était devenu, sous la main d’un chroniqueur, le manuscrit nécessaire pour accéder au Libra. Ainsi, seul un chroniqueur pouvait y accéder. Ce qu’essayait de dire Quirinal, ou plutôt, ce qu’il essayait de ne pas avoir à expliquer, c’était que les instructions que Vlad lui avaient lues ne disaient pas comment accéder au livre mais comment lire les instructions. Il avait reconnu ce tour retors, particulièrement malade, parce que celui-ci lui avait paru très familier.
« Dis, c’chroniqueur, » demanda Vlad, « ce n’serait pas c’lui qu’aime pas suivre les règles ? »
« Je n’ai jamais aimé ce qu’il a écrit de toute façon. »
Le drogué n’était toujours pas sûr d’avoir bien compris cette histoire et à dire vrai, il s’en fichait. S’il suffisait de se rendre au vestibule et d’ouvrir une porte, alors peu importait la machination particulièrement vicieuse qui se cachait derrière. Un chroniqueur n’était par ailleurs pas réputé pour se poser des questions. Seul problème à l’horizon, ça impliquait d’ouvrir la porte. Or derrière, il pouvait toujours y avoir un monstre.
« Et si t’y allais toi ? Hein Quir’, t’as bien b’soin d’exercice. »
« Je ne bougerai plus de ce salon tant qu’il n’y aura pas plus de trois salles où se rendre. »
« ‘Me dis pas qu’t’as peur, Quir’. C’est pas la bêt’des sables qui t’fait peur ? Oh, elle va t’manger la sale bête. »
Le concerné, qui durant la conversation avait récupéré le manuel, le lança sur son comparse dans une saute d’humeur bougonne. Lui aussi, après tout, ça l’effrayait cette histoire de monstre, juste là, de l’autre côté de la porte. Il n’en avait juste pas conscience, il n’avait pas les narcotiques qui l’auraient obligé à admettre que, qu’il le veuille ou non, les Chroniques n’étaient plus aussi sûres, et que ce cauchemar du désert pourrait bien par mégarde, d’un moment à l’autre, surgir à l’intérieur.

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