Il sembla au chroniqueur drogué, alors qu’il traversait le couloir, que
celui-ci titubait. Le mélange de ses substances et de l’alcool qui
imbibait ses loques ne l’aidait pas à garder les idées claires. Il
mâchait son éternel bâtonnet et, la main contre le mur, progressait
d’un pas plus ou moins sûr en direction du vestibule. Son autre main
tenait le manuel, entièrement griffonné de pictogrammes, qui devait lui
permettre d’accéder au Libra. Il n’y voyait qu’un livre, avec le
pouvoir d’ouvrir les portes, et préférait sans nul doute ne pas
envisager ses autres possibilités.
Quirinal était resté en arrière,
dans le petit salon. Il avait promis de lire un peu en attendant son
retour. Cela ne rassurait pas le loqueteux. Se séparer n’était jamais
une bonne idée, jamais. Ouvrir les portes, ça non plus, ce n’était plus
une bonne idée depuis quelques temps. Celle du vestibule lui sembla
entrouverte, mais ce n’était qu’un jeu d’ombres dû aux torches. Il
engloba toute la pièce, la trop vaste pièce, d’un seul regard, pour
s’assurer qu’aucun monstre ne s’y cachait. Question de prudence.
Une
fois qu’il se fut rapproché de l’entrée, à moins d’un mètre, il
entendit à nouveau ce qu’il craignait, le raclement mou sur le bois,
comme un raclement de gorge. C’était toujours là. Ou bien son esprit
lui jouait des tours, il n’était plus très sûr. Il serra le bâtonnet
entre ses deux gencives mises à nu, colla l’oreille au battant et
doucement, tout doucement, il se mit à osciller d’avant en arrière en
écoutant la bête gratter.
« Allez ma belle, encore un effort, allez.
T’en fais du bruit, allez gratte. J’t’entends moins bien, allez gratte,
joue-nous ton air… »
Le bruit s’étouffait, peu à peu, s’éloignait à
mesure qu’il parlait et à mesure Vlad haussait la voix pour faire
revenir ce bruit. Alors il le revit, le verrou, sur la porte. Il revit
cette écriture très claire, marquée à même le bois, dans le bois,
briller au-dessus de sa tête. C’était un mot tout simple, quelqu’un qui
avait écrit « Verrou » avec une majuscule pour « V », en attaché.
C’était sur la porte, immanquable.
« Oh la pauv’ bête ‘peut pas passer. »
Il
se releva d’autant que son corps pouvait le lui permettre, soit assez
peu tant il était petit et maigre. Le bruit avait disparu. Il voyait
clairement le verrou, ce qui le convainquit d’ouvrir, parce que, sans
étonnement, l’accès était verrouillé. Il avait tiré sur l’anneau en
vain. Comment avait fait Quirinal ? Il ne se souvint pas d’avoir jamais
voyagé dans un de ces lieux que décrivaient les livres. Ou peut-être
que si, comme toujours, il n’était sûr de rien. En tout cas le
loqueteux ne voyait pas comment ouvrir.
Alors plutôt que de
chercher, il tira de la bourse qui pendait à son cou quelques graines
de bulbe séchées et les avala. Puis il s’accroupit dos contre le bois,
le regard perdu au loin dans le vestibule. Le manuel lui échappa
d’entre ses doigts et fit « floc » en touchant la pierre. Il glissa
tout à fait, avachi dans ce coin du château des Chroniques, à laisser
sa tête dodeliner sur quelque air que lui seul connaissait.
Peu
importait, oui, s’ils ouvraient les portes ou non. Quelqu’un les avait
verrouillées, il y avait bien une raison. En fait, il valait mieux tout
laisser fermé. Les autres chroniqueurs avaient fui, il faudrait
peut-être faire pareil. Vlad broyait ces pensées comme il tentait de
broyer son bâtonnet. Quirinal et lui étaient seuls, personne pour les
aider, personne pour leur expliquer. Alors forcément, c’était
déprimant. Il songeait que d’autres chroniqueurs, bien plus
prestigieux, s’en seraient sorti bien mieux que lui. Lui-même n’avait
rien à se prouver. Il ne voulait rien. Il se sentait bien. Là. Sous
l’effet des graines.
De toute manière la porte était verrouillée.
« Ah ah non, j’rigole. »
Ce
qu’il avait avalé constituait un véritable concentré de méninges. Ce
n’était pas une minable porte ni une minable bête qui allaient le
retenir ! Grisé par la dose prise, le drogué se plongea dans les
explications inextricables de Quirinal, en quête d’un moyen pour
passer, récupérer ce livre – son livre – et retrouver ses potes
chroniqueurs.
22 - Vérité, fond de vague
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- Écrit par Vuld Edone
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