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Il ne disposait pas de suffisamment d’informations pour être sûr encore de ce qui se passait. Les chroniqueurs n’avaient pas pu faire ça, pas à leurs propres textes. La majorité des manuscrits détenus au château des Chroniques avaient disparu. Du moins le supposait-il. Quirinal s’arracha à une lecture qui l’avait horrifié. Des centaines, des milliers d’histoires, torturées. Le saccage des Chroniques n’était pas dans quelques meubles renversés ou dans des portes verrouillées, mais dans les textes que le château abritait.
« Nous n’allons pas laisser faire ça. Vlad ! »
Son camarade chroniqueur releva la tête de son capuchon. Il n’était resté accroupi que quelques minutes et cela avait suffi pour accentuer son côté maigre et hideux sous des habits miteux. Le visage, de toute façon aussi moche que ses vêtements, restait caché en grande partie et seule dépassait sa petite bourse pendant contre le torse.
« T’sais quoi, Quir’ ? C’la première fois qu’tu dis mon nom. »
« Passionnant. Va en bibliothèque. Abats un mur s’il le faut mais ramène-moi du papier, une machine à écrire et autant de bobines que tu trouveras. Il est humainement impossible d’écrire une histoire incohérente, et je le dis en tant que docteur (il n’était pas psychiatre). Nous allons donc faire de la reconstitution de texte. »
Le loqueteux était déjà debout, dressé d’un bond malgré ses membres rachitiques et sa peau molle. Il renifla longuement, passa tout son bras sous le visage – juste au-dessus de la bouche, donc – et se fendit d’un sourire affreux.
« Oui, encore. Encore des historiettes. Encore de p’tites histoires. ‘Xcellente idée, Quir’. »
Il quitta le petit salon sur ces mots, par les couloirs, en laissant seul Quirinal qui déjà retirait de la pile le plus volumineux des ouvrages – la couverture était rouge mais quelle importance – et le déposait ouvert à la première page sur une table à l’écart. Humainement impossible. L’esprit humain, aussi malade, aussi dérangé fut-il, suivait toujours une logique. Il donnait du sens à ce qui pouvait ne pas en avoir et ce qu’il produisait, aussi futile, aussi anodin fut-il, avait une signification.
Si Quirinal écrivait, sur l’instant, ce qu’il écrivait ne pouvait donc qu’être cohérent. Et cela même s’il n’avait écrit qu’une longue suite de consonnes. Le chroniqueur comptait restaurer le livre en le réécrivant, de sorte que sous son action l’histoire retrouve sa cohérence. Quelques paragraphes suffiraient, quelques pages, quelques dizaines de pages au pire. Le tout était de provoquer l’immersion.
Mais ce qu’il comptait faire ne nécessitait pas seulement une idéologie quant à la nature humaine, il ne pouvait pas se suffire de croire au raisonnable – même surréaliste. La clé pour y parvenir résidait dans le Libra.
Il tâta la couverture du livre vierge, le prit et le posa à côté du volume rouge. Les pages blanches défilèrent sous ses yeux. Ce pouvoir démentiel – comme Vlad – pouvait l’aider à restaurer les histoires. Il ne pouvait pas écrire dedans, c’était trop risqué. Le chroniqueur avait imaginé de l’utiliser comme intermédiaire, de sorte que ce qu’il écrirait à côté influencerait bien le texte original. Pour cela, il allait lui falloir préparer le Libra. Il se mit donc à écrire, dans une des pages blanches, en s’arrêtant à chaque lettre pour réfléchir à ce qu’il faisait. Ses premiers mots lui semblèrent vagues, il voulut préciser et se retrouver à écrire des phrases entières, déjà un paragraphe.
À sa surprise, l’encre qu’il laissait sur le papier – il n’aimait pas le graphite – se mit à briller, comme un mauvais effet spécial de cinématographie. Il suspendit son geste mais, devant lui, l’encre était à nouveau de l’encre tout ce qu’il y avait de plus normale. « Soit » conclut-il devant cet incident, avant de reprendre. Pour la simple opération qu’il prévoyait, il avait déjà dû couvrir une page. Il entamait la seconde avant de s’arrêter. Cela suffirait.
Cela avait dû lui prendre du temps, à force d’hésitations. Quirinal se demanda pourquoi son compagnon traînait. Une machine à écrire devait être aisément repérable. Il bougonna, les deux bras croisés en équilibre sur deux pieds de sa chaise. Que Vlad se dépêche.

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