Etoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactives
 

L’espèce de monstre que le chroniqueur avait rapporté ressemblait plus à une presse qu’à une saisie mécanique. Son clavier de touches suspendues comme des crochets s’enclavait dans un petit espace sous l’énorme rouleau de la machine à écrire.
« Oui, oui, je sais, » précéda le chroniqueur avant que son ami ne le lui fasse remarquer, « je sais, ce sont les rénovations. »
Il se demandait néanmoins ce qui était le plus formidable, entre le saccage des Chroniques incarné dans le volume rouge au texte incohérent, ou bien le tout-puissant Libra ouvert tout près, ou alors cette… chose… cette abomination, erreur de l’usinage qui devait servir de lest pour les pétroliers. Quirinal courageux appuya sur l’une des touches, suffisamment fort pour réussir à l’enfoncer : un cliquetis sifflant d’entrechocs lui fit retirer vivement sa main le plus loin possible. Il vit une lettre bavante d’encre sur la page d’ores et déjà gâchée que le rouleau avait broyée.
« C’est… encourageant. Peut-être que si je tape sur une autre touche le bruit va s’arrêter. »
« C’est l’ressort qui s’tend. »
« Un ressort, dans une machine à écrire. Tu n’espères quand même pas que je travaille avec ça ? Cette machine a dû être conçue pour décourager l’écriture. »
Enfin le grondement des pièces qui se déboîtaient s’acheva, laissant le chroniqueur perplexe, tandis que son compagnon drogué faisait le tour de la table avec son sourire insupportable. Quirinal n’aurait jamais cru que ce petit loqueteux – en tout amitié – aurait pu transporter une telle ferraille. Il prit son courage à une main, de l’autre tapa une seconde touche. Une seconde lettre baveuse se répandait sur la feuille. Pendant que son air pitoyable se perdait en conjonctures sur le droit d’existence de cette horreur, le ressort continuait de se tordre.
« Tiens, t’auras b’soin d’ça. »
Vlad avait déposé à côté de lui une clé de huit, de ces clés de garagistes pour serrer les boulons. Il n’osa pas demander à quoi elle devait lui servir, et constatait de son côté que la touche d’espace n’était pas plus grande que les autres, en haut à droite du clavier.
Il se mit néanmoins au travail, et de persévérance, épuisa si bien le rouleau qu’au bout d’une heure ses lettres étaient redevenues lisibles. Le clavier se disloquait sous ses doigts mais cela à part, ayant trouvé ses dispositions, Quirinal avançait dans son travail. Il jetait un regard au volume rouge, en retenait le plus possible de texte et son regard passant par-dessus le Libra, il recopiait ce texte sur la feuille blanche.
Après bien des peines et beaucoup d’acharnement, il avait réécrit plusieurs pages du volume sans réel succès jusqu’à présent.
« Je me fatigue pour rien » souffla-t-il dans un aveu de défaite.
« S’t’es fatigué, j’ai des substances qu’aident à calmer l’mal de tête. »
« Regarde ces pages. Il y a une cohérence, quelque part, je le sens bien. Mais je n’arrive pas à la réécrire. J’aurais meilleur temps d’appliquer un buvard directement sur ce livre. »
« T’sais quoi Quir’ ? Ça m’rappelle beaucoup l’manuel. »
Quirinal repensa immédiatement au manuel et à ses instructions absurdes, dépourvues de sens. Seulement alors il s’agissait d’une énigme consciente, dont la cohérence était justement de rendre l’ensemble incohérent. Le volume qu’il recopiait, lui, avait été saccagé, déstructuré. C’était incompréhensible.
« Essayons un autre livre. »
Il se remit au travail, cette fois avec un livre plus petit qui, il en soupira, ne donna pas plus de fruits. Sa patience déjà ébranlée par la machine qu’il utilisait s’effondra au troisième ouvrage, qui était celui de poésie. Il abattit ainsi toute leur petite bibliothèque, excepté le manuscrit brûlé resté à l’écart.
À chaque fois, le chroniqueur avait cru débloquer la cohérence, et près d’y parvenir il sentait soudain le sens de l’histoire lui échapper. Cela devait venir du Libra. Ou de lui. Sa méthode n’était pas la bonne. Il devait recommencer, et réussir, par n’importe quel moyen.

Connectez-vous pour commenter