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Une première difficulté, d’apparence insurmontable, venait de se dresser entre les deux chroniqueurs, alors même qu’ils s’apprêtaient à sortir ensemble du château des Chroniques. Tandis que le premier, bonhomme, voulait emprunter la porte, le second, drogué, s’était mis en tête de passer par le livre.
« Je m’en voudrais de couper ton élan mais discutons-en. »
« T’as l’air d’t’accrocher à tes p’tites habitudes, dis. »
« Tu es un ami et un bon chroniqueur, malgré ta puanteur et tes haillons. Je ne te tiens rancune de rien, ayant tenté de te tuer par ailleurs. Mais en tel cas c’est une question de bon sens. »
« C’tait du bon sens, l’Libra ? Du bon sens, l’manuel ? T’sais qu’t’es presque drôle, Quir’ ? »
« Soit, le bon sens n’a plus vraiment sa place ici. Mais alors songeons sans dramatiser qu’il en va des Chroniques. Un peu de cohésion étant de mise, il serait regrettable que nous nous séparions là. »
« Moi, t’sais, j’suis tout à fait d’accord avec toi. Sauf qu’j’ai d’jà commencé à lire. »
Et en effet Vlad s’était mis à parcourir le texte qu’il prononçait à présent à voix haute. Le chroniqueur à côté de lui, sentant monter la moutarde à son nez lunetté, en conçut une certaine aigreur. Il fronça les sourcils, chercha le moyen d’interrompre cette lecture et voyant qu’il n’y parvenait pas :
« Soit, j’irai donc, moi de mon côté, et toi du tien. J’espère bien que les personnages de cette histoire s’entendront mieux que nous, sans quoi ils mourront en chemin. »
De son pas simple, un peu remonté, Quirinal quitta le petit salon pour le vestibule (saccagé) avec la décision arrêtée de ne pas se laisser faire. Cela l’agaçait d’autant plus que de telles situations lui semblaient comme incontournables, de sorte qu’en ouvrant la porte d’entrée il eut le sentiment de n’être qu’une marionnette. Détestable. La porte claqua. Il était remonté.
« D’accord, et pas un mot. Mais par pitié, sois moins insupportable, au moins le temps que nous ayons récupéré quelques livres. »
Car c’était cela qu’il avait en tête, au moment de quitter les Chroniques : récupérer plus de manuscrits, pour obtenir des réponses sur le saccage et la désertion du château, sur les verrous aux portes et sur le coupable. Mais Vlad s’était déjà remis à lire, et peu à peu, il se laissa absorber par son récit.

Les formes les plus étranges déformaient un infini blanc et terne, à peine discernable dans des trombes figées qui recouvraient tous les chemins. Surpris, il chercha à avancer mais chaque mouvement lui demandait bien plus d’efforts qu’à l’accoutumée. La Perception le trompait, il distinguait mal devant lui les espaces tronqués où tant d’autres se fourvoyaient, et si familiers autrefois. Ses deux mains tendues, détachées de lui, écrivirent dans la nasse pour l’ouvrir et il retrouva enfin les milliers de chemins entrecroisés. Des pistes sans fin et changeantes s’ouvraient à lui, qu’il parcourut avec la même peine alors que tout autour de lui sans cesse les repères se métamorphosaient insaisissables.
Des flots d’images fulgurants se déversaient sur lui, du passé, du présent, de l’avenir, de milliards de vivants indiscernables qui l’auraient rendu fou s’il ne s’était pas concentré sur le journal. Toute sa volonté pressa dans ce seul sens, sur un objet, même pas un homme, sur les milliers de voies qui l’attendaient. Les chemins remplis de pièges pour son corps délétère le menèrent jusqu’à son possesseur. Ménageant ses forces tant il lui était pénible de se maintenir, il jeta un œil aux images fugaces et vit ce journal détruit, pour chacune d’elles. Il devina, c’était son travail de deviner, qu’il en serait de même pour tous les futurs et il se tourna vers le passé.
Sa résistance faiblit. Jamais il n’avait connu une telle difficulté pour se promener tant à l’écart des énergies blanches, elles qui jusqu’alors avaient plié sans peine à tous ses désirs. Quelle invraisemblance ! Il ne trouva aucune trace du journal, il n’en avait plus le temps. Épuisé, Vlades Jan se dépêcha de dissiper les liens qui l’entravaient si loin de la réalité.

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