Trois années entières les séparaient de leur dernière rencontre, ce
jour où la Garde Sombre était venue arrêter Quill alors qu’il avait
dérobé plusieurs tomes de la bibliothèque des cendres. Pourquoi
exactement il avait commis ce vol ne lui revenait plus, pas après
plusieurs mois dans les prisons. Le temps passé n’avait pas suffi pour
que l’un oublie l’autre et ils se retrouvaient comme à l’époque où,
chacun occupé à ses affaires, leurs chemins s’écartaient déjà à tel
point qu’ils ne se voyaient presque plus. Avec l’âge leurs métiers et
leurs intérêts avaient poussé le devin au voyage parmi les villes du
royaume tandis que son ami était resté enfermé dans le quartier sud. À
chaque fois qu’ils s’étaient revus, depuis, cela avait toujours
signifié des problèmes interminables.
Il soupçonnait donc Vlades
d’être impliqué dans son arrestation mais ne l’avait pas tiré dehors
pour cela. Lui aussi, quand il avait examiné le noble, avait été frappé
par ce visage, lui aussi avait fixé et les yeux assez longtemps pour
ressentir un violent malaise. L’évidence voulait qu’une énergie soit à
l’œuvre mais ils n’en trouvaient aucune trace, pas même un fil éthéré.
Aucun poison n’avait été employé, aussi l’arrivée du devin lui
disait-elle qu’une fois encore cela le dépasserait totalement.
- Je
ne sais pas ce que tu as fait encore mais tu vas m’aider à remettre
L’Fyls sur pied. Dis-moi quelle magie est en cause et par pitié, pas de
paroles inintelligibles, je te connais mieux que ton frère.
En
réponse le devin pressa avec deux doigts l’une de ses paupières
gonflées, puis tira sur sa peau flasque dans une moue grotesque. Il
faisait pitié à voir même aux critères des pauvres et des mendiants du
quartier sud, ce lui était bien connu, mais à chaque fois que
l’attention se posait sur lui, il le revivait assez vivement pour
vouloir s’abandonner aux drogues. De grands efforts étaient nécessaires
pour revenir à la discussion. Quand il eut secoué la tête, cela lui
revint :
- Il y a des routes, plein de routes et de la neige, de la
neige jolie toute blanche ! Des tas de possibilités ! Dans des, il
meurt. Dans d’autres, aussi. Moi j’dis, il est mort.
- Tu n’aides pas tu le sais ça. répliqua Quill excédé.
- On peut le soigner, oui ça on peut. On peut le tuer aussi, aussi. Mais la couleur, ça mon p’tit Quill, ça s’t’une évidence !
Quand Vlades Jan ouvrit grand les yeux pour dire « mais », son ami avait déjà compris de quoi il parlait.
- Je n’expliquerai pas à Mederick T’Nataus que son ami est victime d’un mythe.
Sitôt
qu’il était question d’invocation, comme beaucoup l’apothicaire
rejetait tout en bloc. Pour commencer, il n’existait pas de couleur
invisible. Ensuite, d’après les légendes, celle de l’invocation était
or. Quand même ce serait elle, aucune histoire ne parlait de cette
magie plongeant quelqu’un dans une torpeur panique. Surtout, le plus
important, son ami revenait toujours dessus devant l’inexplicable, par
dérision ou pour se persuader et justement, il le faisait depuis que
revenu du sud, il avait laissé son corps se faire dégrader par les
drogues. D’ici quelques instants, le devin lui annoncerait qu’il en
connaissait un utilisateur.
- Y a un ermite, y disait la maîtriser. L’est à pas une semaine d’la capitale.
- Tu parles d’un ermite fou qui ressasse les contes pour enfants et agresse ses visiteurs au gourdin.
-
Il avait un bouquin. Un bouquin tu vois, qu’a fait- et il fit le bruit
d’une flamme en même temps qu’il la mimait avec les doigts. Parti en
fumée ! Mais pas d’feu. L’bouquin, brûlé, comme ça.
Le loqueteux
refit le geste avec ses doigts sans parvenir à énerver son compagnon.
Ce dernier y réfléchissait la main au visage, l’air bête avec sa
carrure large alors qu’il voyait où Vlades voulait en venir. Il n’y
avait aucun intérêt à brûler un livre s’il ne contenait rien. Encore
moins à le posséder quand on était ermite et fou. L’ermite était
peut-être bien la clé qui lui manquait pour soigner le noble Thorlof
L’Fyls.
46 - Pion, quant aux mythes
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- Écrit par Vuld Edone
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