Jamais le géant apothicaire ne livrerait son client, par souci d’argent
et pour sa réputation. Si Mederick lui permettait un jour de fumer du
tabac, il comptait bien soigner L’Fyls. Pour cela, il fallait entrer à
la Lumière de cendres, donc, faire sortir Ghendes Jan ou au moins
l’obliger à les recevoir. Aussi devaient-ils donner à la Garde Sombre
quelque chose d’équivalent. Une vieille targe – ou un simple plateau,
ils ne savaient pas trop – repeinte et bricolée avait constitué un
masque suffisamment convainquant pour les mendiants du quartier ouest.
Que cela ait fonctionné les épatait déjà, que la rumeur qu’ils avaient
eux-mêmes lancée, à deux seulement, en quelques heures ait traversé un
quartier dépassait tout ce qu’ils auraient pu imaginer. Ils avaient
créé une secte, avec un malheureux bout de métal et quelques paroles,
si bien qu’au soir quand ils retrouvèrent Mederick, celui-ci y croyait
comme si elle existait avec sa vie propre et de vrais membres pour la
faire exister.
- Une secte n’apparaît pas si brutalement sans
raison. reprit le noble alors qu’il tournait en rond dans la petite
pièce. Ils doivent être liés au meurtre du roi. Todrick va les
combattre, c’est certain. Tant qu’il les cherchera au quartier ouest,
moi et Thorlof serons à l’abri.
Il ne disait pas toute sa pensée.
Quand la secte serait démembrée, si elle était responsable de
l’assassinat alors lui et L’Fyls pourraient sans autres se réfugier au
Dard ou revenir en grâce. Le roi pouvait les accuser d’en faire partie,
bien entendu, mais il n’aurait aucun intérêt à le faire. De toute
manière eux comme tous les habitants du royaume étaient à la merci du
moindre caprice, ils composaient avec. Le noble n’avait aucune raison
de s’attaquer à la secte puisque Todrick le ferait à sa place, avec
bien plus de moyens. Il se contenterait de rester caché comme il le
faisait depuis le départ.
Quill fit une grimace dégoûtée en sentant
la salive du loqueteux drogué sur ses mains. Il avait bondi dessus pour
le faire taire et s’en repentait déjà.
- Ce sont des affaires de
nobles. Pour nous, cette secte va nous permettre de rencontrer Ghendes
et d’entrer à la Lumière de cendres.
- Où vous trouverez un remède
pour Thorlof, je sais. Le temps joue pour nous. Évitez de me rencontrer
désormais. Et faites attention à la secte.
Une nouvelle coulée de
bave fit tressaillir le visage du compagnon assez pour qu’il lâche et
que Vlades, roulé de rire, se laisse partir en avant. D’un geste
dédaigneux, sans même le regarder, le noble lui tendit une serviette
qui traînait. Il s’essuya les mains non sans retenir des jurons pour le
drogué courbé par terre dont les rires leur tapaient sur les nerfs. Il
le prit par le col et le tira avec lui hors du taudis. L’un et l’autre
ne se ressemblaient en rien : Quill plus gras de par sa profession
était également plus grand et surtout couvert de poils comme une bête
sauvage, dû au lieu reculé de sa naissance. Il cachait ce pelage sous
des tabliers et de longues manches crasses mais les mains velues
également avaient fait la moitié de sa réputation, l’autre venant des
petits yeux de son visage, renfoncés sous la chair. Ses manières
brusques contrastaient avec son intelligence.
Du travail les
attendait. La rumeur aussi vive soit-elle allait mourir si aucun fait
ne l’alimentait. La secte devrait frapper aujourd’hui et de manière
spectaculaire. Il leur fallait des masques et il leur fallait une
cible. Ces deux raisons les poussèrent à se rendre au quartier
nobiliaire, le quartier ouest, appelé ainsi pour les nobles qui
venaient y recruter assassins et mercenaires. L’enlèvement suffirait,
il ne manquait à ce plan osé qu’une douzaine de masques en forme de
soleil. Le velu se maudissait d’avoir choisi un soleil plutôt qu’une
lune, à cause des rayons si durs à réaliser alors qu’il n’avait rien
d’un forgeron.
Ils étaient allés s’enterrer au pied d’un silo en
partie effondré où à l’abri des regards, moitié amusé par son office et
moitié aux aguets, Quill se livrait à la fabrication de ces masques de
fortune, à partir de tout ce qui lui tombait sous la main. Les
résultats étaient grotesques, hilarants tant aucun ne ressemblait à
l’autre mais cela ne les dérangeait pas. Le devin pour sa part
retournait répandre ses histoires et personne ne le battait pour
raconter des histoires, sinon l’artiste de la Hache Brisée. Avant le
soir, ils étaient prêts.
48 - Pion, les choses en grand
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- Écrit par Vuld Edone
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