Aucun lieu du quartier est n’était réellement tranquille. Tout ce qui
s’y faisait, tout ce qui s’y disait ou s’y produisait était connu
rapidement avec, toujours, au moins un témoin. C’était inévitable de
part les rues bondées, les maisons pleines au point de les faire
s’effondrer et de par le peu d’espaces que laissaient les taudis
imbriqués les uns aux autres, dont les toits cachaient même le soleil.
Mais de même la pauvreté et le nombre étouffaient ces témoins et la
plupart trop abrutis ou trop faibles, qui se laissaient mourir en tas,
voyaient tout sans jamais rien dire pour ne pas s’attirer de nouveaux
problèmes. Ils observaient aussi indifférents aux événements que ne
l’étaient les murs et la pierre.
Beaucoup virent le noble et son
garde s’engager dans le quartier nobiliaire, par les ruelles étroites,
les petits chemins serrés si bien qu’ils devaient enjamber les corps.
Là où les employeurs passaient le plus souvent s’amassaient les
indigents, dans quelque espoir imprécis. Lui, vieux et rabougri, la
tête chauvine, le regard méchant, marchait sur une robe d’intérieur qui
se salissait dans les flaques d’eau. Il ne venait pas pour recruter
mais pour acheter le livre qu’un de ces pauvres lui avait trouvé, une
rareté qui complèterait sa bibliothèque personnelle. Pour l’obtenir, ce
magicien de la cour royale était prêt à supporter la pauvreté et les
maladies du quartier.
Son mercenaire était une femme, jeune mais si
sale et si maigre dans des chiffons sans âge et le visage si fatigué,
si torturé, les fossettes creusées, le teint pâle, qu’elle était plus
effrayante que le noble. Elle se serrait contre le petit ouvrage au
creux de son ventre, là où son estomac lui faisait mal depuis des
semaines. Le garde s’avança à la place du magicien et lança à la
pauvresse quelques pièces. Elle se jeta dessus pour les ramasser tout
en leur jetant des regards effrayants. Sa chevelure cassante dans la
nuit lui découpait le visage. Quand elle les eut toutes, quand elle eut
fouillé le sol et raclé la pierre avec ses ongles en quête d’une
dernière pièce, elle tendit le livre elle toujours accroupie et
cherchant la distance. Le garde s’en empara, aussitôt elle détala avec
son argent.
- En être réduit à payer des mendiants pour étudier son propre art. C’est pathétique.
Son
garde veilla bien à ne pas répondre malgré les mots qui lui venaient
aux lèvres. Il se détourna avec lui de la ruelle, sa main sur la garde
toujours en alerte. Le noble feuilletait l’ouvrage en hochant la tête,
plongé déjà dans son contenu comme s’il se trouvait à son bureau loin
de la misère. Ils remontèrent sans prêter attention aux plaintes.
L’obscurité pesait sur eux à cause des toits et de ces présences
partout qui les regardaient passer comme des êtres mêlés aux murs et
qui ne cesseraient pas de râler. Il pressa le garde pour rentrer. Un
détour leur permit d’esquiver cette foule par une ruelle plus étroite
encore que les autres, un petit dédale du quartier qu’ils voulaient
quitter rapidement. L’air empestait.
Devant eux au détour surgit un
personnage habillé de noir, capé, armé peut-être, dont le visage les
frappa sur le coup. Il portait un masque dont la forme évoquait un
soleil et que le peu de lumière parvenait quand même à faire briller.
Dans la nuit ses couleurs paraissaient chatoyantes. Ni le noble ni son
garde n’avaient encore entendu parler de la secte. Ils se méfièrent
néanmoins, le premier relevant le nez de son ouvrage, le second se
mettant en garde, l’arme toujours au fourreau. L’atmosphère était
viciée, pleine de la puanteur du quartier. Les maisons de ce lieu
contenaient peut-être des cadavres, une nouvelle maladie, ils ne
savaient pas mais en tout cas les relents étaient suffisamment affreux
pour évoquer la mort.
- Qu’est-ce qu’il veut ? Qu’il s’écarte !
Le
soldat aux côtés du noble serra les dents. Son instinct lui disait
qu’ils venaient de tomber dans un piège fréquent en ces lieux où la
pauvreté poussait au crime. Une foule sortirait des deux côtés pour se
presser sur eux, les étouffer et les dépouiller. Avec de la chance, ils
en ressortiraient vivants, sinon le nombre les écraserait sans y
songer, par un simple mouvement tant qu’il resterait quelque chose à
prendre. Un peu de force, beaucoup d’assurance pouvaient déjouer ces
tentatives que la convoitise produisait moins que la simple faim. Il
sourit, le magicien écrirait dans les énergies quelques noms et la
foule fuirait.
49 - Pion, le quartier nobiliaire
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- Écrit par Vuld Edone
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