Non seulement Ghendes Jan refusait de les recevoir mais les crieurs de
foule annonçaient même la fin de l’enquête. Ils en écoutaient un sur la
Voie magique alors qu’il faisait entendre les conclusions officielles.
Mederick T’Nataus n’avait pas donné signe de vie à cette occasion. Il
devait se sentir compromis de la pire manière. Si l’apothicaire
retirait ne serait-ce qu’une pièce de toute cette histoire, il se
considèrerait déjà chanceux. La meilleure option consistait désormais
pour lui comme pour son compagnon devin à fuir la capitale le temps que
les rumeurs s’estompent et, si possible, même si ce calcul avait
quelque chose de sordide, le temps que Mederick tombe entre les mains
du roi.
- Tu t’es surpassé, cette fois.
Le drogué pinçait ses
lèvres percées pris d’un petit rire insistant qui sur son visage tiré
par les drogues et rendu flasque le rendait simplement ridicule, sinon
fou. Il devait rire des conclusions de son frère l’enquêteur, toujours
un peu trop prompt aux conclusions. Quoique, paradoxalement, Ghendes
Jan ne s’était pas trompé : la secte provenait bien du noble par leur
intermédiaire.
- Nous pourrions nous installer à Etabane. Il doit y avoir beaucoup de rhumes à soigner là-bas.
- Tsk tsk ! C’que tu t’affoles ! Moi, il hoqueta, moi j’suis les fumées blanches, les fumées, toutes douces, les bonnes fumées.
Son
ami velu jusqu’aux mains, le visage rond et pesant, se frotta les yeux
de fatigue à force d’entendre le drogué déblatérer ses sornettes. Il
l’avait tant côtoyé que l’apothicaire croyait tous les devins adeptes
de narcotiques. Le voir mâchonner cet éternel bâtonnet entre ses
chicots noirs n’aidait en rien à l’image. Ils devaient partir cependant
et vite, avant que les gardes ne découvrent qui avait soigné Thorlof
L’Fyls, remontant jusqu’à eux, n’aient l’idée de les torturer un peu
pour retrouver Mederick. Les rumeurs sur la Garde Sombres, elles,
duraient depuis longtemps avec très peu de variantes, il préférait ne
pas les mettre à l’épreuve. Il poussa son ami qui hochant la tête
indolent se mit à marcher devant lui. Mais au lieu de descendre la Voie
magique il s’engagea par les ruelles et Quill, bien forcé, dut le
suivre en direction du quartier ouest. Ils quittèrent le Palace des
pauvres pour les étroits boyaux couverts de toits et de ruines
eux-mêmes emplis de visages ternes.
Arrivés devant une très vieille
poterne, face à une vaste bâtisse dont la fonction s’était perdue en
même temps que ses fondations, Vlades lui fit signe de mettre son
masque. Soudain le cœur de l’apothicaire bondit d’alarme. L’envie le
prit d’étrangler le drogué mais il obéissait bien forcé, il tira de la
besace sous sa cape un long manteau noir et le masque en forme de
soleil qui lui parut dérisoire. En hâte il regarda autour de lui si
quelqu’un pouvait les apercevoir, il s’attendait à la Garde Sombre sans
savoir que celle-ci, l’enquête déjà achevée, s’était retirée du
quartier ouest. Ils entrèrent.
- Si tu me fais perdre mon temps, je te promets une mort lente et douloureuse.
Sa
propre voix le surprit, comme à chaque fois qu’il mettait le masque car
celui-ci rendait le son grave et caverneux, presque effrayant. Il se
repentit d’avoir prononcé ces mots qui au travers de ce lourd ornement
durent paraître une véritable menace. Or le devin ne s’en formalisa pas
mais, mâchant le bâtonnet derrière son masque, faisait un bruit glauque
rendu plus affreux encore par son propre déguisement. L’intérieur de la
bâtisse, malgré quelques effondrements dans le plafond, était vaste et
noir avec seulement quelques parois et des piliers ici ou là. Ils
avaient du mal à distinguer quoi que ce soit. Un corps tomba à leurs
pieds, le corps tortillé, toujours vivant mais livide du nécromancien.
Quill était pourtant certain qu’ils l’avaient libéré la veille !
- Pitié ! fit une voix dans le noir. Ne nous tuez pas ! Nous avons fait ce que vous demandiez !
Une
douzaine de hères dans leurs haillons apparurent à moitié voilés par
l’ombre. Tous portaient l’un de ces masques que Quill avait
confectionné auparavant pour la mise en scène, ces masques grotesques,
informes, faits de tous les matériaux qu’il avait pu trouver. Il en
resta sans voix, incapable de comprendre ce qui se passait.
53 - Pion, bas les masques
- Détails
- Écrit par Vuld Edone
- Catégorie parente: Autres Genres
- Catégorie : Libra
- Affichages : 1238
Discuter de cet article
Connectez-vous pour commenter