Quill ne songeait plus qu’à ramasser le peu d’affaires et d’argent
qu’il possédait, puis s’enfuir le plus loin possible, au-delà de la
forêt, au sud peut-être. Pourquoi le sud ? Cette région appartenait à
son passé, il y avait quelques racines encore. Vlades pourrait
l’accompagner, Vlades, il ne cesserait jamais de lui poser des
problèmes. Le taudis était là, il faudrait juste attendre le lendemain,
quand les portes de la cité des seigneurs s’ouvriraient. La nuit, il la
passerait à la Hache Brisée. Si ce devait être sa dernière à la
capitale, soit parce qu’il partait, soit pour autre chose, autant
valait mieux que ce soit la bière à la main et l’ouïe rassasiée de
poésie. Il prendrait peut-être même un peu de drogue, à défaut de tabac.
Son
compagnon lui tombait contre le bras, plus bête que jamais. Il lui
cachait quelque chose, c’était clair, le devin avait ses propres
projets aussi vagues que les visions de ses pairs mais l’apothicaire ne
voulait rien savoir.
- T’es d’un nerveux ! Une vraie boule de nerfs !
- C’est généralement ce qui arrive quand il ne reste que vingt-quatre heures pour vivre vingt ans.
Il
poussa la porte branlante, il songea pour la première fois de sa vie
que sa maison avait pu être autrefois un cellier attenant dont le fond
aurait fini par céder au poids de l’âge. Pourquoi maintenant, pourquoi
il y pensait à l’instant de quitter ce lieu ? Tout lui semblait
différent dès lors qu’il devait tout quitter.
Une ombre le surprit
alors qu’il entrait. Derrière eux se trouvait un homme vêtu de noir, la
tête recouverte d’un capuchon et cachée jusqu’à la hauteur du nez de
sorte que lui et Vlades n’en voyaient vraiment que les yeux de métal.
Pas un instant l’apothicaire ne douta, il s’agissait de Lametrouble, de
l’assassin à la pièce. Il s’attendait presque à entendre cette dernière
tinter, une idée bête mais oppressante alors qu’il faisait face. À
présent que la rencontre avait lieu toute peur s’évadait de lui, il ne
lui restait qu’une sorte de flegme devant l’inévitable. Il constata
l’assassin derrière ses petits yeux ronds. Pour une fois dans sa vie le
drogué à ses côtés eut la bonne idée de se taire.
- Où est Mederick.
Déjà
Quill se demandait comment lui resservir l’histoire qu’il avait
racontée à Nathan. Quand on lui en laisserait le temps, jamais
l’assassin ne le croirait, il n’y avait de toute manière aucun intérêt.
À défaut, il répondit mécaniquement :
- Au Palace des Pauvres.
- Où.
Une
rage profonde à peine ressentie se transforma au premier de ses soupirs
en une fatigue frissonnante. Il la sentit partir du front derrière sa
tête jusqu’au bas du torse, une tension violente qui s’évadait de lui à
l’instant même de sa naissance. Aucune échappatoire, pensait-il, il ne
trouvait aucune échappatoire. Son silence n’eut pas d’effet visible sur
l’assassin. Il s’attendait à recevoir une lame en plein ventre, la
gorge tranchée, n’importe quoi. Il ne savait pas où se cachait le
noble, sinon, il aurait avoué.
- C’pas beau la curiosité.
La main
sur le front, l’apothicaire envisagea que son compagnon n’avait jamais
dit ça. Il fallait s’appeler Vlades pour défier l’un des plus grands
assassins du royaume. Ce dernier tira une dague, une seule, dont il
montra le bout de la lame par-delà sa cape, sans geste grandiloquent.
Une boule muette fit souffrir Quill dans son ventre.
- On fait son
grand méchant ? Eh eh, c’est qu’t’y crois ! Hein ? Mais en fait, mais
en fait, tu peux pas. Oh. On d’mande pas pourquoi ? Allez demande,
demande ! C’facile t’ouvre la bouche ‘om’ ‘a e’ ‘u a’i’u’… T’veux pas ?
Alors j’vais t’dire, j’vais t’dire pourquoi.
L’assassin devant eux
se raidit lorsque Vlades sortit de ses haillons un livre que Quill
reconnut immédiatement. Comment ? Il l’avait depuis tout ce temps ? Ses
yeux ronds s’écarquillèrent, s’enfoncèrent encore plus dans la peau.
L’air de rien le devin feuilleta son ouvrage aux pages blanches,
jusqu’à pointer dessus du doigt.
60 - Pion, confrontation
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- Écrit par Vuld Edone
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