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Chère Marie


Agent Marie Girard, matricule 44xxxxx


Objet : Projet Genesis


Cinquième jour d'observation dans la station Zéro. La couverture reste efficiente ; aucun soupçon parmi les membres de l'équipe de recherche. Risques de dévoilement évalués aux environs de 10%.

Tous m'acceptent comme membre à part entière grâce à la recommandation du professeur Dalbouy. J'ai assisté hier à une fouille de ma chambre ; sans doute en avaient-ils déjà réalisé une première le jour de mon arrivée, en mon absence. Dans tous les cas, j'ai adopté la procédure de dissimulation réglementaire (code 3.45, alinéa 7) afin de renforcer au mieux ma couverture. Rien n'a pu filtrer de ce côté-là.


Toutefois, il reste encore quelques réticences à vaincre. La place qui m'a été assignée pour le moment est un poste de catégorie B dans les sous-sols de la station et les tâches qui m'ont été confiées ne me permettent que d'appréhender une infime partie des travaux entrepris au sein de la station. Le secret est pesant ; les scientifiques que je côtoie tous les jours parlent peu, et leur silence s'accompagne trop souvent de sourires entendus ou de messes basses qui me font comprendre que, malgré toutes les assurances que j'ai pu leur fournir, ils ne me laisseront pas tout de suite accéder au savoir qu'ils dissimulent, au but réel qu'ils poursuivent. Les travaux que j'effectue limitent mon rayon d'action à une très petite surface à l'intérieur de la station, alors que tout semble se passer dans les étages supérieurs. Ils m'envoient très souvent pour des missions subalternes à l'extérieur de la station, dans la forêt : couper du bois, chasser, vérifier les collets. J'interprète ces ordres, que je partage avec des employés de catégorie C, pour la plupart des habitants du village voisin, comme autant d'épreuves pour tester ma solidité et ma sincérité.

Vous excuserez la description des détails de mon quotidien à la station : ils sont importants pour comprendre d'une part ce que je suis amenée à ressentir, et d'autre part le comportement des scientifiques, ce qui ne peut qu'aboutir à une meilleure appréciation des stratégies de pénétration potentielles que j'évoquerai tout à l'heure. Surtout, je vous demande, dans la mesure du possible, d'oeuvrer de votre côté pour me faciliter l'accès aux étages supérieurs, voire à un poste de catégorie A qui me permettrait d'en savoir davantage. Faites jouer, si cela est encore possible, la carte du professeur Dalbouy qui semble avoir un réel impact, pour aboutir à un arrangement qui assurerait en même temps le secret de ma mission.


Sur les possibilités d'intervention, je détaillerai dans un premier temps les différentes stratégies envisageables et leur taux de réussite et, dans un second temps, les données matérielles pour l'approche de la station.

De toute évidence, il est désormais établi que la station Zéro et ses membres n'ont plus aucun contact avec la cité et ne souhaitent plus en avoir. Les liens qu'ils sont parvenus à établir avec les communautés montagnardes, ainsi que la présence, pour eux bénéfique, de la forêt, ne font que favoriser leur autosuffisance et leur rupture ; par ailleurs, la forêt leur offre une protection que je qualifierais d'idéale : épaisse, labyrinthique, elle s'étend sur la quasi totalité du flanc nord du massif qui les camoufle. M'appuyant sur cette observation, je soulignerai le fait que les chances de pouvoir réétablir des relations saines et calmes sont extrêmement minces ; ici, la cité est vécue comme un lieu totalitaire et infâmant, et aucun des membres que j'ai pu questionner à ce sujet n'a l'intention de retourner y vivre un jour. Le taux de réussite de la voie diplomatique est, à mon sens, d'environ 20%. Il faudrait pour cela s'adresser aux bonnes personnes et il me faut encore un peu plus de temps pour les repérer.

Reste donc la manière forte. Je rappellerai ici une nouvelle fois, quitte à me répéter, la présence de la forêt ; elle masque complètement l'entrée de la station. Une troupe armée (par exemple) qui s'y aventurerait courrait le risque de s'y perdre ou d'alerter suffisamment tôt la station pour casser l'effet de surprise. Le taux de réussite de cette stratégie se situe autour de 30%. S'il m'est possible de trouver une carte détaillée de la forêt, ou à défaut d'en établir une moi-même, il peut atteindre les 45 voire 50%. Toutefois, j'ai réussi à découvrir un chemin praticable qui contourne la forêt et arrive en surplomb de l'entrée sud de la station. Le parcours pour l'emprunter est malheureusement très long, puisqu'il suppose de traverser tout le massif et la présence d'un autochtone comme guide me semble quasiment indispensable. D'ailleurs, c'est par l'intermédiaire d'un des ouvriers avec qui je travaille dans la forêt que j'ai eu connaissance de la voie en question. Le taux de réussite de cette stratégie d'approche serait, je pense, de 55%, à condition de faire appel à un commando d'élite, suffisamment préparé et suffisamment discret.


Pour conclure, je souhaite esquisser quelques hypothèses quant aux expériences qui sont menées dans la station, et ce malgré les difficultés que j'ai exposées plus haut. De toute évidence, les scientifiques qui occupent la station tentent de comprendre les causes de l'Apocalypse qui a touché la Terre voilà près d'un siècle et appliquent pour ce faire des méthodes scientifiques d'avant l'Apocalypse dont ils s'estiment à la fois les gardiens et les seuls dépositaires. Tout tourne, dans leur logique, autour du secret et de l'initiation : les connaissances ne se révèleront que par fragments, petit à petit, et à un nombre limité de personnes. Leurs expériences ne donnent donc lieu à aucun commentaire, mais seulement à un savoir intellectuel partagé et inaccessible. Je traduis ici, de la manière la plus claire et la plus synthétique, les paroles parcellaires et souvent absconses que j'ai pu entendre ici et là. J'en saurais plus dès que mon intégration au sein du groupe aura été optimisée.


En attente d'ordres nouveaux, je poursuis la mission telle que définie par l'acte d'engagement AZ 35.


***


Mon cher amour,


Sans doute est-ce un miracle si cette lettre t'est parvenue. Un de ces miracles que je n'espère plus, mais pour lesquels je prie. Rêver que tu me lises, que tu touches mes mots et les respires m'apporte plus de joie que la réalisation de ces stupides rapports. L'encre qui esquisse mes paroles d'amour et de tendresse est exactement la même que j'emploie pour rédiger les textes qui seront ensuite envoyés, après un examen minutieux, au quartier général de l'Office de Sécurité de la cité.


Mais pourquoi est-ce que je perds du temps, et de l'encre, à te parler de choses aussi stupides ?


Ce que je veux, c'est que nous soyons ensemble tous les deux ; c'est te prendre dans mes bras, t'embrasser, te posséder ; là, dans le placard qui me sert de chambre. Tu me manques ! Tu me manques ! J'ai l'impression, à t'écrire, d'avoir quinze ans, d'être encore la jeune fille qui te suppliais dans chacune de ses lettres de lui répondre le jour-même : « Joris, mon ange, mon Jojo ! Mon petit sucré ! ». J'alignais les mots doux le long des lignes, j'en connaissais des milliers et je n'avais jamais assez de papier pour tous te les écrire ! J'attendais de pouvoir enfin te retrouver et passer avec toi des après-midi entières !

Hé bien voilà, tu es redevenu mon Jojo, mon ange ! Je n'aurais jamais cru que d'être éloignée ainsi de toi ferait revivre en moi de tels sentiments... Comme si je voulais combler les espaces blancs hideux de la station par ta présence imaginaire...


Tu t'imagines bien que rien n'est véritablement joyeux ici. Tout est vide, je crois que c'est le mot. Le climat, à près de 2 500 mètres d'altitude se réduit le plus souvent à un vent glacial, et à quelques rayons de soleil, lorsque les nuages le laissent passer. La forêt dans laquelle je suis souvent amenée à travailler est affreusement sordide : chacune de ses branches semblent me désigner, ou cacher un espion qui me démasquerait, les arbres semblent tous morts, et pourtant nous ramassons des rameaux tous les jours... J'ai failli m'y perdre plusieurs fois après le coucher du soleil et me faire avaler par l'obscurité ! Tout y est hostile. La cité me manque.

Quant à la station, ce n'est guère mieux. Lorsque j'essaie de parler avec mes « collègues » de leur vie quotidienne, je n'arrive à obtenir que des sourires entendus, des réponses toutes faites et invariablement similaires. J'ai franchement l'impression d'avoir en face de moi des robots. Le froid a dû leur congeler les sentiments ! Ils ont bien aménagé une sorte de salle de repos, avec un échiquier et quelques livres, mais je ne vois jamais personne y traîner. Je dois bien être la seule à y passer plus de deux heures par jour, et je n'ai pas pu trouver quelqu'un pour m'apprendre à jouer aux échecs. Leurs vies se limitent à leurs travaux et à leur fonction au sein du groupe. Je ne veux pas que cela m'arrive, mais je deviens trop suspecte à leurs yeux dès lors que j'arrête de travailler. Et être suspecte est bien la dernière chose qui doit m'arriver.

J'essaie de ne pas oublier que je suis ici pour une mission politique. Une mission « vitale », comme me l'a répété le sieur Goldoni juste avant mon départ. Mais je m'en moque. Ce n'est pas moi qui espionne dans le dos des scientifiques. Ce n'est pas moi qui photographie à leur insu les documents qu'ils laissent traîner sur leur bureau. Ce n'est pas moi qui rédige ces rapports. C'est une sorte de moi de substitition, silencieuse et discrète, comme tous ceux qui vivent ici. Distante. Froide. Tu ne l'aimerais pas. Elle rôde dans les couloirs la nuit. Elle obéit sans protester aux ordres qu'on lui donne, d'un côté comme de l'autre. Elle remplit de notes des montagnes de carnets, les uns bleus pour être lus par d'égoïstes scientifiques, les autres noirs pour être déchiffrés par de tout aussi égoïstes bureaucrates. Je ne sais plus si c'est elle qui fait semblant d'être quelqu'un ou moi qui fais semblant d'être elle qui fait semblant...

Peut-être penseras-tu qu'à moi aussi, le froid a engourdi l'esprit... Je ne crois pas, au contraire. On ne peut guère faire autre chose que penser, entre ces murs. Dehors, il y a le vide et la neige, et à l'intérieur, aucune odeur et pas plus de variété. T'écrire me permet de revivre l'espace de quelques instants. D'arrêter d'écrire à la place de quelqu'un d'autre. D'aligner les mots sans y penser. Il n'y a rien de plus terrible que d'écrire tout en s'inventant une personnalité. Les mots ne sont plus des mots mais des unités de sens. Les phrases sont autant de messages codés qui en deviennent doublement interprétables, par celui qui le lit et par celui qui l'écrit ; le premier comme le résultat d'un processus sérieux, le second comme une farce de carnaval.


Rien que pour parvenir jusqu'à toi j'ai dû ruser ! Trouver un transport inédit ! L'homme qui t'a remis la lettre s'appelle Géronte, et je pense qu'il est sûr. Plus sûr que les voies « officielles ». Evidemment, ils vérifient le courrier que l'on envoie depuis la station. Et puis personne n'écrit à personne, comme si aucun d'eux n'avaient d'autre existence que celle de la station. Quand je dis « ils », je parle des scientifiques ! En réalité, je pourrais dire la même chose de mes employeurs de la cité : je ne vais pas m'aventurer à passer par leurs soins pour te transmettre une lettre. Je ne sais pas ce qu'ils en feraient. Ce n'est pas leur type de mots, vois-tu.


Ah ! Tu vois comme c'est facile, comme ils sont partout : ils ont infilitré jusqu'à mon encre et je n'arrive pas à m'empêcher de te parler d'eux ! J'essaie pourtant de me persuader que ce n'est pas ma vie. Ma vie, c'est toi et les enfants. Je pense à toi. Je ne pense qu'à toi !


Je t'embrasse mille fois,


Ta Marie


PS : Il faudra que tu remercies Geronte qui a accepté d'aller te porter la lettre en plus des rapports. Ce cher brave Geronte est la seule personne dans cette stupide station que j'arrive à apprécier. Les paysans qui vivent dans les montagnes – et qui sont odieusement exploités par des scientifiques qui ne valent pas mieux que nous, de la cité – méritent cent fois plus de vivre que le reste de l'humanité qui a eu le malheur de survivre. Nous n'avons rien appris, Joris. Nous sommes tous des rapaces infects !


***


Mon cher amour,


C'est un miracle, mais ça y est ! Je suis libérée de ma mission. Je suis enfin libérée de la mission que m'a confiée le sieur Goldoni !

Je dois quitter la station dès ce soir. Ils n'ont pas eu de difficultés à conclure un arrangement avec le professeur Dalbouy. Je vais enfin pouvoir quitter cet endroit vide.


Nous allons enfin pouvoir nous retrouver ! Après tous ces moments à rêver de toi sans te posséder ! Je ne pense qu'à toi !


Mes employeurs m'ont autorisée à te voir avant ma réintégration « officielle », car il faut encore garder le secret de ma mission. Je connais un endroit où nous pourrons être ensemble tous les deux : il y a une ancienne ferme à la sortie ouest de la cité. On la voit de loin depuis la route mais elle est entourée par un petit bois. Est-ce que tu te souviens ? On y passait des après-midi entières ! Ça nous rappellera de bons souvenirs... Attends-moi là-bas demain soir, à partir du coucher du soleil...


Je t'embrasse mille fois


Ta Marie


***


Ne lis pas la dernière lettre que tu as reçue de moi ! C'est un mensonge ! C'est un leurre ! C'est un trompe-l'oeil !


Ils l'ont écrite, pas moi ! Ils ont copié mon écriture, je sais qu'ils en ont les moyens, je connais leurs méthodes, je travaille pour eux !


Brûle-la ! Brûle-la tout de suite et oublie ce qu'elle contient !


Dis-moi qu'il est temps... Dis-moi qu'ils ne t'ont pas tendu un piège, qu'ils ne t'ont pas fait de mal, à toi et aux enfants... Je t'en supplie ! Je t'en supplie !


Je t'aime !


Je t'aime !


Je t'aime !


Je t'aime.


Qu'est-ce qu'ils ont pu te dire et te faire ? C'est horrible de n'en rien savoir, et d'être pourtant à peu près sûr qu'il te soit arrivé quelque chose... Ils ne font rien gratuitement, tu sais. Tout a un but, tout est calculé ; rien ne leur échappe à ces rapaces !

Je sais comment ils procèdent. J'espère que tu ne t'es pas laissé avoir et que tu peux encore me lire ; lire cette lettre qui est surtout pour moi un espoir, une chance à tenter... Je sais comment ils procèdent. Ils te donnent rendez-vous en se faisant passer pour un proche. C'est souvent un endroit secret, à l'écart, qui trouve une justification quelconque, masquée de façon presque anodine et cynique dans le faux message qu'ils envoient. Ils savent tout de ta vie et de tes moindres gestes. Les caméras nous surveillent à l'extérieur. Des micros à l'intérieur. Chaque habitant de la cité a son dossier, surtout quand quelqu'un de ta famille travaille pour eux. Ils savent quels sont tes besoins. Ils savent quelles sont tes peurs. Ils savent qui tu aimes et qui tu détestes. C'est le seul moyen qu'ils ont trouvé pour rétablir un semblant d'ordre après l'Apocalypse : le contrôle absolu de la communauté, sans restriction. Ils se contrôlent entre eux. Tu n'es qu'un dossier parmi d'autres, qu'ils n'ouvrent et referment que lorsque le besoin s'en fait sentir. Alors ils t'envoient cette fameuse lettre. Tu te rends à leur rendez-vous. Ils t'attendent. Ils ont des cagoules pour que tu ne voies pas leur visage quand ils te sautent dessus et te tabassent. Ils t'emmènent dans les bureaux, les yeux bandés ; puis dans une sorte de prison. Ils t'expliquent pourquoi tu es là. Ou plutôt à cause de qui tu es là. A partir de ce moment, je ne sais plus bien, je n'ai que des hypothèses. Ils te mettent en prison pour le reste de ta vie. Ils te tuent. Ils t'exilent à l'autre bout du monde. Ils t'enrolent de force dans leur milice. Je ne sais pas. J'ai vu beaucoup de personnes disparaître ainsi. Je ne veux pas que cela t'arrive !


Non.


Je ne veux pas que cela te soit arrivé.


Il y a peu d'espoir, en réalité. Je n'ai jamais vu une de leurs arrestations échouer. Il n'y a d'espoir que ce que j'ai pu mettre dans cette lettre que tu ne lis pas.


Ici, le froid est violent et continu. Le silence pesant. Des voix montent parfois, mais ce sont des hallucinations. La forêt me rappelle autant de menaces. La station n'existe pas vraiment, ou alors dans un temps à part, et ses occupants sont des fantômes qui rodent sans réfléchir, comme de patients condamnés. J'écoute souvent ce silence, seule dans la petite pièce qui me sert de chambre, et je pense aux ombres. C'est infernal, le silence. Ne rien entendre. Ne rien savoir. Ne rien voir.

Hier, dans la forêt, sous le grand arbre, Géronte vient me voir. Il est affolé. Son souffle rapide se fige en instants de vapeur au sortir de sa bouche. Il veut me parler. Il veut me dire qu'il est désolé. Je ne comprends pas bien pourquoi. Il me dit qu'en entrant dans les bureaux de la cité pour remettre mon rapport, ils l'ont fouillé, et ils ont trouvé le message que je destinais à Joris. Ils l'ont lu d'abord. Ils ont eu l'air de s'amuser ; du moins ils riaient. Ils ont regardé Géronte, ils l'ont remercié pour le rapport et lui ont dit qu'ils se chargeraient de remettre ma lettre à son destinataire. Avant de s'en aller, Géronte les a entendu parler d'analyse et de réécriture. Il était si penaud en m'expliquant cela. Comme un gosse. Je lui ai dit qu'il ne devait pas s'en vouloir, que c'était un risque à prendre, que les torts étaient de mon côté. Il m'a dit qu'il était prêt à retourner dans la cité pour remettre à Joris une autre lettre avant qu'eux n'arrivent à lui. J'ai griffoné des mots sur un morceau de papier que j'avais dans ma poche, mais sous le choc de la nouvelle, ces mots n'avaient pas de sens, et ne semblaient pas s'adresser à qui que ce soit. J'ai pourtant laissé partir avec le message Géronte qui, lui, semblait y croire encore.


Il s'est échappé par les bois.


***


Agent Marie Girard matricule 44xxxxx


Objet : Que le Projet Genesis aille se faire foutre


Dixième jour d'observation dans la station Zéro. Vous vous êtes bien moqués de moi. Vous êtes minables, tous.


Je ne veux même pas savoir ce que vous avez fait de Joris. Ça ne m'intéresse pas. Il me suffit de savoir qu'il a disparu, et je connais dans le détail l'ensemble des procédés auxquels vous allez le soumettre, comme de bons petits lâches que vous êtes. Je n'ai aucun respect, ni aucune peur vous concernant : sachez que j'évalue la part de cynisme dans votre attitude à 30%, les 70% restants n'étant que de la stupidité pure et simple. De la stupidité cruelle.


Je détaillerai dans un premier temps les différentes stratégies envisageables pour foutre en l'air le projet Genesis et, dans un second temps, toute la haine que je ressens.

La solution la plus simple consisterait à vous trahir et à rejoindre définitivement les scientifiques de la station, même si je ne partage pas leurs croyances et leurs idéaux. Je poursuiverais les recherches et aboutirais avec eux à la vérité que vous rêvez de découvrir : le secret de l'Apocalypse. J'atteindrais ainsi beaucoup plus facilement les échelons supérieurs mais vous ne recevrez plus aucun rapport de ma part, et je prendrais soin de démasquer tout autre espion qui sera envoyé pour me remplacer. Le taux de réussite de cette stratégie tourne autour de 35%. En effet, il me paraît évident que vous vous attacheriez alors à me discréditer et à faire sauter ma couverture, me condamnant ainsi à mort. Mais une autre solution existe, plus efficace sans doute, le taux grimpant à 55%, mais aussi dangereuse pour moi. Je pourrais me dévoiler entièrement aux yeux des scientifiques, leur expliquer qui je suis, d'où je viens, qui m'a envoyé... Au passage, je leur livrerais quelques informations susceptibles de les intéresser : la duplicité du professeur Dalbouy, l'état actuel de vos recherches, les différents plans que vous pensez mettre en oeuvre pour attaquer leur station ; ou bien même encore l'emplacement exact de vos bureaux, cachettes, habitations, si l'idée leur venait d'exercer contre la cité quelques représailles. Ils en ont les moyens, je ne vous dirais pas comment. Mes amis les scientifiques seraient ravis d'avoir connaissance de tout cela et peut-être me laisseraient-ils en vie – mettons cela à un taux de 45%.


Mais je m'inquiète assez peu de mourir, en réalité. Ma haine est telle que mon unique but désormais est de vous détruire, quel qu'en soit le moyen. Vous avez touché à ce que j'avais de plus précieux alors que la confiance que je déposais en vous était réelle, du moins dans la mesure où l'on peut avoir confiance en un gouvernement qui utilise la torture physique et psychologique et qui réduit au maximum la liberté de ses citoyens. Je pensais que vos actes les plus abjects ne s'exerçaient qu'à l'encontre de vos « ennemis », ce que j'analysais comme un simple réflexe de survie. J'ai appris à mes dépens que ce n'était pas qu'un réflexe, mais que c'était une doctrine.

La loi du talion s'appliquant encore dans notre monde en friche, elle m'autorise la vengeance la plus crue. Une infinité de solutions me viennent à l'esprit pour vous faire ressentir ce que je ressens, vous dont je connais les noms, mais, même si l'envie ne me manque pas, je ne prendrais pas le risque de vous les expliciter ici. D'une part pour que la surprise ne soit que plus fatale, d'autre part car vous risqueriez de me voler mes idées pour vos propres besoins.


Pour conclure, je vous précise, crétins dégénérés, que je serais insensible à ce que vous pourrez faire à Joris. Je le considère comme mort. Considérez-vous aussi comme crevés, d'ailleurs.


En attente d'ordres nouveaux, je vous emmerde.


Votre très chère agent Girard

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