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CHAPITRE 4 - Jeu de Dames

 Le Comte de Kryce était un homme cultivé, élégant et courtisé. Sans être craint, on le savait suffisamment habile diplomate pour le respecter au plus haut plan. Ce qui fascinait le plus son entourage était son tableau de chasse féminin. Les plus belles femmes de l’Empire, disait-on, s’étaient languies dans ses bras. La fille du Comte de Mancroy était devenue sa femme. Un mariage qui fit quelques jaloux car il scellait là un nouveau pacte qui lui ouvrit les portes de l’Empereur et aussi parce que la marié était de toute beauté. De leur union naquit une unique fille bien des années plus tard et la mère mourut vers ses dix ans.
D’autres bruits couraient sur lui dans les arrières cuisine. Les servantes disaient de lui qu'il était plus sec qu’un pois chiche, entendez par là qu’il était stérile. Aucun bâtard de lui n’était connu et pourtant, s’il en avait été autrement, on n’osait en imaginer leur nombre. D’ailleurs, ses infidélités avaient fini par contaminer son épouse puisqu’elle aussi multiplia les amants. Et ce qui se disait encore dans les arrières cuisines, c’était que sa fille n’était point de lui et que sa femme était morte de la syphilis. Bien sûr, les arrières cuisines étaient parfois beaucoup plus grandes qu’on ne  l’imaginait…
Toujours est-il que sa fille, Aurélia, était devenue alors une jeune femme. Certains auraient pu dire qu’elle n’était pas belle. En fait, elle était juste quelconque. Rien n’attirait physiquement l’œil chez elle, ni en mal ni en bien. Pourtant, c’était inexact. Elle possédait non pas de beaux yeux mais un regard particulièrement troublant. Ce qui en donnait toute sa puissance se situait juste au dessus. En effet, deux longs et fins sourcils en soulignait et amplifiait chaque expression, si bien qu’elle savait se faire tantôt espiègle, tantôt autoritaire, tantôt charmeuse. Et ce quelque chose la faisait régulièrement sortir des jeunes filles de la cour au même titre que les plus belles. Lorsqu’elle fixait quelqu’un, ses yeux produisaient une telle intensité qu’il se sentait unique au monde, comme si en le regardant un instant, elle lui faisait un don précieux. Mais sa plus grande qualité résidait encore dans son intelligence.
Elle se traduisait sous de multiples formes, la plus fascinante se manifestait dans les traits spirituels et mordants qu’elle savait décocher dans les situations les plus délicates. Ce n’est que lorsque son père en prit conscience qu’il s’intéressa vraiment à elle. Le Comte avait laissé sa fille aux mains de sa mère pendant toute son enfance et ne s’en préoccupa pour ainsi dire jamais. Le lien qui les unissait alors était étrange, fait d’un respect réciproque et froid. Puis, avec le temps et le décès de la mère, le Comte associa de plus en plus sa fille dans ses affaires et, chemin faisant, elle devint la personne la plus importante à ses yeux. Elle apprenait peu à peu les rouages invisibles de la diplomatie et de l’hypocrisie. Bien qu’elle eût de grandes prédispositions, elle sentait au fond d’elle-même toute la vacuité de ces simulacres. Le plus souvent, son intelligence souffrait de la médiocrité de son voisinage et seul son père lui semblait digne.
 Le violent incendie qui s’était abattu la ville avait marqué leurs deux esprits. Ils n’arrivaient pas à comprendre son étendu. Des témoignages confirmaient qu’il y avait eu plusieurs explosions ce qui sous-entendait une attaque d’un ennemi, mais en l’état actuel de chose, le Comte n’en voyait pas.  Plus exactement il n’en voyait aucun qui eut le cran nécessaire pour commettre un tel acte. Des ennemis, il en avait plein qui jalousait sa position, ses succès féminin ou même l’insolente santé de sa ville.
En effet, la ville était sillonnée par deux cours d’eaux majestueux. Les infrastructures du port permettaient également de cheminer les marchandises venues des océans jusqu’à la capitale. Pourtant, passer par Locelane constituait souvent un long détour et, régulièrement, les provinces voisines essayaient de faire valoir ce paradoxe pour obtenir le soutien de l’Empereur sur des travaux qui auraient permis de créer une alternative à l’aide d’autres ponts. Mais le souverain avait toujours refusé, d’une part parce que le Comte de Kryce avait prouvé son habileté à défendre ses intérêts et d’autre part parce qu’il aurait fallu choisir qui des trois prétendants aurait recueilli ses faveurs. Aussi, Locelane continuait à susciter jalousie sans que rien de sérieux ne vienne contester sa suprématie sur toutes les terres du sud.

  

Outre l’agitation des peuples du nord, avec les yhlaks en tête, il devait également faire face à des réunions plus ou moins secrètes autour de lui dont il n’avait pas réussi à établir le but. Ses soupçons se portaient sur l’ordre vuldonien et sur le Comte de Calignane, qui n’avait jamais digéré que sa femme pût partager pendant plusieurs mois la couche d’un coureur de jupon comme lui. Il ignorait si l’incendie était lié mais il voulait reprendre la main sur ce qui semblait lui échapper.
Ce matin, il avait demandé à rencontrer Michel Vautreuil. C’était un personnage très important avec lequel il entretenait des rapports ambigus. Il n’aimait pas l’ordre de Vuldone qui le jugeait sévèrement sur ses écarts conjugaux, mais il devait composer avec car son rayonnement se retrouvait partout. Ces dignitaires et lui jouaient un jeu de dupe, chacun arbitrant une partie où chacun avait besoin de l’autre. Mais Vautreuil était plus que ça, il chapotait la main armé de l’ordre qui s’étendait maintenant bien au-delà de l’empire des eldreds. Le Comté de Kryce abritait trois de leurs forteresses. Et les moines guerriers se moquaient souvent de son autorité pour agir sur ses terres sans le consulter. Il avait obtenu d’eux qu’à défaut de donner son accord qu’il soit informé.
Le Comte voulait connaître l’avis de la secte sur l’incendie et l’éventuel rôle du Comté de Calignane, le tout était de le découvrir sans montrer ses propres intentions et sa relative faiblesse. Il adorait ce type de défi et l’ordre oeuvrait souvent pour lui sans s’en rendre compte. Cette fois-ci l’enjeu pouvait être beaucoup plus important car donner un pouvoir supplémentaire à la province voisine risquait de déséquilibrer une bonne partie de l’édifice qu’il avait construit pour obtenir son crédit à l’échelon le plus haut, il avait suffisamment œuvré de la sorte par le passé pour parfaitement le savoir et le mesurer.
Amené par  Vautreuil, les religieux attendaient dans l’un des salons privés. Tout autour d’eux, les tapisseries à dominantes bleue et jaune, traçait l’histoire des eldreds. Plusieurs scènes clés de leur ascension qui permit de créer leur empire avaient été retranscrites. L’ensemble créait un climat un peu étouffant, car partout on pouvait y voir des combats et des notes rouges qui en soulignaient la violence. C’était tout particulièrement vrai sur le mur derrière le secrétaire où prenait habituellement place le Comte. Il aimait voir ce léger malaise produit sur ces interlocuteurs lorsqu’il avait des questions importantes à négocier. Quand il ouvrit la porte, il se retrouva face à face avec ces fous de Dieux au complet, le bras de fer allait commencer.
-         Cette nuit, j’ai fait un cauchemar. Je regardais ma ville brûlé et derrière moi, des hommes et des femmes se réjouissaient. Et ce matin, je me demande si vous n’auriez pas été parmi eux ?
L’attaque avait été brutale. Cependant, dans le choix de ses mots d’introduction, le sous-entendu que les religieux auraient pu prendre directement ou indirectement à ce drame restait sibyllin Les deux parties avaient pris l’habitude de ne pas cacher leur hostilité. C’était d’ailleurs l’une des grandes forces du Comte car il réussissait toujours à bâtir des accords de raison clairs et finalement respectés avec le Culte de Vuldone. Il repéra quelques têtes qu’il ne connaissait pas. L’un d’eux prit la parole. A sa surprise, Vautreuil restait un peu en retrait, comme s’il n’était pas le meneur du groupe
-         Cher Comte, je vois que vous êtes tout à fait à la hauteur de votre réputation. Comment pouvez-vous imaginer que l’Ordre se réjouisse des morts de ses fidèles, car, vous l’oubliez peut-être, Locelane est nettement plus croyante que vous…
-         Cher inconnu, je n’ai pas l’honneur de vous connaître. Ne vous formalisez pas de ce rêve, je tenais juste à vous en faire part, car jamais je ne tolérais que Locelane soit victime de basses manigances.
-         Effectivement, je ne me suis pas présenté. Jacques Dormont, Sénéchal de Calignane.
-         Tiens donc. Et comment va le Comte ? La dernière fois que je l’ai vu, sa femme était souffrante.
L’allusion à la jalousie maladive du Comte de Calignane fit mouche et quelques sourires se dessinèrent sur le visage contracté de ses interlocuteurs. Il séquestrait son épouse à chaque séjour de son voisin. Les autres invités se présentèrent également. Le fait que l’ordre puisse réunir plusieurs hauts dignitaires de ce rang sur ses propres terres dans de telles circonstances l’intrigua.
- Je pensais avoir sollicité en entretien avec l’Ordre. Mais je vois que c’est vous qui allez me solliciter. Je me trompe ?
- Effectivement, vous n‘êtes pas sans ignorer que l’insolente prospérité de Locelane fait la jalousie de tous les Comtés voisins. Et bien, notre Ordre est prêt à s’intéresser à un projet que je qualifierais de très perturbant pour votre si belle ville.
- Et que faut-il faire pour que j’en sois informé ?
- Que vous le soyez nous parait naturel. De toute façon, il est déjà aux mains de l’empereur, donc vous ne tarderez pas à le savoir dans tous les cas. Il s’agit d’un vaste projet de route pour rapprocher la capitale de vos voisins…
- Effectivement, voici qui serait… perturbant. Et vous qu’avez-vous à gagner ce matin ?
- Ou à perdre car vous êtes l’un des Comtés où, malgré nos différents, nous avons le plus de libertés.
En effet, le Comte avait quasiment laissé l’Ordre s’occuper de la défense de son Comté. Les trois abbayes des moines guerriers constituaient de tels bastions militaires qu’il avait trouvé inutile de gaspiller son argent dans des milices pour faire respecter l’ordre. A la place, il avait constitué une police qui quadrillait les principales villes du Comté pour faire respecter la loi. Et les brigands y étaient impitoyablement condamnés, les bourgeois et les marchands appréciaient ce cadre pour leurs affaires. La seconde mission de cette police était de le tenir informé de tout ce qui s’y passait, et les mêmes bourgeois et marchands appréciaient moins que le Comte s’immisçât parfois dans leurs transactions.
- Vous voulez également dire l’un de vos plus grands pourvoyeurs de fonds.
- Pas seulement, votre bienveillance sur certaines de nos missions vous honore. Mais nous sommes à la croisée des chemins. Cette route modifierait tous les équilibres établis. Il ne va pas sans dire que ce serait la fin de Locelane…
Le Comte n’avait pu dissimuler sa contrariété. Cette nouvelle était d’une gravité extrême. Si le projet aboutissait, tous les marchands pourraient éviter Locelane pour gagner la capitale, surtout si on construisait des ponts. Il chercha à gagner du temps et reprit l’objet initial de la réunion.
- Chaque chose en son temps, pour l’heure, je souhaiterais connaître votre opinion sur l’incendie. Mes informateurs me parlent d’explosion. Moi, j’emploierais le mot de sabotage. Et vous ?
Vautreuil avança et reprit la parole.
- Nous avons les mêmes conclusions. Mais nous n’avons pu identifier aucun complot assez puissant pour un tel travail.
- Vous n’êtes pas sans savoir que nous avons trouvé sous les décombres plusieurs galeries souterraines. J’avoue qu’une idée m’avait furtivement traversé l’esprit. Qui aurait eu intérêt à payer les kobolds ?
- Décidément vous êtes ce matin très suspicieux à notre égard !
- Possible, mais je ne vois pas en quoi la jalousie de mes voisins pourrait en être à l’origine. C’est trop voyant. Et je n’ose imaginer la colère de l’empereur pour un tel acte s’il venait à l’entendre… Vous admettrez qu’il ne me reste plus grand choix…
- Peut-être les kobolds pour leur propre compte…
- C’est effectivement une possibilité. Mais si tel était le cas, alors nous aurions tout lieu d’attendre une véritable guerre…
- En tout cas, ce serait aujourd’hui plutôt notre conclusion, monseigneur…
Le sénéchal de Calignane prononça ces mots en faisant une révérence qui signifiait qu’ils souhaitaient prendre congé. Partir à ce moment précis donnait l’ascendant à l’Ordre car le Comte était obligé de revenir vers eux avec une monnaie d’échange. A l’heure actuelle, il disposait d’un atout qu’il n’avait jamais utilisé et qu’il avait toujours gardé en réserve, mais cet atout ne pouvait servir qu’une fois et il lui était tout particulièrement précieux. Comme cette décision ne pouvait se prendre dans la précipitation, il fit un signe de la tête pour congédier la délégation.

Il était rare de voir le Comte pris au dépourvu. L’entretien de ce matin s’était donc terminé sur deux aveux d’impuissance. Tout d’abord, contrairement à ce qu’il avait imaginé, il semblait que l’Ordre de Vuldone ne soit pas à l’origine des sabotages. Il s’était refusé à imaginer que le peuple souterrain ait réussi à faire taire ses perpétuelles tensions internes pour bâtir un projet d’envergure. A moins que ce ne fut l’œuvre que d’un clan pour montrer son pouvoir sur les autres… Cette race était si compliquée à comprendre. Combien de fausses alertes avait-on fait remonter à l’empereur à leur sujet ? C’était toute sa difficulté : se taire ou  alerter tout l’empire.
Quant aux manigances de Calignane, il n’arrivait pas à cerner la position et le véritable rôle de l’ordre. Il avait toujours emporté la mise grâce à sa connaissance de la cour impériale et de ses relations avec le suprême souverain. Mais s’il actionnait une nouvelle fois ce levier, il ne tirerait aucune gloire en agissant de la sorte, il risquait même d’émousser son ascendant diplomatique sur les comtés voisins, car il montrait son extrême faiblesse. Ses ennemis le craignaient principalement à cause de sa capacité à gérer seul ses difficultés. Le recours à l’empereur était pour lui une menace qu’il aimait faire planer, ou plutôt qu’il jubilait à deviner dans la tête de ses ennemis. Dans le cas présent, il réalisait qu’elle aurait juste repoussé une échéance, car ce projet avait du sens et il le savait.
Pour obtenir le soutien de l’ordre, il aurait fallu lui donner encore plus d’autorité mais cette idée le répugnait. Il devait trouver une solution plus conforme à son esprit, une solution qui ne lui coûterait rien et qui pourtant lui ouvrirait leur faveur. Cette solution, il ne le savait pas, était à portée de sa main, un peu plus loin que son château, à quelques lieux d’ici, dans une forêt, à la poursuite d’une autre menace qu’il ne connaissait pas. En effet, contrairement à leur accord, Vautreuil ne lui avait pas encore communiqué son ordre de capturer les unités elfes noirs qui semblaient avoir pris position tout autour de la ville, comme à leur habitude, dans le plus grand secret. En fait, le sénéchal avait pensé le faire lors de l’entretien de ce matin, conformément à l’accord qu’il avait passé avec le Comte. Mais la venue du supérieur du comté voisin n’était pas prévue.
Ces dernières semaines, l’Ordre avait découvert plusieurs cadavres abominablement torturés et plusieurs témoignages concordaient. Cependant, l’incendie avait également mis le doute dans son esprit, les kobolds également avaient réputation de commettre de telles exactions. Se pouvait-il que ces deux races se soient alliées pour un projet de grande envergure contre les eldreds ? Et la rumeur que les peuples du nord s’agitaient rajoutait une dimension qui nécessitait la plus grande attention. Plus que les tractations entre l’Ordre et les comtés voisins, une question le préoccupait : quel pouvait être le lien de toute cette soudaine agitation ? Et pourquoi l’Eldred et Locelane tout particulièrement semblaient en être le cœur ?

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Aurélia devina immédiatement que son père était contrarié, et même qu’il avait quelque chose à lui demander. Cependant, elle lui laissa aborder les raisons. A sa surprise, son père évitait toute allusion à la réunion et se préoccupait des travaux que nécessiterait la reconstruction des deux quartiers les plus touchés par le feu. Il lui avait demandé la veille de s’occuper des familles sans logis. De son côté, elle avait pris l’initiative d’organiser une collecte de nourriture en sollicitant la guilde des marchands de la ville.
L’heure du repas arriva. Le Comte ne pût empêcher une certaine gêne s’installer entre eux.  Avec une once d’agacerie, sa fille lança la conversation.
-         Alors, père, qu’avez-vous à me dire de cette réunion de ce matin ?
Il se mordit la lèvre inférieure avant de répondre.
-         Je vois que je ne peux rien te cacher… En fait, j’ai même trop de choses à te dire…
Son père n’avait pas l’habitude d’hésiter. Même contrarié, il savait lancer des discussions secondaires pour lui laisser le temps de réfléchir. Ses qualités d’orateur l’avaient toujours permis de sortir des situations les plus délicates en gardant la tête haute, y compris dans sa vie la plus privée.
-         Et bien, commencez par le plus difficile, et vous verrez que vous vous en sortirez mieux, se moqua-t-elle.
Et c’était bien là tout le problème, le Comte cherchait depuis ce matin une autre issu à celle qui l’avait imaginé face aux vuldoniens. Il regarda sa fille et il en fut fier, quoi qu’ait pu dire la rumeur sur sa légitimité. Elle était dans l’âge où les jeunes femmes resplendissent. Elle savait s’embellir, souligner ses charmes avec discrétion. Cela faisait à peine cinq ans qu’il s’était véritablement intéressé à elle et s’en voulait de ne pas avoir toujours été un bon père. A défaut, il voulait être le meilleur précepteur pour la vie qui l’attendait. Et les évènements s’accéléraient d’un coup pour qu’il envisage de la perdre.
-         Tu as raison. En fait, la réunion s’est bien passée. C’est plutôt ce que j’y ai appris qui est la cause de mon tracas.
-         Mais encore, insista-t-elle avec un large sourire charmeur qu’il ne lui connaissait pas.
-         En fait, le Comté de Calignane serait sur le point d’obtenir une nouvelle route et surtout des ponts pour rapprocher la capitale des côtes. Je prends cette menace très au sérieux car c’est l’Ordre lui-même qui m’a prévenu.
-         Je comprends mieux votre air soucieux. Mais l’Empereur vous a toujours défendu !
Alors il plongea ses yeux droits dans les siens. Sa fille elle-même ne put s’empêcher de le trouver beau malgré son âge. Ses yeux métalliques étaient renforcés par son teint mat et ses cheveux noirs qui blanchissaient sur les tempes. Une fine moustache soulignait sa lèvre supérieure. Tout était inhabituellement grave chez lui. Il la saisit par les épaules.
-         Tu es le dernier atout que j’ai et je refuse de le donner.
-         Et pourquoi s’il le faut, s’offusqua-t-elle.
Il fut effrayé par l’autorité de sa fille et la résignation à ne vivre que dans le sacrifice. Elle avait toujours su que son destin serait d’être offerte au nom d’une alliance et l’avait accepté depuis longtemps. Avec cette proximité de plus en plus forte avec elle, sans savoir pourquoi, il se rendit compte qu’il souhaitait autre chose à sa fille.
Nouer une alliance au profit de son père en se mariant ne l’effrayait pas et plus le prix à payer était fort et plus elle acceptait de bonne grâce. A vrai dire, elle ignorait le prix exact puisqu’elle n’avait jamais connu l’amour. Mais à cet instant précis, elle ne voyait pas plus belle occasion que de sauver son comté natal.
-         Et qui sera mon futur époux ?
-         Le fils du Comte de Calignane, à moins que l’Ordre n’ait une autre idée derrière la tête.
A ces mots, il avait retiré ses mains des épaules de sa fille. Pour la première fois de sa vie, il se répugna à manipuler une femme pour défendre ses intérêts.

 

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