CHAPITRE 7 - Quelques Pas de Danse Lorsqu’ils rejoignirent l’elfe, elle avait déjà réuni quelques brindilles et branchages et avait commencé à activer le feu. Ils déposèrent les branches et les disposèrent pour que les flammes les recouvrent progressivement. Pendant ce temps, elle avait sorti trois bols dans lequel elle mélangeait divers ingrédients avec de l’eau. Puis elle isola quelques braises pour faire chauffer l’ensemble, goûta régulièrement la mixture et corrigea l’assaisonnement de quelques épices.
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Les deux humains avaient fini par s’écrouler de sommeil sur leur victime. Celle-ci ne dormait pas. Ses yeux étaient plus brillants dans la nuit que les dernières braises agonisantes du feu. Elle chercha à se dégager en poussant Guyrian qui grogna. L’alcool les avait assommés d’un coup. Ils étaient dans un pays de rêve où le danger qui se mouvait sous eux tel un serpent n’existait pas. Du bout du pied, elle retourna Milfred. "Toi ! Toi tu vas savoir que souffrir est un art et que vivre est parfois plus difficile que mourir … ". Il ne réagit pas, tout au plus grogna-t-il. " Guyrian, le beau Guyrian… Tu aurais pu faire un bel amant pendant quelques jours… ". Elle s’agenouilla à sa hauteur puis plaqua fermement sa bouche contre la sienne tout en lui bouchant son nez. Il poussa des cris étouffés en même temps qu’il se réveilla. L’elfe tint parole, elle continua à s’amuser jusqu’aux premières lueurs de l’aurore. Alors que partout les chants d’oiseaux se faisaient écho aux uns aux autres, elle mit côte à côte ses deux victimes. Curieusement, elle avait épargné le visage de Mildred de tout coup. Mais ses vêtements souillés de sang prouvaient qu’elle s’était tout particulièrement acharnée sur lui, elle avait été jusqu’à lui trancher un téton. Guyrian avait abandonné toute fierté et pleurait. Il avait peur de mourir, mais en même temps il comprenait son châtiment. Il attendait juste le coup de grâce.
Elle s’interrompit pour contempler l’effet de sa tirade. Elle fut déçue par l’amorphisme des deux humains. Mais elle était habituée. Peu de ses victimes gardaient suffisamment de force pour réagir réellement, voire même comprendre ce qu’ils allaient vivre. ** La ville était encore sous l’état de choc, de nombreux gardes veillaient aux portes et patrouillaient dans les rues. L’incendie avait laissé son empreinte dans tout Locelane avec sa forte odeur acre et les nombreux tourbillons de cendres. Mais la vie avait déjà repris le dessus aidée par une journée qui s’annonçait radieuse. Aynariel s’étonnait d’être toujours aussi détendue et se félicitait de ne pas être seule. Accompagnée, elle passait beaucoup plus inaperçue que d’habitude. Aussi étrange que cela puisse paraître, Milfred oubliait peu à peu toutes les exactions qu’elle avait commises sur lui et son ami, il oubliait même cet ami qu’il espérait du fond du cœur déjà mort. Sa présence permanente autour de lui, les effluves discrets et raffinés qui se dégageaient de sa coiffure commençaient le travail d’un autre poison. Les effets de son ivresse de la veille avaient complètement disparu et, peu à peu, émergeaient d’autres images de la nuit dernière. Même sous la contrainte, elle s’était donnée à lui. Il avait abusé de ce corps parfait dont l’image éclairé par le feu de leur camp se réveillait à chaque son émis par sa bouche.
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Les deux humains et l’elfine avaient parcouru les derniers lieus dans un silence de plus en plus gênant. Ils avaient cru entendre des chiens aboyés toute une partie de la journée sans arriver à savoir s’il s’agissait d’une chasse ou d’une battue pour les capturer. Comme la menace s’était estompée à mi-journée, ils avaient pu ralentir la cadence pour ménager leur monture. Les deux amis en profitèrent pour organiser un petit concours pour savoir qui rapporterait en premier un gibier. Milfred revint le premier avec un lièvre à la main, tandis que Guyrian arriva bredouille et essoufflé.
- Il y a des hommes, s’écria-t-il. Des soldats. Plein des soldats.
Il reprit son souffle un instant et se redressa vers leur nouvelle compagne.
- Soit ils cherchent Aynariel, ce qui voudrait dire qu’elle est beaucoup plus importante qu’elle nous l’a dit, soit ils cherchent autres choses… En tout cas, ils sembleraient que l’Ordre de Vuldone soit décidé à les capturer.
A ces mots, quelques signes de contrariété marquèrent comme un éclair le front de l’ambassadrice. Aucune réponse ne sortit de la bouche de l’elfine. Tous furent d’accord pour différer le repas au soir. Ils reprirent leur chemin et cette fois-ci, ce fut elle qui s’enferma dans son silence.
Le soleil commençait à décliner et retirait peu à peu l’éclat aux couleurs des arbres et de leur feuillage. Un début de fraîcheur humide commençait à les envelopper. L’elfine qui avait les épaules dénudées frissonna et s’arrêta pour mettre un châle.
Quant à lui, Guyrian devait toujours lutter pour ne pas tomber sous le charme de l’elfe. Elle savait se faire enjôleuse et mutine à chaque instant où il doutait de sa profonde nature. Il n’était plus aussi affirmatif qu’au matin, car il avait compris que cette race était infiniment plus complexe que lui, simple l’humain. Ce qu’il pouvait prendre pour un signe de cruauté ou d’ironie pouvait fort bien n’être qu’un trait d’esprit qui lui échappait. Et c’était d’ailleurs arrivé à plusieurs reprises. Peu à peu, il s’était habitué à cette humour parfois si déstabilisant de l’elfe.
Milfred avait cette expression que Guyrian lui connaissait quand il avait une idée fixe dans la tête. A plusieurs reprises, il avait cherché à communiquer avec lui, mais ce dernier semblait ne pas vouloir être entendu par l’elfe. Plus surprenant, il suggéra de camper une nouvelle fois alors que Locelane n’était qu’à quelques coudées.
- Il vaut mieux éviter de dormir dans une auberge. Nous aurons tout loisir d’agir librement en plein jour au milieu de la foule sans attirer trop l’attention.
- C’est exact, fit l’elfe.
La remarque l’avait surprise mais elle avait beaucoup de bon sens. Elle s’était montrée suffisamment inconsciente la nuit dernière pour s’autoriser quelques excès de prudence. Même si elle avait senti la tension ne pas cesser de monter et deviné qu’elle en était la cause, il lui appartenait à elle de la rompre à tout moment. Elle avait son plan pour pouvoir entrer dans la cour du Comte de Kryce et les humains en faisaient partie.
- Souhaitez-vous que ce soit moi qui vous prépare un repas ? Je vous dois bien ça… Et rassurez-vous, une elfe rouge n’a pas besoin de poison pour se défendre…
Milfred ne perdit pas une seconde et proposa de s’occuper du bois pour le feu. Il tenait enfin l’occasion de discuter à l’écart avec son ami. Leur compagne occupait toutes ses pensées, il l’épiait pour trouver un moyen de lui plaire et l’attirer et à lui. C’était d’ailleurs principalement son attitude qui avait créé ce climat si pesant.
Ils s’éloignèrent suffisamment pour ne pas être entendus. L’elfine devinait et comprenait leurs besoins de comploter, mais elle était également soulagée de ne plus se sentir observée dans le moindre de ces faits et gestes. A dire vrai, elle se doutait de leurs intentions mais elle avait confiance dans ses deux poignards qui ne la quittaient pas.
Les deux humains s’agenouillèrent pour ramasser des branches mortes. Milfred ne n’entama pas la discussion comme il l’avait souhaité. Il cherchait ses mots pour sonder son ami. Il finit par se lancer en tâtant le terrain.
- Alors, que fait-on pour Aynariel ?
- Que veux-tu dire ?
- Je ne sais pas, enchaîna Milfred, mais je n’ai pas confiance.
- Tu dis ça parce qu’elle te trouble ou parce que j’ai plus de chance que toi de l’avoir dans ma couche !
- Mais enfin ouvre les yeux ! C’est une elfe noire !
- Et alors, on le savait dès le départ, non ! Si elle était si cruelle qu’on le dit, pourquoi aurait-elle épargné Mirropek ?
- Je ne sais pas. Mais ce soir je ne peux m’empêcher d’être méfiant.
- D’accord, si tu veux… Mais que veux-tu qu’une femme seule fasse contre deux hommes comme nous ! Je crois que c’est elle qui devrait se méfier de nous…
Milfred n’avait fait que contourner ce qui le préoccupait vraiment. En fait, qu’elle soit une elfe noire l’excitait au plus haut point. Il n’avait cessé d’essayer de lui faire baisser sa garde sans jamais y réussir une fois. A chaque fois, elle parvenait à le remettre à sa place, si bien qu’il avait fini par se taire parce qu’une idée lui avait traversé l’esprit. Et il avait besoin de son ami pour l’exécuter. Il voulait cette elfine à lui. Il voulait la posséder à n’importe quel prix. C’était devenu une fixation chez lui. Il savait Guyrian plus tendre, sans doute plus romantique. Mais ils avaient devant eux une créature sublime et sans doute plus corrompue que toutes les femmes qu’ils avaient pu côtoyer.
- Je la veux, Guyrian. Tu m’entends, je la veux et je la veux cette nuit même.
- Oh seigneur ! Que veux-tu dire ?
- Tu m’as très bien compris…
Bien sûr qu’il avait compris, à dire vrai, il l’avait compris avant même qu’il ouvre la bouche.
- Regarde comme elle est belle. Et tu n’as pas vu son corps quand tu te couchais. Comment dire, moi, je ferme les yeux et je le vois encore !
- Mais nous avons toujours gagné entre nous à la loyal !
- Qui te dit que nous ne gagnerons pas tous les deux ? Seulement, il faut que je sois sûr de toi…
Quand Guyrian avait regagné sa couche après avoir retiré les cuissardes de l’elfe, il n’avait effectivement qu’entraperçu une silhouette. Et il avait passé une partie de la nuit à essayer de reconstituer les formes et détails de ce corps félin qu’il avait côtoyé toute la journée. Et tout cet imaginaire nocturne remontait dans son esprit.
- Concrètement, comment tu veux t’y prendre ? T’as vu ce qu’elle a fait de Mirropek ?
- Mais c’est ça qui est excitant. N’as-tu jamais été attiré par le danger ? Par une proie plus forte que toi ? Moi si ! Mais je me suis fait la promesse de les capturer ! Et Mirropek n’est qu’un gros lard ! Nous valons bien plus que lui…
Le fait qu’elle ait elle-même consommé la sauce rassura instantanément les deux jeunes hommes. Ils se chargèrent de fabriquer la broche du lièvre et tous trois s‘occupèrent de sa cuisson à tour de rôle.
- Je vous préviens, je ne suis pas grande cuisinière, mais cette sauce est une spécialité de mon pays. Si vous l’appréciez, c’est plus grâce au secret des épices qu’à celui de mon véritable talent.
Effectivement la sauce avait une consistante un peu grumeleuse, mais elle avait été préparée avec les moyens du bord. Ils la goûtèrent du bout de leur index et furent assaillis par des saveurs exotiques et inconnues. Elle leur sembla très forte et eurent même une légère grimace de recul. Aynariel sourit de leur réaction.
- Il ne faut pas la manger toute seule, mais tremper directement la viande dedans. Vous verrez, c’est nettement meilleur.
Effectivement, elle soulignait merveilleusement le goût du gibier. Habitué à abuser des sauces, ils eurent tendance à en mettre de manière grossière si bien qu’ils finirent le bol bien avant d’avoir terminé leur morceau de lièvre. Les épices avaient fini par chauffer leur palais à tel point que Milfred suggéra de déboucher une bouteille d’eau de vie. Après l’avoir goûtée, ils en proposèrent à leur nouvelle compagne.
- Oh ! Je n’ai pas l’habitude de boire les poisons des humains, se moqua-t-elle.
- Celui n’a jamais tué personne, rétorqua Milfred en prenant une seconde rasade. Beaucoup moins que ceux des elfes noirs…
- Mais vous avez fini avec cette histoire d’elfe noire, trancha-t-elle avec une voix agacée. Et si je goûte de ce breuvage, vous me verrez telle que je suis ? Je vous dis que je suis une Rayonnante ! Je peux même vous chanter un poème d’Avalon, si vous y tenez. Une elfe noire vous aurait certainement égorgée à la place…
Aynaryel s’exécuta. Sa voix sortit d’abord comme un murmure, puis de modulation en modulation, elle envahissait l’espace d’une douce langueur. Guyrian crût même apercevoir un début de larme dans le coin de son œil. Et effectivement, elle s’interrompit soudain, comme si la chanson avait appelés de vieux souvenirs du plus profond de son être jusqu’à en étouffer sa voix.
- Excusez-moi… Mais nous aimons tant notre île et il y a si longtemps que je n’y suis pas retournée…
Cette montée d’émotion la rendit soudain plus accessible aux deux jeunes hommes. Pour la première fois, elle leur apparut presque humaine. Guyrian regarda Milfred pour voir si ces derniers instants avaient pu changer ses intentions. Rien ne trahissait un changement, si ce n’est qu’il la regardait de plus en plus fiévreusement. Il tendit à nouveau la bouteille à sa voisine. Elle eût un léger geste de recul, mais porta à nouveau le goulot à sa bouche.
- Nous avons des alcools très voisins finalement, fit l’elfine en la faisant tourner à son autre voisin.
- Et nous avons toute la nuit pour la vider ! Faisons la paix entre nos peuples et amusons-nous !
Guyrian essayait de détendre son ami, qui subissait déjà l’influence de l’alcool. Quand la bouteille arriva à nouveau vers l’elfe, elle fit mine de passer son tour. Milfred s’en offusqua.
- La paix entre nos peuples est-elle déjà finie, dit-il en pressant le goulot vers la bouche de l’étrangère.
Il s’était également saisi de son épaule. C’était quasiment la première fois qu’il avait un vrai contact physique avec elle. Sa main se contracta.
- Allez, buvez, vos yeux sont encore plus beaux depuis que vous avez bu !
Le liquide se répandit autour de sa bouche et coulait le long de son cou tendu dans un geste de recul. Toute sa gorge était cambrée. Devant les éclairs qu’elle lança des yeux. Milfred la lâcha. Sa robe avait été maculée également, mais elle sembla l’ignorer. Elle hésitait à se venger de cette impudence, mais elle se rappela qu’elle avait besoin d’eux.
- Excusez-moi, dit Milfred en reculant. C’est sans doute l’alcool.
- Allez, je ne vais pas gâcher notre dernière soirée avec ma sale fierté elfique, sourit Aynariel.
- Et elle reprit à son tour une rasade. Sa tête commençait également à tourner.
Bien qu’elle sut qu’elle faisait une nouvelle bêtise, elle eût envie de laisser la vie s’écouler librement, sans arrière pensée, sans mission à accomplir ou image d’elle-même à imprégner sur les autres. Ce n’étaient que des humains qu’elle ne côtoierait sans doute plus jamais dès que la rencontre avec le Comte de Kryce aurait eu lieu. Pendant quelques heures, elle voulut chasser son passé de son esprit, son exile et sa colère. Cette bouteille lui offrait exactement ce dont elle avait besoin : l’oubli de soi.
Elle tenait depuis plusieurs minutes le goulot.
- Hé ! Chacun son tour, s’égaya Guyrian également grisé. D’abord, tu es à deux doigts de tuer, puis tu pleures ton pays. Et d’abord, qui es-tu, toi ?
Sans s’en rendre compte, elle se mit à parler en l’elfe.
- Qui je suis ? Voilà une bonne question ! Allariel, Ameryel, Aynariel, ces noms ne riment à rien ce soir! Qu’importe les noms, puisque quoi que je fasse, je suis la même. Et à la fin je suis toujours perdue et seule ! Tant de morts me hantent… Tant de morts… Et d’autres encore me hanteront ! Qui suis-je ? Je l’ignore. Je sais juste que je n’appartiens plus à ce monde. JE N’APPARTIENS PLUS A CE MONDE !
Elle s’était levée sur ces derniers mots et les avait repris dans la langue des humains. Elle se mit à rire de sa réaction. Les deux humains sentirent que pour la première fois ils l’avaient vue baisser sa garde. Ils n’avaient jamais entendu cette langue. Elle produisit sur eux un sentiment que l’ivresse amplifiait, c’était comme si la nuit les avait enfermés dans un cocon avec un papillon en train de naître.
Guyrian s’approcha d’elle et lui prit les deux mains pour commencer une danse imaginaire. Au fur et à mesure qu’ils coordonnaient leurs pas, Milfred commença à rythmer la danse par des claquements entre ses mains et sur ses cuisses. Les danseurs riaient, tournaient, s’approchaient et s’éloignaient, tout en gardant un contact gracile de la main. Elle tout de vert vêtue, lui tout de jaune et noir. Leur souffle parfois se croisait. A chaque pas en direction de sa partenaire, de toute ses forces, l’humain se retenait pour ne pas l’étreindre dans ses bras et portée ses lèvres sur son cou, puis sur sa bouche, si suave à la lumière du feu. Aynariel s’arrêta en riant.
- Je danserais mieux pieds nus ! Milfred, à ton tour de m’ôter mes bottes !
Elle l’avait tutoyé sans s’en rendre compte, sans une once de mépris dans sa voix. Elle tendit son pied droit en l’air, dans un équilibre tout relatif. Guyrian se saisit d’elle pour éviter qu’elle ne tombe en arrière. Milfred tenait ce pied dans sa main. Son cœur battait jusque dans ces tempes. Cette peau était si douce, si chaude et son galbe si parfaitement dessiné. Doucement il remonta la main le long du mollet. L’elfe chercha à reprendre le dessus en lui tendant le second pied. Mais cette fois-ci, au moment de s’en saisir, il le tira brusquement à lui pour provoquer la chute de l’elfe. Guyrian en fut si surpris qu’il ne put ni l’en empêcher, ni la retenir.
- Maintenant, cria Milfred.
- Quoi ?
- Maintenant, je te dis ! Tiens-lui les bras avant qu’elle ne nous sorte ses poignards !
Effectivement, l’elfe avait réussi à se saisir du manche de l’un d’eux, mais une force implacable plaqua son poignet derrière elle. Elle fut immédiatement désarmée, Milfred lança les deux poignards dans le feu. Partout les ombres dansaient au rythme des flammes. Les formes s’allongeaient tournoyaient plus encore sous l’effet de la griserie des trois. Guyrian ne luttait plus contre ce désir qui le parcourait depuis des heures. Il l’avait tenue contre elle, il avait vu la cambrure de ses hanches et venait de plonger son regard dans le décolleté de sa poitrine frémissante. Et là, elle était à terre, il n’avait plus qu’à se baisser pour l’embrasser, mais le regard qu’elle lança le stoppa net. Il n’y avait nul affolement, juste une détresse résignée mêlée de colère. Un violent craquement le fit se redresser. Milfred venait de déchirer le corsage l’elfe et portait ses lèvres avides sur ce corps ferme et arqué par le dégoût. Puis il plaqua à son tour les bras au sol et glissa son bassin entre les cuisses de l’elfe. Elle ne luttait pas, elle les laissait faire, gémissait parfois au mouvement de va et viens qu’il lui prodiguait.
A son tour, Guyrian glissa ses mains le long du cou puis pétrit du bout des doigts ses tétons durcis. La chair de ses seins bien qu’étalé sur le thorax restait ferme au touché. Puis il approcha ses lèvres une deuxième fois et l’elfe entrouvrit la bouche pour accueillir sa langue dans un long baiser qui étouffait ses gémissements de plus en plus fréquents. Il n’y eut bientôt plus de lutte mais trois corps à l’unisson du plaisir.
*
Pendant toute l’étreinte qu’ils lui avaient infligée par la force, elle avait cherché le meilleur moyen de les faire mourir. Elle avait choisi de faire subir un destin différent à chacun d’eux. Lentement, elle finit par réussir à se dégager. Guyrian leva la tête et baragouina quelque chose qu’elle ne comprit pas. Lorsqu’elle se redressa, elle ne put s’empêcher de se tordre douloureusement le dos, car le poids des humains l’avait recouverte pendant plusieurs heures, ses côtes étaient endolories et plusieurs marques sur son dos dessinaient les diverses pointes de branches et de pierres qui l’avaient mutilée silencieusement pendant les ébats et le premier sommeil de ses bourreaux. Un haut le cœur la saisit. Elle se pencha en avant mais rien ne sortit. Elle regardait ses deux futures victimes dormir paisiblement.
- Pauvres inconscients… Lorsque vous arrêterez de marcher à quatre pattes, alors vous pourrez me regarder droit dans les yeux ! Vous n’étiez pas les premiers à me violer de la sorte… Non, juste les premiers humains… Et vous paierez pour tous les autres…
Elle fouilla dans les braises rougeoyantes ses poignards. Bien qu’ils fussent encore brûlants, elle ne retira pas sa main. Au contraire, la souffrance de ce contact la stimulait. Elle serra les dents et substitua l’envie de vomir par cette douleur dans son corps. C’était comme si ses mains absorbaient cette chaleur car tout son corps bouillonnait. Elle jeta ses vêtements souillés et déchirés dans le feu qui crépita le temps que les flammes se chargent de les réduire en cendres. Les ombres se réveillèrent soudain à leur appel et drapèrent le corps nu de l’elfe de rayures sombres au gré de ses mouvements. Elle tournait autour des deux corps étendus et immobiles, comme s’ils allaient finir par se redresser face à la menace qui les guettait.
- Alors tu as fait bon sommeil ?
Guyrian ne répondit pas, troublé par cet étrange baiser, les yeux encore clignant de sommeil. La migraine due à l’alcool l’empêcha de réagir vraiment. Les lames brillantes que faisaient danser l’elfe au dessus de sa tête lui remirent immédiatement les idées en place. Il chercha à se lever, mais la circulation bloquée du sang de ses jambes l’en empêcha. Avant même qu’il eut le temps d’ouvrir la bouche, elle était sur lui, à califourchon, les jambes plaquées contre ses bras le long de son corps. Elle planta violemment l’un des poignards tout près de son entrejambe et de cette main libre lui libéra son poignet droit. Fermement et lentement, elle attira sa main sur son sein, le força à la caresser. " Alors, ils te plaisent toujours autant ? " De l’autre main, elle dessinait des cercles sur son torse avec la pointe de la lame. Tandis qu’elle s’approchait doucement de sa bouche, elle pressa le poignard jusqu’à ce qu’il se glisse entre deux cotes. L’humain hurla.
- Voilà, c’est bien, c’est l’heure de réveiller l’autre feignasse !
En se redressant, elle retira violemment la seconde larme de manière à déchirer le pantalon et les chairs qu’il cachait. Puis elle sectionna l’un des talons d’Achille pour éviter qu’il ne s’enfuie. Milfred ne s’était pas encore levé, ses yeux peinaient à s’ouvrir, même si son cerveau avait capté la notion de danger. Toutefois, il ne pouvait s’empêcher de regarder son ami se tordre de douleur en même temps qu’il cherchait à comprendre la situation. A son tour, il fut plaqué au sol par un puissant coup de pied à la tête. Il était toujours ivre. Le coup avait heurté ses tempes et sa tête lui fit voir mille chandelles. Il était obligé de la tenir pour essayer de se redresser. Tout tanguait autour de lui. Un second coup le heurta dans le bas ventre. Il se recroquevilla pour diminuer la douleur et reprendre son souffle. Puis sa tête se souleva malgré lui, tiré par les cheveux.
- Bonjour, Milfred. La nuit n’a pas été trop courte ?
D’un geste maladroit, il essaya de se saisir du poignet qui tenait les deux poignards. Il reçut à la place un coup de genoux dans le thorax.
- Tu sais que je n’ai pas l’habitude de procéder ainsi ? Tant de violence si matinale, ça va finir par me redonner envie de toi, ne crois-tu pas, s’amusa-t-elle et elle lui mordilla sensuellement le lobe de l’oreille. Allons, remontre-moi comme tu étais si tendre avec moi il y a quelques heures…
- Qu’est ce que vous attendez pour nous tuer, dit Guyrian sans desserrer les dents de douleur.
- Qu’il est mignon. Il veut sauver son ami alors que c’est lui qui l’a précipité droit dans les bras de la mort !
- Oui, qu’attendez vous, reprit Milfred.
- Rien. Moi, je suis bien avec vous. J’ai tout le temps devant moi. Regardez, il ne fait pas encore jour… Et une heure, quand on prend bien soin de l’autre comme vous l’avez fait, ça peut être très long, croyez-moi.
L’elfe leur tournait le dos et s’habillait pour se protéger du froid qui s’abattait avec les premières lueurs du soleil sur la nature. Aucun des deux n’eut envie de s’enfuir. Elle leur avait annihilé toute volonté. Ils se contentaient de trouver une position qui les fit le moins souffrir.
- Bon, une elfe se doit de tenir parole. Le jour est en train de se lever. Il va falloir que je prenne ma décision.
Elle tenait dans sa main une petite fiole aux reflets opiacés. Elle la promenait sous leur nez ; elle recommença son manège après l’avoir débouchée. Une odeur subtile s’en dégageait, comme s’il s’agissait d’un simple parfum, sauf qu’ils savaient tous les deux qu’il n’en était rien.
- Cette fiole contient un antidote. Vous pouvez me croire ou pas, cela n’a aucune importance. Ce qui est important, c’est que toutes les blessures que vous avez reçues vont commencer à se réveiller sous l’effet du poison que j’ai utilisé. Le plus amusant, c’est que ce n’est pas sa première action. Avant d’amplifier votre douleur, il va d’abord vous paralyser. Et dans un second temps, il va ronger peu à peu votre chair. Oh pas beaucoup, mais suffisamment pour que sentiez vous-même vos plaies s’agrandir. C’est un poison presque parfait. Presque puisque ces victimes finissent par perdre tout leur sang car l’action de l’acide empêche la coagulation, ce qui fait que vous mourrez bien trop prématurément à mon goût par rapport à d’autres poisons plus lents… Mais je l’aime beaucoup.
- Bref, comme je vous l’ai dit hier, mais vous l’ai-je vraiment dit ? Toujours est-il que j’ai besoin de l’un d’entre vous. A vous de me dire qui méritera ma compagnie encore quelques heures ? Voire beaucoup plus s’il est sage. Qui veut l’antidote ?
- Guyrian…
Milfred avait soufflé le nom de son ami. Dans ses brefs instants de répit et de lucidité, le remord l’emplissait. Tout était arrivé de sa faute, il avait poussé son ami à commettre ce viol. Chaque coup porté sur son ami l’avait fait souffrir également.
- Je vois que tu as l’esprit chevaleresque, Milfred. C’est bien. A vrai dire, j’attendais exactement ça de toi…
Sans savoir pourquoi, il se sentit mal à l’aise. Il devinait qu’il était rentré dans son jeu et qu’il venait de condamner son ami…
- Oui, je vois que tu as compris, Milfred. Ton ami va crever ici par ta faute dans des souffrances dont tu ne peux même imaginer qu’elles soient possibles. Et toi, tu vas vivre. Je veux que tu vives avec ce poids sur toi. Et compte sur moi pour t’empêcher de te donner la mort. Mais je vais faire plus que ça. Je vais te soigner pour que tu vives, mais pas totalement… Et tu verras que tu me supplieras de te soigner ta dernière blessure. Et tu verras que pour ça, tu seras prêt à m’obéir malgré toute la haine que tu ressens. Et ce que tu ressentiras, ne l’oublie jamais, ne seras rien comparé à ce qui vivra Guyrian. Rien, tu entends ?
Elle s’approcha de Guyrian et lui arracha sa chemise d’émissaire. Il hurla à nouveau en sentant l’air sur ses plaies à vif. Puis elle commença à humecter le tissu jaune de l’antidote et en badigeonna les blessures de Milfred.
*
Le marché de Locelane exhibait toute sa richesse. La ville était l’un des principaux axes routiers de l’Eldred et les commerçants de tous les comtés venaient y vendre leurs marchandises. Les Comtés voisins jalousaient cette abondance, d’autant plus qu’elle tenait principalement à deux simples ponts.
Milfred et Aynaryel parcouraient le marché. Par défi, au moment de changer ses vêtements maculés de sang avant de quitter la forêt, il s’était vêtu de la même tenue aux couleurs de Kryce que Guyrian la veille. Elle lui avait lancé un regard glacial en le découvrant mais il avait répliqué avec une insolente insoumission qu’il n’avait aucune autre tenue digne de ce nom pour l’accompagner. Elle lui avait juste répondu qu’elle s’amuserait beaucoup plus à le faire taire lorsqu’il la suppliera de le soigner.
Au milieu des badauds et des commerçants, elle jouait la servante avec visiblement beaucoup de malice tout en surveillant ses faits et geste. Ce qu’avait dit l’elfe avant de partir était complètement exact ; en quelques dizaines de minutes, la douleur avait disparut excepté sur son pied droit qui continuait de saigner. Elle avait volontairement évité de laisser le poison agir sur une partie trop visible, pour ne pas attirer trop l’attention avec les taches de sang. Elle avait juste crée une belle entaille sur tout le long du dessus du pied. Et depuis une demi-heure, il sentait les symptômes montés dans son corps. Régulièrement, il était obligé de s’arrêter pour lever son pied blessé afin de soulager la douleur, de manière assez illusoire.
Elle avait confié à Milfred la mission de recueillir le plus d’informations possibles sur les derniers évènements. L’enquête portait peu à peu ses fruits, la plupart des éléments recueillis se recoupaient. Seule ombre au tableau, l’origine de l’incendie restait mystérieuse et l’imagination populaire fournissait de multiples explications : vétusté des infrastructures, agissements souterrains que l’elfe supposait des kobolds etc. Le fait qu’il y eut des bruits d’explosion confirmait que les kobolds avaient bien mis au point une nouvelle arme. Les soupçons du père de Guyrian s’avéraient juste. Ils contemplaient certainement les effets de leur nouveau canon ou d’un nouvel explosif. Ils échangèrent leur point de vue un instant.
Une explosion n’aurait pas dû faire autant de dégâts. Tout au plus, les bâtiments auraient dû s’écrouler sous l’effet de l’affaiblissement des fondations, soit par le feu, soit plus rare par l’explosion. Mais pour obtenir un tel résultat, il aurait fallut qu’elles aient lieu en la hauteur. Ici, on voyait que c’était par leur base qui avait provoqué les écroulements. Les murs et les poutres avaient été très peu attaqués. Milfred ne comprenait pas non plus comment le feu avait pu se répandre autant si l’explosion avait immédiatement couché les bâtiments.
Ils échangèrent un instant sur leurs conclusions. Elle lui avait qu’elle savait de source sûre que les kobolds manigançaient des choses dans la région. Pour connaître la version officielle et obtenir d’autres informations plus diplomatiques, elle avait obtenu de lui qu’il l’aide à rencontrer le Comte. Pour ça, elle n’eût qu’à ressortir la lame de l’un de ses poignards.
Il s’arrêta un instant pour la fixer. Paradoxalement, elle réagit comme si elle éprouvait de la gêne. Elle détourna son regard et fit mine d’acheter une étoffe. Il continuait de la dévisager jusqu’à l’obscénité. Il la dévorait des yeux. Et aucune douleur n’était assez forte pour lui faire oublier les profondes caresses qu’elle lui avait prodiguées pendant la nuit.
Puis, plus la journée progressa et plus l’elfe prit un malin plaisir à s’en jouer. Quant à lui, plus il observait ses moindres faits et gestes et plus il était lui fasciné par le contraste de cet autre visage de l’ombre qu’il avait découvert malgré lui. Où était la vérité ? Dans ce qu’il ressentait dans son cœur ou dans cette blessure étrange qui ne faisait que le lancer atrocement au pied ? Cela l’effrayait. Il voyait ses barrières les plus intimes tombées une à une sous son charme. Elle incarnait un gouffre mystérieux dans lequel toute son âme aurait aimé se perdre. Il se sentait d’autant plus démuni qu’il était parfaitement lucide sur la tournure effrayante de ses sentiments.
En fin de journée, Aynariel décida de prendre une chambre parmi l’hôtel le plus luxueux de la ville avant de se rendre au château. Elle s’y prépara méticuleusement. Coiffée à la manière avalonienne, elle avait multiplié les jeux de nattes qui s’entrecroisaient derrière son crâne, recouvertes par un mouvement naturel de chaque côté, le tout maintenu par des cordelettes de velours rouge et des broches d’argent. Elle s’était vêtue d’une somptueuse robe d’un profond carmin. " Après tout, ne suis-je pas une elfe rouge ? ". Une fourrure blanche aux reflets bleutés tombait sur ses épaules, le tout faisait ressortir son pendentif de rubis en forme de Phœnix et de serpents qui reposait maintenant sur son splendide décolleté. Elle avait vendu quelques broches elfiques de manière à pouvoir se reconstituer une garde robe moins guerrière.
Milfred, lui, se retenait maintenant pour ne pas la supplier de badigeonner son pied de l’antidote. Marché devenait plus qu’un supplice. A partir de cette simple entaille, il pouvait deviner sa chair s’ouvrir et se creuser sous l’action du poison, sans qu’il ne fît le moindre geste. A mi-journée, Aynariel l’avait soigné, juste avant de pratiquer la même entaille sur l’autre pied. Vers la fin d’après-midi, la souffrance qu’éprouvait l’humain dépassait celle du matin. L’action même d’avancer lui inspirait une peur panique. Pourtant, il n’avait plus que deux pas à faire pour s’asseoir sur le lit et étendre sa jambe. Il ferma les yeux. Il vit soudain son ami lui sourire. C’était une image absurde. Devant ce visage inconscient, il se figea et le long calvaire qu’il lui avait fait subir lui apparut avec une netteté implacable. Les paroles de l’elfe sur ce que Guyrian avait dû subir s’était imprimé en lui. Il se mit à pleurer et pria très fort pour que celui de son ami au moins fût déjà terminé. Le sien ne faisait que commencer.
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Rêve d'Ether (Le) : Chapitre 7 - Quelques Pas de Danse
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- Écrit par Zarathoustra
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