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Chap 16: Raison et Folie (partie 2)



Deux cris courts retentirent dans la forêt, le premier plus diffus, le second très net et tout proche, deux cris qui annonçaient la même chose : une chasse à l’homme. Immédiatement, une organisation rôdée gèra l’alerte, surtout après le carnage de la nuit provoqué par les talents culinaires si particuliers des bugnes, dont les elfes s’étaient sorties uniquement grâce à leurs connaissances des poisons. Mais mêmes leurs antidotes n'avaient pu leur empêcher de passer une horrible nuit. Plusieurs d’entre elles qui s’activaient déjà restaient pâles et épuisées. D’ailleurs, beaucoup dormaient encore quand, par mesure de sécurité, la lieutenante demanda de renforcer les positions de guets et de prévenir Dolorès qui la secondait au commandement de leur second campement, à quelques centaines de mètres. Dans sa tente, toujours sous l’emprise des dernières crampes d’estomac, Grienlyce se demandait comment considérer ces évènements, car deux jours auparavant elle avait déjà donné inutilement un ordre de replis. Une chose était sûre, elle n’épuiserait pas ses deux cent soldats pour une peccadille. En s’activant, elle grimaça et mit sa main devant la bouche pour retenir un vestige de ses troubles gastriques.
Quelques minutes plus tard, les furies ramenèrent un homme, mortellement blessé par un carreau d’arbalète. A sa tenue, il était difficile de déterminer qui il était : un braconnier ou un espion ennemi ? Elle voyait mal une armée s’éloigner autant du chemin traversant la forêt. Un début de contrariété marqua son visage.
- Pourquoi l’avoir tué ?
- Il nous avait repérés et s’enfuyait…
- Vous n’avez vu personne d’autres ?
- Si ! Et justement nous continuons les fouilles.
Sans éléments plus concluant, elle préféra attendre, surtout qu’elle avait rendez-vous avec la matriarche le lendemain matin. Elle se dirigea vers un seau d’eau fraîche pour réveiller son esprit pour la troisième fois de la matinée. Derrière elle, Grobul et Boubli la suivaient comme deux chiens fidèles. Elle avait beau les emmener promener depuis son levé du lit, ils revenaient toujours, cherchant à se faire pardonner du douloureux rétablissement de cette nuit. Eux-mêmes étaient épuisés, surtout Grobul, dont les yeux n’avaient jamais été aussi rougis par des larmes et sa longue veillée à son chevet. Il était prêt à accepter toute forme de punition. A la place, la seule chose qu’il produisait sur elle, c’était un fabuleux agacement qui bouillait depuis de longues minutes dans son ventre. Elle s’apprêtait à exploser de colère sur les deux malheureux quand une nouvelle agitation se développa.
La présence toute proche d’ennemis se confirma. Les mêmes cris se multiplièrent quasi simultanément. Grienlyce se mordit les lèvres, elle aurait dû écouter son instinct et évacuer le camp. La plupart de ses soldats ne lui en auraient certainement pas voulu, elles étaient totalement dévouées à leurs deux chefs, jusqu’à les suivre jusqu’ici, laissant derrière elles leurs proches et leur pays pour un rêve ou une chimère, celui de leur matriarche de faire un monde meilleur où elles pourraient vivre enfin à leur place. Changer le monde jusqu’à la détruire s’il le fallait. Et Dolorès, dans l’autre camp, plus que toutes les autres, partageait ce rêve.
Une guetteuse vint à Grienlyce pour lui faire un bref rapport. Une dizaine d’hommes se dirigeait vers le campement, vêtus et se mouvant comme des éclaireurs. Des sœurs les avaient également pris en chasse. Il y avait donc bien une armée en marche, et certainement en route pour tomber sur elles à tout moment. Elles ne pouvaient plus fuir, il fallait immédiatement organiser les combats sur cette terre étrangère et impérativement sauver les deux premières Larmes du Géant qu’elles détenaient.

A son tour, elle chercha ses propres armes. A côté de son lit se tenaient deux longs poignards, dont un en forme d’éclair pour bloquer les lames adverses dans les duels. Elle se saisit d’une fiole noire et les enduisit d’un liquide translucide. Elle fit quelques mouvements circulaires pour chasser l’excédent qui coulait encore, puis recommença plusieurs fois le geste, en changeant de fioles. Boubli la regardait faire d’un œil à demi expert. Il enviait sa nonchalance à manier ses poignards avec tant de précision. Elle réussit à les faire tournoyer en même temps sans que les lames ne se touchent, et le bugne sentait comme un courant d’air sur sa peau à chacun de ses gestes.
- Tu ne devrais pas t’agiter comme ça, fit Grobul comme une mère. Tu n’es pas encore rétablie !
- Oh toi, fous-moi la paix !
Le petit bugne resta tétanisé par la sécheresse du ton. Il pinça ses lèvres avec des yeux malheureux. Il n’osait plus bouger. Boubli le prit dans ses bras avant qu’il ne se mette à pleurer.
- Elle a raison, faut la laisser tranquille. Il y a l’air de se passer de drôle de choses dehors… On ferait mieux de partir.
L’elfe était sortie sans même se retourner. Déjà elle appelait ses guerrières. Elle sentait parmi elles une grande excitation à sortir du désœuvrement des derniers jours. Pour la première fois depuis leur arrivée Eldred, elle se demanda si elle ne devait pas enfreindre la consigne de leur matriarche qui leur interdisait strictement toute utilisation des drogues de combat. Même si, à la place, elle leur avait apporté bien autre chose pour compenser, Grienlyce se sentait en insécurité au cœur de cette terre hostile. Réunir une force suffisante pour balayer ses furies était chose aisée pour cette immense nation humaine.  Mais tant qu’elle ignorait leur nombre, elle voulait éviter toute imprudence, et puis, cette consigne pouvait apporter une surprise de taille pour tout humain qui avait déjà pu les affronter...
Des furies armées d’arbalète avaient déjà pris position dans les hautes branches des chênes ; d’autres, diversement cachées au milieu des couverts de la forêt, s’apprêtaient à accueillir dignement leur ennemi. A présent, il pouvait venir de partout. Au milieu d’un silence, tout juste troublé par le chant des oiseaux, une longue attente commença. Toutes allaient se battre pour une cause qui dépassait l’enjeu de leur vie. Leur chef avait besoin de réunir les trois Larmes du Géant pour donner naissance à son rêve. Et ce rêve était devenu aussi le leur. Il arrivait à Grienlyce de se dire qu’il était une folie et que vouloir à ce point changer le monde était plus effrayant que l’idéal auquel elles aspiraient. Mais sa chef lui avait ouvert les yeux sur tant de choses et elle adorait tellement voir son visage s’illuminer d’insouciance enfantine quand elle en parlait qu’elle avait fini par le partager. Il gagnait une grâce irrésistible qui semait le trouble en elle et qui l’aurait fait suivre jusqu’au bout du monde.
Enfin, leurs éclaireuses confirmèrent la proche attaque. Déjà retentissaient des bruits de sabots à droite, des chevaux renâclant à gauche, deux fronts se préparaient, des chevaliers, une vingtaine de chaque côté.  Elles étaient prêtes. Un premier groupe s’étaient plaquées contre des arbres de manière à casser l’élan de leur monture au moment de la charge. Autour de la lieutenante, un noyau dur, bien en évidence, servait d’appât pour  les attirer au cœur des premières lignes de leur défense.

 

Dans son campement, Dolorès souriait. Elle avait déjà donné ses consignes. Elle respecterait strictement les ordres d’Aynarielle, sans avoir le doute de sa chef. Pour elle, c’était toute la beauté de leur combat. Tous ces humains ne s’attendraient pas à une telle discipline. Et puis, venir les déloger avec des chevaux au milieu d’une forêt était une bêtise sans nom ! Elle respira longuement et amplement. Son esprit bouillonnait de vieilles sensations qu’elle chercha à chasser. Malgré sa nouvelle discipline, son corps continuait à réclamer cette drogue qui leur avait donné leur nom sur les champs de bataille. Un frisson parcourut son échine, comme un appel à faire couler le sang.  Alors, elle serra plus fort encore le manche de ses poignards pour lutter. Lutter contre un démon intérieur pour mieux combattre dehors un ennemi, comme si c’était une simple passe d’arme. Pourtant, depuis ce matin, son corps puisait déjà dans ses ressources pour rester debout après sa mauvaise nuit. Les yeux des plus malades d’entre elles la regardaient, suppliantes et inquiètes, pour infléchir l’ordre de leur matriarche. Elles-aussi sentaient cet appel à perdre toute volonté et libérer leurs pulsions les plus meurtrières, ce besoin malgré elles d’étancher une soif de sang. Vivre sous l’emprise la liqueur de combat leur donnait une exaltation et un apaisement à ne plus voir le monde tel qu’il était. Elles le voyaient comme à travers des flammes et tout leur corps brûlait. Et seul ce besoin de se ruer sur l’ennemi aveuglément leur apportait un soulagement, comme si le sang qu’elles faisaient couler apaisait cette brûlure en elles.
Puis, au cœur de cette forêt perdue, face à leurs doutes et leurs faiblesses, cette promesse faite à leur matriarche leur apparut soudain plus belle encore que le jour de la grande cérémonie du Pacte et surtout le rêve qu’il contenait soudain plus tangible que jamais. Elles lutteraient sans cette drogue, même si tous leurs sens la réclamaient avidement. Devant Dolorès, la première unité de cavaliers se lançait avec difficulté au milieu du fatras des branches et d’arbres. Une dernière fois, elle regarda son unité autour d’elle et ressentit leur détermination se gonfler au fur et à mesure que le danger approchait. Alors une fièreté plus grande encore s’empara d’elle d’être à leur tête.

Pas très à l’aise sur son cheval, Petit Louis guidait les cavaliers à travers le bois, là où il avait vu le campement. Ainsi surélevé sur sa monture, la forêt lui semblait plus hostile, il devait sans cesse se baisser pour ne pas percuter de branches. Devant eux, avant d’atteindre l’objectif, il y avait plusieurs rideaux d’arbres qui offraient de splendides cachettes. Alors qu’il venait de repérer la première furie dissimulée dans un arbre, une branche le gifla avec tant de force qu’il faillit tomber. Décidément il détestait monter à cheval.
Le campement était maintenant tout proche. Ses plaies se rouvraient et saignaient bizarrement. Depuis plusieurs minutes, une douleur tenace logeait dans son flanc blessé. L’idée du poison commençait à lui faire craindre le pire. Mais il ne voulait pas que ses compagnons éclaireurs ne soient morts pour rien, il continua comme si de rien pour expier sa faute, surtout que la capitaine lui avait promis de le conduire auprès du comte en cas de succès. Autour de lui, on réclamait de les venger, mais cette demande le faisait juste culpabiliser un peu plus. Pour lui, les elfes étaient des animaux qu’on chassait et il était normal qu’elles se défendissent. Jamais les moines guerriers n’auraient pu comprendre cette vision des choses. Enfin ils les virent au milieu de la clairière, baignées d’une douce lumière. Elles étaient prêtes à les accueillir, arme à la main. Alors Petit Louis quitta ses compagnons pour ramener les fantassins.
Pas très loin de lui, Laennec le Chevalier avait aperçu les premières silhouettes des elfes. Un court instant, il se rappela des grivoiseries qu’on lui avait lancées au moment d’enfourcher son cheval. « Tu vas pouvoir t’en donner à cœur joie à embrocher toutes ces femelles ! Gardes-en pour les transpercer avec autre chose que ta lance en bois ! »
Laennec avait lui-même fait l’arrogant et promis de ne pas trop les amocher en ricanant. Mais quand leur capitaine était sorti pour les préparer pour leur mission, il s’était immédiatement repris. Un climat plus solennel avait recouvert le camp pour l’écouter. Il avait pourtant prononcé un discours simple, avec des mots justes. Il avait également rappelé qu’ils allaient affronter de véritables guerrières et que ceux qui en douteraient ne reviendraient sans doute pas vivants.
 « On dit d’elles qu’elles se droguent pour inhiber leurs craintes, pour aiguiser leur sens et insensibiliser leur corps ! Voilà ce que vous allez combattre ! Et bien, à vous de leur prouver qu’un humain n’a pas besoin de ça pour tuer son ennemi ! »
Puis il leur demanda de prier une dernière fois. Un digne et profond murmure se souleva de la terre et monta au milieu de cette forêt comme le grondement lointain d’un torrent. Bientôt un tourbillon de fureur emporterait tous ces hommes avec lui, pour que Vuldone grandisse. Une immense vague allait balayer ces êtres de leurs terres vers la mort. Pour ça, ils n’avaient qu’à jouer sur la nature psychotique de leur adversaire pour les entraîner dans leurs pièges.
Lorsqu’ils se redressèrent pour prendre le départ, on entendit les vétérans grogner et éclabousser de leur dégoût ces créatures. La plupart les avaient combattus lorsque l’empereur avait voulu se venger de l’affront qu’il avait subi, au début de son règne, en allant les chercher sur leur île maudite, mais jamais ils n’auraient pensé en trouver sur leurs propres terres. Elles étaient parmi les pires ennemis de Vuldone. Partout, on entendit leurs ronchonnements. Mêmes son ami Pisse-Langue le Jovial s’était joint à ces drôles d’encouragements. Et il n’était pourtant pas du genre à se laisser impressionner… « Ne vous fiez pas à leurs minauderies, elles vous bondiront dessus dans une pluie de lames ! Faut pas les tuer, ces droguées, faut les exterminer…»

A chaque foulée de sa monture, Laennec sentait monter un peu plus la haine profonde de ses adversaires. Une dernière fois, il pria pour que son dieu lui donnât la force de vaincre en son nom ces créatures blasphématoires. Mais maintenant qu’il les apercevait, il fut saisi par la sensualité et la grâce qu’elles dégageaient. Les derniers conseils de Pisse-Langue dans sa tête lui revinrent en tête. « Ouais, mon gars, ne regarde pas leurs nichons, sinon, crois-moi, tu finiras jamais la journée pour en rêver! » Plus que les mots, le souvenir de ses grimaces et de sa voix le fit encore sourire malgré lui.
 Il pressa les flancs de son cheval pour fondre sur elles. Les autres cavaliers se préparèrent aussi pour charger. « Pour Vuldone ! ». Une même clameur leur fit écho de l’autre côté. Déjà, des carreaux d’arbalètes pleuvaient sur eux. Quelques chevaux blessés hennirent, ruèrent, tandis que les autres franchissaient des troncs couchés sur le sol ou prenaient leur élan dans un grondement sourd. La terre commençait à vibrer sous le choc des sabots et volait sur leur passage.
Il y avait trop de d’obstacles à contourner, de branches à éviter. Laennec n’arrivait pas à suivre les plus rapides d’entre eux. Alors que la clarté de la clairière s’agrandissait à chacune des puissantes enjambées de leurs chevaux, des furies jaillirent des arbres pour les lacérer sur leur passage, coupant l’élan de plusieurs chevaliers. Au moment où il s’apprêta à son tour à baisser sa lance, une elfe sortie de nulle part poussa un cri agressif et suraigu. Le cheval se cabra. Immédiatement elle courut sur lui pour transpercer le ventre de l’animal. Bien qu’en équilibre précaire, le cavalier réussit avant à se servir de sa lance comme d’un bâton et frappa de toutes ses forces pour la projeter à terre. A deux reprises encore son cheval se redressa d’effroi et, les cuisses serrées, il s’agrippa au cou de la bête pour ne pas chuter. Puis les sabots écrasèrent violemment en retombant la furie qui, déjà, s’apprêtait à se redresser. Il ne prit pas le temps de regarder son état car, à l’arrêt, il était devenu trop vulnérable. Pourtant, alors qu’il faisait bondir son cheval dans la mêlée, il réentendit les mots de Pisse-Langue : « Assure-toi juste qu’elles soient bien mortes avant de leur tourner le dos…Et plutôt deux fois qu’une ! ». Cela lui était alors paru si évident, mais, au milieu de la tourmente, tout devenait confus. Déjà, il voyait des hommes désarçonnés,  des furies se jeter sur eux en tombant des branches des arbres, et partout des cris de rage, des hennissements, des chocs de métal. A dix mètres, un des siens à terre se démenait avec deux guerrières autour de lui. Il décida de lancer son cheval contre elles mais arriva trop tard pour le sauver. Immédiatement, elles s’écartèrent derrière le couvert d’un immense châtaignier duquel pleuvaient des carreaux d’arbalète.
Devant lui, perdues au milieu du chaos, il fut surpris de voir deux petites créatures étranges et vertes sortir d’une tente, visiblement très effrayées, et courir au milieu de la douce lumière de la clairière aussi vite qu’elles le pouvaient, sans doute pour s’éloigner du carnage qui commençait. Il n’en avait jamais vu de semblables, elles semblain et sortir d’un autre monde. Leur apparition l’avait tant surpris qu’elle faillit lui être fatale, s’il n’avait pas été alerté par l’un de ses frères de l’assaut combiné de deux autres furies. Il fit se cabrer son cheval pour se dégager in extremis et lança sa monture le plus loin d’elles. Un autre chevalier luttait à terre, acculé contre un tronc immense qui se dressait comme un géant. Laennec chargea et en blessa une, tandis que l’autre s’esquiva encore derrière l’arbre. Promptement il saisit le bras de son compagnon pour le hisser et le sauver du guêpier.

Au fur et à mesure de son avancée, Petit Louis avait de plus en plus de mal à conduire toute l’infanterie sur le champ de bataille. Ses blessures le lançaient depuis longtemps, mais maintenant qu’il multipliait les efforts pour emporter au plus vite les fantassins dans le feu de l’action, c’était tout son corps qui le brûlait. Il avait la fièvre et son souffle devenait court. Malgré tout, une excitation le gagnait. Pour la première fois de sa vie, il sentait qu’il pesait sur le destin du monde. Au milieu des soldats prêts à engager le combat, sa forêt natale lui paraissait si lointaine et la rencontre avec le comte si proche. Un léger vertige le déséquilibra un court instant. Vite, il se pencha pour saisir le col de sa monture. Il fallait qu’il tienne, il voulait prouver aux vuldoniens sa valeur pour qu’enfin ils l’aident à voir le comte. Au loin apparaissaient les premiers combats. Il sourit de soulagement mais s’effondra dans les secondes qui suivirent. En le voyant chuter de son cheval, Pisse-Langue se précipita pour l’aider.
- Ah, mon gars, prie très fort Vuldone que ce ne soit pas leur poison !
- J’ai affreusement mal. Tu as vu ces égratignures… Trois fois rien ! Et c’est moi qui l’ai tuée, tu sais. Je l’ai tuée avec ça !
Tout fier, il sortit son couteau à la lame à nouveau éclatante. Le vétéran sourit.
- Ah ouais, ça devait être quelque chose ! T’inquiète, nous aussi, on va leur en faire baver ! Et c’est pas des égratignures qu’on va leur faire !
Le vétéran posa sa main sur son front en sueur et appela les infirmiers pour qu’on s’occupe de lui. Les premiers signes marquaient déjà son visage : un léger bleuissement et un dessèchement des lèvres, le creusement des orbites et les légers tremblements des membres. Il savait très bien qu’ils ne lui seraient d’aucun secours, sauf qu’eux avaient de l’eau pour lui donner à boire et le rafraîchir. Et puis peut-être qu’avec un peu de chance…  Il regagna au plus vite sa place parmi les guerriers. A nouveau, il allait se retrouver face à ces fameuses furies. A les voir les provoquer de leurs poses suggestives et lascives, elles lui semblèrent immuables. Il eut l’impression de se retrouver en Aubemorte dix ans plus tôt lorsque ces créatures les avaient impitoyablement repoussés. Il retrouvait ces mêmes formes généreuses outrageusement exhibées à ses yeux, ces mêmes sourires mutins, mais il voyait surtout cette cruauté sombre qui luisait au fond de leurs yeux comme un appel à la tempête. Planter une lame dans un corps aussi offert paraissait une chose tellement aisée, mais ce corps se mouvait avec une habileté de félin et savait frapper aussi fort que le cobra.
Malgré lui, et tout comme la première fois, il sentit un court instant du désir monter en lui. Etreindre cette chair si parfaitement sculptée devait apporter bien des délices. En fait, seul l’amour d’une telle créature, si elle n’avait pas été aussi subversive, aurait pu le détourner de son dieu. Un bref instant, il lutta surtout contre ses rêves fous qui peuplaient parfois ses nuits et le perturbaient si fort certains matins. Un instant encore, il se rappela l’anecdote de Lattrel le Dur et du poison qui l’avait emporté sous ses yeux et du geste qu’il avait été obligé de faire : tuer un des siens pour faire taire la douleur qui rongeait voracement le corps de son ami. Alors seulement, dans le combat qui commençait, il ne vit en face de lui que des soldats, des soldats à tuer pour que Vuldone l’emporte sur les mœurs corrompus des elfes noirs.
Les humains arrivaient de partout dans un large mouvement d’encerclement. Les arbres qui avaient tant desservis les chevaliers protégeaient maintenant les fantassins des carreaux. Pourtant, il suffisait de passer près d’un feuillage qui abritait une furie pour que recommence le carnage. Par deux fois, il vit ses voisins tombés avant même d’atteindre une ennemie. Enfin il arrivait au cœur du combat, avec un immense avantage numérique pour réduire à néant toutes ces folles furieuses.
A son tour, Pisse-Langue courra rejoindre ses compagnons dans les combats. Devant lui, l’une d’elles se démenait avec brio face à deux moines. Sans une seule hésitation, il planta son épée dans son dos. Vuldone n’avait que faire de l’honneur face à de telles créatures ! Il enjamba un cheval mort mais fut brusquement reprojeté dessus. Deux des siens avaient reculé brutalement sur lui sous les attaques de leur adversaire. A son tour, il plongea dans ses jambes pour la faire chuter. Une lame empoisonnée le frôla si près qu’il crût mourir, mais deux épées transpercèrent l’elfe à terre avant qu’elle n’achève son geste.
De plus en plus, les humains craignaient les poignards des furies. Ils reculaient au moindre doute, attendant le soutien d’un des leurs pour mieux les contrer. Partout on se bousculait, on se cognait contre des branches, trébuchait contre des racines. Quant aux furies, elles s’étaient jouées des cavaliers, mais elles luttaient maintenant fréquemment contre plusieurs adversaires à la fois. Leurs traits se creusaient et leur donnaient une expression plus dure.
Pisse-Langue se dégagea du corps inerte qui était tombé sur lui et s’empara des poignards de l’elfe. Leur poids parfaitement équilibré donnait une impression de puissance. Alors qu’il amorçait un geste souple dans le vide, à nouveaux deux yeux noirs et brûlants comme le volcan lui firent face. Immédiatement, il lança ses attaques. Grienlyce para à deux reprises ses coups, comme si elle voulait jauger ce nouvel adversaire. Elle leva à son tour ses armes, une première fois pour contrer son épée, puis, une seconde fois, pour plonger la lame dans son flanc, en tendant tout son corps pour se désaxer. La côte de maille bloqua le tranchant et le sauva in extremis. Il profita du déséquilibre de l’elfe pour la heurter de plein fouet de son pied. Elle-même fit un saut en arrière sous le choc. Dans son envol, le pagne dévoila une croupe gourmande et ferme, qu’il contempla dans un éclair. L’étoffe n’eut pas le temps de se reposer, qu’elle s’envola à nouveau. Soudain une vive douleur dans la cuisse arracha un cri au soldat, puis une autre en plein ventre. Grienlyce s’était propulsée à l’aide de l’arbre qui avait bloqué sa chute pour se ruer sur lui. Ce fut si rapide qu’il n’avait pas même esquissé un geste de défense. Maintenant il couinait bêtement à chaque secousse de la lame qui déchirait inexorablement ses entrailles. Il était juste capable de se tenir au manche qui remuait en lui pour ne pas tomber. L’elfe le regarda un court instant puis retira dans une gerbe de sang la lame. Enfin, elle ramena sa jambe arrière pour cisailler celles de l’humain. Il gisait maintenant à terre, cambré par la douleur. Compte tenu de la violence des coups, le poison le dévorerait bientôt de l’intérieur,. Cela n’avait duré que le temps qu’il oublie qu’elle était un soldat. Cela n’avait duré que le temps qu’il vit une femme en face de lui et non un soldat.
En la voyant déjà lui tourner le dos sans même prendre la peine de l’achever, Pisse-Langue voulut se redresser mais tout son corps se cambra de douleur. Le poison déjà se diffusait dans son sang. Immobilisé, il poussa les mêmes hurlements que la vingtaine de guerriers qui se tortillaient à même le sol, comme des larves. Les furies procédaient toujours ainsi. Les cris de leurs victimes qui sortiraient toujours plus nombreux de cette terre obnubileraient bientôt l’esprit de tous leurs adversaires. Et cette peur de finir comme ces blessés qui jonchaient le sol nouerait progressivement, insidieusement leur ventre jusqu’à la nausée et dévoilait le plus puissants des pouvoirs du poison.
A son tour, comme jadis son vieil ami sur les terres d’Aubemorte, le vétéran aurait voulu qu’on l’achevât, mais les combats étaient trop à leur comble pour qu’on entendît cette dernière prière.

Alors que la bataille faisait rage, toute la paisible majestuosité de la forêt tremblait d’une sombre fièvre, ses draps de verdure s’étaient vidés de toute vie animale pour accueillir malgré elle l’étrange ballet de violence des humains et des elfes. Ils maculaient sa robe froufroutante de sang et la déchiraient de leur métal. Partout, les feuilles mortes s’arrachaient de la terre, les branches volaient en éclat sous le choc des corps et des armes.
La lame de son sabre droit et court au niveau de sa joue, Dolorès regardait ses compagnes harceler l’ennemi. Elle attendait l’ultime ordre pour lancer à son tour son unité dans le combat. Elle apporterait le chaos et le désordre dans les rangs humains en les harcelant, là où l’unité de Grienlyce répondrait compactement à l’assaut de leur infanterie dans la discipline. Les fracas des lames et des armures, les grognements des efforts des humains, les cris des blessés, les hennissements sauvages des chevaux confirmaient que le combat avançait vers elle. Déjà les uniformes sombres se mélangeaient à la peau claire de ses compagnes dans un spectacle où la nature n’était plus un écrin. Au contraire, elle recouvrait le spectacle d’un linceul étouffant, prenait les pieds mal assurés avec ses racines et ses ronces, gênait les corps dans ses immenses bras verts et marrons. Un cri clair et sec retentit. « Maintenant ! ». Alors, à son tour, la guerrière rentra dans la ronde. Elle enjamba une grosse racine et, derrière, des épines griffèrent son mollet. Là, un cavalier qui venait de se dégager d’un corps à corps se tenait à sa hauteur. Elle bondit en tournoyant sur elle-même et lâcha son bras comme catapulté par le mouvement de rotation. Un choc métallique résonna, brusque, court. Un coup précis, rendant la lourde armure inutile. Derrière elle, le chevalier ne put rester en équilibre et chuta à terre grossièrement. Les techniques martiales qu’elles avaient extorquées de Fayenacre s’avéraient redoutables, mêmes contre de telles armures. « Non, pauvres humains, vous ne savez décidément pas qui vous affrontez ! »
Une voix l’avertit d’une menace derrière elle. L’humain avait réussi à se redresser péniblement du sol et s’apprêtait à lever sa lourde épée pour l’abattre. La lame siffla près d’elle mais se ficha dans la terre. D’un long coup de pied ascendant sur les côtes, elle le déséquilibra à nouveau. Cette fois-ci l’armure déjà rougit de sa précédente attaque l’immobilisa complètement. Elle leva le heaume de sa victime. Les yeux qu’elle vit alors paniquaient déjà face à son impuissance.
- Oui, tu vas mourir, et c’est une pauvre elfine qui va le faire, dit-elle en langue eldred. Et tu ne seras pas le dernier ! »
Un pied sur l’épaulière de son ennemi, avec ses deux mains, elle leva à son tour son poignard, la lame en bas. L’homme hurla toute sa peur en voyant son éclat luisant s’approcher de son visage. Les plaques de métal qui recouvraient son corps grincèrent désespérément plus fort, ses bras se soulevèrent légèrement dans un ultime raidissement pour bloquer l’attaque. Rien n’arrêta le geste de l’elfe. Le crâne craqua sinistrement quand la lame plongea droit entre ses deux yeux. Elle sourit en contemplant le spectacle A force de fixer la descente du poignard, il avait comiquement fini par loucher. Déjà le sang recouvrait peu à peu ce regard si ridicule. Elle plaqua son pied contre le casque pour retirer son arme, dans un crissement sec. Un jet rouge vif ponctua son geste et éclaboussa son mollet en appui. Mais, autour d’elle, d’autres humains arrivaient, une centaine de fantassins commençaient leur encerclement.
Sur sa gauche, au cœur du combat, Laennec se battait toujours désespérément.  Il devait tenir jusqu’à ce que le corps principal de l’armée arrive. Il ignorait combien elles étaient, car elles ne cessaient de se déplacer, de tourner et de zigzaguer pour rendre toute charge impossible. Dans ce décor chargé par tant de cavité d’arbres, de troncs dressés ou couchés et de bosquets épais, c’étaient elles qui maîtrisaient la mobilité. Régulièrement des carreaux d’arbalètes sifflaient ; à chaque fois, il redoutait que son cheval n’en fût la cible. Le chevalier qu’il avait fait monter en croupe sur son cheval était tombé sous des coups quelques instants plus tôt.
Même si leur capitaine avait insisté sur l’ingratitude de leur mission, aucun cavalier ne s’était attendu à une telle débâcle. Au lieu de créer un mouvement de panique sur la charge, peu à peu les rôles s’inversaient, c’était eux qui évitaient de se trouver en mauvaise posture. La plupart du temps, Laennec se dégageait d’un endroit trop menaçant vers un endroit plus dégagé. Alors, à nouveau il devenait la cible de leurs carreaux d’arbalètes. Enfin, les clameurs des renforts retentirent. Il regarda autour de lui, il compta à peine une quinzaine de cavaliers encore sur leur monture. A terre gisaient une douzaine de furies.

Alors, autour de lui, même avec tout leur cœur, avec tout leur courage, face à ses humains qui ne cessaient d’arriver, l’ascendant des elfes s’amenuisaient un peu plus à chaque fois. En voyant l’arrière-garde s’ajouter encore aux soldats qu’elles combattaient déjà, Grienlyce eut un geste de recul, comme si elle savait qu’elles ne pouvaient plus gagner. Toujours animés d’une ferveur religieuse, les hommes formaient des groupes compacts bien trop fournis dans leurs assauts. Les elfes, elles, luttaient fréquemment en même temps contre deux ou trois soldats. Elles étaient condamnées à se surpasser pour éviter toute erreur qui deviendrait fatale sur leur corps, là où une simple côte de maille aurait pu leur laisser un léger répit. Et leurs yeux se creusaient déjà, comme si les ressources qu’elles avaient déployées pour lutter cette nuit contre les troubles des champignons commençaient à leur faire défaut. Leur visage se marquait et une force résignée s’y lisait. Toutes commençaient à deviner l’issu de la bataille et, maigre réconfort pour leur chef, elles avaient gagné en détermination. Grienlyce regardait les pertes : des dizaines d’entre elles gisaient déjà à terre. Ses humains étaient bien plus coriaces que ceux qu’elle avait déjà rencontrés. Une lueur sombre brillait dans leurs yeux, comme la folie de Dieu. Décidément les rôles étaient inversés : à elles la Raison et à ses ennemis la Folie. Tout ceci aurait pu être comique si la survie de son unité n’avait été en jeu.
De son côté, l’Œil de Dieu, qui était maintenant arrivé sur les lieux avec l’arrière-garde de son unité, découvrait l’étendu du carnage. Mais qui donc pouvaient être ces elfes ? Jamais elles n’auraient dû se battre de la sorte. Elles se jouaient de ses hommes avec une précision surprenante. Elles s’étaient attaquées prioritairement aux chevaux et quand son infanterie s’était ruée sur elles, elles les avaient forcés à se battre là où elles l’avaient décidé. Quoiqu’ils fissent, et contre toute attente, elles conservaient leur discipline. Il avait aperçu plusieurs chefs qui régulièrement distribuaient leurs ordres dans le tumulte.
En fait, en estimant ses pertes, il commençait à regretter son initiative. L’arrivée avec lui de l’infanterie aurait dû briser les lignes ennemies bien plus rapidement. A la place, il sentait ses hommes plein de peur, maintenant qu’ils voyaient autour d’eux le ravage des poisons d’Aubemorte. Son plan n’avait pas fonctionné, jamais elles n’avaient eu ces élans incontrôlés auxquels il s’était attendu. Il en oublia un instant l’évidence du surnombre. La victoire allait sans doute être sienne mais méritait-elle une telle hécatombe ? En contemplant la fatale sensualité dégagée par leur corps presque dévoilée et leur acharnement désespéré à survivre, il ne pouvait que les admirer. Plus il les regardait et plus il les voyait maintenant en véritables soldats. Il enviait leur grâce, il enviait leur foi à se battre avec tant d’énergie. A aucun moment, il n’avait vu des signes de peur en elles, alors qu’au fond des yeux de ses hommes, il ne lisait qu’effroi ou fureur aveugle. Pour rattraper le gâchis qui se déroulait sous ses yeux, il devait percer leurs mystères. Alors il chercha des yeux qui pouvait ainsi les diriger.

De son côté, devant cette multitude de soldats, Grienlyce sentait en elle le besoin d’étancher une soif enfouie, de sentir son corps s’enflammer une dernière fois et perdre toute lucidité. Boire pour retrouver cette folle ivresse apaisante pour se surpasser jusqu’à la mort. Se ruer aveuglément sur ces ennemis qui commençaient à les encercler. Sans cette liqueur en elle, elle hésitait à se rendre. Non que la mort l’effrayât mais parce que de leur survie dépendait le succès du rêve d’Ameryel. Elle commençait à deviner l’issu du combat. Si sa stratégie de désorganisation avait porté ses fruits, elle commençait à s’estomper sous l’effet des pertes. Pour se rendre, encore fallait-il avertir sa matriarche. Dolorès ! Seule Dolorès pouvait y parvenir. Elle retira son poignard du ventre de sa dernière victime et chercha autour d’elle. Plusieurs larges entailles recouvraient son corps. Mais son long entraînement lui faisait ignorer la douleur tant qu’elle combattrait. Alors seulement elle entendit le bruit, les hurlements des humains pour se donner du courage, tandis que ses sœurs continuaient à se battre dans leur flamboyante détermination. Enfin elle l’aperçut. Elle aussi avait été touchée à l’épaule. Son bras gauche n’avait plus la même grâce, mais ses poignards contraient les coups et ripostaient toujours impitoyablement.
« Dolorès, tu préviendras Ameryel ! », lui hurla-t-elle entre deux parades. « Retrouve-la lorsque leur vigilance sera tombée ! Et n’oublie pas les deux Larmes du Géant ! »
L’elfine tressaillît à peine à cet ordre. Mais elle l’avait compris. Elle savait tout ce qu’il l’attendrait bientôt. Beaucoup auraient fléchi ou abandonné, au lieu de ça, elle cherchait déjà son innocent complice. Elle regarda autour d’elle. Une nouvelle fois, elle actionnerait en elle comme une simple poignée de porte pour pénétrer dans un continent étrange et effrayant. Une nouvelle fois, elle allait plonger dans la douleur. La douleur. Un mot qui la fascinait et l’attirait. Douleur. A chaque fois, un processus en elle se mettrait en route et, à chaque fois, une part de mystère et de terreur l’envahirait, comme la seule vérité qu’elle n’eut jamais connue et qui l’enlacerait de ses bras de serpent et l’emporterait aux confins de sa conscience de verre, comme l’appel secret d’un amant. Douleur toujours et encore. Elle allait faire face à des gouffres multiples et changeants qui pouvaient l’aspirer à tout moment, malgré sa volonté puissante comme les ailes de l’aigle. Peut-être qu’elle n’esquiverait pas suffisamment son adversaire ? Qu’elle mourrait cette fois-ci ? Qu’importe, elle était prête à accueillir cette douleur. Encore une nouvelle fois, elle attirerait à elle cette douleur comme le vertige des flammes.

De part et d’autre, dans le tumulte de la bataille, chacun oeuvrait pour survivre plus que pour gagner. Seuls les chefs commençaient à voir se dessiner les termes de la victoire ou de la défaite. En fait, Grienlyce et Treillères sentaient combien la frontière entre les deux allait être trouble. Leur regard se croisaient de plus en plus souvent, même si ni l’un ni l’autre ne le faisait exprès. Mais dans les yeux de son adversaire, chacun pouvait lire les mêmes doutes et les mêmes hésitations, peut-être presque de l’admiration réciproque. Les deux chefs se fixaient ainsi depuis plusieurs secondes. Sans qu’ils se fussent présentés l’un à l’autre, ils savaient qu’ils étaient les responsables du carnage et que d’eux seuls dépendait sa fin. S’il ne faisait plus doute de l’issu, le prix toujours plus élevé de la victoire inquiétait Treillères, tout comme Grienlyce l’échec du Rêve d’Aynarielle.
Un peu plus loin, à force de voir tomber ses frères chevaliers, Laennec avait compris depuis longtemps que son armure ne lui servait à rien. A contraire, ses folles d’adversaires se jouaient de ses angles morts et de sa lourdeur. Sur le champ de bataille, il était même l’un des derniers à combattre sur sa monture. A ses yeux, elles étaient devenues des démons à abattre. L’une d’elles lui faisait face, toujours d’une arrogance et d’une beauté à lui faire tourner la tête. Mais il ne se laissait plus déstabiliser par leurs minauderies et leurs tours de passe-passe. Inflexible, il oublia qu’elle était femme, qu’elle n’avait rien pour se protéger de la vigueur du coup qu’il allait lui porter, amplifié par la charge de son puissant destrier. Et surtout il n’oubliait plus ses frères déjà tués dans ce combat absurde.
Dolorès se préparait. Elle devrait lire parfaitement les intentions de son adversaire. Il fallait que le coup porté ne laisse aucun doute et surtout qu’elle ne s’évanouisse pas sous le choc et la douleur. Son souffle était ample et les cris et les râles autour d’elle n’avaient plus de place dans son esprit. Seuls flottaient le battement de son cœur qui ralentissait et la voix des maîtres de Fayenacre qui résonnaient de leurs voix d’ange. « Le corps est plus fort que l’acier pour qui sait l’accueillir, le corps est plus fort que l’acier… ». Elle récitait maintenant cette phrase de plus en plus vite. Et plus elle la répétait, plus chacune de ses expirations ses poumons chassaient l’air de son thorax et plus les muscles de son ventre se durcissaient à lui en faire mal. Elle avait son secret : elle savait surmonter la douleur comme nul autre ici présent. Elle avait survécu à des séances de torture qui auraient fait succomber ou basculer dans la folie tout autre être vivant. De cette terrible expérience, elle avait acquis une grande connaissance dans l’art de souffrir et surtout de faire souffrir, elle connaissait chaque nerf et les limites de chaque être. « Ce sera toi ! ». Elle le fixa droit dans les yeux. Elle venait de choisir son bourreau.
Laennec s’élança. Une branche morte arrachée par le vent les séparait encore. Il comprima les flancs de son cheval qui enjamba prestement l’obstacle et accéléra pour avoir suffisamment d’élan pour la transpercer mortellement. Elle restait en face de lui sans bouger, le visage complètement fermé sur elle-même, comme inconsciente du danger. Il était maintenant littéralement sur elle. Quel tour de sorcière allait-elle tenter au dernier moment ? Aucun. Il l’avait heurtée de plein fouet. Tout juste l’avait-il vu paniquer dans un geste dérisoire pour l’éviter. Un dernier élan de lucidité avant de réaliser l’imminence de sa mort ? En la redressant, sa lance était rouge et le corps projeté à terre de l’elfe gisait, inanimée, une large plaie ensanglantée sur son flanc droit. A peine l’eût-il contemplée que déjà d’autres étaient à portée de sa lance. Encore une de moins, se dit-il en se ruant sur une nouvelle cible.

**
*

Quand Grienlyce vit Dolorès à terre, elle pria pour que le rêve de la matriarche conservât une chance de survie. Il ne lui restait plus qu’à sauver le reste de son unité. Elle batailla de manière à s’approcher de Treillères et lui lança des regards de plus en plus insistants. A ce geste, l’Œil de Dieu de dirigea aussi vers elle comme si l’un et l’autre savaient à l’avance leurs motivations. Une fois en contact, il n’y eut entre eux aucune froideur ou politesse factice, au contraire, chacun déjà se respectait, voire s’admirait visiblement. L’elfe le surprit encore plus lorsqu’elle demanda immédiatement la fin des combats. Pour négocier respect et traitement digne, elle promit même en contrepartie de soigner les blessés avec leurs antidotes. Autour d’eux, les soldats les observaient avec une curiosité pleine de tension. Quand ils comprirent la teneur des échanges, certains commencèrent même à cesser de se battre, suspendus à leurs lèvres.
- Et vous allez nous aider à les soigner comme ça, sans chercher à vous enfuir ?
- Pas avant d’avoir rencontré votre chef, rajouta-t-elle avec un sourire ironique.
Ce mot de chef était bien choisi, Michel Vautreuil était chef, pas Thomas de Treillères, toute l’arrogance se trouvait dans ce terme. Il n’en fit rien et sourit-lui même à l’elfe.
- Très bien, mais que peut valoir la parole d’une elfe noire, lui lança-il.
- Mais rien, bien sûr !
Et elle éclata de rire. Cette répartie eut pour effet de faire partir l’œil droit de Thomas vers le ciel, ce qui entraîna son rire, d’abord nerveux et timide, puis généreux, comme si toute l’accumulation de peur et de tension en sortait. Puis il se mélangea à ceux de ses hommes qui l’entouraient. Tous savaient que l’humour était la meilleure chose pour désamorcer le trouble de leur capitaine. Autour d’eux, un cercle attentif s’était mis en place sous l’impulsion de cette folle rumeur.
- Avec ça, difficile de nier que je ne vous ai pas fait de l’œil, sourit-il.
L’orbite reprit son axe normal, le temps de la plaisanterie, le visage encore marqué de gêne. Le même rire, en plus spontané, reprit les humains. Des elfes se joignirent également à eux de bon cœur. Ainsi un humain avait été capable de se moquer de lui-même avec un naturel humble.
Quand le capitaine fit part de sa décision de ménager les elfes, les humains manifestèrent un profond mécontentement. Devoir les considérer de la sorte alors que tant d’entre eux étaient morts ou continuaient d’agoniser leur paraissait inacceptables, surtout que peu à peu, les furies, bien que dociles, conservaient leur arrogance.
Puis les traces psychologiques de la bataille s’estompèrent peu à peu, d’autres, plus naturelles, reprirent le dessus. Les hommes découvraient en face d’eux des femmes, belles et sensuelles à enflammer le plus preux d’entre eux, avec leur peau luisante de sueur, les cheveux rebelles, les yeux vifs et la bouche mutine. Au fond d’eux-mêmes, pourtant, chacun savait qu’elles demeuraient de redoutables guerrières et restait sur ses gardes. C’était plus que ça, tous devaient alors lutter contre un désir que la longue abstinence amplifiait. Alors, comme pour se protéger, quand un des leurs cédait à ses pulsions en voulant pétrir ces chairs offertes, les moines se moquaient de sa lâcheté, car tous savaient au fond d’eux que, si elles s’étaient rendues, malgré toute la ferveur que Vuldone leur avait prodiguée, ils avaient été très inférieurs à elles au combat. Ce n’était que leur nombre qui, ce jour, leur avait apporté la victoire. Une victoire foncièrement amère, quand ils entendaient les hurlements des blessés. De leur côté, après avoir ironisé sur ces moines, elles découvraient que, tout comme leur capitaine, ces humains avaient de l’humour et se montraient en même temps très lucide sur leur compte.
Quand les soldats de Grienlyce commencèrent à soigner les blessés à l’aide de leur antidote, le geste scella un début de respect. Devant les rétablissements spectaculaires, ils finirent par saluer l’initiative de leur chef. Pourtant les blessés réagissaient toujours violemment à l’approche des furies, du coup, d’autres humains devaient les maintenir fermement au moment d’appliquer les soins. Lorsqu’arriva le tour de Pisse-Langue le Joviale, au vue de son piteux état, l’étrange infirmière ne prit même pas la peine de le soigner. Laennec qui tenait sa tête sur ses genoux la regarda, incrédule. Il refusa d’admettre que le poison put avoir à ce point pénétrer dans le sang de son ami. Le vétéran serrait les dents pour maîtriser son envie de hurler. Ses yeux ne cessaient de s’agiter et son corps tremblait de fièvre tout en étant secoué de spasmes. Il s’agrippa aux bras du chevalier.
« Ecoute, mon vieux, écoute-la ! Tue-moi, tu entends. TUE-MOI ! ».
Laennec fixa un instant son vieil ami. Il se redressa et prit son épée. Sans comprendre ce qu’il faisait, il s’éxécuta. Maintenant il le regardait, paisible, immobile, lui qui n’avait cessé de s’agiter à ses côtés depuis qu’il l’avait retrouvé. C’est seulement longtemps après qu’il entendit dans sa tête le cri de Pisse-langue quand la lame l’avait transperçé. Jamais il n’avait sérieusement pensé exécuter leur promesse de la veille. Tout comme Pisse-Langue l’avait fait pour Lattrel le Dur, il avait tué de ses mains son propre ami. Le chevalier contempla une dernière fois le corps, une colère sourde grondait en lui de plus en plus fort. Et bien qu’on lui eût ordonné de les respecter, il méprisait ses meurtrières cruelles. Ce n’était pas l’utilisation d’un simple antidote qui lui ferait oublier tous les morts autour de lui. Vuldone ne le tolèrerait pas longtemps ! Il ne comprenait pas son chef. Et il se doutait que ses supérieurs allaient encore le suspendre. L’Œil de Dieu était coutumier du fait. Mais toujours on le rappelait, car on trouvait toujours des dignitaires prêts à le défendre. Cela serait-il le cas lorsque l’Ordre de Vuldone connaîtrait son initiative ? Pour l’heure, il espérait que non, qu’on lui montrerait à quel point il avait commis une hérésie. Il fallait réduire à néant ces créatures ! Qu’espérait-il à les sauver ?
Comme Grienlyce avait prouvé sa bonne foi au vu des premières guérisons, elle regagna la tente du capitaine, toujours sous escorte. Ce dernier la regardait d’un œil toujours plein de surprise, comme s’il cherchait encore à comprendre les motivations de cette race si étrange.
- Je dois avouer que vous avez piqué ma curiosité. Je n’ai pas l’habitude de voir des disciples de votre culte sanguinaire se battre ainsi. Et je suis certain que mon commandant aura mille questions à vous poser à ce sujet.
- J’en aurais moi-même quelques-unes à lui poser, rajouta l’elfine.
- Décidément, il faut beaucoup plus qu’une plaisanterie pour faire taire l’arrogance d’une elfe noire…
Thomas avait pris deux initiatives que Vautreuil n’apprécierait pas. D’abord, il avait lancé ses hommes dans ce carnage sans son ordre, même s’il avait tout lieu de croire que son choix avait été judicieux. Ensuite, il avait fait cette trêve pour épargner ses hommes en échange d’un peu d’humanité à l’égard de leurs ennemies. On l’avait déjà déclassé pour de telles considérations. En fait, par le passé, il avait lui-même gravi l’échelon de sénéchal, mais ses idées humanistes sur la foi qu’il défendait avaient été une source perpétuelle de conflit avec ses supérieurs. On avait fini par le sanctionner à plusieurs reprises jusqu’à le ramener à ce grade ingrat. Toutefois, il bénéficiait encore de quelques appuis dans les hautes sphères. Pour lui, tout ce fanatisme qui entourait l’Ordre n’avait rien à voir avec Vuldone, c’était des projections d’humains fous. Combien de fois avait-il dû modérer les ardeurs de ses soldats à se flageller ou à torturer leurs prisonniers ? Et c’était de ça qu’il avait peur. Il avait fait une promesse à Grienlyce, mais il savait combien il aurait à batailler face à Vautreuil quand il serait parmi eux pour contempler leur succès. Il voudra leur extorquer leur secret à n’importe quel prix, car l’Ordre le tenait personnellement responsable de la chute des deux forteresses par les khobolds et de la perte de la Larme du Géant. La capture des elfes noirs étaient pour lui une opportunité quasi inespérée pour redorer son blason. Même si c’était vain, l’œil de Dieu voulait convaincre la Matriarche.
- Vous savez, la décision ne m’incombe pas, rétorqua le capitaine. Et je crains que mon supérieur ne vous torture si vous refusez de m’aider. ..
- Que cet amateur essaie, s’était-elle emportée.
Alors son regard était devenu soudain impitoyable et glacial. Le capitaine y avait distingué la même lueur qui l’effrayait dans les excès des fidèles de son Ordre.
Même s’il n’était pas dupe, Treillères aimait avoir près de lui son interlocutrice jouer de ses charmes, avec des airs faussement ingénus. Et Grienlyce appréciait son tact plein de retenu. Mais dès que l’humain voulait en savoir un peu plus sur leur présence, les masques tombaient et elle répondait par une autre question. Il lui proposa même de diner avec lui, mais elle refusa l’invitation pour être présente parmi ses soldats. Curieusement, même ce refus renforça le respect du capitaine.

A présent, il fut soulagé de la voir rejoindre ses troupes, ce peuple restait difficile à comprendre. Plus que jamais il avait la certitude qu’il n’obtiendrait pas la clémence de Vautreuil. Il ressentit le besoin de penser à des choses plus légères et de parler de tout autre sujet. C’était inhabituelle pour lui qui aimait l’introspection pour réfléchir. Il finit par appeler Petit Louis à lui. Ce dernier avait été sauvé comme les autres des ravages du poison mais portait toujours le poids de sa culpabilité. Même leur victoire ne lui avait apporté de réconfort. Pour lui, il avait failli dans sa mission, il avait enfreint une règle élémentaire qui aurait sauvé dix vies. C’est dans cet état qu’il avait appris la mort de Pisse-Langue.
- Tu as pu t’en sortir, il faut continuer de vivre pour donner du sens à sa mort, l’avait consolé Laennec. Puisse Vuldone l’accueillir à bras ouverts !
Mais rien ne comblait les silences entre eux maintenant que leur ami n’était plus là pour raconter toutes ses histoires. En fait, leurs longs silences, malgré eux, dessinaient en creux le portrait de leur ami.
- Dieu qu’il me manque !
Alors, Laennec se leva et défia le camp des prisonnières.
- Vous me le paierez ! Vous entendez ! Vous me le paierez ! Et vous verrez quand le sénéchal sera là ! Lui saura vous faire souffrir au centuple de tous vos poisons réunis !
Petit Louis n’aimait pas entendre sortir cette haine de la bouche de son ami. Lui aussi sentait une profonde injustice mais les furies l’avaient soigné. Il leur devait la vie et la mort, en quelque sorte. Et il fut presque soulagé qu’on vienne le chercher pour rejoindre leur capitaine, car il ne connaissait pas les mots pour apaiser une telle douleur.
Mais autre chose le tourmentait. Alors qu’il était en train d’agoniser sur son lit d’infirmerie, au plus profond de son être, il n’avait cessé d’entendre une voix mystérieuse qui lui parlait en une langue inconnue. Une voix sourde et rocailleuse, comme si elle jaillissait de la terre même. Il se crût d’abord fou, sans doute le poison avait dû le faire délirer, mais elle sonnait familière à ses oreilles, comme s’il l’avait déjà entendue en rêve. Ses intonations semblaient le désapprouver, à moins qu’elle l’appelât désespérément, comme si elle avait eu besoin d’être secourue. Pourtant, au fond de lui, il en était sûr, cette voix était celle du monolithe, les sensations glacées qui recouvraient ses mains à chacune de ses modulations en étaient la preuve. Sur le trajet du rendez-vous, son cœur battit à nouveau très fort, dans un rythme chaotique, à tel point qu’il crût que le poison s’emparait à nouveau de lui.
La tente de son capitaine n’était guère plus spacieuse et luxueuse que celles des moines sous ses ordres. Il conservait avec lui le minimum, tout au plus une caisse en bois remplie de livres pouvait surprendre dans un intérieur de soldat. Sur une table couverte de papiers, une petite icône peinte sur bois traînait et rappelait qu’il s’agissait d’un religieux. En entrant, le petit éclaireur ne réagit même pas au sourire si bienveillant en face de lui. A son visage déconfit, Thomas de Treillères ne put s’empêcher de le prendre amicalement par l’épaule.
-  La voilà, ton opportunité de parler au Comte ! C’est toi qui nous as menés à la victoire. Oui, Petit Louis, tu peux être fier ! Oublie les morts et regarde l’avenir qui te sourit !
Paradoxalement, ces mots n’évoquèrent rien de concret, comme si tout ce qui l’avait poussé à quitter le monde de son enfance devenait dérisoire. Mais lui aussi avait besoin de parler, et plus il parla à son capitaine et plus il eut confiance en lui. Alors il lui raconta l’apparition du monolithe. A sa grande surprise, l’Œil de Dieu ne le traita pas de fou mais parût au contraire fort intéressé.
- Tu sais, ce n’est pas le comte que tu devrais voir, mais l’Ordre de Vuldone… Je ne suis peut-être pas le meilleur interlocuteur pour t’aider auprès du sénéchal, mais crois-moi, tu détiens quelque chose de très important pour nous.
- Et pourquoi ?
- C’est assez compliqué, mais il se pourrait que ce soit un signe que nous attendions depuis longtemps… Et qu’il soit bleu prouverait même que la victoire de Vuldone est proche.
Petit Louis devint inquiet car il avait l’impression qu’on le dépossédait d’une partie de lui-même. Il regrettait de s’être confié. En prenant congé de lui, l’Œil de Dieu lui promit qu’il essaierait d’en parler le lendemain à Vautreuil s’il était d’humeur…
- J’espère juste qu’il ne torturera pas ces elfes, pensa-t-il à haute voix.
Une fois hors de la tente du capitaine, Petit Louis eut besoin de marcher seul. Autour de lui, un calme étrange régnait pour une veillée de victoire. Quelques moines chantaient encore de leur voix grave et monotone des prières pleines d’émotions. Des papillons de nuit voletaient autour de la lumière rougeoyante de feux agonisants. Et partout, l’obscurité rendait la forêt encore plus impressionnante. Au loin, il entendit l’appel d’une chouette hulotte. Puis, malgré lui, son oreille exercée capta d’autres bruits de chasse, de la chauve-souris dans les airs au hérisson parmi les feuilles mortes.
Lorsqu’il voulut se coucher, Laennec dormait profondément, avec des ronflements avinés, que confirmaient deux bouteilles vides à terre. Alors il prit ses couvertures et s’installa à l’écart de tous, au milieu de cette nature qui l’appelait. Immédiatement, il sentit une douce énergie parcourir son corps à même la terre. Il aimait sentir l’odeur d’humus, entendre le bruissement des feuilles lorsqu’il bougeait. Son esprit déjà se fermait, apaisé par ces repères d’enfant. Les dernières images de sa journée se cristallisèrent, lentement, dans son esprit : celle de ces étranges guerrières et du monolithe bleu qui l’attendait dans sa forêt. Se pouvait-il qu’un lien entre leur présence et son apparition existât ? L’Œil de Dieu avait raison, seul l’avenir lui sourirait dans cette nuit qui cachait même ses étoiles. Il s’endormit d’un sommeil lourd qui l’aspira vers des rêves diaphanes. Et là, au-dessus de lui, dans cet état de semi-inconscience, quelque chose ne cessait, invisible, de le regarder fixement et craintivement, à la manière d’un animal sauvage, comme si seule la lumière des étoiles aurait pu transpercer toute cette noirceur opaque qui le cernait partout.

 

 

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