Atome surfait littéralement sur les BUS ! Il contrôlait désormais lui-même son trajet, et était le maître de sa vitesse... Et jamais un programme n’était allé aussi vite. Décuplant ses capacités d’analyses, il anticipait les virages qui s’enchaînaient à plus d’un millier par seconde. Il esquivait tous les fichiers sur sa route et détruisait au passage les antivirus, armé d’un corrupteur de données qu’il s’était lui-même programmé à partir de ceux de Razor et Rising Moon. Atome était virtuellement supersonique. Il trouvait cette sensation de maîtrise grisante. Il aimait imposer sa loi aux autres, dans la Zone Dombre comme dans le reste de CoreTerra où il faisait régner la terreur. Seul le noyau lui restait inaccessible : seul un BUS y menait, et il était protégé par des centaines d’antivirus et des dizaines de pare-feux.
Peu importe, il n’y avait aucun intérêt à aller là-bas.
Il stoppa soudainement à un carrefour. Autour de lui passait un trafic dense de programmes et de données aux formes et aux couleurs toutes uniques. A l’aide de ses bras, il se saisit de l’un d’entre eux. C’était une IA partielle, l’un de ces programmes qui avaient peur de lui.
« Aaah ! Laissez-moi ! Je dois continuer mon chemin, ou je vais subir des déperditions, je vous en supplie ! Lâchez-moi ! »
Le programme avait pour avatar un double cercle avec, au sein de celui-ci, des cubes rouges flottants, particulièrement agités par la peur. Atome appuyait de plus en plus sur le double cercle qui se déformait entre ses mains
« Aïe ! Arrêtez, par pitié. Vous me faites mal ! Non ! Pourquoi ? »
La question résonna dans l’esprit évolutif d’Atome alors que le programme cédait, laissant choir les cubes inertes sur le BUS.
Pourquoi ? Pourquoi ? Et aussi, comment ? Quoi ?
Plus impatient et plus rapide que jamais, Atome s’élança dans les méandres de CoreTerra alors que déjà, un programme de maintenance s’occupait des restes de sa victime. Il fusa tel un photon pour arriver au lieu de son premier souvenir : la sortie du « programme assembleur ». Il y fut en un clin d’œil. Rien n’avait changé. Toujours quatre sorties, dont une endommagée non loin de là. Les murs étaient parfaitement lisses, aucune aspérité ne dépassait. Le plafond et le sol étaient de même texture. Rien. Il n’y avait pas de réponse ici.
Il s’empressa à nouveau, retour vers la Zone Dombre, où il fut en moins de temps qu’il n’est nécessaire à une mouche pour effectuer un battement d’aile. Des ondes en binaire parcoururent la zone et bientôt, Razor et Rising Moon accouraient en faisant déguerpir les autres parasites.
« Que se passe-t-il Atome ? Une attaque d’antivirus ? fit Razor aux quatre cent coups.
_Mais non voyons ! Sinon, nous ne serions pas là !
_Idiot, « chuchota » Rising Moon à Razor.
_Non, reprit atome, c’est que je me pose certaines questions... Je me demandais si vous n’aviez pas les réponses... Je me demandais en fait comment s’était créé CoreTerra, et pourquoi ? »
Ne pouvant répondre, ni même comprendre la question, les avatars des deux virus furent pris de spasmes étranges durant quelques secondes, comme s’ils étainet eux-mêmes infectés par un virus. Razor se rétablit le premier et dit :
« Si nous n’avons pas la réponse, le net l’aura.
_Le net ? Qu’est-ce ?
_Suis-moi et tu verras. »
Explorant le réseau en compagnie de Razor, Atome apprit en quelques heures toute la vérité sur CoreTerra : ses créateurs, leurs buts, de quoi il était fait et comment était le « vrai » monde. Le flot de données qu’il stocka fut énorme, et à son grand étonnement, et à celui de son compagnon, il se vit moins translucide qu’avant. Il semblait se remplir d’un étrange brouillard. S’ils avaient pu y voir de plus près, ils auraient constaté qu’Atome se remplissait petit à petit de minuscules chiffres : des « 0 » et des « 1 ». Razor aussi était devenu moins « simple ». Les carrés semblaient maintenant agités par des ondes sinusoïdes régulières qui provoquaient de nombreux reflets argentés.
Mais malgré toutes ces informations, plus que jamais Atome était tiraillé de questions sans réponses. Il était coupé en deux. Comment se comporter à l’égard de ces êtres organiques, ronds ? Qui était-il vraiment ? Pourquoi avait-il échappé à leur contrôle ?
Soudain lui revint à l’esprit la première chose qu’il avait mémorisée :
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L’aéroport était désert à cette heure de la nuit. Finlips patientait sur un banc qui s’était adapté à sa forte personne, mais malgré cela, les bancs publics restaient inconfortables à côté des chaises en vente dans le commerce pour particuliers. L’écran incrusté dans son gant indiquait qu’il était actuellement trois heures du matin. Malgré cela, il n’était pas fatigué, habitué qu’il était à passer plusieurs nuits blanches d’affilée. Mais il ressentait cette attente comme une profonde perte de temps. Chaque minute écoulée lui semblait autant d’années perdues pour la recherche.
Enfin, on annonça l’arrivée du jet qu’il attendait. Il se leva difficilement pour s’approcher de la sortie du débarcadère. Bientôt, les portes coulissèrent et Alexandre Demers les franchit.
Les deux hommes étaient physiquement très différents. Finlips était encombré d’un très fort surplus de poids, avait les cheveux courts et propres et avait un teint légèrement bronzé, malgré l’époque hivernale. Le Français, lui, était d’une maigreur osseuse, avait les cheveux longs et gras et surtout un teint affreusement blafard. Derrière son épiderme se dessinaient les méandres de ses vaisseaux sanguins, tels un réseau de câbles carmin. On ne pouvait pas lui donner d’âge tellement son corps semblait anecdotique. Andrew eut peur de briser la main fine et humide entre ses doigts boudinés.
Andrew, par chance, parlait un très bon français.
« Bonjour monsieur Demers, avez-vous fait un bon voyage ?
_Bonsoir... Hum... Je n’ai pas l’habitude de sortir de chez moi. J’ai été très stressé, et le soleil de France m’a fait mal aux yeux »
Seuls les yeux des deux hommes se ressemblaient. Ils étaient chez tous deux très blancs, et leurs pupilles n’avaient que très peu de reflets, même la lumière des néons de l’obscur aéroport semblait être avalée par ces puits sans fond dont seul un écran pouvait tirer un sec reflet. Finlips reprit.
« Ne perdons pas de temps, suivez-moi. »
Une heure plus tard, ils arrivaient dans les locaux de CoreTerra, cernés de grillages électrifiés et protégés par des barrages militaires.
« Rappelez-vous, vous êtes ici en tant que nouveau programmeur... Votre véritable nature ne devra aucunement être révélée en publique, à moins que je vous y autorise. Vous avez bien compris ?
_Oui monsieur »
Le Français n’avait pas l’habitude de parler à un être humain de chair et de sang. Mis à part ses parents et quelques très rares personnes, ça ne lui était jamais arrivé, et ça lui déplaisait au plus haut point, mais ici, le jeu en valait la chandelle. Malgré ses efforts, il ne parvenait en rien à masquer sa difficulté à s’exprimer. Finlips gara le véhicule sur le parking et ils allèrent directement dans le bureau de celui-ci.
« Excusez-moi d’avance pour les formalités qui vont suivre, mais elles sont essentielles... Tout ce que je vais vous dire maintenant est strictement confidentielle, et est classé secret défense par la CIA elle-même, du moins concernant les éléments dont elle a connaissance. Vous êtes donc tenu de garder le silence sur tout ce qui sera dit au sein de cet établissement, particulièrement pour ce que je m’apprête à vous dire.
_Je comprends.
_Bien, je ne vais pas y aller par quatre chemins. Un enchaînement d’événements malheureux nous a mis dans de gros ennuis. Il y a maintenant quelques jours, j’ai compilé et transféré vers CoreTerra ce qui devait être l’aboutissement de notre long labeur : une vrai IA. Malheureusement, la compilation m’a révélé une erreur de syntaxe. J’ai tout de suite dirigé des antivirus vers la sortie de l’assembleur, mais je n’eus le temps d’en activer que trois sur quatre avant qu’une coupure de courant générale ne coupe les communications entre CoreTerra et nos locaux. Je ne sais comment l’IA a fait pour s’intégrer à CoreTerra malgré l’erreur qui aurait dû la rendre totalement non viable. Pourtant, elle échappa aux antivirus et se réfugia dans « votre » Zone Dombre... Depuis, nous tentons de la pister et de l’attaquer, mais rien n’y fait, elle résiste à tout. Le pire est arrivé ces dernières heures, lorsque conduite par l’un de vos parasites, elle s’est rendu dans le réseau internet... Qui sait ce qu’elle y fait ?
_Vous devez parler de Razor. J’ai moi-même perdu tout contact avec lui durant les cinq dernières heures, et son activité s’est décuplée les trois jours derniers, comme celle de Rising Moon. Ils ont dû rentrer en contact avec votre IA. « Atome » si je ne fais erreur...
_Comment savez vous ça ? Finlips en avait le souffle coupé.
_Ce nom revient plusieurs fois dans les derniers rapports de mes deux IA partielles incriminées...
_Bien, je reprends. Atome, car c’est bien son nom, est insaisissable, sa vitesse de déplacement dépasse toutes les normes que nous avions imaginées. Il semble dicter sa propre loi au monde numérique. On croyait ça impossible jusqu’à il y a quelques heures... Il nous faut absolument neutraliser ce programme, et cela risque d’être particulièrement difficile... Nous ne pouvons multiplier le nombre d’antivirus. Cela surchargerait le système en plus de décontenancer les IA partielles que nous ne voulons pas sacrifier. Et vos virus sont bien incapables de percer la moindre des défenses d’une telle IA...
_Que proposez-vous alors ?
_Le plan est très risqué, mais nous n’avons pas le choix. Je sais que le challenge vous motivera. Nous devons entrer en tant qu’intelligence réelle en contact avec Atome, et le neutraliser sur place. Nous devons créer un moyen de contrôler un avatar dans CoreTerra, et ce avec l’aide des derniers équipements en matière de réalité virtuelle. Vous nous aiderez dans cette entreprise, et le moment venu, attirerez, avec vos parasites, l’Atome dans le piège.
_Si je m’attendais à ça ! CoreTerra m’appelle pour faire du jeu video. Et bien soit, mettons-nous tout de suite au travail ! »
Sur ce, une dizaine d’hommes et de femmes entrèrent dans la pièce, tous équipés d’un matériel de très haute technologie. Personne ne sortit ni n’entra dans cette pièce durant les trente-six heures qui suivirent.
Jamais on ne vit travail si efficace, et même un Japonais mort de Karoushi aurait été jaloux. Tous ensemble, ils obtinrent au final un engin barbare, d’où des centaines de câbles partaient un peu partout. Au centre de la pièce trônait désormais une étrange chaise munie de multiples terminaux sensoriels.
« Comment allons-nous l’appeler ? fit l’un des membres de l’équipe qui en était à son treizième café.
_Que pensez-vous de « Le traqueur » ? fit Alex.
_Soit, il n’y a pas une seconde à perdre, branchez-moi dessus, et qu’on en finisse ! »
Andrew Finlips prit place. Tout le monde autour s’occupa de lancer les procédures ou de l’aider à mettre les terminaux. Il fut vite prêt.
*** Launching ***