Sandoping
Une lampe de poche agitée dans sa direction et Chaz arrêta son véhicule le long des camions militaires, près du péage de sortie de ville. Une homme se posta à sa fenêtre et la tapota du bout de sa torche. Chaz baissa la vitre.
_ Bonsoir Monsieur.
Chaz tendit le poignet, le militaire passa son Pad au dessus de la tache bleue et scruta son écran.
_ Monsieur Norton ?
_ Alex Norton, c’est ça. Croyez vous que j’ai volé le poignet de quelqu’un ?!
Son contact en Eurasie avait modifié les informations contenues dans la puce bleue, ce qui était officiellement impossible à effectuer et donc peu probable pour les forces de l’ordre. Officieusement il y avait longtemps que des personnes haut placées avaient la possibilité d'enregistrer de nouvelles puces bleues. Le militaire fronça les sourcils :
_ Pourrais-je avoir les papiers du véhicule s’il vous plait ?
_ C’est que je les ai laissés chez moi, je ne pensais pas…
L’homme recula :
_ Coupez le moteur et descendez de votre véhicule.
Le MP fit signe à un de ses collègues qui entama une inspection dudit véhicule. Chaz sortit à contrecoeur et posa les mains sur le capot les jambes écartées. Le militaire commença à le fouiller sans ménagement. Son collègue l’interpella en lui tendant du bout du canon un vieil automatique trouvé dans la boîte à gants.
_ Vous avez un permis de détention pour cette arme ?
_ Quand je l’ai achetée ce n’était pas obligatoire… répondit Chaz en se tournant, visiblement irrité de la tournure des choses.
_ Maintenant ça l’est, tournez vous, les mains dans le dos !
Chaz soupira et hésita une demi seconde ce qui lui valu un coup de matraque en travers la figure. Le MP lui passa les menottes et le guida vers leur fourgon. Chaz rageait intérieurement, il lui fallait absolument quitter l'agglomération avant le tir du biod. Sandoping était une ville importante, construite sur le Yangtzee autour du barrage des trois gorges qui alimentait en énergie plus de la moitié de l’Eurasie et notamment les onze générateurs ELW principaux à travers la nation. Cette ville était donc très protégée et ses habitants étaient essentiellement des militaires et des industriels ayant répondu à une offre de financement du gouvernement pour rentabiliser les installations.
C’était aussi une cible de choix pour les ennemis… et les militaires ne se privaient pas de rosser quelques personnes pour de simples prétextes afin de montrer l’exemple et décourager les malveillants.
En approchant du poste de police qui jouxtait les installations du champ électromagnétique de la ville, Chaz songea au générateur ELW qu’il venait de saboter et qui exploserait lorsque l’alarme se mettrait en route. Il perdit son calme, se leva en sueur malgré les sommations du militaire qui l’accompagnait. Il parvint à l’assommer et à défaire ses menottes.
Le fourgon stoppa et, alors que les portes arrière s’ouvraient, Chaz tenta une sortie en force mais fut accueilli par un coup de crosse sur la nuque. Il vacilla et envoya un coup de coude à l’auteur du geste. Un autre MP qui arrivait en renfort sortit sa matraque et la brancha sur une batterie à sa ceinture, puis s'approchant de Chaz il le frappa dans le dos. Une décharge électrique zébra la nuit noire projetant violement le détenu au fond du fourgon où il tomba mollement, assommé.
Wyndham
L’amiral Oïc était de retour dans sa base de Wyndham et l’ambiance n’était pas à la détente. Oria était assise dans son bureau entourée de deux militaires, les poings menottés. Il soupira, qu’allait-il bien pouvoir faire ? Il lui fallait déjà remplacer son premier colonel, Naem, et maintenant sa meilleure tacticienne avait tenté de le trahir.
_ Vous devinez bien que je ne peux vous garder. Le problème qui se pose à moi est qu’il va falloir que je mette à votre place des hommes qui ont moins de finesse ou de panache dans leur stratégie. Je passerai pour un barbare sanguinaire et non pour un conquérant. De toute façon, l’avenir m’appartenant, je choisirais ce que l’on doit penser de moi…
_ Je n’ai pas tenté de vous trahir ! Je souhaitais simplement retarder le tir du biod le temps d’extraire Jared… le colonel Naem de l’Eurasie. Vous ne pouvez supprimer ainsi un de vos meilleurs hommes !
Oïc haussa le ton :
_ C’est un des meilleurs car sa vie est dévouée à notre cause ! Il savait parfaitement que dans un cas pareil il serait sacrifié. C’est un soldat, bien sûr…
Il se leva désignant son buste de l’index :
_ Mais un soldat à mes ordres !! cria-t-il.
Hors de lui il s’approcha d’Oria et lui prit le menton entre ses doigts durs.
_ Ici nous ne sommes pas dans une armée de défense et de parades aux fêtes nationales ! Nous sommes ici parce que nous regroupons les meilleurs hommes. Le sens du devoir n’est pas une qualité requise… nous sommes des tueurs, nous avons des assassins, des brutes travaillant pour la faucheuse et autant de membres plus astucieux et plus courageux les uns que les autres ! Avez-vous vu ne serait qu’un seul tire au flanc ?! Non ! Nous sommes l’élite la plus meurtrière que l’on ait vue depuis des siècles !
Il la relâcha pour bomber le torse tout en désignant la fenêtre les séparant des ses hommes à l’entraînement.
_ Je ne compte pas me rendre en Eurasie et leur demander les clefs du pouvoir ! Je les prendrais et ceci par la force !
Il lui prit l’épaule et la poussa contre la vitre, la forçant à regarder l'entraînement des hommes plus bas et choisit un ton plus bas et modérément calme :
_ Si nous devons tout détruire, si nous devons tuer tout le monde, perdre tous nos hommes… Je le ferais ! Nous n’avons pas d’autre de but que de gouverner cette foutue planète !
Oria se tourna lentement.
_ En fait vous n’êtes pas différents des autres barjots qui l’ont déjà tenté. Aucune originalité.
Sa voix tremblotait légèrement et elle se sentit honteuse de frissonner. Oïc la fusilla du regard :
_ La différence est dans le fait que j’y arriverais… ou tout le monde y passera. La dernière guerre a endurci tous nos hommes, nous ne pouvons reculer. Nous deviendrons pour la première fois un monde uni par le sang. L’homme n’est pas fait pour être dans une société, il est fait pour la dictature.
Il approcha son visage d’Oria :
_ Vous croyiez peut-être qu’une fois l’Eurasie conquise je m’arrêterais ? Vous n’avez rien compris ! Je prendrais l’Eurasie, l’Afrique, le Nouveau Monde… Nous créerons un monde de sang. N’imaginez pas cette image banale de cinéma… préparez vous à la vivre ! Nous avons les moyens et la volonté d’y arriver. Nous nous développerons dans un esprit d’élitisme, chaque génération sera la crème de l’espèce humaine. Chaque fois plus forte, plus vindicative. Nos technologies nous permettront de coloniser notre système solaire et qui sait…
Il regarda le plafond comme s’il pouvait discerner les étoiles.
_ Qui sait… peut-être plus.
Il regarda à nouveau Oria qui commençait à prendre peur malgré elle.
_ Nous n’y arriverons jamais avec une société de bras cassés et de fainéants qui n’aspirent qu’à leur bien-être. Ils ne seront plus des moutons et nous serons des prédateurs !
Il réfléchit quelques instants puis comme pour lui même ajouta :
_ Il va me falloir une excuse de choix pour annoncer à Akdov la disparition de sa nièce.
Il se détourna vers son bureau jetant un coup d’œil aux gardes.
_ Vous savez ce qui vous reste à faire.
Il posa les coudes sur son bureau et joint ses mains. Les soldats prirent Oria par les épaules et la firent sortir.
La première pierre de son édifice allait être posée. Les restantes seront entassées et liées de sang. Il ne pourra échouer car son ouvrage ne pourra tomber plus bas.
Canton
Noé était assis sur le bord de son lit. Naïa dormait déjà, exténuée. Il la regardait, ne pouvant détacher son regard du bracelet électronique qu’elle portait à la cheville. Finalement Lwaï Tse Now avait coupé court au débat pour reprendre ses affaires en cours. Ainsi Tetsuo était allé rejoindre une équipe de scientifiques pour aider à la création d’un filet anti-Ange. De lui dépendait à présent la confiance de l’Eurasie en leur équipe car s’il réussissait en peu de temps, on croirait peut-être le reste de leur récit. Malheureusement, à part quelques mouvements de troupes en CITL, peu d’indices laissaient présager une attaque imminente.
Noé avait pris des nouvelles de Dwaïn : il avait été plongé en coma artificiel en attendant sa rémission. Angie restait à son chevet, gardé par des MP ce qui suffisait à Noé, la sachant en sécurité ainsi.
Il massa sa cheville en dessous de son bracelet puis se leva pour regarder par la fenêtre. Il se trouvait au vingt et unième étage d’un hôtel dans le centre de Canton. Sur le balcon qui faisait le tour de l’aile Sud un garde faisait sa ronde. Même s’ils étaient des suspects, l'Administratrice semblait avoir conservé une bonne image de Noé dans son esprit. C’est tout du moins ce qu'il s'efforçait de croire bien qu'il soupçonnait Hayao d'y être pour quelque chose.
Il regarda sa montre : une heure et demie du matin. Oïc avait pris du retard, ce qui ne lui ressemblait pas le moins du monde. Que se passait-il dans sa tête ? Prenait-il son pied en les pensant attendre le tir du biod quelque part dans un abri ? Attendait-il un moment opportun ou était-il retardé ? Tant de questions se bousculaient dans la tête de Noé, comme un homme qui sait qu’il va mourir et qui pourtant se demande pourquoi la mort prend son temps. Mais en l'occurrence, une attaque de sa part prouverait aussi leurs dires. Il songea alors à Naem. Oïc cherchait-il à le reprendre ? Non, ce n’était pas son genre non plus.
***
Le colonel Cortez pénétra dans le couloir de la prison, escorté de deux gardes qui lui ouvrirent la porte d’une cellule séparée en deux par une vitre blindée. De l’autre côté, le colonel Naem attendait patiemment couché sur son lit. Cortez fit un signe de tête à ses accompagnateurs mais ceux-ci ne bougèrent pas.
_ Désolé mais nous devons rester présents pendant la durée de l’entrevue.
Cortez soupira et se retourna :
_ Vous devez aussi veiller au respect des droits du prisonnier non ? Je sais ça ne fait pas longtemps qu’on vous demande ça, mais je n’aimerais pas qu’il soit relâché pour vice de forme.
Les deux gardes se regardèrent.
_ Restez à la porte mais veillez à ce que personne ne surprenne notre conversation, qui sait ce que cet homme serait capable d’inventer…
Les deux gardes obtempérèrent. Cortez remercia silencieusement leur stupidité avant de se retourner vers Naem. Celui-ci attendait maintenant sagement assis sur le bord de son lit, comme observant le moindre détail chez son visiteur.
Cortez se racla la gorge puis s’assit à son tour sur la chaise prévue à cet effet.
_ Ecoutez, fit-il, vous devez tout d'abord savoir que nous sommes du même côté…
_ Je n’avais pas remarqué, fit Naem en désignant d'un mouvement de tête la vitre qui les séparait.
_ Nous sommes dans le même camp si vous préférez. Nous pouvons vous faire sortir de cette cellule et vous renvoyer en CITL si vous acceptez quelques uns d'entre nous dans vos rangs.
_ Aurais-je manqué un épisode ? Les rats quittent déjà le navire ?
_ Nous nous rangeons simplement du côté du plus fort.
Naem le dévisagea.
_ Vous venez de rater votre examen d’entrée. Notre armée est un corps d’élite : nous n’acceptons pas les tires-au-flan qui ne manqueront pas de nous quitter si le vent tourne à nouveau.
Cortez se pinça l’arrête du nez.
_ Nous souhaitons partir parce que nous ne souhaitons pas mourir pour des idées que nous ne partageons pas.
_ J’imagine que ces idées ne sont pas les vôtres mais celles de votre employeur… Quel intérêt avons-nous à vous recueillir ?
_ Tout d’abord vous pourrez sortir de cette cellule ce qui n’est pas peu dire. Puis, mon… employeur, nous l’appellerons ainsi, est assez bien placé au gouvernement et pourrait bien fournir d’amples renseignements à votre armée.
_ Qu’est ce qui vous fait croire que nous avons besoin de vos renseignements ?
Cortez se leva, sentant la moutarde lui monter au nez.
_ Merde ! J’ai jamais vu quelqu’un aussi peu désireux de quitter sa prison ! Démerdez vous après tout, puisque vous vous plaisez ici !
_ Je ne dirais pas ça, non. Mais le fait est que si je retourne d’où je viens, j’ai plutôt intérêt à avoir un bon laissez-passer si vous voyez ce que je veux dire.
_ Non je ne vois pas… expliquez vous, que voulez vous exactement ?
_ Si vous ne voyez pas, alors je ne peux plus rien pour vous.
Naem jeta un coup d’œil à la caméra située derrière l’épaule gauche de Cortez qui n’enregistrait que l’image. Il sourit à l’objectif puis à Cortez.
_ Gardes !
Cortez tiqua. Décidément, il ne le comprenait pas. Naem se recoucha. Les gardes ouvrirent la porte mais restèrent à l’extérieur, Cortez les y invitant la main levée. Il se frotta le nez puis s’avança tranquillement de la vitre, d’un pas assuré. Il se racla à nouveau la gorge.
_ Vous entendez ?
Naem haussa un sourcil sans détourner le regard du plafond.
_ Moi non plus, reprit Cortez. Je n’entends rien.
Naem se rehaussa calmement.
_ Pas de sirène, pas de cris, pas de bruit… pas de missile. Nous avons des informateurs plutôt bien renseignées qui nous ont appris qu’une des hauts gradés de l’Amiral Oïc l’avait trahi. J’imagine que c’est ce qui l’a retenu.
Naem ouvrit la bouche mais Cortez le devança.
_ Mais bon, il paraît qu’elle est enfermée dans un des cachots, à l'ancienne vous comprenez. Je pense donc qu’il ne va plus tarder à nous rendre visite…
Naem serra les poings.
_ Bonne nuit, colonel Naem.
Cortez se courba et tourna les talons.
***
Tetsuo s’épongea le front après avoir passé plus de trois heures à expliquer aux sept scientifiques eurasiatiques présents, la façon dont il s’était pris pour neutraliser l’Ange. Il n’y avait plus personne dans les bâtiments de l’université scientifique de Canton à cette heure ci. Tous étaient réunis dans un petit laboratoire éclairé de deux ou trois néons. Tetsuo songea à Noé qui avait la chance de se reposer avec Naïa. Il se devait de créer ce filet anti-Ange et empêcher le Nouveau Monde d'attaquer avec les futures unités construites, ou déjà prêtes. Même si cette nation n’était pas encore tout à fait l’alliée d’Oïc, il leur fallait parer à cette éventualité.
Ses nouveaux collègues étaient penchés sur les plans d’un Ange qu'ils avaient mis des années à combiner, recherchant une manière de s'en protéger. Ils supposaient pouvoir le détecter à moins de deux cent kilomètres mais n’avaient pas vraiment pu tester leur théorie. L’épisode du train aurait pu être intéressant si le projet n’avait pas été abandonné par faute de résultats des mois auparavant.
A présent ils savaient qu'il existait une solution, restait à savoir comment mettre en place cette méthode dans toutes les villes de l’Eurasie et ceci sous peu de temps.
_ Bien, nous devrions nous partager les tâches, fit Adam. Evens et Cesario vous vous attelez à réécrire le code source.
Ceux-ci levèrent la tête :
_ Mais nous ne savons même pas par où commencer !
_ Peu importe, Monsieur Kanéda doit rester parmi nous afin de trouver une méthode de mise en place du système de défense.
Adam Popper était le chef de l'étude en quelque sorte, d’une soixantaine d’années et faisant autorité dans le cercle très fermé des scientifiques restés en Eurasie. Il avait lui-même composé son équipe de recherche : Evens et Cesario étaient des pointures en informatique et en physique élémentaire. Sarah Ron Keith était astrophysicienne mais surtout présente pour ses capacités en mathématiques avancées. Les trois autres scientifiques, Johner, Iwari et Novae étaient réputés dans le domaine de la mécanique et la physique des fluides. Bien sûr, ils ne couvraient pas tous les domaines de la recherche nécessaire, mais leur savoir et leurs compétences primaient sur la nouvelle génération encore à l'école. Celle ci était pressée par le gouvernement d’étudier et combler le manque de l’Eurasie depuis la migration massive des têtes pensantes, pendant la dernière guerre, vers la CITL.
Tetsuo souriait intérieurement, Adam Popper était au courant pour sa participation à la WHW et même si l’homme était peu intéressé par l’informatique, il était assez intelligent pour savoir que l’utilisation qu’en avait faite Tetsuo et ses congénères valait une reconnaissance et non un procès.
_ Partez de ce que j'ai fait dans le train, proposa-t-il. Ce n'était pas parfait mais suffisant contre l'Ange en question. Il faudra revoir toute la partie sécurité de l'algorithme et peut-être trouver un meilleur enchaînement des fonctions.
_ Il me faut ça pour neuf heures, dix heures au plus tard, ajouta Adam.
_ Mais, il est déjà trois heures du matin et…
_ Alors ne perdez pas de temps.
Il n’attendit pas leur réaction pour se tourner vers ses collègues.
_ Bien, quelqu’un a-t-il une idée pour mettre en place le dispositif ?
_ Nous pourrions créer un émetteur qui…
_ Pas assez de temps, pas assez pratique, coupa de suite Sarah.
_ Alors pourquoi pas un réseau triangulaire de radars afin…
_ Même chose, et les radars ne seraient d’aucune utilité, il faut que le système soit automatisé, qu’il soit implantable dans chaque ville équipée d’un bouclier et ceci sans avoir à se déplacer pour l’installer, coupa-t-elle à nouveau.
_ Puisque vous savez si bien contredire nos idées, pourriez vous nous donner la solution mademoiselle Keith ? fit Johner, un anglais plutôt revêche.
_ Non, je n’ai pas de solution, mais en éludant les vôtres, je nous fais quand même avancer.
_ Toutes pareilles dès qu’il s’agit de prendre des responsabilités ! reprit Iwari, un asiatique de trente-deux ans, aîné de sa collègue d’à peine quelques lunes.
_ D’autres idées messieurs s’il vous plaît, relança Adam, toujours aussi calme.
Tetsuo souriait, il ne les connaissait que depuis peu mais il avait déjà remarqué que si certains avaient l’air d’être rudes avec leur collègue, il n’en était pas moins qu’ils la chouchoutaient. Après une quinzaine de minutes de discussion, de propositions, de rejet de possibilités par Sarah ils n'étaient pas plus avancés. Comment pouvaient-ils en moins d’une demi journée installer cette protection dans toutes les villes qui… il sursauta et, fébrile, il demanda :
_ Excusez moi, mais n’y avait-il pas à leur installation des problèmes entre les boucliers et les générateurs ELW ?
_ Effectivement, mais je ne vois pas où vous voulez en venir, commença Sarah.
Novae cernait à peu près ce à quoi Tetsuo pensait et s’empressa donc de l’informer :
_ Le problème a été résolu, le bouclier créait des interférences avec le générateur ELW, la télévision était mal reçue, la radio brouillée et l’arrivée d’énergie souffrait de pertes conséquentes. Nous avons dû régler les boucliers afin d’éviter ces ondes parasites.
Tetsuo resta silencieux comme tous ses collègues.
_ Nous pourrions peut-être implanter le programme dans le générateur ELW ? Suggéra Sarah.
_ Impossible, le bouclier limite le champ des ondes.
_ Si on réglait le bouclier pour laisser passer ces ondes ? retenta-t-elle.
_ Non, nous perdrions par la même occasion beaucoup d’énergie. Il nous faudrait un moyen d’atteindre l’extérieur sans que l’on ne puisse pirater nos installations.
Le silence se fit à nouveau. La technologie capable de tromper la technologie évoluait continuellement. Dans le domaine de l’informatique, depuis la WHW, il était aisé de pirater n’importe quel système basé sur d’anciennes clés de cryptage. Les gouvernements préféraient alors miser sur leur tactique que sur leurs capacités informatiques. Ainsi les armées aériennes avaient disparu tout comme les transports aéroportés, victimes de hacks fréquents. Les Pornevs étaient uniquement utilisés par le Nouveau Monde sur des cibles qu'ils savaient ne pas être aptes à les pirater. L’Ange était en quelque sorte, et comme à son habitude, passé au travers les mailles du filet car conçu pour ne pas être détecté, conception difficile à porter sur toutes les lignes aériennes civiles ou sur toutes les patrouilles de l'air.
_ Si nous utilisions le générateur du bouclier pour diffuser en continu le code de désactivation de l’Ange ?
Tout le monde regarda Iwari qui venait de pointer du doigt une probable porte de sortie.
_ En utilisant les ondes parasites ?
Il avait l’impression d’avoir raconté une connerie…
_ En réglant tous les générateurs du pays pour orienter ces ondes vers l’extérieur ?
… ou une blague que tous s’évertuaient à comprendre.
_ Non je disais ça comme ça.
Il s’assit sur un coin de bureau pour souffler. Il devait être trop fatigué.
Adam Popper toisa tous ses collègues afin d’avoir leur avis. C’était la solution qu’il leur fallait, adaptable à toutes les villes équipées de générateurs, facilement aménageable, leur nécessitant simplement d’envoyer les données à chaque centre de défense énergétique et complètement automatisée.
_ Il faut que le code soit assez court pour que l’Ange n’ait pas le temps de parcourir la distance à partir de laquelle nous le détecterons jusqu’au bouclier.
Tout le monde se redressa. Le bout du tunnel. Et au bout, au moins une demi journée de travail pour vérifier leur théorie et arriver à leurs fins. Tetsuo ne pensait plus ni à Noé ni à Naïa, il se sentait à l’aise, dans son élément. Pour une fois il avait réellement l’impression d’avoir fait avancer les choses… et dans le bon sens.
***
Noé se couvrit les yeux, le soleil matinal lui tambourinait aux paupières. Il commença par tendre l’oreille, pas de sirènes, pas de cris… pas encore. Il ouvrit finalement les yeux. Un garde passa sur le balcon. Naïa était déjà levée et se trouvait sous la douche. Ils n’avaient pas échangé un mot depuis leur conversation dans le train.
Il n’arrivait pas à faire le tri dans ses sentiments, son estomac noué. La guerre à venir ? La présence de Naïa ? Il ne trouvait pas sa place. On ne lui avait pas laissé le temps de grandir, de remettre en question sa vie ni de faire ses propres choix.
Après sa sortie de l’hôpital il avait été déporté avec sa sœur au Groenland où il avait vécu une période difficile tentant de se rendre important de peur qu’on ne le tue pour son inutilité. Bien sûr il n’en avait pas été question une seconde, mais il vécut ainsi pendant deux ans et demi, jusqu’à une énième attaque de l’Asie, où il fut séparé d'Angie puis évacué vers la CITL où il prit place dans les forces de l’ordre. Il n’était à l’époque plus qu’un corps sans âme, sa vie était amère et ses actes musclés le conduisirent rapidement au CRIJ où il fut un des précurseurs ; dans le feu de l’action il ne pensait plus à rien. Il n’y prenait pas son pied mais le temps passait plus rapidement ainsi. Il ne savait pas vraiment ce qu’il attendait de particulier mais il lui fallait s’occuper. Très vite il fut promu sur Aïo où se trouvait l’élite du CRIJ, la division des affaires étrangères.
A présent il se demandait toujours ce qu’il faisait en ce monde, n’ayant pas de réelle raison de vivre ni de se battre. Submergé de sentiments fades, sans repères pendant son enfance, sans valeurs auxquelles se rattacher, il avait finalement prit une décision la veille au soir : tenter d’influer, d’agir sur sa propre vie et arrêter de ne suivre que ses muscles. Prendre part aux évènements, laisser son emprunte. Il ne comptait pas se battre pour des tas de principes, mais pour sa sœur. Il la protégerait et quand elle serait en sécurité, alors… ça il ne savait pas encore.
Depuis la disparition d’Amîn, il ne lui manquait que le souffle de la vie. Noé était assis dans un fauteuil près de la baie vitrée. La porte à sa gauche s’ouvrit sur un des gardes :
_ Vous êtes attendus dans une demi-heure en salle de réunion.
La porte à sa droite s’ouvrit elle aussi, sur Naïa, qui entra en peignoir dans la chambre, se séchant les cheveux.
_ Bien, nous serons prêts, fit elle.