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Canton, Printemps 2069, Quelques temps plus tôt

La porte du hangar s’ouvrit de quelques mètres d'où deux hommes sortirent en courant. Ils traversèrent la route avant de relever et monter sur un vieux scooter magnéto-porté couché sur le sol. La rue était déserte, éclairée par le soleil de fin d’après midi. Le premier homme chercha à tâtons à désarmer la sécurité antivol tandis que le deuxième couvrait l’entrée du hangar arme au point, guettant d’éventuels poursuivants. Son confrère perdit patience et arracha le tableau de fusibles avant d’en shunter les fils. Un grésillement électrique se fit entendre. A peine le scooter avait pris quelques centimètres de hauteur, prêt à avancer, que son pilote entreprit d’essorer la poignée d’accélération.

Un autre engin sorti à toute vitesse du hangar, prenant en chasse le scooter : un biporteur des forces de polices accueillant un tireur surélevé à l’arrière et un pilote casqué, lequel négocia un large virage évitant les premiers tirs provenant du scooter. Celui-ci faisait de petites embardées slalomant entre les véhicules abandonnés sur la chaussé. Le tireur des forces de police n’avait pas encore épaulé son arme, attendant le bon moment pour neutraliser le pilote du scooter. Alors qu’ils essuyaient les tirs de couverture des fuyards la radio des policiers crachota :

_ Kanéda pour Neyma. Kanéda pour Neyma. Vous me recevez ?

_ Ici Neyma, 'attendons vos ordres !

Les deux autoportés débouchèrent sur un large boulevard de plusieurs centaines de mètres de longueur. Le tireur des forces de police avait le pilote du scooter en ligne de mire, à présent que celui ci pensait ne plus avoir besoin de zigzaguer et préférait filer rapidement.

_'avons la cible en vue. Ils se dirigent vers le point de contrôle H. 'permission d'engager ?

_ Ici Kanéda. Abattez-les ! Empêchez-les de rejoindre le point de contrôle. Je répète : tirez pour tuer !

Le scooter avait déjà avalé la moitié du boulevard lorsque le biporteur des forces de police se mit en travers de la route dans un grand dérapage et stoppa. Le tireur ajusta le dos du pilote en fuite. Celui-ci donna un coup d’accélérateur tout en tournant, l’arrière droit du scooter toucha le sol dans une gerbe d’étincelles tandis que l’avant levait dangereusement.

Le tireur de la police étreignit sa gâchette alors que le scooter visé virait à droite vers une ruelle, manoeuvrant pour rétablir sa machine. Le passager fuyard prit la balle dans le cou, le projetant au sol tandis que son compère pilote s’éloignait sans en tenir compte.

_ Merde ! cracha Neyma avant de relancer sa machine à la poursuite du fuyard. Il n’est plus qu’à deux cents mètres du point de contrôle !

Neyma dépassa la ruelle où avait disparu le scooter et engouffra son biporteur dans l’entrée de l’immeuble suivant, brisant les vitres de la porte. Tandis qu’il manoeuvrait dans de larges escaliers pour atteindre l’étage, le pilote du scooter en fuite avait fait la largeur du bâtiment et bifurqué à gauche sautant de son engin à l’angle d’un nouveau building. Il reparti en courant dans la rue sur sa droite sans jeter un coup d’œil derrière lui.

Inutile. Il lui fallait atteindre le point de contrôle, la frontière provisoire gardée par un peloton de soldats séparant l’armée du général Oïc du reste de la ville de Canton. Les soldats avaient ordre de tirer à vue et sans sommation sur tout véhicule s’engageant dans rue.

Le fuyard courait à présent, bras levés et criait aux soldats sur les hauts blocs de béton blanc de l’accueillir. Cinquante mètres dans son dos, au premier étage du bâtiment, Neyma déposait son passager, tireur d’élite, qui ne perdit pas de temps pour installer son fusil à trépied sur un bureau, près d’une baie vitrée donnant sur le point de contrôle cent mètres plus loin, au-delà de sa cible.

Le fuyard était à présent près d’une barrière en fer constituée d’une grande plaque de métal placardée sur le flanc d’un camion militaire dont on ne pouvait apercevoir la cabine.

Le tireur des forces de police était en position. Neyma avait doucement fait coulisser la vitre afin de ne pas être repéré au premier coup de feu de son coéquipier en brisant celle ci. Ils furent alors à même d’entendre leur cible :

 _ Laissez moi entrer ! Je travaille pour Hummel ! J’ai des informations ! criait-il en tentant de couvrir les voix des soldats d’Oïc qui lui intimaient de se mettre à genoux.

Le camion bloquant l’entrée du point de contrôle commença à se déplacer. Le fuyard était à présent à genoux. Le tireur des forces de police l’ajusta alors que le camion dévoilait petit à petit un canon gros calibre pointé sur l'ouverture qui protégeait l'avant-poste militaire.

Le fugitif releva un pied du sol et se leva doucement pour parcourir les derniers pas vers sa sauvegarde. Le tireur étreignit sa gâchette. Une fois. Le fuyard eut l’air de trébucher, une balle dans le dos et posa une main au sol. Le camion avait à présent totalement découvert l’entrée. Blessé, il releva la tête, le large canon était celui d’un lance-flammes qui le toisait, impassible, une dizaine de mètres en avant. L’homme leva une main vers sa seule chance de vivre, espérant peut-être que le canon le tirerait vers l’entrée de la base. Le tireur pressa à nouveau sa gâchette. Deux fois, trois fois. La cible s’étala de tout son long, une balle dans le cou, l’autre dans le crâne.

Le temps que les soldats de la CITL comprennent d’où venaient les tirs silencieux, Neyma avait récupéré son coéquipier tireur et se dirigeait à travers les bureaux vers l’escalier et la sortie de l’immeuble, à l’abri.

***

Dans les couloirs du Palais Impérial, Tetsuo Kanéda se faisait poursuivre par un de ses collègues chercheur, Iwari, ainsi qu’un conseiller de l’ancienne Administratrice de l’Eurasie, Lwaï-Tse-Now. Celle-ci avait été tuée dans l’attentat perpétré par l’amiral Oïc sur l’aéroport de Canton où un avion à priori diplomatique s’y était écrasé, rempli de biodisruspteur, causant la mort de tous les intervenants présents dans le terminal et la contamination des secteurs alentours.

A présent, ils se dirigeaient tous trois vers la salle de conseil où se ferait le point sur la situation du pays. Le conseiller français invectivait Tetsuo sur la façon dont il avait mené l’opération contre le fugitif alors qu’Iwari ne cessait de s’étonner de sa prise de décision.

_ Je n’arrive pas à croire que vous ayez donné cet ordre ! firent-ils en chœur.

L'intéressé se retourna, son physique peu banal pour un asiatique, à savoir plus grand que la moyenne, était plutôt travaillé : ses cheveux colorés rouge vif et ses lunettes aux verres jaunes fumés qui ne quittaient jamais son nez, ne pouvaient faire penser au premier venu qu’il s’adressait à un expert en informatique et explosifs.

_ Comment ça ? demanda-t-il.

_ Vous n’avez pas perdu votre sang froid, entreprit son collègue physicien. Je n’aurai jamais pu donner cet ordre car…

_ Moi non plus ! cracha le conseiller français. Il n’y a pas eu d’échauffourées depuis plus d'un mois entre l’armée de la CITL et Canton et voilà que vous donnez l’ordre d’abattre un citoyen qui cherchait à rejoindre ses compatriotes.

_ Un espion ! Voilà ce qui l’était ! Un espion qui avait découvert ce que nous préparons pour notre défense ! argumenta Tetsuo. Je n’ai pas de temps à perdre avec vous, s’il le faut je répondrai de mes actes dans quelques minutes devant le conseil… mais je doute qu’ils me blâment pour cette décision. A présent, si vous voulez bien nous laisser, nous avons à faire.

Son collègue scientifique, Iwari, sourit au conseiller quand Tetsuo l’emmena à part vers la salle de réunion. Quand ils y entrèrent, ce dernier remarqua qu’ils devaient être les derniers à arriver. Bien des personnes présentes lui étaient inconnues, sûrement des détachés d’adjoints hauts placés qui assistaient eux aussi d’autres hauts gradés.

Il reconnu néanmoins le dirigeant actuel de l'Eurasie, homme appartenant vraisemblablement au Sun-Yee-On, dernière triade active dans le pays. A la mort de l'Administratrice, Lwaï-Tse-Now, il s’était fait connaître comme étant son Dauphin et donc la personne à qui il incombait de prendre les rênes du pouvoir en attente de nouveau vote. La majorité de la population encore vivante étant à présent retranchée dans les refuges anti-atomiques, ou à l'abri du bouclier en ville, la mise en place d'un scrutin n'était pas vraiment une priorité à court terme.

Tetsuo avait appris par la suite que cet homme ne pouvait dévoiler son nom et restait ainsi le Dauphin, son absence d’identité concrète l’empêchant de s’approprier tous les pouvoirs.

Iwari prit place à ses côtés à la table ovale, pas assez grande pour accueillir toutes les personnes de la pièce qui resteraient donc debout près des murs. Ce n’était pas la première fois que Tetsuo était invité dans cette salle. Pendant les deux mois précédents, depuis le début du conflit initié par la Confédération Internationale des Territoires Libres, la CITL, toutes les deux semaines ils étaient convoqués afin de faire rendre compte du statut général de la nation. Le reste du temps, le Dauphin recevait ses informations et planifiait la stratégie militaire avec quelques conseillers et ses hauts gradés militaires uniquement.

Quelques minutes plus tard, tout le monde était arrivé et la réunion commençait. A présent que le sous secrétaire d’état détaillait l’ordre du jour connu de tout le monde, à savoir "faire le point sur la situation", Tetsuo remarqua, non sans un soulagement, que Howard Hackman qui avait ce rôle précédemment n’était pas présent. Cet homme lui sortait par les yeux tant il était évident qu’il ne cherchait pas le bien de la nation mais plutôt les faveurs des dirigeants. Le genre de personne que le pouvoir inspire plus que les conséquences de ses actes et qui, semble-t-il, ne donnait plus de nouvelles.

Les projecteurs s’allumèrent et diffusèrent sur les quatre hauts murs de la salle les images des vidéos conférences en provenance de chaque ville. En regardant celle de Sandoping, lieu de bataille autour du barrage alimentant les boucliers du pays, Tetsuo reconnut son chef, Noé, ainsi que le Major Dinnings, Naïa, à ses côtés. Noé avait en effet suivit Enzo Vasari, un italien responsable des forces spéciales eurasiatiques, pour aider à la défense de Sandoping, pivot de la sauvegarde de l’Eurasie.

L’homme du Sun-Yee-On, Suyeen comme Tetsuo avait mentalement choisit de le surnommer, prit la parole.

_ Aujourd’hui, 3 Janvier 2069, nous sommes réunis pour faire un état de la situation. Nous commencerons, si vous le voulez bien par les villes les moins problématiques afin de laisser les hommes s’en occupant retourner à leurs fonctions. Ainsi… -il retourna une de ses feuilles dévoilant une carte de l’Eurasie- qu’en est-il de Kiev ?

Il se tourna vers sa droite, cherchant du regard le délégué à la Mairie de Kiev, un homme d’une trentaine d’années qui prit la parole d’une voix portante :

_ Depuis la coupure du bouclier, comme vous le savez tous, des émeutes ont éclaté dans notre ville. Les citoyens demandent une réalimentation du bouclier ou une mise aux abris de la population.

Tetsuo se rappelait que Suyeen, le Dauphin, avait coupé l’alimentation du bouclier de Kiev pour parer aux défaillances du barrage de Sandoping, abîmé lors de l’explosion de son générateur.

_ En effet, bien que Kiev soit éloigné de la région méridionale de l’Eurasie, la population demande une prise de position de votre part ainsi que des décisions concrètes en vue de leur protection.

L’homme restait droit dans son fauteuil ne regardant que le Dauphin.

_ Voilà qui est concis, fit ce dernier. Rien d’autre ?

_ A part ça, rien dont nous ne puissions nous occuper nous-mêmes.

_ Très bien. Monsieur…

Il prit le temps de se remémorer le nom de son interlocuteur. Tetsuo avait d'ailleurs remarqué qu'il mettait un point d’honneur à se révéler proche de ses collaborateurs, afin de rendre les choses plus faciles.

_ Monsieur Eijd, quelle est votre opinion sur ces requêtes ? reprit Suyeen.

L’homme fit un bref tour de table du regard comme recherchant quelqu’un pouvant colporter ses dires.

_ J’ai dans l’idée que la défense de l’Eurasie passe par des décisions difficiles et qu’en aucun cas la coupure du bouclier de Kiev n’a été faite sans réflexion. Ainsi, la ville est à l’écart des combats de plus de six mille kilomètres et, dans l'éventualité d'une attaque, nous aurions le temps de nous en apercevoir à temps. Je crois que le ménagement de notre énergie est nécessaire surtout si cette économie peut permettre d'alimenter le bouclier d'une ville qui réussira à réparer son générateur saboté ou détruit dans les combats.

_ En d’autres termes, vous comprenez notre prise de position ? demanda le sous secrétaire d’état.

Un silence se fit dans la salle. Répondre par l’affirmative à cette phrase voulait dire que le délégué à la Mairie de Kiev rejetait la demande de ses citoyens…

_ En effet, se contenta-t-il de répondre.

…ce qui sous entendait aussi qu’il était au fait de plus grandes manœuvres et qu’il savait prendre du recul.

_ Très bien, continua Suyeen. Alors rapportez à Kiev qu’une mise aux abris reviendraient à tuer leur économie ce qui, en ce moment, leur est plus que nécessaire pour échapper aux griffes de la CITL à long terme. Ainsi je choisi de ne pas accéder à leur requête. Motion ?

Ce dernier mot indiquait qu’il requérait un vote rapide de ses proches collaborateurs afin d’assurer la décision. L’amiral Ivanov, un alcoolique invétéré à la tête d’une maigre flotte de vaisseaux eurasiatiques et le sous secrétaire d’état prirent part au vote à voix haute, ainsi que les trois conseillers de Lwaï-Tse-Now puis le récemment promu général Ozhane, chef des armées de Terre après la mort de son prédécesseur dans l’attentat de l’aéroport, le général Onara. Seul le conseiller français vota contre.

_ Motion acceptée par 5 voix contre six, conclut le sous-secrétaire d’Etat, d’un coup d’œil vers le délégué de Kiev. Vous pouvez retourner à vos fonctions.

La salle se vida quelque peu dans le silence. Tetsuo était impressionné par ce professionnalisme de la part de l’Eurasie. La nation avait beau être composée de multiples origines, tous savaient travailler avec efficacité dans le seul intérêt de leur pays.

_ Passons à Delhi, continua Suyeen.

Delhi, Pékin et Séoul ne prirent pas de temps à gérer, à part quelques problèmes d’acheminement d’énergie dans les abris souterrains, ces trois villes avaient été épargnées par l’armée de la CITL. En effet, Oïc avait opté pour des attaques sur Canton, capitale de l’Eurasie, place forte de la nation, et Sandoping, ville construite autour du barrage des trois gorges alimentant les boucliers ELW -Elementary Lightning Waves- de la majorité des villes eurasiatiques.

Il avait aussi concentré ses attaques sur Hô-chi Minh, Bangkok et Kuala Lumpur, où se trouvait massées la plupart de la flotte eurasiatique et la majorité des unités armées terrestres, bloquant toute possibilité de contre attaque lorsqu’il s'occupait de Canton et Hong-Kong. Cette dernière avait été prise rapidement, à cause de son bouclier hors d’usage, de part sa forte valeur en tant qu'ouverture sur l’Océan Pacifique d’où proviendrait peut-être une attaque du Nouveau Monde. Jakarta était, elle, la ville la plus faible et la prise de contrôle de son bouclier par des agents de la CITL infiltrés n’avait pas aidé à sa défense.

Avant de considérer le sort de ces villes, le Dauphin choisit de modifier son ordre du jour :

_ Passons à Canton.

Quelques murmures se firent entendre mais rien qui ne manquait de respect à cette décision ou ne nécessitait une prise en compte.

_ Voilà à présent deux mois que la CITL a lancé ses forces et pris les villes du sud. Pourtant, ici à Canton, ils se sont contentés de se cacher sous notre bouclier derrière des points de contrôles. La seule échauffourée a eut lieu ce matin lorsqu’un espion a été abattu, tentant de rejoindre son camp. Quelqu’un saurait-il me dire pourquoi ?

La question resta quelque peu en suspens puis Tetsuo choisit de prendre la parole à l’étonnement général :

_ Avant que nous ne scellions certains points d’entrée du bouclier, un petit groupe de soldats de la CITL…

_ Combien ? s’enquit le Dauphin.

Il était clair que Tetsuo avait intérêt à savoir de quoi il devisait s’il prenait la parole. Ce n’était pas sa récente réussite à créer un filet Anti-Anges, contrant une arme de destruction massive terriblement précise, qui allait lui apporter des faveurs.

_ Environ deux cents, monsieur. Ils se sont introduits pour échapper au biod qui coulait sur les parois du bouclier. Nous avons d’ailleurs eut quelques contaminés, en plus de l'attentat à l’aéroport, à gérer. Ainsi le reste des troupes n’a eut le temps de se mettre à l’abri quand ceux qui n’étaient pas contaminés sont retournés vers Sandoping. Reste que ces hommes ne sont pas assez nombreux pour attaquer Canton tous seuls, mais occupent un espace relativement adapté à leur nombre, leur permettant de se défendre nous empêchant de les mettre dehors. Il serait inutile de perdre quelques effectifs uniquement pour les chasser alors qu’ils pourraient eux-mêmes se révéler précieux.

_ Précieux dites-vous ? Des déserteurs ?

_ Non, il n'y pas de désertion dans l’armée de la CITL... Quoiqu’il en soit ils ne sont pas dangereux pour le moment. Les forces de police sont plus occupées à traiter certains groupes d’habitants des extérieurs de Canton réfugiés en ville, généralement des gangs de rue, qui n’ont pas rejoint les abris anti-atomiques et sèment la pagaille en pillant.

_ Un résumé concis, conclut Suyeen en jetant un regard à la dérobée pour vérifier que personne n’avait rien à ajouter. J’ai deux questions : comment êtes-vous au courant de toutes ces informations et pourquoi avez-vous pris la parole alors que je ne me rappelle pas vous avoir convié pour autre chose que le compte rendu de vos opérations ?

Tetsuo posa les yeux sur ses feuilles, faisant abstraction de tous les regards se tournant vers lui… sans compter les personnes en vidéoconférence. Il releva la tête et regarda le Dauphin dans les yeux.

_ Eh bien, il était nécessaire de passer au sujet de Sandoping immédiatement afin d’utiliser les ressources de Canton et des villes du sud avant que vous ne fassiez disposer leurs délégués.

_ Quoique vous ayez à proposer soyez bref, fit le dauphin jetant déjà des coups d’œil à ses notes, n’écoutant que d’une oreille.

_ Il faut se rendre à l’évidence, le point d’orgue de notre défense est Sandoping, barrage alimentant tous nos boucliers. Nous le savons… Oïc le sait aussi. Ce pourquoi il s’est empressé d’attaquer cette ville. En ce moment nous tenons toujours le barrage, mais si la CITL parvient à éliminer les forces d’oppositions dans le sud, il y enverra plus d’effectifs et nous le perdrons. Le barrage n’est pas la solution, il est le problème, surtout aujourd'hui, le bouclier de la ville étant inactif.

Il se tut quelques instants, attendant que l'idée chemine dans l'esprit de ses interlocuteurs. La destruction du générateur de bouclier à son activation, due à un sabotage de la CITL, mettait effectivement en péril le barrage et avec lui les boucliers des autres villes. Suyeen réfléchit puis lui fit signe de continuer.

_ Bien trop de choses dépendent de ce lieu que nous perdrons tôt ou tard. Il nous faut une solution de remplacement.

Un conseiller prit la parole :

_ Si nous avions une possibilité de remplacement, nous n’aurions pas éteint certains boucliers et perdu des villes, objecta-t-il.

_ Il existe une solution mais elle implique quelques risques. La base du colonel Naem au Grœnland est alimentée par un tore[1] qui délivre autant sinon plus d’énergie que le barrage de Sandoping.

_ Le barrage délivre l’équivalent de quarante huit réacteurs nucléaires ! Qu’est ce qui…

_ Vos propres scientifiques vous diront que cette Tore n’est pas un prototype et encore moins une version de poche, répliqua froidement Tetsuo.

Il détacha alors son regard du conseiller qui l’avait interrompu et reprit :

_ Envoyons une escouade prendre cette base qui n’a plus beaucoup de soldats en station et prenons la Tore pour alimentons nos boucliers. Oïc ne pourra pas attaquer et la base et l’Eurasie.

_ S’il ne peut pas, comment se fait-il que nous le puissions en état de siège ?

_ Ils ne s’y attendent pas, répondit Tetsuo. La base est facilement défendable en cas d’attaque et Oïc devrait diviser ses forces pour l’attaquer. Mais nous avons l’effet de surprise.

Puis il reprit où il en était avant l’interruption :

_ Ainsi nous alimentons les boucliers par relais satellite, de la même façon dont le monde opère depuis quelques années. Pour cela il nous faut aussi une couverture spatiale que l’amiral Ethan, du CRIJ, pourra nous fournir.

L’amiral en question, ancien chef de Noé, avait en effet dirigé tout un bataillon à se mutiner sur la station spatiale avant de se réfugier sur la Lune. Il avait alors communiqué sa volonté et sa capacité à protéger l’Eurasie.

_ Le CRIJ ? Mais c’est la CITL et nous ne pouvons compter sur eux ! s’insurgea un autre conseiller.

_ Je fais partie du CRIJ, ainsi que mon chef Noé ainsi que Naïa, coupa sèchement Tetsuo désignant ses camarades en vidéoconférence. Nous pouvons compter sur ses membres qui prêtent alliance à l’Eurasie. Pour résumer, Ethan couvre nos arrières depuis l’espace et protège les satellites relais. Reprendre Aïo n'est pas faisable actuellement mais les personnes en place ne peuvent quitter la station et attaquer la flotte d'Ethan sans perdre leur avant-poste.

_ Pourquoi ne pas tout simplement détruire Aïo ? demanda le Dauphin.

Silence. Noé, par caméra interposée, répondit :

_ Parce que la station nous sera très utile le temps venu. Je pense d’ailleurs que le plan de Tetsuo nous sera très favorable.

Il fit signe à Tetsuo de reprendre, intéressé.

_ Envoyons une escouade de Hô-Chi-Minh prendre la base du Groenland pour avoir une solution de secours en cas de perte de Sandoping, reprit celui-ci. Nous prenons la base, le réacteur à fusion nucléaire et déportons l'énergie, sous couverture de l'Amiral Ethan, pour sustenter tous nos boucliers. La situation alors stabilisée nous pourrons avancer dans…

_ Vous l’avez dit vous-même : Oïc, n’ayant plus trop de résistance dans le sud, renverra des effectifs sur Sandoping.

_ C’est la partie risquée – il regarda l’image retransmise de Sandoping et plus particulièrement Noé et Enzo Vasari – vous allez prendre cher le temps que cette mission n'arrive à terme, en particulier lorsqu'ils se figureront ce que nous prévoyons de faire.

Un grand silence se fit dans la salle et pour la majeure partie des personnes présentes, il était difficile à comprendre qu’on laisse cet inconnu parler et proposer des idées si farfelues. Néanmoins, Enzo Vasari, chef des forces spéciales et basé à Sandoping, prit la parole :

_ Je dois dire que cette idée me semble plus faisable que de vouloir protéger ce barrage. Il nous est très difficile de conserver nos positions, le barrage et la sécurité de la population dans les abris souterrains. Nous sommes constamment opposés à des tirs de biod et beaucoup de nos forces meurent contaminées plutôt que sous les balles ennemies. Nous nous faisons canarder sans relâche et avons besoin d’une solution de rechange.

Sur l’image projetée au mur, on pouvait le voir consulter des notes.

_ Je peux me séparer d’une vingtaine de mes gars des forces spéciales.

L’équivalent d’une approbation. A ce moment un autre homme prit la parole dans la salle de réunion :

_ Jerry Denak, délégué aux villes de Hô-Chi-Minh, Bangkok et Kuala Lumpur. Il nous est possible de retrancher nos forces près des abris anti-atomiques pour protéger la population et nous séparer d’une trentaine de soldats qui pourront rejoindre le Grœnland en navettes militaires. Ce serait ainsi un bon moyen de protéger notre logistique sans pour autant être exposés.

Tetsuo avait entendu dire que là-bas l’armée avait du mal à protéger toute sa base sans pour autant délaisser certaines parties de la ville. Les villes du sud n’étant pas loin les unes des autres elles pouvaient joindre leurs forces et s’entraider. La coupure du bouclier avait été une grosse difficulté mais plus encore le fait de voir la majorité des forces eurasiatiques coincées pour protéger la population et son entière logistique à un unique endroit.

Noé prit à son tour la parole :

_ Je suis aussi nécessaire à Sandoping que Tetsuo l’est à Canton, mais le major Dinnings ici présente –il désigna Naïa à ses côtés- connaît la base cible et pourra vous guider. Quant à l’amiral Ethan, j’ai la possibilité de le contacter, et nul doute qu’il est en attente d’ordres de l’Eurasie depuis qu’il a affirmé sa volonté de tout faire pour nous aider.

Les fonctionnaires autour de la table ne comprenaient pas la situation. Noé et Enzo Vasari sous le feu des ennemis nécessitant un relâchement de l’attention de la CITL, les villes du Sud autour de Hô-Chi-Minh, souhaitant uniquement protéger la population, se délestaient d'unités militaires tout cela sur les dires d’un scientifique dont la loyauté était à prouver.

Dans un coin de la pièce un homme se glissa un peu plus en avant à travers les rangs, restant tout de même à l’écart. Noé ne le savait pas présent à Canton lors de cette réunion mais aperçut néanmoins Tetsuo lui adresser un hochement de tête et l’identifia de suite : Hayao, ami de Noé et chef de la communauté Hôs. Celui-ci regarda alors le Dauphin qui prit la parole :

_ Envoi de vingt unités de Sandoping supervisées par le major Dinnings, une unité scientifique de Canton et une trentaine d’unités du sud. Elles auront pour mission d’attaquer et de prendre le contrôle de la base du colonel Naem au Grœnland puis de relier la Tore à nos boucliers par relais satellite. Dans le même temps, l’amiral Ethan devra protéger les satellites, couvrir l’éventuelle attaque du Nouveau Monde sur la base pendant son assaut et prévenir une attaque d’Aïo. Monsieur Denak…

Le délégué des villes du sud se leva.

_ …vous enverrez tous les effectifs dont vous pourrez vous passer à Sandoping, en renfort pour la protection de la ville et en attente de la réussite de la mission. Motion ?

Hayao regarda tour à tour chacun des protagonistes. La motion fut votée à l’unanimité.

_ Bien. La séance est terminée pour ce matin, conclut le Dauphin. Reprise cette après midi pour ceux qui n’ont pas leurs reçu ordres. Monsieur Kanéda je compte bien vous y voir, vous ne m’avez toujours pas dit comment vous avez pris connaissance des informations classées.

Il se leva, tout le monde l’imita, puis sortit de la salle. Dès lors un grand brouhaha emplit la pièce. A travers le monde massé, il y eut un échange de regard entre Tetsuo, Naïa, Noé et Hayao. Tous avaient du boulot à faire. Un dernier hochement de tête, en guise de remerciement, de Tetsuo à Hayao, puis sans un mot, chacun prit un chemin différent.



[1] Equivalent d’un réacteur pour la fusion nucléaire. Beaucoup plus puissant.

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