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Côte Atlantique

_ Il n'y a que le Nouveau Monde pour avoir encore des vaisseaux de guerres fonctionnant avec de l'énergie fossile.

_ "Energie Fossile" ?! Tu ne peux pas dire essence comme tout le monde ?

_ Si bien sûr, mais je ne suis pas "tout le monde". Je serais "tout le monde" je ne me demanderai pas pourquoi ils utilisent encore de l'essence pour le fonctionnement leurs navettes de guerre !

Naïa s'approcha des deux scientifiques et mis fin à leur discussion :

_ Tout d'abord, ce n'est pas un "vaisseau" ou une "navette de guerre" mais un intercepteur.  Puis il ne vient pas du Nouveau Monde mais d'une base de la CITL en Antarctique d'où nous nous sommes échappés. Pour finir, la CITL considérait que ces navettes seraient plus utiles en temps de guerre si elles explosaient lors de leur crash pendant leurs raids sur les villes ennemies.

_ Ce qui expliquerait pourquoi ils n'en ont plus beaucoup, fit Johner…

_ Combien de temps vous faut-il pour faire le plein d'un intercepteur, Johner ? coupa Naïa. Nous n'avons pas de temps à perdre, les troupes de Hô-Chi-Minh viennent d'arriver.

_ Heureusement que l'on n'a pas utilisé l'entonnoir comme il voulait le faire au départ, railla le second scientifique, qui terminait quelques réparations.

_ La ferme Novae ! Je maintiens qu'il aurait été intéressant de filtrer les impuretés et…

_ Nous n'avons pas le temps Johner ! coupa à nouveau Naïa. Magnez vous le train et remplissez moi ce foutu réservoir !

Elle tourna les talons avant même qu'il ne trouve à répondre. Johner s’affaira à remplir le réservoir, en vérifiant qu’il n’en versait pas à côté. La probabilité était faible étant donné que le tuyau de la pompe était logé sur plus d’un demi-mètre dans le réservoir, cependant cela le rassurait sûrement de savoir que ses yeux n’iraient pas vagabonder sur la descente de reins du Major Dinnings qui s’éloignait sur la plage.

Le général Ozhane regardait attentivement l’écran de son portable assis dans le sable, ses deux lieutenants au garde à vous devant lui, plus pour le protéger du vent marin que pour le conseiller. Naïa vint poser ses fesses auprès du général non sans que ses lieutenants n’esquissent un haussement de sourcils à cette familiarité. Ozhane choisit de ne pas lui faire plaisir en jouant de son grade supérieur et pris le parti d’ignorer ce geste.

_ La navette est-elle prête Major ? s’enquit-il.

_ Bientôt général, répondit-elle, dévisageant les deux soldats faisant le pied de grue, grignant pour protéger leurs yeux du vent soufflant le sable des buttes.

Le général lui jeta un regard en coin :

_ Etes vous sûre Major que tout fonctionnera selon votre plan ?

_ Il le faut général, c’est le seul transport qui puisse passer l’authentification et nous éviter les tirs de canon à photons.

_ Ensuite ? Que comptez-vous faire ? Prendre les clefs au chien de garde et les glisser sous la porte ?

Naïa sourit mais ne répondit que lorsqu’elle se rendit compte qu’il attendait bel et bien une réponse :

_ Vous n’avez pas eu le mémo ?

_ Si, mais il n’est pas très épais, fit-il avare d’explications.

_ Il est concis et je n’avais pas le temps de faire des formalités. Vous ne l’avez donc pas lu ?

_ Pour l’instant il est plus utile là où il est.

Il fit un signe de tête vers le sable entre eux deux où Naïa entrevit un morceau de son rapport sous le postérieur du général.

_ Je comprends pourquoi vous le vouliez par écrit.

_ Le sable est froid et humide à cette époque de l’année fit-il sarcastique… Comptez-vous me répondre un jour ? ajouta-t-il sur un ton plus dur.

_ Nous nous infiltrerons avec le groupe d’hommes que vous avez sûrement dû préparer et couperons les sécurités. Mon collègue, Tetsuo, devrait être en mesure de contrôler ces fonctions si nous lui accordons un accès à la base. A partir du moment où vous attaquerez, il faudra demander à l’amiral Ethan de se poster en orbite et prévenir toute attaque d’Aïo ou du Nouveau Monde.

_ Aussi simple que ça ?

_ Sur le papier oui, nous verrons bien pour le reste. Nous n’avons pas le temps de préparer plus en profondeur, Sandoping est …

_ Ca va ! Ca va ! Je suis au courant, je fais partie de l’armée eurasiatique, vous vous souvenez ?!

Naïa se leva, époussetant son treillis du sable de la plage.

_ Vos hommes sont-ils prêts mon général ?

_ Et votre coucou ? Est-il prêt à voler ?!

Naïa se raidit et toisa le général. Les lieutenants sentirent la tension monter doucement mais sûrement.

_ Auriez vous un problème avec le fait que je sois une femme ou que je ne sois pas native de votre nation … général ?! répliqua-t-elle froidement.

Les deux soldats jouant le rôle de paravent tressaillirent à cette remarque et plus encore lorsque Ozhane les toisa, guettant le début d’un sourire. Puis il fusilla Naïa du regard.

_ J’apprécie le fait que vous soyez directe. Que vous soyez une femme encore aussi… qui plus est dans cette tenue.

Une demi-heure plus tard, l'intercepteur de la CITL prit doucement de l’altitude. Naïa aux commandes jeta un regard au lieutenant assis à ses côtés, le visage conservant les traces de récentes blessures. Les renforts de Sandoping étant actuellement à Kiev, elle en déduit qu’il avait été blessé autre part :

_ Vous étiez en poste à  Hô-Chi-Minh ?

_ Non, j’étais à Canton, Major, répondit le lieutenant avec respect militaire.

Naïa comprit que le Général Ozhane ne les avait pas briefé de façon à ce qu’ils lui rendent la vie dure et, bien qu’elle n’ait pas vraiment conçu cette idée comme probable, elle en était soulagée. En effet Naïa n’avait pas pour habitude de se jeter dans une mission tête baissée avec si peu d’informations sur son déroulement. Malheureusement Sandoping ne pourrait pas résister éternellement et il fallait absolument trouver une solution de rechange à l’apport énergétique pendant que d'autres travaillaient, sur place, à la réparation du bouclier de la ville.

Son attention se reporta sur le lieutenant. Il lui fallait aussi le connaître un peu plus en profondeur avant d’affronter quoique ce soit à ses côtés. Son esprit d’analyse avait besoin de passer son profil à la moulinette, être persuadé que sous un feu nourrit il ne se mettrait pas à l’abri sans s’assurer que personne n’avait besoin de couverture. Oh bien sûr elle ne pouvait pas le savoir avec une simple conversation, mais faire connaissance et développer un léger lien permettrait d’améliorer l’attention entre partenaires au combat.

_ Vous savez, reprit-elle dans cet esprit, mon supérieur, Noé, avait pour habitude de dire que les situations que l’on vivrait dans l’action en unité de faible nombre ne nécessitent pas de telles formalités. Un simple respect des ordres de son supérieur suffit.

_ Elle jaugea l’effet sur le lieutenant qui acquiesça machinalement.

_ Je suis Naïa, ajouta-t-elle en lâchant le manche d’une main pour la lui tendre.

Le lieutenant regarda dubitativement cette main tendue à son encontre. La formation militaire eurasiatique n’était peut-être pas la meilleure au monde -parmi les pays restants- mais le contact physique était sûrement des plus évités. Naïa le relança gentiment :

_ Vous savez, ces boîtes à savon volantes n’ont pas une assiette facile à maintenir sur de longues distances, surtout avec une seule main sur le manche… ces vaisseaux ont été conçus pour des manœuvres rapides et…

Le lieutenant lui pris la main doucement et la serra, sans pour autant faire montre de virilité en tentant de lui briser les phalanges et exprimer sa force masculine. Leurs yeux se croisèrent un moment, puis le lieutenant retira sa main, ayant un léger geste vers le manche et le paysage.

_ Lieutenant David, Vaclav David. Et j’étais en poste à Canton, ajouta-t-il comme corrigeant sa première phrase.

_ A canton ? Il n’y a pas eu d’échauffourées pour le moment. Comment vous êtes vous blessé David ?

Le lieutenant paru légèrement gêné.

_ Vaclav… mon prénom c’est Vaclav. A moins que vous ne vouliez… se reprit-il après un court moment, se demandant si Naïa n’était pas le nom de famille du Major.

_ Non, non… excusez moi… Vaclav, fit-elle, comme testant la consonance de ce prénom.

Il sourit… sourire qu'elle ne put que lui rendre tant il était charmeur. Le visage du lieutenant encore tuméfié avait conservé des traits attirants. Ses cheveux sombres et coupés courts, en bon soldat qu’il était, tranchaient avec le bleu glacé de ses yeux à l'air inquisiteur et un regard difficile à soutenir. Son teint de peau très blanc suggérait des origines d’Europe centrale, ce qui amena une nouvelle question de Naïa :

_ Vous aviez de la famille en RPE[1] ?

_ Mes parents étaient Tchèques en effet. Le nom de famille se rapporte à d’anciennes origines judaïques.

La navette avait acquis une vitesse vertigineuse et déjà les côtes du Groenland se profilaient. Naïa se préparait à relancer la conversation sur la nature de ses blessures quand des rires fusèrent à l’arrière de l’appareil. Vaclav pivota sur son siège pour voir ce qu’il en était. Quatre autres soldats étaient entassés près des scientifiques Johner et Novae dans la soute de la navette. Tetsuo avait insisté pour qu’ils suivent Naïa dans sa mission sans qu’elle eut le temps d'en connaître le réel propos. Ainsi les deux scientifiques se retrouvaient pressés dans moins de six mètres carrés contre les crosses des fusils d’assauts eurasiatiques, à leur plus grand bonheur.

_ Que se passe-t-il ? s’enquit le lieutenant avec autorité.

Un des soldats releva la tête, dévoilant sous la visière de sa casquette une cicatrice barrant son front.

_ Cette fouine a enfilé un parachute au cas où nous tomberions sous les tirs de canons à photons.

Il désignait Johner rouge de honte, ou de colère, le lieutenant David n’aurait su dire.

_ Pour un scientifique il devrait surtout connaître l’effet de ces canons sur une coque aussi fine que celle-ci, rajouta un second soldat en donnant du poing contre la cloison.

Johner sursauta, agrippant la poignée de son parachute.

_ On ne va pas tarder à le savoir, fit Naïa pour couper court à toute agitation.

En effet ils arrivaient en vue de la base, encerclée de canons à photons enchâssés dans le sol sur un rayon d’un bon kilomètre tout autour. Aptes à décharger des rayons destructeurs d’un simple recul, ils étaient maintenant tous, sans exception, pointés vers ce nouvel arrivant, cette mouche cherchant à se poser sur le gâteau et qui finirait grillée si elle n’optait pas rapidement pour une autre destination.

Naïa conservait un mauvais souvenir de ces canons se rappelant l'aisance dont ils avaient fait preuve en abattant son vaisseau, le Storm, lors de sa première visite au Groenland.

Bizarrement l’atmosphère avait perdu sa chaleur dans le vaisseau…

 

Kiev

_ Général, une unité de Sandoping a appareillé et attend de réquisitionner la Lance Orbitale.

_ Faites les attendre, répondit nonchalamment le gradé en question.

_ Mais c'est urgent général, il leur…

_ Rompez soldat ! beugla le général.

La porte de fer se referma. Le général se leva de sa chaise métallique et prit congé de son interlocuteur. Au moment où son invité passait une autre porte vers un couloir adjacent, la lourde de fer s'ouvrit à la volée avec un grincement laissant passer Eijd, porte-parole de Kiev. Celui-ci entraperçut rapidement l'interlocuteur du général s'éclipser. Quelque chose lui mit la puce à l'oreille mais il ne sut quoi de suite, obnubilé par les évènements en cours.

_ De quel droit … ! entreprit le général.

Les troupes de Sandoping ont besoin de la Lance Orbitale de suite ! Ils doivent repartir dans l'heure pour compléter leur mission. Nous ne pouvons les faire attendre, du succès de cette opération dépend le sort de l’Eurasie…

_ Merci monsieur Eijd, dévoué porte parole de Kiev, fit le général avec un mépris plus que prononcé.

Ce disant elle devait faire référence au dernier conseil avec le Dauphin et son manque de prestation pour la levée du bouclier de Kiev. Elle, car le général était une femme au grand déplaisir d'Eijd. Non pas qu’il ait des opinions misogynes sur les capacités féminines au pouvoir, simplement il considérait que les généraux étaient particulièrement axés sur une politique et une direction d’une main de fer. Pour qu’une femme ait acquis cette position en dépit des attitudes militaires habituelles c’est qu’elle avait dû se montrer plus qu’efficace et d’autant plus dure dans l’organisation de ses troupes.

Ainsi l’armée eurasiatique créait-elle des généraux féminins aussi compétents que durs à vivre.

_ D’autre part je préfère attendre le discours du Légat de notre chère ville avant toute décision hâtive à ce sujet, reprit le Général avec un calme taillé et étudié pour insinuer l’agacement chez son interlocuteur.

Chaque ville eurasiatique était dirigée par un Légat supplanté par l’Administrateur ou son Dauphin mais cette autorité ne s’étendait pas en dehors des limites citadines bien elle s’appliqua entièrement aux troupes militaires stationnées en ville. Ainsi la géopolitique eurasiatique importait pour la manœuvre de l’armée.

La veille au conseil, Eijd n’avait pas cherché à obtenir grand chose du Dauphin car Kiev n’était pas une ville des plus prospères, ce qui impliquait deux choses à son opinion : la cité avait moins de poids dans la balance comparée à Sandoping, Hô-Chi-Minh ou Canton pour décrocher ce qu’elle souhaitait et, d’un autre côté, sa faible force impliquait moins de troupes armées et donc une perte peu conséquente d’unités en cas de blocage de la ville, qui se révèlerait donc être sans impact voire inutile.

Pourtant il semblait que le Légat n’avait que trop peu apprécié le refus du Dauphin de lever le bouclier, acte qui doit respecter un protocole bien précis, aussi important que le tir de missiles nucléaires autrefois. Réfléchissant plus avant, Eijd comprit que ce parlementaire souhaitait justement utiliser cet atout, la détention d’un prototype de Lande Orbitale, pour appuyer ses demandes.

C’était bien la dernière chose dont il avait à présent besoin, si le Légat ne se décidait pas en faveur de la requête du Dauphin, le général pourrait suivre la manœuvre et, au-delà du fait que la ville se mettrait à dos le reste des cités eurasiatiques, la sécurité de tous les boucliers s’en trouverait menacée.

Eijd choisit ses mots et les prononça un à un tel un ultimatum :

_ La Lance Orbitale est nécessaire aux unités déployées au Groenland pour relayer l’énergie vers Canton, fit-il d’un ton plus que glacé. Je n’y vois donc aucune –il prononça ce mot avec insistance- décision hâtive et en aucun cas un rapport avec l’éventuel discours du Légat.

Le général souriait, assis dans son fauteuil de cuir. Elle était habillée dans un tailleur vert kaki, une chemise marron sans ornements, les cheveux tirés en arrière mettant en péril la bonne tenue de ses rides frontales. Ses yeux perçants se plantèrent sur Eijd qui réprima un mouvement de recul. À son tour elle répondit du même calme plus qu’irritant :

_ Je crois que je n’ai rien d’autre à vous dire monsieur Eijd, sachant que vous ne faites pas partie du corps militaire. Ceci étant vous pourrez trouvez derrière vous une porte qui vous fera quitter cette pièce, puis la base, à mon plus grand soulagement.

_ Oui, assurément les généraux féminins avaient la touche nécessaire pour envenimer toute situation déjà difficile.

_ Si vous ne leur concédez pas la Lance Orbitale, ils risquent leur vie pour rien ! fit Eijd hors de lui. Tout ceci n’aura d’autre utilité que de perdre des vies au nom du Légat de Kiev !

Il aurait voulu insulter de tous les noms le général mais chaque mot qui lui venait à l’esprit pouvait être interprété comme un manque de respect machiste de sa part. En aucun cas il ne souhaitait s’abaisser à ce niveau et accorder une victoire à la vipère de général qui le toisait d’un air mauvais.

_ A quelle heure le discours ? demanda Eijd.

_ Pardon ?

_ A quelle heure le discours ? fit-il d’un ton sourd en se penchant sur le bureau de la gradée. Si vous vous attendez à ce que je vous donne à nouveau du ‘Général’, vous pouvez vous asseoir dessus ! Alors, à quelle heure pouvons-nous espérer avoir un retour ?

_ Dans deux heures tout au plus, cracha le général… mais que la réponse risque de ne pas vous plaire.

_ Le Dauphin se chargera donc lui-même d’expédier votre carrière dans un trou paumé, près des zones sinistrées de RPE !

En sortant, Eijd ne savait plus trop avec quelle véhémence il avait lâché ces derniers mots, tout ce qu’il avait en tête était de trouver un moyen de voler la Lance Orbitale en cas de réponse négative du Légat de Kiev, ce qui impliquait de devoir quitter les lieux par la suite avec les unités militaires pour éviter toute répercussion.

Il prit alors le chemin de sa maison pour organiser son départ et celui de sa femme en cas de mauvaise surprise.

 

Base militaire de la CITL, Groenland

Naïa pleurait.

Adossée au mur, les mains poisseuses de sang et le visage couvert de larmes elle pleurait tant elle ne revenait pas de ce qu’elle avait été obligée de faire. Son esprit refusait l’acte commis, sa conscience rejetait la culpabilité d’une telle action. Depuis combien de temps n’avait-elle pas pleuré, elle, femme au fort tempérament, de toutes les larmes de corps comme elle n’avait jamais dû en faire autant dans son enfance. Elle ne pouvait s’empêcher de fixer ses mains enrobées de pourpre. Une voix lui parlait d’un chuchotement insistant mais elle l’ignora.

La mission avait pourtant bien débuté, ils avaient passé avec succès les canons à photons puis avaient atterri non loin du bidonville. Une heure plus tard ils s’étaient mis à l’eau dans leur combinaison de plongée et avaient traversé la grille de minium du hangar d’appontement des navettes, laissant les deux scientifiques, Novae et Johner, en arrière au village de tôles pour une raison encore connue d’eux seuls. Le commando avait alors infiltré sans problème la base, essentiellement grâce au climat de conflit qui régnait entre les différents gradés se disputant le commandement. Ils étaient alors passés d'étages en étages par les gigantesques conduits de ventilation.

Oïc semblait faire fi de ces évènements à présent qu’il avait avancé ses pions en Eurasie. Il lui fallait absolument obtenir une position et ne pouvait donc pas se permettre de perdre du temps à régler de futiles problèmes. De leur côté, les soldats en faction dans la base faisaient leur possible pour clore rapidement la mutinerie. Sans doute savaient-ils qu’à son retour Oïc les flanquerait dehors à coup de pied au derrière s’ils n’avaient pas trouvé le gradé idéal pour le commandement. Ainsi fonctionnait donc ce semblant d’alliance militaire entre le Nouveau-Monde et la CITL.

Puis la mission avait dégénéré.

Alors qu’ils arrivaient à hauteur des serveurs, plusieurs patrouilles ennemies faisaient leur ronde, n’ayant pas tant que ça perdu le sens des priorités. Bizarrement, au moment où leur infiltration fut compromise, les soldats, tels des moutons ayant retrouvé un objectif commun, avaient déployé foule de moyens pour arriver à éradiquer le commando qui avait alors dû se séparer.

Naïa, Vaclav et un de ses soldats, Johanson, s’étaient alors éclipsés dans une salle de serveurs secondaires. En refermant la porte ce dernier avait pris une balle dans le torse qui lui fut fatale quelques secondes plus tard. Vaclav avait pris soin d’éliminer le tueur avant de bloquer l’entrée. La porte barricadée, ils se rendirent compte que le garde qui avait tué Johanson était seul et que les autres patrouilles avaient dû suivre les soldats eurasiatiques restants dans le dédale de couloirs.

Quelle idée d’avoir pensé qu’il serait simple de s’infiltrer dans une base, même si celle-ci était remplie de la lie militaire CITL et Nouveau Monde. Pourtant à aucun moment Naïa n’avait considéré cette infiltration à la légère. Ils avaient pris soin de déconnecter massivement, par le biais d’explosifs, le système de surveillance après avoir enjambé les cadavres d’une demi-douzaine de soldats qui gardaient cette partie de la base. N’ayant donc plus à faire attention qu’aux patrouilles le pire s’était tout de même imposé à eux : être pris en sandwich sans autre issue que de foncer arme au point vers un abri moins gardé. A présent le temps était la seule chose qui les séparait de la remise en fonction du circuit de vidéosurveillance et du retour des patrouilles.

Naïa pleurait toujours. Ses mains maculées de sang. Le sien ? Une voix chuchotait toujours à son attention mais elle ne pouvait pas répondre avant d’avoir l’esprit clair.

Elle s’était affairée à contacter Tetsuo, à l’aide de son clavier optique, utile pour ne pas avoir à allumer la lumière et risquer d’attirer plus l’attention. Alors qu’elle pianotait sur une simple table, du moins du point de vue de Vaclav qui ne pouvait distinguer les touches dessinées par un rayon infrarouge, elle avait réussi à accorder l’accès des serveurs secondaires à Tetsuo.

Malheureusement, ‘secondaires’ posait un problème à son coéquipier qui travaillait dur à pirater la base, assis dans un bureau à l’autre bout du monde. Il avait alors prévenu que cela lui prendrait plus de temps que prévu… Naïa n’avait pas pu saisir la suite. La grille fermant la bouche d’aération de la petite salle de serveur était tombée avec fracas, rapidement suivie par deux soldats ennemis. Ceux-ci n’avaient pas vu l’agent du CRIJ dans un coin et s’étaient attaqués à Vaclav, lequel prit d’emblée l’initiative de les désarmer à l’aide de coups bien placés, afin d'éviter tout nouvel arrivage de renforts au bruit d'inopportuns coups de feu.

Alors qu’elle le rejoignait pour le défendre, l’un des ennemis tombait déjà au sol, la nuque brisée. Mais le second, plus vif, saisit ce moment où Vaclav se remettait en position pour lui donner un coup de couteau dans le flanc. Vaclav s’était alors affaissé et son assaillant avait plongé pour l’achever…

Naïa lui était rentré dedans, le poussant au sol, roulant sous les baies des serveurs. Une lutte difficile s’en était suivie, Vaclav ne pouvant l’aider, blessé et à terre, n’avait pu que lui faire glisser un couteau de combat dans sa direction. Sous les tables basses il était difficile aux deux combattants de porter des coups agiles où la force était ce qui ferait la différence… mais Naïa ne faisait pas partie des aficionados d’haltérophilie.

Son opposant, au contraire, semblait habitué à soulever la fonte pendant les longs temps morts qui rythmaient sa vie de soldat. Ses coups étaient puissants, trop pour les côtes de la jeune femme qui entendit à deux reprises ses os craquer ostensiblement. Alors qu'ils roulaient d’avant en arrière, leurs têtes et leurs membres buttant contre les pieds de tables, les coups de faible portée pleuvaient. Du sang coulait de l’arcade de Naïa, de ses lèvres, son nez et elle entendait déjà moins bien d’une oreille. Son assaillant avait accusé un fort coup de tête dans la mâchoire et le nez, lui donnant un air particulier, son liquide vital s’écoulait à petit flot vers son menton sur tout le bas de son visage.

Naïa était une experte en armes à feu et, depuis toute petite, avant qu’elle n’apprenne les opinions politiques et les actes de ses parents, avait été entraînée à tirer avec tout type d’armes à feu. Quand elle y repensait de temps en temps, elle y voyait un conditionnement. Ses parents avaient aidé à renverser le gouvernement Australien et à créer la CITL actuelle, qui se trouvait être le paradis des scientifiques en exil et des personnes au compte en banque gonflé. Alors âgée de dix-sept ans elle avait vu ce qu’était devenu son pays, un foyer élitiste qui ne jurait que par l’intelligence et l’argent, d’où l’on avait expulsé ceux qui ne souhaitaient pas travailler pour un salaire de misère, dans l’ombre de la société… ainsi que ceux qui n’avaient, semble-t-il, pas de sang supérieur dans les veines, ne descendant pas de familles aristocrates, intelligentes ou renommées.

Après son enrôlement dans le CRIJ elle était donc devenue experte, sinon plus, en armes à feu, pilotage de vaisseaux et autres véhicules à forte propulsion. Elle se savait capable de bien des exploits avec un simple pistolet et avait été apte à bien des prouesses pendant ses missions. Pour autant elle n’avait jamais tué personne à mains nues et encore moins avec une arme blanche.

A cet instant précis, luttant pour sa survie avec le soldat de la CITL, de sa patrie, oppressée dans quelques centimètres de hauteur sous les serveurs de la base, son regard s’était posé sur la lame terne du couteau de combat. En une ou deux secondes qui lui parurent une éternité, elle avait prit le temps de détailler cet objet au manche incurvé et à la tranche extérieure dentelée, finement aiguisée sur l’intérieur.

Que voulait Vaclav qu’elle en fasse ?

Le soldat avait retrouvé une position dominante et Naïa dos à lui, contre son torse, une main vicieusement positionnée sur sa poitrine, l’autre bras passé autour du cou de sa victime, cherchant à verrouiller son accroche pour lui briser la nuque. Naïa n’avait plus que quelques secondes à vivre si elle ne faisait rien.

Elle le savait. Il le savait.

Sa respiration se faisait difficile… prendre le couteau serait une chose facile, Vaclav l’avait fait glisser juste assez près de sa main qu’elle n’avait qu’à tendre pour s’en saisir. Quelques secondes qui parurent une éternité. Elle ne pouvait s’empêcher de penser que c’était un compatriote qu’elle tuerait.

Tuer…

Elle pouvait aussi se contenter de le blesser ! Alors que le soldat allait parvenir à verrouiller son bras droit autour du coup de sa victime, cherchant de sa main l’épaule opposée de Naïa, elle se saisit du couteau et lui entailla le bras en question avec la lame dentelée. Le soldat poussa un cri qui lui détruit les tympans, l’homme lui braillant sa douleur aux oreilles, lui crachant du sang sur le visage…

Mais il ne lâcha pas prise pour autant et Naïa, qui avait cessé un instant de gesticuler dans cette lutte silencieuse, avait donné l’opportunité au soldat de la CITL de renforcer sa prise. Il avait ainsi trouvé l’épaule gauche de sa main droite refermant son étreinte autour de la nuque de Naïa. C’en était fait de sa vie.

Bizarrement, rien ne passa devant ses yeux. Aucun souvenir de fillette ou autre regret éprouvé durement. Non. Son inconscient prit finalement une décision qu’elle lui imputerait sûrement en vain par la suite, ses nerfs activèrent sa main armée du couteau qui s’affaira à taillader le bras du soldat. Naïa n’était plus la personne en quête de morale quelques secondes plus tôt, c’était un être humain qui luttait pour sa survie.

Le soldat hurlait à mesure que le couteau lui découpait les chairs. Il tenta vainement de terminer son attaque et de briser la nuque de sa victime mais alors qu’il tirait sur son bras pour resserrer son étreinte et briser le cou de sa victime, le couteau, animé par la mécanique inconsciente du bras de Naïa, commença à lui mordre l’os de ses dents dures, lui arrachant un nouveau glapissement.

Il lâcha finalement prise dans une tentative de sauvegarde de son membre, mais Naïa, ou plutôt la folie qui l’animait, lui retint le bras du poids de son corps. Tous deux étaient à présent allongés l’un à côté de l’autre, sous les tables basses supportant les serveurs secondaires auxquels Tetsuo devait être en train de s’attaquer, le bras blessé du soldat de la CITL sous le dos de Naïa. Une demi-seconde s’écoula avant que Naïa ne se retourne vivement sur elle-même et ne tranche la gorge de son compatriote… puis une seconde fois… encore.

Elle ne savait plus combien de temps s’était écoulé depuis qu’elle s’était extirpée de ce lieu étroit ni combien de fois elle avait vraiment porté de coups de couteau à son attaquant. Cet homme qui quelques mois auparavant se battait pour les mêmes causes qu’elle ou plutôt les causes qu’elle avait délaissées en choisissant de défendre l’Eurasie. A ses côtés Vaclav chuchotait à son attention avec insistance, ou plutôt avec le souffle qui lui restait. Une demande d’aide du lieutenant qui voyait la vie s’écouler hors de son corps.

Naïa pleurait. A travers ses larmes elle fixait ses mains. Ses mains de tueuse.

Vaclav sentait ses forces l’abandonner. Sa tenue était poisseuse de sang et une forte odeur métallique imprégnait ses narines. Il estima n’avoir plus que quelques heures à vivre tout au plus. Là était son point fort : l’optimisme. Au fond de lui, ce même jugement ne dépassait pas une heure.

Il rassembla ses forces et rampa vers Naïa. Celle-ci contemplait ses mains d’un regard vide. Un peu plus loin sous les serveurs la jambe de l’agresseur tressautait, agitée de spasmes nerveux. Seuls ces tremblements osaient rompre le silence oppressant, témoignant le départ d’une vie. Bizarrement l’esprit de Vaclav en vint à faire le rapprochement avec une phrase coutumière de sa grand-mère liant l’abus de café et le fait de trembler dans son cercueil.

Il parvintà la hauteur de sa coéquipière en état de choc. La douleur avait déserté son corps et avait fait place à une profonde envie de dormir. Oui, quelques secondes de repos… laisser son corps s’assoupir. Non ! Seule la mort l’attendait s’il prenait ce temps.

Il toussa, cracha du sang… encore des forces gaspillées. Il se mit sur le côté à portée du Major Dinnings qui ne l’avait même pas remarqué venir à lui, rampant pitoyablement dans son fluide vital pourpre. Il leva son bras à la verticale, grappillant le moindre reste de force. Il ne fallait pas se rater.

Alors il abattit vigoureusement sa main dans la figure de Naïa dans une dernière tentative de lui faire prendre conscience. Le coup projeta sa tête sur le côté mais Vaclav ne vit la suite et s’assoupit tout en pensant qu’il avait peut-être cogné un peu fort.



[1] Réunion des Pays de l’Est, sigle traduit de sa dénomination originale.

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