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Sandoping

_ Eloe ?!

Le soldat ainsi nommé se cachait de son poursuivant. Fort de multiples faits de guerre, militaire aguerri, il était capable de rester dans l'ombre sans manger des jours, des semaines entières, guettant l'opportunité qui lui ferait prendre le dessus sur l'ennemi.

_ Eloe ?!

La voix se rapprochait, dans quelques secondes il jaillirait telle une panthère et assaillirait son opposant. Généralement il lui était inutile d'être violent : à sa vue ses adversaires s'évanouissaient de stupeur ou s'enfuyaient. Aujourd'hui serait encore une victoire sur un énième adversaire, triomphe qui serait raconté et chanté dans toutes les villes de son pays, louant sa bravoure.

Il décida de faire durer la traque et partit en courant dans le dédale de couloirs faiblement éclairés par de pâles jalons lumineux. Il entendait son poursuivant courir lui aussi pour le rattraper. Cette bouffée d'adrénaline ! Il vivait pour cette montée en pression et lorsqu'il n'en profitait pas, il la recherchait, recréait cette situation propice où son corps exultait et décuplait ses émotions.

_ Eloe ! Où te caches-tu ?

Mais son adversaire n'était plus très loin à présent, presque sur ses talons. Le soldat tenta alors d'ouvrir les quelques portes qui s'offraient à lui dans le couloir. Peine perdue, s'il avait choisit ces lieux pour se cacher c'était essentiellement parce qu'ils étaient déserts. Les portes étaient closes et son poursuivant se rapprochait chaque seconde un peu plus. Oh il saurait facilement s'en défaire, pour autant l'effet de surprise était un atout qu'il appréciait utiliser.

Enfin ! Une poignée fonctionna et il entra dans la pièce providentielle, observant l'approche de son ennemi dans l'entrebaillement de la porte.

_ Eloe ?

Ses yeux à présent habitués à l'obscurité, il remarqua une faible lueur rougeâtre baignant la pièce. Se retournant il aperçut une horloge assez complexe posée sur une table. Il l'avait trouvé ! La base secrète de son…

_ Eloe !

La porte s'ouvrit brusquement, laissant entrer dans la pièce la lumière du couloir suivie d'une ombre qui l'attrapa par l'épaule. Ç'en était fini de lui.

_ Combien de fois t'ai-je dit que tu ne devais pas jouer dans ces couloirs ?! Si tu te perds, personne ne te retrouvera !

Le cœur de Titia battait à tout rompre dans sa poitrine. Elle prit son fils par la main et l'entraîna vers la sortie. Au moment de refermer la porte elle remarqua l'horloge qu'Eloe avait découvert. Son visage se figea. Elle hésita entre s'approcher ou… non. Ils repartirent sans mot dire vers les communs.

Ce serait terrible, Eloe le savait : quand sa mère ne disait rien la punition promettait d'être sévère. Une dizaine de minutes plus tard, ou plus, il ne sut, ils arrivèrent enfin en vue des communs, passant sous un cordon de sécurité gardé par un militaire.

_ Vous l'avez retrouvé on dirait, entama celui-ci.

_ Où… où se trouve le… votre supérieur ? bégaya sa mère en retour.

Le soldat haussa puis fronça les sourcils.

_ Ecoutez madame, il a sûrement profité d'un moment d'inattention pour passer. Et si vous le surveilliez mieux il…

_ 'rien à voir, mais je dois… je dois voir votre chef, répondit-elle tremblante.

Le militaire plissa les yeux puis jeta un regard alentours quand quelques secondes plus tard il sembla trouver ce qu'il cherchait :

_ Colonel !

Un homme de forte carrure releva la tête et traversa un groupe de personnes discutant pour les rejoindre. Eloe se dit au fond de lui que la punition était démesurée… puis considéra qu'il avait peut-être fait une bêtise de trop, quelque chose qui méritait qu'un Colonel se déplace.

Une vingtaine de minutes plus tard, le Colonel, sa mère et trois techniciens militaires étaient présents dans la salle autour de l'horloge complexe. Eloe ne comprenait plus trop se qui se passait mais ça semblait important. Il eut peur pendant un moment d'avoir finalement fait quelque chose de grave et en fit part à sa mère. Celle-ci le regarda puis fondit en larmes, le prenant dans ses bras.

_ Non, ce n'est pas de ta faute Eloe. Ce n'est pas de faute.

Elle sanglotait sur son épaule, attisant une angoisse indicible chez Eloe, lequel aperçut un technicien secouer la tête en signe de négation.

_ Il est trop tard, fit celui-ci blanc comme un linge. Il nous faut au minimum quinze minutes avant d'atteindre le niveau de surface… je ne peux pas…  et nous ne pouvons partir.

Toutes les personnes dans la pièce se regardèrent gravement quand le colonel s'avança pour fermer la porte à clé. Un technicien se prit la tête dans les mains et glissa au sol, dos au mur.

_ Je t'aime Eloe, je t'aime si fort, fit Titia secouée de sanglots.

Celui-ci remarqua alors quelque chose d'étrange par dessus l'épaule de sa mère : la pendule ne pouvait être à l'heure, son cadran digital indiquant une heure du matin. Or il savait que, quand il faisait nuit, les lumières de l'abri viraient au rouge, indiquant que le soleil était couché dehors. Mais les lampes étaient encore jaunes.

Plus étrange encore, l'horloge complexe comptait à l'envers.

Il n'était déjà plus qu’une heure moins dix.

***

_ Colonel Enzo Vasari ?

Un homme au teint hâlé et aux traits fins se retourna. Son attitude respirait l'autorité, la force et la puissance.

_ Qui le demande ? grogna-t-il.

_ Je suis un proche de Noé, j'aurai espéré que vous puissiez m'indiquer où je peux le trouver.

_ Vous ne voyez pas que je suis occupé là ?! répondit sèchement Vasari. Demandez autour, il est connu comme le loup blanc ici.

L'italien, chef des forces spéciales eurasiatiques pivota et continua d'organiser la construction d'un mur de sacs de sable dans l'avenue prolongeant la tranche supérieure du barrage. En face, sur l'autre rive, les troupes de la CITL tiraient dès qu'ils voyaient une tête dépasser, semblant se prendre au jeu du tir aux canards à la foire. Sandoping était devenue une ville en proie aux dérives démentes de la guerre.

Côté Eurasie, au nord du Yangtze, les hommes rampaient en file avec leurs sacs lestés, montant petit à petit le muret qui rejoindrait bientôt l'autre partie bien entamée de l'autre côté de la rue. Ils recréaient ainsi une troisième ligne de défense, dernière limite possible à définir avant les deux kilomètres de route à découvert traversant le fleuve vers le sud. Vasari se tenait à l'angle d'un bâtiment derrière une ligne invisible qui, il le savait, démarquait la zone où les militaires de la CITL pouvaient l'atteindre s'il la franchissait.

_ Malheureusement tous ceux à qui j'ai demandé n'ont su me répondre et m'ont envoyé à vous, insista l'inconnu.

Vasari se tourna complètement cette fois-ci et dévisagea l'homme basané de carrure moyenne, aux cheveux crépus dénotant des origines arabes, vêtu de ce qui semblait être un uniforme couleur sable bien que le colonel ne sut exactement de quelle section il provenait.

_ Je ne me rappelle pas vous avoir déjà vu dans le coin. Comment êtes vous arrivés ici ? Et comment diable vous appel…

Il ne put terminer sa phrase. Une brève et puissante secousse accompagnée d'une sourde explosion le coupa. La secousse repris et s'intensifia, le son devenant un grondement écrasant, faisant vibrer les cages thoraciques des militaires présents à Sandoping. Un tremblement de terre ?

Les immeubles frémirent, les soldats regardaient autour d'eux recherchant l'origine. Alors que la vibration gagnait en intensité, et que ses hommes se bouchaient les oreilles, hébétés, Vasari risqua un œil, en se tenant au mur, de l'autre côté du fleuve, par delà le barrage. Les troupes de la CITL semblaient elles aussi désorientées. Ce n'était pas de leur fait. Les militaires paniquaient mais ne couraient nulle part. Un bombardement ?

Une onde de choc passa à vitesse impressionnante, semblant plier la route, ébranlant les immeubles. La tour du générateur non loin de là oscilla. Les hommes perdirent leur équilibre et tombèrent à la renverse balayés par une main invisible et projetés au sol. Puis un nouveau grondement, différent, se fit entendre, tel un effondrement à la fois lointain et pourtant diablement proche, ils le savaient.

Une fois la dernière secousse passée Vasari jeta un œil à son PDA pour lire les informations du central … Éteint. Il vérifia l'alimentation mais fut étonné de voir que l'appareil était pourtant bien commuté en position de fonctionnement.

Pendant une minute la terre avait tremblé, la planète avait profondément soupiré, expiré d'une ampleur impressionnante. Plutôt que de voir ses hommes ne rien faire ou pire,  réfléchir, il leur ordonna de continuer le mur de sacs, profitant de la désorganisation de l'autre côté du fleuve. Alors qu'il comptait se rendre au QG, ne pouvant les joindre par radio, un technicien accouru dans sa direction.

_ Vous tombez bien ! grogna Vasari alors que le nouvel arrivant reprenait son souffle. Que s'est-il passé ? Le barrage a-t-il souffert ?

Ce disant il risqua un nouveau regard vers les lignes ennemies, étudiant leur comportement et vérifiant que le barrage ne cédait pas. L'opérateur souffla une dernière fois, les mains sur les genoux, puis entreprit :

_ Colonel Vasari… les abris… les souterrains…

_ Eh bien reprenez-vous mon vieux ! fit-celui-ci en le toisant.

Le technicien se releva puis le regard grave reprit :

_ Une bombe a explosé dans les abris.

Ce disant il désigna la montagne que Vasari ne put que contempler.

_ Tous les niveaux se sont écroulés, la roche a heureusement contenu l'explosion en se refermant comme une soupape. Au vu de l'onde de choc, nous pensons que c'est une tête nucléaire qui a soufflé tous les souterrains.

Il avait le teint pâle comme ne se rendant compte que maintenant de ce qu'il annonçait :

_ Il n'y a aucune chance de… la population de Sandoping a été… ils sont morts… tous.

Vasari ne dit mot. La flotte de Pornevs arrivait. Les abris souterrains étaient pulvérisés. C'était la fin, Oïc avait signé là un coup monstrueux. Son esprit ne parvenait à assimiler l'événement. Combien de personnes ? Combien de… il n'arrivait à cerner l'ampleur de l'acte commis. Un génocide d'une telle ampleur… Son esprit militaire refit surface, faisant tourner son cerveau à plein régime. Comment se pouvait-il que la bombe soit arrivée là-bas ?! Il fallait pénétrer une sécurité impressionnante. Une taupe, ils devaient avoir des personnes infiltrées sur leurs rives pour réussir à…

_ Ecoutez, je sais que l'heure est grave et c'est pourquoi je vous demanderai juste de m'indiquer où je peux trouver le Commander Noé, insista à nouveau l'inconnu basané. Vous avez plus important à faire et je vous laisserai donc…

_ Mais je ne sais pas où se trouve ce foutu Noé ! coupa brutalement Vasari. Je ne l'ai pas vu depuis hier soir !

Il s'arrêta. Une taupe…

_ Qui êtes-vous ?! Comment êtes vous arrivés ici ? reprit-il en s'approchant de son interlocuteur, menaçant et faisant signe à deux de ses hommes de s'approcher.

L'inconnu ne bougea pas, impassible. Vasari aurait même pu croire qu'il n'avait été présent pendant l'explosion tant il paraissait calme et déterminé. Les militaires se placèrent de part et d'autre du sujet, fusils apparents. Celui-ci ne leur prêta pas attention, comme s'ils n'étaient un problème, et plongea son regard dans celui du Colonel :

_ Je suis venu vous aider, fit-il. Je m'appelle Amîn et je suis un proche ami de Noé.


Base recherche & développement militaire, Canton

Tetsuo conversait avec Adam Popper, revoyant les derniers détails concernant le projet, quand le Dauphin de l'Eurasie s'approcha d'eux.

_ Excusez-moi de vous déranger, mais avant que vous ne partiez, je voudrais vous remercier de ce que vous faites pour nous.

_ En l'occurrence je n'ai pas vraiment le choix, sourit Tetsuo.

Le Dauphin haussa les sourcils.

_ Personne ne vous oblige, répondit-il sur un ton plus réservé.

_ Les scientifiques présents doivent rester ici pour piloter la production en série des exosquelettes. Il se trouve donc que je suis le seul à connaître assez bien leur structure pour avoir à me passer du manuel et mon entraînement au CRIJ me permet de les piloter en environnement de combat. Ce n'est pas ce que j'appelle du courage…

_ Oui, il va falloir que l'on songe aussi à rédiger ce mode d'emploi, songea Adam.

Le Dauphin continua néanmoins :

_ Et pourtant c'est votre vie que vous allez risquer pour nous. J'ai toute confiance dans la dévotion d'Emmerson et Nuñez qui vous accompagneront, mais je me dois de vous remercier de les diriger.

Un claquement sourd leur fit tourner le regard vers le dernier camion qui se libérait de sa pince de sécurité, acheminé du sous-sol où était réalisé le projet des exosquelettes.

 _ Bon courage, termina le Dauphin. Nous comptons sur vous.

Il tourna les talons tandis que le Colonel Yuan convoquait ses hommes pour le briefing dans un coin du hangar. Ils se trouvaient au niveau du sol au départ d'un tunnel renforcé d'un bon kilomètre, traversant le bouclier magnétique de Canton et menant à l'extérieur de la ville. Plusieurs portes de confinement en béton armé les séparaient ainsi de l'air libre et vicié de biod.

Tetsuo longea l'avant des trois camions blindés, garés côte à côte face à la sortie, et se dirigea vers une table où se trouvaient assis un homme et une femme, devant un panneau sur lequel étaient punaisés des cartes et des schémas. Il fit un signe de tête aux deux soldats et s'assit sur la chaise restante alors que le colonel Yuan entamait son briefing :

_ Lieutenant Kanéda, vous ne connaissez sûrement pas le lieutenant Nuñez, fit-il en désignant la femme à ses côtés, et le lieutenant Emmerson, indiquant l'homme mâchant semblait-il un paquet de chewing-gums entier.

Le silence seul lui répondit, l'ambiance était légèrement froide. Tetsuo remarqua que les deux militaires que l'on venait de lui présenter faisaient partie des divisions d'élite de l'armée Eurasiatique. Selon leurs uniformes Nuñez, la femme, était détachée de l'Eurasian Air Force et l'homme, Emmerson, arrivait de l'infanterie lourde de l'Armée Terrestre.

_ Bien, vous échangerez vos numéros plus tard, reprit Yuan. Les chauffeurs eux ne font pas partie de votre équipe et ne savent pas ce que vous transportez. Néanmoins soyez assurés qu'ils sont formés à ce qui peut se passer pendant le trajet.

Il se tourna vers le panneau et désigna un point sur la carte du monde, au dessus du Pacifique à l'ouest du contient américain.

_ La flotte de Pornevs du Nouveau Monde se trouve ici, atteindra la côte est Asiatique dans dix heures, et Sandoping moins de deux heures après. Le générateur du bouclier de la ville n'est pas encore réparé et il vaut mieux ne pas compter dessus, compléta-t-il en désignant Sandoping sur la carte de l'Eurasie. En revanche s'il venait à être réparé, la ville pourrait s'alimenter d'elle même en énergie

Il continua avec une rage sourde :

_ En décimant la population de la ville aux abris, Oïc veut nous forcer à quitter les lieux et leur laisser le barrage. L'onde de choc a endommagé nos équipements électroniques mais le générateur étant hors tension ainsi que nos batteries anti-aériennes, nous pouvons nous féliciter d'avoir conservé ces éléments. Il est évident que leur but premier, une fois la ville prise, est de couper l'arrivée d'énergie vers les autres cités du pays pour s'en emparer à leur tour.

Il prit un ton plus solennel et continua d'une traite :

_ Votre mission est d'aider la résistance de Sandoping à conserver son terrain jusqu'au fonctionnement nominal de la Lance Orbitale au Groenland, soit dans environ trente-quatre heures à présent, ou jusqu'à la réparation du bouclier de Sandoping et sa mise en route protégeant la ville des Pornevs.

Il fit une pause, s'assurant que son auditoire cernait bien les tenants de la mission.

_ Vous prendrez l'autoroute G207 puis à Jingzhou la S334, tous feux éteints, avec interdiction de vous arrêter même si vous perdez un camion. Ceux-ci ont été modifiés pour une signature énergétique moindre, vous passerez sûrement leurs radars sans soucis, mais cela ne pourra rien contre une paire d'yeux bien humaine. Il y en a pour six heures de route et ce sera bien assez long à tenir pour les unités actuellement résistantes à Sandoping. Le voyage ne sera d'autre part sûrement pas de tout repos, surtout si vous croisez des patrouilles de la CITL.

Il indiqua un point à l'est de la ville sur la carte, en aval du barrage.

_ Si vous y parvenez, vous pénétrerez dans Sandoping par un col dans les montagnes où vous joindrez un point de contrôle qui sera prévenu au dernier moment de votre arrivée. Alors vous vous posterez aux abords du barrage pour asseoir une protection et une force de dissuasion. Nous pensons qu'une fois les Pornevs en lieu et place, ils resteront à bonne distance des canons anti-aériens que nous contrôlons encore, mais enverront leurs nevs harceler notre front afin de faire couvrir leurs troupes au sol.

Ce disant il suivait du doigt la route au sommet du barrage, étroit défilé d'une cinquantaine de mètres de large sur deux kilomètres de long, menant sur une première île au nord-est où se trouvait le générateur puis, passées les écluses, sur la rive où se trouvaient le gros des forces armées eurasiatiques.

_ Une fois l'ennemi passé, nos troupes seront débordées et ne pourront probablement plus tenir l'île du générateur. Tout se base sur le contrôle de cette route du barrage où nous pouvons endiguer leur flot.

Le colonel Yuan quitta le panneau pour s'approcher de ses interlocuteurs, un sourire aux lèvres :

_ Afin d'aider à tenir ce point vous piloterez des exosquelettes, ou XO, que le Lieutenant Kanéda ici présent a aidé à terminer.

Il fit deux pas de côté invitant Tetsuo à prendre la suite, lequel se leva et désigna une épure des machines en question. Une armature, de quatre mètres de haut, à la silhouette humaine sans ce qui pourrait figurer une tête, était dessinée en croquis sur plusieurs vues. Le pilote était logé au bas de l'abdomen derrière une vitre de polymère teintée et deux bras mécaniques tenaient sur une vue un fusil en travers du torse, tandis qu'une autre montrait la même arme fixée dans le dos. Un grand sourire naquit sur le visage d'Emmerson et Nuñez. Tetsuo commença :

_ Ce sont des prototypes et nous n'en avons que trois. Actuellement la population aux abris de Canton est réquisitionnée pour aider à une production en série de ces XO, en sous-sol afin de garder le silence sur cet atout. Trois seulement pour le moment mais, croyez-moi, ces engins peuvent abattre un Pornev.

Les deux lieutenants haussèrent les sourcils : il avait capté leur attention.

_ Ces exosquelettes sont en cours de développement depuis plusieurs années par l'Eurasie et –il lança un regard au Colonel Yuan- je n'ai fait qu'aider au développement de la partie communications et électronique embarquée. Ce projet d'armement lourd et blindé en milieu urbain est basé sur la puissance, la robustesse et l'autonomie. Ce qui fait sa force est que tout a été misé sur ces trois points, mais sa faiblesse est que la sécurité du pilote n'est pas assurée.

Il se tut guettant un signe de nervosité de ses nouveaux équipiers. Aucun. Il semblerait qu'il serait le moins à l'aise des trois avec ce risque.

_ La puissance : le fusil de précision tire des projectiles d'uranium appauvri avec détonation à l'impact ou commandée, comme des Desert Scorps, ce qui permet de contrôler des forces blindées ou d'endommager sérieusement un Pornev après de multiples salves. Deux mini-canons rotatifs aux épaules permettent un relativement long tir de couverture à petit calibre. Il est aussi possible de marquer des cibles au laser pour des frappes à distance.

"La robustesse : une pile atomique logée dans le dos de l'appareil alimente un bouclier énergétique autour de l'XO : une fois installé dedans les défenses s'activent et seul le pilote peut les désactiver. Cette protection dispense du blindage habituel et autorise un stock de munitions bien plus important.

"L'autonomie, et c'est là sa caractéristique principale : chaque appareil contient une carte de l'Eurasie détaillée et segmentée, en fonction d'une clé entrée dans l'ordinateur de bord, afin de vous repérer et donner vos indications de mouvements ou regroupement. Pourquoi ? Parce qu'il n'y a aucune liaison entre l'XO et l'extérieur autre que la radio HF.

Les deux lieutenants, vraisemblablement habitués à être reliés à leur commandement de toutes manières possibles, bien souvent par satellite, haussèrent les sourcils.

_ Le pari est là, leur confirma Tetsuo, un blindé autonome et non piratable. Sa signature énergétique est donc très faible voire inexistante le bouclier abaissé. Quoiqu'il se passe vous ne perdrez pas contact avec vos coéquipiers et si l'ennemi peut espionner vos fréquences radio aisément, il ne peut en revanche pas connaître le plan segmenté de votre carte et vos destinations choisies. Le moniteur de bord est à mémoire d'affichage : s'il vient à s'éteindre lors d'un tir de charge magnétique, vous aurez toujours votre carte sous les yeux le temps qu'il se relance. Si votre radio vous lâche, ou en cas de silence nécessaire, un module d'émission infra rouge peut émettre en Morse et décoder les mêmes transmissions de vos partenaires.

_ En somme vous êtes retournés vers des armements primaires ? avança Nuñez. Vous prenez à contre-pied la course à l'armement technologique…

Elle réfléchit puis reprit avant que Tetsuo ne réponde :

_ Mais en fait l'absence d'appareils dépendant d'électronique ou de liaisons externes en font sa robustesse au détriment de la sécurité du pilote.

_ Une fois dedans vous êtes dans un cocon, confirma Tetsuo. Le bouclier peut tenir un mois sous feu ennemi continu de calibre moyen et vos réserves de munitions sont bien supérieures à d'autres exosquelettes du même type, grâce à l'espace de stockage disponible sans les multiples blindages et équipements électroniques retirés. L'ennemi ne peut pas pirater et prendre le contrôle de l'appareil de quelque manière que ce soit et vous n'êtes pas dépendant d'équipements à la robustesse discutable. Si tout l'équipement électronique d'assistance au pilotage vous lâche… vous pourrez tout de même poursuivre votre route.

_ Et ça bouge bien ? demanda Emmerson avec un lourd accent, Irlandais sûrement.

_ Ça bouge même très bien, sourit Tetsuo. Dernière chose, le contrôleur de fission de la pile atomique est désactivable, si besoin est. Mais attention, l'explosion raserait plusieurs pâtés de maisons.

Tetsuo se tu, persuadé d'avoir marqué le point en mentionnant la possibilité d'un suicide, puis tenta d'enfoncer le clou :

_ Le défaut est effectivement les risques que le pilote…

_ On a les fesses sur une bombe et on tire de l'uranium appauvri… coupa Emmerson.

_ Personne ne peut couper le bouclier et nous secourir s'il on est inconscient… compléta Nuñez.

_ La puissance de feu est impressionnante… et nous sommes les premiers à les piloter ! conclut Emmerson en regardant sa coéquipière. Yeeha !

Les deux lieutenants se levèrent et lancèrent ce qui semblait être un cri de joie en se heurtant les poings. Tetsuo soupira intérieurement, ils comprenaient vite… mais des têtes brûlées étaient la dernière chose qu'il espérait avoir en support. Il fit signe au Colonel Yuan de terminer.

_ C'est un atout de taille et s'il vient aux oreilles de ce salopard d'Oïc, nous perdrons tout effet de surprise. Il vous faut arriver vite sur place et si vous le pouvez dissimuler votre présence le plus longtemps possible afin d'éviter qu'il ne s'y prépare.

Le colonel invita ses auditeurs à se lever et à se diriger vers les camions.

_ Défendez l'île, couvrez la tranche haute du barrage, protégez les troupes réparant le générateur. Le lieutenant Kanéda vous briefera sur le fonctionnement plus détaillé des XO pendant le voyage. Nous avons fait une sortie avec une division près du point de contrôle B, de l'autre côté de Canton. Les troupes de la CITL à l'extérieur du bouclier s'y sont rassemblées pour tenter de pénétrer en ville. La voie devrait être libre de ce côté pour quitter l'agglomération. Bon courage, conclut-il d'un salut de la tête.

Tetsuo se dirigea vers son camion attitré en s'équipant du micro casque qui lui permettrait de converser avec ses équipiers dans les autres véhicules.  Une fois installé, il salua son chauffeur qui démarra le moteur. Le vrombissement des générateurs magnétiques à la base du véhicule accompagna la légère lévitation du blindé. Les trois camions étaient à présents parés et, sans autre cérémonie, la porte de confinement en béton armé s'abaissa, rentrant dans le sol. Les blindés avancèrent étapes par étapes et passèrent ainsi trois sas de sécurité.

Ils avaient à présent passé la limite du bouclier de la ville de Canton. Après une confirmation radio de la base derrière eux, la dernière paroi de confinement s'abaissa elle aussi. Au bout du tunnel, le soleil couchant donnait une teinte bleu violet au ciel, les toits puis les bâtiments de la banlieue apparurent avant le large boulevard qui s'offrait à eux. Le champ était libre si ce n'étaient quelques silhouettes lointaines aux mouvements, semblait-il, erratiques et vagabondant aux alentours de la chaussée : des habitants contaminés par le biod.

Sans mot dire le chauffeur écrasa l'accélérateur faisant bondir le camion vers la sortie, prenant la tête du convoi. Tetsuo inspira profondément lorsqu’ils quittèrent le tunnel protecteur de la base. Ils étaient à présent livrés à eux-mêmes jusqu'à leur arrivée à destination : Sandoping.

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