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Kiev

_ Nous interrompons nos programmes pour une déclaration spéciale de notre Légat, Dmytri Faïna-Vemko.

A l'écran la présentatrice fut remplacée par un plan extérieur de la mairie de Kiev accompagné d'un jingle sonore introduisant le discours. Quelques secondes plus tard le plan fixe fut remplacé par la transmission vidéo d'un homme assis à son bureau, dans une salle à la décoration prestigieuse. Ayant sûrement plus de la soixantaine et de rares cheveux gris résistants, il était vêtu d'un costume marron sans cravate. Les rides de son visage froncé traduisaient immanquablement une profonde irritation.

_ Chers citoyens, c'est avec détermination que je m'adresse à vous en ces heures sombres. Il y a deux jours de cela, l'administration de l'Eurasie, dirigée par son Dauphin aux compétences sûrement discutables, vous a refusé la sécurité d'une levée du bouclier. Invoquant la sécurité des autres villes asiatiques ils vous ont rejeté ce droit de défense dans notre chère ville de Kiev. C'est un acte intolérable sur lequel, comme nous vous l'avions informé, nous travaillons durement afin de rétablir le dialogue avec l'administration de l'Eurasie.

Il fit une pause pour calmer son ton d'une brève inspiration.

_ Depuis trop longtemps nous sommes mis à l'écart par cette nation qui a investi nos terres voilà six ans, nous ayant soit disant libérés de l'Europe, précédent envahisseur. A l'époque nous ne pouvions déjà nous défendre, subissant les attaques de nos voisins et avons accueilli avec joie la construction de notre bouclier par l'Eurasie. Encore eut-il fallu que leurs dispositions ne soient pas sans suite.

Ses petits yeux sombres renfoncés brillaient de colère alors qu'il faisait un nouvel arrêt.

_ Vous le savez aussi, nos nombreuses demandes quant à la décontamination des champs au nord de notre cité ont elles aussi été rejetées par manque de budget, celui-ci étant effectivement alloué au renforcement de leurs ressources alimentaires !

Il soupira.

_ Vous avez été plus que patients. Nous avons tous été persévérants. Mais aujourd'hui l'Eurasie a dépassé les limites de ce que nous sommes capables d'accepter : une section armée en provenance de Sandoping est entrée en ville et, contre tout autorisation de notre part, a pénétré de force dans nos installations gardées pour y dérober une Lance Orbitale ! Cet équipement leur permettra d'acheminer de l'énergie par relais satellite en orient pourvoyant à leurs besoins d'alimentation de leurs boucliers ! Ceci est intolérable !

Il tapa du point sur la table, sa rage ouvertement exprimée.

_ Vous en conviendrez nous ne pouvons plus nous laisser manipuler contre notre gré par cette nation, encore moins en ces temps d'insécurité où les menaces extérieures se font plus que sérieuses et dangereuses ! Nous avons donc décidé de dissoudre notre assemblée et avons reconduits les représentants eurasiatiques aux portes de notre ville. A l'unanimité, le nouveau conseil a voté et décrété l'indépendance de Kiev, afin de vous rendre vos droits et une meilleure gestion de la sécurité de notre ville ! En ce jour, notre ville est officiellement autonome. Nous ne répondrons donc plus des ordres donnés par l'Eurasie et vous n'aurez plus à subir leur politique laxiste !

Il eut un geste rassurant avant de reprendre :

_ La centrale nucléaire de Kazan est sous nôtre contrôle et son énergie entièrement redistribuée dès à présent, et exclusivement, vers Kiev. Notre première mesure votée, pour votre sécurité, sera la levée du bouclier avec effectivité immédiate.

Le flux vidéo sauta une seconde puis revint quelque peu brouillé un instant. Le flou disparu de l'image indiquant le mise en fonction indubitable du bouclier au dessus de la ville.

_ Vous voici à présent protégés de toute attaque de la CITL ou du Nouveau Monde. Mais je vous rassure : nous n'avons privé aucune autre ville de son bouclier de ce fait. Citoyens, soyez fiers de votre ville, de vos parlementaires, car en cet instant mémorable vous faites incontestablement partie de l'histoire en tant qu'habitants de la nouvelle principauté de Ruthénie[1], Kiev !

Le légat sembla se détendre, l'annonce faite.

_ Je reconnais que c'est une décision lourde de conséquences mais je sais aussi que notre ville est assez forte pour l'assumer. Dès demain, un forum sera mis en place afin de recueillir vos questions et requêtes sur lesquelles je reviendrai dès la semaine prochaine. Les premières mesures de l'assemblée sont de ne pas intenter de représailles économiques ou militaires envers l'Eurasie, qui a d'ores et déjà fort à faire contre la CITL. Nous leur proposerons même, dans un court délai, de leur fournir contre rémunération une partie de l'énergie dont nous pouvons nous passer, depuis la centrale de Kazan.

Il eut une esquisse de sourire sachant que c'était officiel, que sa ville entrait à présent dans l'histoire.

_ La deuxième décision est de nommer un chancelier qui aura pour tâche de représenter la ville, de travailler et exposer notre future politique extérieure en collaboration avec notre assemblée. Howard Hackman, ancien secrétaire d'état de l'Eurasie et fervent défenseur des revendications de Kiev au long de son mandat, a accepté le poste et sera ainsi nommé à cette fonction pour notre plus grand honneur. Le parcours de cet homme et ses états de service au cours de sa carrière seront assurément des atouts de taille afin de faire de Kiev une nouvelle place forte dans le paysage politique et économique mondial !

Il eut un signe de la main vers la caméra, incluant les téléspectateurs.

_ Je suis fier d'être légat de votre ville, de la confiance que vous m'avez accordé et certain que votre force et votre détermination de citoyens seront des plus à même de nous accompagner dans ce nouvel avenir. Chers habitants de notre principauté, merci de votre attention.

Il eut un franc sourire avant de prendre congé de ses téléspectateurs.


Groenland

_ Il revient à lui. Prévenez le major Dinnings, ordonna un homme.

Quelques secondes plus tard, une femme pris la parole :

_ Mais il n'est pas réveillé ?!

_ Techniquement si, ses ondes cérébrales dénotent clairement un éveil. Ça lui prendra peut-être quelques minutes avant d'ouvrir les yeux.

_ Au moins une bonne nouvelle. Et les autres, vous avez un bilan ?

_ Seize blessés dont sept graves et deux morts. Une des plus importantes blessures a conduit son patient à être extrait en urgence vers l'hôpital le plus proche. Kiev ne semblant pas enclin à les recevoir nous les avons envoyés à Delhi.

Une pause et la même voix repris :

_ Ça reste tout de même un bon bilan à mieux y réfléchir.

_ Deux morts…

_ Pour prendre une base où se trouvaient stationnés deux cents hommes avec quatre fois moins d'effectifs ! rétorqua l'homme.

_ Oui, si vous le prenez comme ça. Tetsuo a été d'une grande… Il ouvre les yeux !

Vaclav revenait enfin à lui clignant faiblement des paupières, la vision encore floue. L'homme qui semblait être le docteur prit la parole d'un ton sec :

_ Bon retour parmi nous, lieutenant David.

Celui-ci avait la gorge sèche et la bouche pâteuse. Il tenta d'articuler une question mais seul un son rauque provint de sa gorge.

_ Il a soif, suggéra le docteur à Naïa.

Celle-ci prit une timbale et une paille sur une table et aida Vaclav à se désaltérer. Le médecin continua pendant ce temps :

_ Vous avez perdu énormément de sang, lieutenant. Nous allons à nouveau vous transfuser sous peu, vous retrouverez alors rapidement vos forces.

Il parcouru le dossier qu'il tenait dans ses mains et ajouta :

_ Votre blessure était assez profonde et vous avez perdu un rein dans la bataille. Nous vous garderons trois jours en réa, pour vérifier que vous n'avez rien attrapé de méchant, puis nous vous renverrons en Eurasie pour y être soigné.

_ Je veux r… rester, articula difficilement le lieutenant depuis son lit.

Naïa et le docteur haussèrent les sourcils.

_ Voyez-vous ça, fit le médecin bourru, et pourquoi donc ? Vous seriez tombé amoureux du pays ? ou de quelqu'un peut-être ? fit-il en regardant Naïa.

Vaclav sourit mais celle-ci ne savait si c'était de la pique du docteur ou pour approuver ses dires. Il ouvrit la bouche pour ajouter quelque chose mais s'endormit avant.

_ Il semble bien fatigué le petit bonhomme, conclut le médecin.

_ Major Dinnings vous êtes demandée dans l'entrepôt, niveau de surface. Major Dinnings !

Naïa remercia rapidement le docteur puis quitta l'infirmerie. En sortant elle entendit le médecin demander deux packs en intraveineuse pour le lieutenant blessé. Elle appela l'ascenseur situé plus loin dans les couloirs et scruta sa montre une fois à l'intérieur : la Lance Orbitale ne devrait plus tarder à arriver. Les portes s'ouvrirent mais elle n'était pas encore à destination. Des soldats de l'Eurasie entrèrent dans son ascenseur, poussant un chariot rempli d'armes à feu récupérées sur les unités ennemies.

Tetsuo avait rempli son rôle en jouant avec l'ouverture et la fermeture des couloirs, l'activation et la désactivation des tourelles de défense, guidant leurs adversaires à leur insu. Ceux-ci s'étaient vites retrouvés bloqués au niveau 8 où les troupes Eurasiatiques les avaient neutralisés en vaporisant du gaz soporifique dans les conduites de ventilation. A présent ils s'attelaient à déplacer les corps endormis dans leurs futures cellules, les débarrassant au passage de leurs armes.

Arrivée au niveau de surface elle sortit cherchant si quelqu'un l'attendait tout en refermant son anorak. Ne trouvant pas la personne à l'origine de son appel, elle avança plus avant dans le dépôt où une dizaine de militaires vaquaient à leurs occupations, remettant en état l'entrepôt donnant sur les plaines du Groenland. A ce titre ils inspectaient chaque pièce d'arme présente dans la salle, appartenant avant à la CITL et au Nouveau Monde, vérifiant leur état de fonctionnement, manoeuvrant et classant le tout de sorte à préparer les défenses de cette entrée de la base.

Un cri sur sa gauche fit accourir le major où elle rencontra un soldat tombé d'un mini tank. Légèrement sonné il désignait l'ouverture du véhicule d'où suppurait ce qui lui sembla être du sang. S'en approchant un peu plus elle compris que c'était effectivement le corps d'un humain putréfié… et liquéfié coulant de la trappe au dessus du véhicule blindé. Elle se souvint alors de l'accident survenu à l'automne, avant leur détention dans les cellules de la base, où un camion de biod avait explosé dans ce même dépôt.

Elle grimaçait tout en reculant, n'osant imaginer ce qu'avait dû endurer la personne enfermée là, périssant à petit feu de sa transformation due au contact avec l'agent chimique. Ce faisant elle remarqua ce que l'alignement de blindés lui avait caché en sortant de l'ascenseur : dehors, près des portes de sortie de la base, gisait un vaisseau sur le flanc tel un mastodonte blessé dans la douce lumière du soleil matinal. Et pas n'importe quel vaisseau.

Courrant dans sa direction et au fur et à mesure de son approche, elle distingua clairement les lignes du Storm, son appareil abattu par les canons à photons après leur fuite de Montréal. Deux hommes travaillaient dessus, discutant avec un soldat leur apportant du matériel. Un grand sourire illumina le visage de Johner lorsqu'il vit Naïa arriver, fier de sa surprise.

_ Monsieur Kanéda pensait que cela vous ferait plaisir ! entama-t-il depuis le sommet du Storm.

Novae, son collègue s'approcha d'elle à son tour :

_ Il a supposé à raison que la base contenait assez de matériel pour remettre en état votre appareil.

_ Mon bijou ! reprit Naïa, émue.

_ Oui, votre…. bijou, se corrigea Novae observant l'épave.

Il faudrait qu'elle songe vivement à remercier Tetsuo de ce cadeau. Novae grimaça à la vantardise de son collègue scientifique :

_ Dans deux jours tout au plus et il volera comme à sa sortie d'usine !

_ Merci beaucoup, répondit Naïa. Je vous emmènerai faire un tour pour fêter ça !

L'entendant suggérer un voyage d'agrément dans les airs, Johner passa de cramoisi à blême d'inquiétude.


Canton

Le téléphone de Noé sonnait mais il ne décrochait pas. Tetsuo faisait les cent pas, portable collé à l'oreille. Répondeur. Il raccrocha puis recomposa le numéro de son supérieur. Il arpentait une salle de réunion dans un sous-sol de bâtiment militaire, allant et venant. Troisième fois qu'il tentait de joindre Noé sur son cellulaire. Celui-ci savait que c'était important sans quoi Tetsuo aurait attendu qu'il le rappelle.

Il allait abandonner lorsqu'on décrocha :

_ Noé ?

_ Oui, que veux-tu ? demanda celui-ci d'une voix bizarre.

Tetsuo n'en tint pas compte, trop impatient de lui faire part de ses nouvelles :

_ Naem s'est évadé de la prison de Canton ! Apparemment il aurait pris l'apparence d'un de ses gardes et est sorti au grand jour sans être inquiété.

_ Oui, j'ai entendu ça aux infos.

_ C'est tout l'effet que ça te fait ?! Je ne le pensais pas capable de modifier sa création restructurant son visage sans accès à un ordinateur ou autre équipement. Il sûrement reçu une aide extérieure, ce qui mène à penser que nous avons des soucis de sécurité en Eurasie.

Noé eut un silence.

_ Tout va bien ? s'enquit Tetsuo, inquiet.

_ Oui, oui, ça va. Tu devrais en toucher un mot à Naïa, répondit-il évasif.

_ Naïa, mais qu'est ce que… ? Je te dérange ?

_ Vous avancez sur votre projet ? éluda Noé.

Tetsuo réfléchit un instant, son supérieur agissait de manière vraiment étrange. Il mit cela sur le compte de la fatigue et de la pression qu'il subissait à Sandoping sous le feu ennemi, et répondit :

_ Nous sommes proches du but en effet, mais tu sais que je ne peux pas…

_ Oui, je le sais, coupa-t-il sèchement. As-tu pensé à ma requête ?

Un bruit sec se fit entendre au bout de la ligne.

_ Oui c'est fait, ce n'était pas très compliqué à mettre en place, bien qu'ils ne comprennent pas où tu veux en venir. Dis-moi, est-ce que tout va bien ? tenta à nouveau Tetsuo.

_ Oui, oui. Je te remercie, voilà un ajout qui va faire beaucoup de bruit.

Haussant les sourcils, le lieutenant Kanéda repris :

_ C'est le but d'un bruiteur d'ondes en effet.

_ Bon je vais devoir te laisser, coupa Noé d'une voix tendue. Merci encore, ce sera très utile ! Même si ce n'est que dans le silence que s'accomplissent les plus grandes œuvres.

Pour le coup Tetsuo ne sut que répondre et regarda son téléphone, ahuri, lorsque Noé raccrocha sans rien ajouter. Il avait cru entendre un éclat de voix à ses côtés mais ne put y réfléchir plus avant, un message sur son téléphone d'Adam Popper, chef d'affaire sur lequel il était consultant, le convoquait pour clore leur projet. Il sortit de la salle de réunion et partit alors en direction des laboratoires d'essais, tout en se promettant d'en discuter avec Naïa. Il n'omettrait sûrement pas de lui parler de ses soucis au sujet de l'humeur de Noé.


Baie du Bengale

Oïc était installé confortablement dans son fauteuil de cuir, face à son bureau, compulsant les derniers rapports sur les avancées de ses troupes.

_ Enfin une bonne nouvelle ! s’exclama-t-il, nous avons complètement investi Jakarta et ses alentours. Préparez mes affaires, nous avons enfin un point de chute sur le continent. Je ne serai pas fâché de quitter ce navire.

Seul Hummel, général et chef des opérations tactiques se trouvait dans la pièce. Celui-ci se retourna, s’apprêtant à découvrir un serviteur planqué dans un coin de la pièce, surgir et s’affairer. Non, ils n’étaient que deux. Décidément Oïc prenait n’importe qui pour son larbin.

_  Amiral, je crois que cet ordre devrait être relayé à quelqu'un de plus désigné pour…

Son interlocuteur leva la tête et lui coupa la parole :

_  Hummel ! Vous êtes encore là ?! Bon sang ! Que je n’aimerai être votre ennemi !

_  Amiral, je suis en effet au rapport à votre demande pour accueillir Akdov… comme il se doit. ajouta-t-il avec sous-entendu.

_  Oh ! Oui… je le sais bien ! Quand arrive-t-il déjà ? reprit-il en se donnant un air réfléchi.

Air que Hummel savait n’être qu’une façade. Avec toutes ses manipulations et expositions au biod, mêmes mesurées, il commençait à en accuser quelques effets secondaires. Les récents tirs sur les cités eurasiatiques ne pouvaient s’être totalement dissipées sans pour autant qu’une infime quantité ne se retrouve dans l’atmosphère.

Hummel avait surtout eut vent d’une exposition déraisonnable lors d’un des premiers tests du disrupteur. Ainsi la mémoire de l’Amiral montrait certaines faiblesses, Hummel s’en serait presque inquiété…

_  Général, je vous ai posé une question. Vous perdez la boule mon vieux !

_  Amiral, le général Akdov ne saurait tarder. Son transport a arrimé il y a quelques minutes.

_  Bien, vous vous rappelez ce que vous avez à faire, hum ? Je ne veux pas avoir ce chien galeux dans mes pattes lors de l’investigation des villes par nos troupes.

Hummel eut un léger hochement de la tête, tâtant discrètement sa poche pour vérifier que son contenu s’y trouvait bien.

_  Je suis sûr que ce vieux briscard va nous ennuyer à cause de la perte de ses espions !

Hummel acquiesça à nouveau, se remémorant l’ordre de l’Amiral de liquider tous les espions du Nouveau Monde connus avant l’attaque sur l’Eurasie. Quarante-trois hommes identifiés, quarante soldats à divers grades et affectations ainsi que trois hauts fonctionnaires supprimés. Faire du rab histoire d’en être sûr n’était pas dans les cordes d’Hummel. Un coup stratégique audacieux se devait d'être chirurgical et non spectaculaire.

De longues minutes passèrent, Hummel se tenant devant Oïc, attendant patiemment l’arrivée d’Akdov. Le silence se faisait lourd alors que l’amiral lisait ses rapports du front ayant apparemment déjà oublié la présence de son général dans la pièce. Puis on frappa à la porte avant que celle-ci ne s’ouvre laissant entrer une patrouille de soldats de la CITL encadrant le général Akdov. Il avait laissé sa garde personnelle à l’héliport, démontrant par la même occasion une certaine insuffisance quant à sa sécurité et à son statut lors de la rencontre.

Hummel savait qu’Oïc n’apprécierait pas ce manque de crainte à son égard. Ce dernier se leva mais ne contourna pas son bureau pour accueillir son invité, comme le supposait Hummel. Au lieu de cela il engagea son invité d’un geste de la main à s’asseoir en face de lui, comme un simple subalterne rapportant à son supérieur. Au moins il avait le droit de s’asseoir, pensa Hummel. Akdov pris sur lui d’entamer la conversation, accordant à Oïc un statut plus important lors de cette rencontre. Hummel savait que c’était aussi la volonté de son amiral et qu’il devait jubiler intérieurement.

_  Amiral Oïc, heureux de vous rencontrer.

_  Général Akdov.

Un silence s'ensuivit. Tous deux se toisaient tels d'anciens cowboy duellistes. Aucun ne souhaitait prendre la parole en premier sachant pertinemment ce que l'autre voulait. Par sa venue Akdov signifiait à son hôte qu'il tardait dans la prise de contrôle de l'Eurasie et attendait que celui-ci lui demande son aide pour terminer le travail. Oïc ne voulait pas de cette aide car elle le placerait en tant que demandeur, en tant que débiteur.

Akdov n'avait pas eu besoin des nouvelles colportées de l'Eurasie après l'audience des agents du CRIJ pour savoir qu'Oïc comptait se débarrasser de lui. Tous deux le savaient depuis le début, c'était évident. Néanmoins ils avaient pour le moment besoin l'un de l'autre bien qu'aucun des deux ne veuille l'exprimer.

_ Un verre ? suggéra finalement Oïc, désignant une bouteille d'alcool sur un meuble. C'est une des rares bouteilles de Porto restante depuis la fin de leur production.

_ Depuis la disparition du Portugal, corrigea Akdov. Je veux bien, merci.

Oïc fit signe à Hummel de s'en occuper tout en continuant sur sa lancée, débonnaire :

_ J'imagine que vous n'êtes pas venu me voir pour discuter histoire et nations disparues ?

_ Non mais plutôt employés et famille perdues.

Hummel versa deux verres de Porto et Oïc l'aperçut du coin de l'œil ajouter subrepticement quelque chose dans un des verres avant de remettre un flacon dans sa poche intérieure. Satisfait il répondit donc à Oïc avec un léger sourire, déplacé en l'occurrence :

_ Voyons vous n'allez pas me tenir rigueur de supprimer des espions sans tenir compte de la puissance pour laquelle ils travaillent. Vous devinez bien que si nous avions dû leur demander un par un s'ils travaillaient pour vous ou non, afin de les épargner, nous n'aurions pas eu les réponses escomptées.

_ Oria était ostensiblement ma nièce, souligna Akdov d'un ton froid.

Hummel revint vers eux avec les verres. Oïc utilisa cette interruption pour éluder l'accusation de son hôte et but une gorgée de Porto. Après un silence étudié il répondit enfin :

_ Allons, vous comme moi savons que parfois certains pions défectueux doivent être remplacés, même si leur nature est parfois particulière. Oria a retardé notre attaque volontairement et n'aurait de toute façon jamais pris part au reste de notre plan tant que Naem était en Eurasie.

Akdov eut un regard courroucé et prit une gorgée d'alcool tentant de masquer ses émotions. Pinçant les lèvres il regarda au dessus de l'épaule d'Oïc, à travers la baie vitrée donnant sur l'océan, cherchant à apaiser son ton.

_ Oria serait-elle aussi responsable du temps que vous prenez pour clore l'invasion ?

Son regard revint vers Oïc, toujours détendu.

_ Cela fait soixante quatre jours que l'attaque a été lancée sur l'Eurasie et vous accusez à présent un retard de plus de cinquante jours sur le plan original. Actuellement les troupes du Nouveau Monde devraient sécuriser le territoire et nous aurions déjà instauré notre contrôle sur tout le pays.

Oïc eut un sourire contrit mais répondit, toujours farci d'assurance :

_ En effet, les transfuges du CRIJ semblent avoir compliqué la situation en alertant l'Eurasie. Les boucliers de chaque ville n'auraient jamais dû se mettre en route mais voilà, ils étaient plus vigilants que prévu et ont su déjouer les sabotages de certains générateurs. Néanmoins ils sont à présent acculés et se fatiguent, nous devrions…

_ Rien ! coupa Akdov. Vous n'allez rien pouvoir faire tant que le Nouveau Monde n'interviendra pas. Le point d'orgue de la situation actuelle est à Sandoping et pourtant vous ne pourrez les déloger de leur position, protégeant la population aux abris et le barrage. Entre-temps ils ont investi la base du Groenland et récupèrent ainsi une source d'énergie alternative avec une Lance Orbitale. Reprendre cette position nous est désormais impossible et quand bien même nous trouverons sûrement un moyen de parer à ce transfert par satellite, nous ne pouvons plus attendre indéfiniment en les laissant reconstruire leur défense.

Akdov savait que ses arguments étaient de poids et asséna :

_ Vous avez perdu l'effet de surprise originel et le contrôle de la situation. Vous avez besoin de mon aide.

Oïc savait avoir besoin de la flotte aérienne du Nouveau Monde pour asseoir son emprise sur les villes du sud. Alors il pourrait détacher ses troupes terrestres vers Sandoping où il y tiendrait un siège. Il ne pouvait bien sûr présenter les choses ainsi, telle une personne dans le besoin, car Akdov ne comptait pas attendre que se rende la résistance eurasiatique autour du barrage.

La Lance Orbitale posait de moindres soucis à Oïc, comptant détruire les relais satellites grâce à ses unités disponibles sur Aïo. Mais celles-ci avaient pour l'instant besoin de se remettre des sabotages des sections ayant quitté la station en suivant l'Amiral Ethan.

_ Que pourriez vous réaliser de plus que nous ne saurions déjà faire ? relança-t-il. Vos Pornevs ne seront d'aucune utilité à Sandoping, leurs défenses anti-aériennes sont toujours pleinement fonctionnelles. Une attaque de masse au sol ? Les montagnes les protègent de toute attaque de flanc. La seule voie d'accès est sur la tranche haute du barrage : deux kilomètres à parcourir à découvert sur un étroit défilé ! Inutile d'être un génie pour comprendre que ce sera tout sauf une réussite !

Oïc fit une pause puis énonça tout haut une idée qui l'avait effleuré, avant de l'écarter :

_ Détruire le barrage pour couper leurs boucliers n'aurait pas non plus l'effet escompté. Nous devons prendre l'Eurasie avec ses boucliers sans quoi nous ne pourrions nous défendre d'une menace future de l'Afrique.

Akdov sourit et reprit une lampé de Porto, suivit d'Oïc calmant aussi ses nerfs. Le général du Nouveau Monde reprit alors un ton assuré :

_ Bien sûr que non, nous ne pouvons pas nous permettre de détruire le barrage et perdre au passage la valeur défensive du pays. Non. J'ai encore quelques atouts de taille dans ma manche avant d'en arriver à de telles solutions...

Oïc haussa les sourcils, peu convaincu. Hummel, en retrait derrière Akdov, observait impassible les deux leaders dans leur discussion. Immobile il s'était fait oublié et les deux hommes parlaient à présent ouvertement sans tenir compte de sa présence. Quelques minutes encore et son ingrédient personnel ajouté à l'alcool ferait effet. Pourtant il était plus qu'intéressé par la conversation, se demandant comment allait changer la donne par la suite, réfléchissant à ce que son supérieur prévoirait de faire.

Akdov rompit finalement le silence après un temps, semblait-il, calculé :

_ Qualité qui semble vous faire défaut, nous n'avons aucune morale nous retenant d'une attaque ferme sur la résistance de Sandoping.

_ La belle affaire… ria nerveusement Oïc.

Mais Akdov continua sans tenir compte de l'interruption :

_ Mais nous avons surtout un élément bien placé dans la sécurité eurasiatique, attendant notre signal pour saper leurs fondations de l'intérieur… Un atout de grande valeur actuellement stationné à Sandoping.

Oïc comprit alors qu'Akdov n'avançait pas un quelconque argument abscons, c'était bel et bien une clé pour pénétrer définitivement la défense de l'Eurasie. Mais il ne put en apprendre plus car le poison administré par Hummel fit son effet.


Orbite terrestre

La couverture glacée du Pôle Nord brillait ardemment sous le soleil de midi. A trente-cinq mille kilomètres de là l'Amiral observait d'un regard toujours aussi émerveillé que la première fois, l'immense surface blanche argentée au sommet de la Terre. Depuis son croiseur il avait effectivement une vue imprenable sur cet extraordinaire tableau. La planète se présentait devait lui, dans toute sa robustesse, occultant toutes les étoiles alentours, imposant sa fabuleuse masse à son regard et baignant la salle d'une lumière bleutée. Debout sur le pont de commandement, derrière la baie de polymère, il se sentait à la fois grandi et insignifiant, écrasé par cette impression qu'il pouvait tendre les bras et embrasser la Planète Bleue de son corps.

Derrière lui, ses officiers vaquaient à leurs occupations dans le calme, habitués à le voir se tenir impassible devant ce panorama des dizaines de minutes durant, serein. Une opératrice s'approcha tranquillement à ses côtés, attendant patiemment une réaction qui ne se fit attendre longtemps. Ethan pencha la tête de côté, tendant l'oreille à son rapport :

_ Amiral, le second relais est en place. Le commandant Merkel est lui aussi en position et paré à défendre le premier. Il s'est établi près du point d'anomalie de l'orbite cimetière.

Ethan hocha la tête, elle disposa. A ces mots il avait tourné son regard sur sa droite où il pouvait apercevoir à quelques kilomètres de leur position, immobile en apparence, un satellite d'où revenait une de leurs navettes technique. Il se surprit à songer à leur fragilité, à l'incroyable somme de composants nécessaires pour composer une pièce technologique de si grande importance. Il lui paraissait subitement que c'était là une prouesse technique de contrôler une poussière en orbite géostationnaire, comparée à l'auguste planète que le satellite escortait, résistant à l'incroyable probabilité de pannes, seule dans le vide spatial. Pourtant, sur Terre, personne ne se souciait du frêle fil auquel tenait une bonne partie de leur vie : météo, communications, GPS, informations de trafic, télévision, internet et tant d'autres services fonctionnant grâce à ces spectateurs de métal, dans la stupéfiante ignorance de ses usagers.

L'amiral se détourna finalement avec un certain regret de sa contemplation pour s'approcher de la colonne technique de la salle autour de laquelle étaient suivi l'état de la flotte spatiale.

_ Avertissez le Général Ozhane que nous sommes parés pour la suite de l'opération.

Par son calme déroutant l'Amiral Ethan masquait son inquiétude pour le site A. Les deux seuls croiseurs sous leur contrôle gardaient à présent les satellites relais nécessaires au transfert de l'énergie depuis le Groenland à l'Eurasie. Sur la centaine d'intercepteurs de classe 1 qu'ils avaient dérobé à Aïo dans leur fuite, il n'en avait laissé qu'une vingtaine en orbite de la Lune, protégeant les deux sites installés au sol. Les autres avaient été envoyées de l'autre côté de la station Orbitale, à l'opposé de sa position actuelle, patrouillant et manoeuvrant à distance de sécurité.

Aïo, sous le contrôle de la CITL donc de l'Amiral Oïc, avait peu d'intercepteurs restants disponibles ainsi que quatre croiseurs dont un hors service. Si Oïc choisissait d'assaillir leurs positions avec les trois croiseurs dont il disposait, sites lunaires ou en couverture des satellites, les intercepteurs d'Ethan prendraient alors de court tout bâtiment lancé à leur encontre, attaquant Aïo à revers, détruisant la station s'ils ne pouvaient l'investir. Il le savait, Oïc le savait aussi et ne pouvait se permettre de perdre cet avant-poste. C'était effectivement une partie d'échecs à hauts risques jouée dans le système solaire. Il espérait ainsi avoir la paix de l'Amiral traître pendant qu'il garantissait le succès de l'opération entreprise par l'Eurasie au sol.

Les croiseurs étaient loin de ce à quoi on pouvait s'attendre après avoir vu des films d'anticipation. Ils n'étaient qu'un peu plus grands que les Pornevs du Nouveau Monde, soit le volume de deux, trois immeubles d'une vingtaine d'étages côte à côte. D'autre part ils n'étaient intéressants que pour asseoir une position particulière, pouvant abriter une vingtaine d'intercepteurs de classe 1, de taille équivalente aux nevs soit trois fois plus petits que leur congénères de catégorie supérieure, ou une douzaine de cargos et du matériel technique.

Côté armement les croiseurs n'étaient équipés que de tourelles à décharge de calibre moyen et d'une paire de canons gros calibres tirant des projectiles d'uranium appauvri. Les intercepteurs de classe 2, tel le Storm, pouvaient ainsi aisément rivaliser avec ces plus grands vaisseaux, car plus manoeuvrables et disposant de tourelles gros calibres. En y réfléchissant, Ethan considérait que la prise rapide des installations spatiales par la CITL des années auparavant avait en quelque sorte ralenti cette escalade en armement. N'ayant aucun concurrent à surpasser dans les environs la Confédération avait alors axé sur une présence soutenue, à l'aplomb de points stratégiques, renforçant la défense de territoires plutôt que sa force de frappe.

_ Amiral, nous avons écho d'un mouvement de la flotte de Pornevs du Nouveau Monde.

L'amiral Ethan se tourna vers l'opératrice :

_ Combien et quelle direction ?

_ Presque tous, soit une vingtaine. Ils passeront sous peu au dessus du Colorado et se dirigent vers l'Ouest du continent Américain.

_ Avertissez l'état major eurasiatique que les Pornevs se dirigent vers le sud-est de leurs côtes. Prévenez aussi le général Ozhane qu'il leur faut à présent presser l'opération, sans quoi Sandoping tombera rapidement et avec la ville, les boucliers de toute la nation.


Groenland

Comme à l'accoutumée le Général Ozhane beuglait ses ordres solidement campé sur ses jambes écartées, les mains croisées dans le dos et le torse large. Ses troupes, qui priaient pour qu'il découvre un jour l'utilité des radios pour communiquer sans vociférer, terminaient l'installation de la Lance Orbitale au dessus de l'entrepôt de surface, dans l'avant-poste de surveillance auparavant utilisé par Noé et Eisen pour pénétrer dans la base.

L'appareil en question était de la taille d'une voiture et il avait fallut manœuvrer difficilement, pour les militaires, afin de l'amener à son emplacement actuel. La position choisie par Ozhane donnait sur l'extérieur, en l'occurrence la voute céleste, protégée par la centaine de mètres de falaise surplombant son emplacement. Seules deux autres ouvertures sur la base existaient : son accès à la mer, où il était techniquement impossible d'assurer la stabilité du dispositif, et l'ouverture de surface du dépôt, qu'ils ne pouvaient se permettre de maintenir ouverte en cas de riposte éventuelle du Nouveau Monde.

A l'annonce du mouvement de la flotte de Pornevs, décision avait été rapidement prise pour cet emplacement, malgré la possible atteinte de la Lance par un missile. Quelque part ils misaient aussi sur le fait que leurs adversaires croiraient le dispositif bien à l'abri et ne tenteraient rien. Lors de cette réunion les scientifiques qui avaient rejoint les lieux une fois la base en leur possession, s'étaient aussi accordés sur la simplicité relative du tore qui fournirait l'énergie.

_ Le Tokamak présent sous nous pieds est de facture très épurée, avait ainsi annoncé Novae. C'est une avancée technologique très impressionnante de part sa relative facilité à mettre en œuvre et il serait intéressant de considérer à dupliquer ce tore en Eurasie par la suite. Au Japon existent toujours les premières installations du projet ITER, datant des années 2010, où nous pourrions y installer le même réacteur nous affranchissant des risques que comporte la Lance.

Le Général Ozhane avait alors chargé Novae de retourner à Canton y exposer son idée pendant que son collègue Johner reproduirait les plans nécessaires à la réalisation. Loin d'être intéressé par l'aspect technologique qui semblait exciter les scientifiques, il cernait profondément l'avantage de se passer de la Lance Orbitale. Celle-ci leur immobilisait deux croiseurs et la flotte complète d'intercepteurs en orbite pour protéger les satellites relais, ajoutés aux troupes déployées au Groenland pour conserver la base. Tant de personnes fixées à différents endroits, divisant leur logistique et multipliant les vulnérabilités, même si actuellement ils étaient dans une sécurité relative du fait de l'équilibre des forces : la base était difficile à reprendre pour leurs ennemis sans céder du terrain au front, en Eurasie, et les satellites difficiles à atteindre sans perdre la station spatiale Aïo.

_ Combien de temps estimez vous nécessaire à la réalisation de ce projet ? avait alors demandé le général à Novae, sur le départ.

_ Ce sera faisable à moyen terme, six mois, peut-être plus. Nous sommes contraints d'utiliser la Lance entre-temps pour maintenir nos défenses.

Ozhane avait grimacé en songeant qu'entrevoir une porte de sortie à leur situation actuelle était tout aussi encourageant que la période à tenir avant d'y arriver était désespérante.

_ Général, nous sommes prêts. La Lance est en place et reliée au Tore. Pouvons-nous procéder ?

Ozhane se tourna vers Johner et, remarquant les cernes sous ses yeux, regretta que l'Eurasie n'ait autant de scientifiques que la CITL.

_ Combien de temps cela prendra-t-il de rallier Canton avec le flux ?

Le temps… le général n'avait que ce mot là à la bouche, jouant contre la montre, se battant avec l'écoulement incessant du sablier, rumina Johner.

_ Trente-huit heures… Cinq pour étalonner la connexion et corriger la position des satellites, dix pour construire le tunnel laser et le reste pour monter en puissance transmise à Canton, ajouta-t-il prenant de court le général qui fronçait déjà les sourcils. Dans vingt et une heures nous pourrons déjà approvisionner l'énergie requise pour un bouclier, puis un de plus toutes les cinq heures. Au final nous pourrons ravitailler quatre villes.

Mais cela ne semblait toujours pas plaire au Général et Johner ajouta :

_ Inutile de nous demander de nous dépêcher, c'est un délai déjà fortement compressé. Nous avons sauté bien des protocoles de…

_ Magnez-vous le cul alors ! rugit Ozhane.



[1] Région d'Europe Centrale habitée par des populations slaves Orientales. Ici en Ukraine.

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