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Canton, Groenland, Aïo

Le visage du Dauphin de l'Eurasie se matérialisa simultanément sur l'écran de conférence de la base du Groenland où se trouvaient le Général Ozhane et le scientifique Johner dans la salle de réunion, ainsi que dans la salle de commandement de la station Aïo où se tenaient debout l'Amiral Ethan et Naïa devant quelques opérateurs occupés sur leurs ordinateurs en arrière-plan.

_ Où en sommes-nous du côté de la Lance Orbitale ? s'enquit le Dauphin d'un ton qui demandait une réponse concise.

_ Nous sommes en mesure d'alimenter une cité, monsieur, répondit Johner. Dans quinze heures nous pourront en alimenter trois de plus, par tranches de cinq heures. Je suis néanmoins inquiet quant à la réception à Canton du fait des combats… entama-t-il.

_ Ce n'est pas votre affaire, trancha le Dauphin. Quel est le statut de la station spatiale ?

_ Tout est sous contrôle, monsieur, rapporta l'Amiral Ethan. Nous avons repris le commandement de la station, les troupes en place lors de l'investiture de l'Amiral Oïc sont reléguées à des postes subalternes en attendant une enquête plus approfondie. Celles dont nous pouvons nous porter garant sont divisées et réparties dans différentes patrouilles sur nos croiseurs ou sur le site Alpha.

_ Risquons nous des sabotages en leur faisant confiance ?

_ Je suppose que oui, répondit l'Amiral sûr de lui, mais ce risque est grandement maîtrisé. Les troupes qui me suivaient dès le départ savent de quoi il retourne et sont vigilantes. D'où l'idée de séparer les unités acquises pour limiter l'impact. Quoi qu'il en soit nous n'avons pas le choix si nous voulons une force de frappe suffisante sans pour autant bloquer nos unités à la surveillance de leurs congénères.

Le Dauphin acquiesça.

_ Qu'en est-il de la position de la CITL ?

_ Je n'ai toujours aucune communication de leur part. Il semblerait que le gouvernement y ait été renversé et qu'ils font face à un début de guerre civile. Ainsi je m'en remets au seul code spatial qui veut que nous portions assistance aux parties victimes d'attaques aériennes.

Le Dauphin eut un sourire, acceptant implicitement que l'Amiral Ethan conserve sa position neutre et considère l'Eurasie comme en besoin de support, et non comme prêtant allégeance à cette nation.

_ Oui, nous avons besoin de support pour contrôler l'espace aérien de notre pays. Comme vous pouvez le voir dans les cartes que nous vous avons envoyées, les Pornevs du Nouveau-Monde assiègent nos villes boucliers. Nankin, Pékin, Canton et Séoul arrivent à les tenir à l'écart grâce à leurs batteries anti-aériennes. Delhi n'est pas attaquée et Kiev… disons que Kiev n'est pas non plus concernée.

Le Dauphin eut un sourire crispé à cette mention et reprit plus gravement :

_ Nos unités à Sandoping devraient pouvoir gérer ce problème encore un moment du fait de leur position quasiment inexpugnable. Jakarta n'est plus en nos mains pour le moment mais il en est tout autre pour Bangkok, Hô-Chi-Minh et Kuala-Lumpur qui affrontent six Pornevs avec leur bouclier encore hors d'usage. On m'a rapporté que sa réparation prendra encore quelques jours… quand elle reprendra. Ils ne peuvent travailler sous feu ennemi et la résistance dispersée en ville offre une cible difficile aux Pornevs qui se concentrent sur la récupération du générateur.

Il eut un silence et reprit :

_ Nous avons besoin d'aide dans cette région. Rapidement, si je puis me permettre.


Sandoping

Tetsuo parvenait tout juste au second étage d'un bâtiment au nord-est du barrage quand il aperçut à travers les vitres des bureaux un Pornev décoller à trois kilomètres de sa position, sur la rive sud. Il lui avait fallu du temps pour arriver à l'étage, manoeuvrant son exosquelette dans les couloirs, parfois devant détruire une cloison pour atteindre sa position. Qu'importait, il savait qu'il ne resterait pas longtemps à couvert et qu'il passerait alors directement à travers les baies vitrées pour gagner au sol le coin ouest du bâtiment, à l'abri.

Il positionna son XO un genou à terre, asseyant une position stable et commanda la mise en joue de son fusil. Ainsi positionné il remarqua qu'un second Pornev avait lui aussi décollé, survolant de peu les bâtiments évitant d'être la cible des batteries anti-aériennes du côté Eurasiatique, cachées de la sorte par les bâtiments environnants.

Un signal lumineux sur son moniteur lui indiqua qu'Emmerson était aussi en place, dans un bâtiment au nord-ouest du barrage, donnant sur le lac. Devant lui Tetsuo avait le générateur du bouclier, sur sa droite l'écluse et le barrage, puis plus au centre, au delà de la vallée encaissée où filait le Yangtze, la ligne de front ennemie où il pouvait apercevoir le mouvement des troupes du Nouveau Monde.

En zoomant avec sa caméra intégrée à son XO il comprit qu'Akdov n'avait pas eu beaucoup de mal à intégrer dans ses troupes celles de la CITL, premières attaquantes de l'Eurasie. En effet, sur son moniteur il pouvait clairement distinguer les uniformes du Nouveau Monde, marrons liserés de rouge, de ceux de la CITL, bleu pastel et cyan. Il semblait ainsi que le désordre régnant dans le gouvernement Océanique, d'après les quelques écho filtrant du pays suite à la chute de ses médias, laissait autant la flotte spatiale ou l'armée d'invasion en Eurasie indépendante dans ses choix de camp. La récente grande guerre et la forte immigration qui en avait résulté n'avait ainsi pu souder les membres de la CITL en un pays au patriotisme certain.

Sur la carte stratégique de son écran, il put aussi observer le déplacement des troupes Eurasiatiques depuis la rive nord vers l'île du générateur, par des passerelles traversant les écluses de part en part à mi-hauteur, dans l'ignorance de l'ennemi qui ne pouvait que prendre note des unités de surface regagnant le bâtiment du générateur. Les quelques mois de siège avaient été mis à profit pour renforcer la position de l'édifice par des murs de sacs lestés obligeant les attaquants à zigzaguer sans pour autant leur offrir de point de repli à couvert.

L'ennemi devrait alors traverser le sommet du barrage à découvert sur plus de deux kilomètres avant de bifurquer à droite, vers l'est, sur trois cents mètres encore pour atteindre le générateur. S'ils optaient pour l'attaque frontale de la rive nord ils avaient là encore un demi-kilomètre à parcourir, traversant les écluses sur leur tranche haute avant d'atteindre les premiers bâtiments et l'abri tout relatif que leur procuraient les grandes avenues s'offrant à eux.

Le restant des troupes eurasiatiques se trouvait déployé dans les premiers boulevards de la rive nord, attendant toute unité ennemie ayant réussi à traverser le barrage pour les prendre en tenaille. Les trois murets de sacs lestés barrant l'artère principale menant au barrage les retarderaient sûrement jusqu'à l'hypothétique arrivée de blindés.

Un nouveau signal lumineux sur son moniteur indiqua à Tetsuo l'arrivée d'une transmission dans sa sandbox[1]. Le signal fut traité, analysé et réduit à sa plus simple interprétation par son unité électronique, évitant tout piratage. Sa carte stratégique se positionna sur l'avenue sortant du barrage sur la rive ennemie au sud, où les troupes semblaient nettoyer la voie en retirant tout obstacle. Tetsuo ne pouvait l'observer que de ses propres yeux, le brouillage radar de défense actif autour du barrage occultait toute vision électronique.

Les deux Pornevs en survol de la cité ouvrirent leur soute arrière pour vomir un essaim de nevs qui fondirent droit sur le barrage où elles tirèrent le long de la route à son sommet, avant d'opérer une manœuvre de retrait, virant sur leur bord à couvert des bâtiments nord, évitant d'activer les batteries anti-aériennes en revenant vers leur camp. Les premières étaient revenues que les dernières entamaient à peine leur vol. Une soixantaine de navettes tirèrent ainsi des projectiles qui semblèrent se fixer au sol et sur quelques bâtiments de la rive eurasiatique. Une fois leur ballet terminé elles prirent la formation d'une demi-sphère toisant la rive eurasiatique, toujours à hauteur de sécurité survolant la rive sud, le lac de retenue et la vallée encaissée.

L'attaque allait commencer.

Tetsuo venait de désengager le cran de sureté sur son fusil quand les projectiles tirés par les nevs éclatèrent sans grand impact. Néanmoins les fumerolles qui s'en dégageaient étaient épaisses et le temps passant elles s'avérèrent être des feux de Bengale, jalonnant le sommet du barrage et émettant un intense nuage de fumée tout en jalonnant de lumière au sol la voie à emprunter pour ses unités blindées.

Tetsuo se déplaça de quelques mètres pour avoir une vue plus claire de la ligne à couvrir, légèrement gêné par un des feux ayant éclaté sur la façade de son bâtiment, crachotant bruyamment et voilant sa ligne de tir. Il entendit nettement le bruit d'une dizaine de moteurs, voire plus qui s'étaient allumés sur la rive sud. Le son couvrit rapidement le bourdonnement des nevs mais il ne pouvait que peu distinguer se qui pouvait se passer dans le couloir de fumée sur le barrage.

Les nevs s'activèrent alors et reprirent un ballet aérien cette fois ci en mitraillant le front eurasiatique avec ferveur.

_ Un tir de couverture ! s'exclama Tetsuo à la radio, afin d'informer Emmerson.

En effet, un bref coup de vent dégagea une partie du l'avenue au sud, découvrant une colonne de motos pilotées par des soldats ennemis entreprenant la remontée de la route sur la tranche du barrage. Il sursauta : au vu du flot il estimait à plus d'une centaine les attaquants prenant de vitesse l'Eurasie pour gagner leur rive. Sans plus attendre il fit feu de ses minis-canons vers le barrage en tirant à l'aveuglette à travers les fumerolles. Observant les rares ombres visibles il sut que certaines unités passaient allègrement bien qu'un couple d'explosions lui appris qu'il avait fait mouche, le poussant à continuer son tir.

Contre des blindés, ses minis-canons assez silencieux ne faisaient pas plus d'effet qu'un moustique, mais sur des pilotes de motos, ou sur leur engin, ils faisaient plutôt effet. Après de multiples explosions et le changement de son des moteurs ennemis il comprit qu'il avait légèrement endigué le flux d'attaquants et si certains étaient passés, les soldats au sol devaient pouvoir s'en charger.

Il descendit alors en quelques minutes d'un étage via l'intérieur de son bâtiment et retrouva un point de vue identique quelques mètres plus bas, évitant d'être facilement repéré par l'ennemi. Mais le bruit de moteur avait changé et si le nuage de fumée l'empêchait d'en avoir la confirmation visuelle, il était certain que des blindés traversaient à présent le Yangtze. Les nevs tiraient en effet de plus belle, se rapprochant de plus en plus de leur position nord. Quelques balles tirées à l'aveugles touchèrent le bouclier magnétique de l'exosquelette de Tetsuo qui, bien que conscient d'être à l'abri, ne put s'empêcher de tressaillir.

Au même instant il vit sur son moniteur qu'Emmerson se déplaçait lui aussi, s'approchant de l'embouchure de la rue du barrage. Tetsuo ragea : il pouvait encore attendre ! Son XO était à présent visible par intermittences à travers les émanations des feux de bengale. Tetsuo mit son fusil en joue et scruta les mouvements de fumée, guettant toute apparition de tank approchant tandis que, de sa droite et de son dos, lui parvenaient les bruits de la bataille entre les soldats de l'Eurasie et les militaires adverses qui avaient traversé le pont à moto.

_ Emmerson ! Qu'est ce que tu fous ?! brailla Tetsuo à la radio.

Il se déplaçait toujours, approchant semblait-il nonchalamment du barrage mais ne répondit pas à son coéquipier qui rageait. Tetsuo crut apercevoir un canon traverser le rideau de fumée, mais il lui était difficile de se concentrer tandis que les nevs allaient et venaient, bourdonnant et mitraillant un feu de couverture réprimant toute tentative eurasiatique de déployer leurs unités terrestres en défense sur la rive même.

Quelques secondes plus tard deux, puis quatre blindés légers sortirent de l'écran de fumée, se dirigeant vers le générateur tandis que d'autres atteignaient l'avenue menant à la rive nord. Tetsuo ajusta la seconde ligne de tanks sur l'île et tira. L'un d'eux reçu le projectile d'uranium de plein fouet et explosa d'une telle intensité qu'il fut violement propulsé en arrière. Son congénère à ses côtés glissa de la rampe descendante qu'il empruntait et se trouva alors en porte-à-faux, brûlant légèrement sur son flanc et dans l'impossibilité temporaire de se mouvoir.

Tetsuo avisa Emmerson qui s'approchait de la ligne de blindés qui cheminaient à présent sans tenir compte de sa présence, vers l'intérieur de leurs lignes, ayant passé les écluses. Celui-ci disparut alors dans le rideau de fumée, ne semblant pas prendre de mesures pour endiguer leur avance.

_ Emmerson ! Qu'est ce que tu fous ! cria Tetsuo à la radio.

En vain, celui-ci s'était engagé sur la route du barrage et ne répondait pas. Plus loin, où le tir de Tetsuo avait fait mouche un nouveau blindé s'avançait sur la route du générateur. Celui-ci mis à nouveau son fusil en joue et tira une nouvelle fois. Le tank fut lui aussi décimé et projeté en arrière bien que cette fois-ci il eut un impact sur ses suivants. L'un d'entre eux fut poussé par le choc à travers le rebord du barrage, oscillant au dessus du vide côté aval.

S'apprêtant à tirer à nouveau, Tetsuo s'avisa que les deux blindés légers s'approchant du générateur s'étaient arrêtés sous les tirs eurasiatique, faisant fit des petits calibres utilisés, et orientèrent leur canon vers la position de son exosquelette. Il commanda alors un bref saut en avant et passa à travers la fenêtre avant de se réceptionner souplement quelques mètres plus bas, sur la route longeant la rive. Les bureaux où il se trouvait plus tôt explosèrent violemment projetant une salve de béton et de débris sur son XO.

Il ne prit le temps de se mettre à couvert et ajusta ses opposants qui orientaient à nouveau leur artillerie vers sa nouvelle position. A l'aide de son moniteur il visa précisément l'embouchure du canon qui le toiserait dans quelques secondes, attendant une ligne précise. Son feu fit mouche et le projectile qu'il expédia percuta l'obus dans la chambre de tir du blindé. Dans une réaction en chaîne les munitions du tank explosèrent de toutes parts, décimant dans le souffle impressionnant celui qui l'accompagnait.

Un rapide coup d'œil lui apprit que l'île du générateur n'était plus sous menace imminente et qu'aucun autre blindé ne semblait, ou ne pouvait, y accéder du fait des épaves gisant en travers la rampe y menant. Inspectant son écran il observa alors la position de l'exosquelette d'Emmerson qui cheminait toujours sur la route du barrage, à contre-sens ennemi, ayant à présent passé l'embranchement de l'île.

Tetsuo ne comprenait ni le comportement de son coéquipier, ni celui de l'ennemi qui semblait le laisser passer. Non, les XO étaient conçus pour ne pouvoir être piratés et Emmerson ne pouvait trahir l'Eurasie. Sinon le Nouveau-Monde aurait eut connaissance de la présence de nouvel armement bien avant. Mais il ne put y réfléchir plus avant : les nevs avaient pris connaissance de son emplacement bien trop à découvert et se dirigeaient rapidement vers lui, mitraillant dans sa direction bien que n'heurtant que son bouclier magnétique.

Avisant l'ouest de sa position il comprit qu'il ne pourrait s'y aventurer sans faire face à plusieurs tanks ennemis qui avaient bifurqué et entamaient de longer la rive nord. Il se déplaça néanmoins dans la première ruelle sur sa droite et eut un rapide coup d'œil vers l'embouchure routière du barrage d'où le flot d'attaquants semblait réduire, sûrement dû aux mêmes épaves qui bloquaient leur prise de l'île.

Il commanda son XO pour une course rapide et contourna rapidement le bâtiment qu'il avait choisi comme première position de défense. Moins d'une minute plus tard il avait rejoint l'autre angle de la même construction, plus à l'est de sa position originale gagnant un peu de temps sur l'arrivée de la colonne de blindés qui progressaient vers sa position.

Il disposa à nouveau son exosquelette un genou au sol et visa le carrefour de la route du barrage et de l'île, scrutant tout mouvement des épaves qui, il le savait, ne tarderaient pas à être dégagées par les attaquants suivants. Observant un léger mouvement de ses cibles quelques secondes plus tard, il visa alors quelques mètres derrière elles, l'écran de fumée, supposant qu'il cachait à cet endroit précis les véhicules blindés qui tentaient de dégager la voie.

Il pressa à nouveau la détente de son fusil, une fois, deux, puis quatre et encore, déplaçant à chaque salve sa mire de quelques centimètres, remontant le supposé convoi d'attaquant qui devait s'entasser sur le barrage. De nombreuses explosions lui apprirent qu'il avait fait mouche plus d'une fois. Il continua à tirer, décimant les unités bloquées bien que masquées par les feux de Bengale jusqu'à arriver à viser le point indiqué par son écran comme étant la position d'Emmerson.

Il réfléchissait à toute allure: son tir n'affecterait que peu le blindage magnétique de l'exosquelette de son coéquipier, mais pouvait-il pour autant le laisser progresser ainsi ?

_ Emmerson ! Que fais-tu bon dieu ! cria-t-il à nouveau dans sa radio.

Les nevs avaient à nouveau repéré sa position et semblaient cette fois-ci s'y diriger en masse. Certaines ayant pris trop d'altitude en tentant de le prendre par surprise à sa verticale furent décimées par les batteries anti-aériennes, loin derrière le front de combat.

Tetsuo ragea en apercevant alors la colonne de blindés à son approche sur la route le long de l'écluse, sept d'entre elles se suivaient, progressant sur la rive nord, tentant fort probablement de contourner le foyer de combats pour prendre les défenseurs à revers. Il en eut la confirmation lorsque trois obliquèrent dans la rue qu'il avait prise quelques minutes plus tôt tandis que les suivantes s'approchaient de lui. Un tir d'obus détruisit l'angle du bâtiment où il se trouvait. Le souffle projeta son unité mécanique en arrière et, bien que son écran magnétique l'ait protégé de l'explosion, il accusait tout de même une désorientation par son violent recul.

Reprenant ses esprits il se dirigea alors vers l'intérieur des terres en support aux troupes eurasiatiques qui combattaient les chars ayant pénétré leurs défenses. Le barrage étant à présent un embouteillage d'unités bloquées et d'épaves de blindés légers, il fallait en profiter pour éliminer les attaquants qui rongeaient les fondations de leur défense… avant de retourner au front dès que le besoin d'endiguer un nouveau flot d'arrivants se ferait sentir. Le Nouveau-Monde passerait sûrement à de plus lourds armements à cette occasion.


Golfe de Siam

Le bouclier couvrant les villes de Bangkok, Hô-Chi-Minh et l'extension nordique de Kuala-Lumpur, autrement appelé Défense du Golfe de Siam, était assurément la plus importante construction technologique construite par l'Eurasie. Situé à Phuket, le générateur du champ magnétique se révélait être un colossal édifice conçu pour résister aux tremblements de terre et aux tempêtes tropicales. La consommation d'énergie nécessaire à l'alimentation du bouclier justifiait à elle seule la construction d'une dizaine de barrages hydroélectriques à travers la nation.

Activé, le champ magnétique s'étendait sur un rayon de cinq cents kilomètres alentours permettant à l'Eurasie de protéger sa force navale dans la mer d'Andaman, plus profonde que le Golfe de Thaïlande. La mise en service du bouclier s'était accompagnée d'une extension massive des villes enveloppées. Le prix du terrain ayant flambé de part la couverture défensive avait repoussé l'agriculture à la périphérie de la mégapole que formaient à présent réunies Bangkok, Hô-Chi-Minh et Kuala Lumpur.

Parallèlement les états du Laos, Vietnam, Cambodge, Malaisie et Thaïlande avaient investi dans des abris anti-nucléaires permettant d'augmenter la capacité de protection civile. Néanmoins le coût du générateur avait fait revoir à la baisse le nombre de places disponibles à ces pays. Ainsi seule la moitié de la population pouvait se trouver aux abris, tandis que le restant se trouvait actuellement en surface, se protégeant dans des abris de fortune ou réquisitionnée par les forces militaires dans l'effort de défense.

Le sabotage du générateur lors de l'attaque de la CITL avait porté un coup dur à la mégapole et sans la présence de la marine eurasiatique, les villes auraient été facilement prises par leur adversaire. Ainsi le Golfe de Siam était une prise de choix pour le Nouveau-Monde ayant déployé six Pornevs pour asseoir leur position au sud de l'Asie.

Tandis que quelques ingénieurs eurasiatiques s'échinaient à réparer le bouclier, la flotte navale protégeait son flanc ouest depuis la mer d'Andaman. Les Pornevs survolaient le Golfe de Thaïlande à distance respectueuse des batteries anti-aériennes que leurs troupes au sol se chargeaient d'attaquer. Les cibles étant multiples la défense de l'Eurasie peinait à conserver et la position du générateur à Phuket et les tourelles disséminées sur la côte longue de plus de mille kilomètres en arc de cercle.

Ce n'était plus qu'une question d'heures pour que le Nouveau-Monde et les troupes restantes de la CITL ne viennent à bout de cette ligne de défense avant de pouvoir assiéger le générateur. La résistance militaire dispersée avait beau avoir l'aide de la population locale dans l'effort de guerre, elle ne tarderait pas à devoir battre en retraite sous le feu des essaims de nevs.

Le Général Shinawatra repassait ainsi les stratégies de défense, tentant de prévoir les mouvements adverses depuis son bureau provisoire situé à Phuket, dans l'enceinte du générateur magnétique. Il venait tout juste de prendre connaissance de l'arrivée de troupes ennemies via le massif montagneux de Malaisie au sud-est. Celles-ci iraient sûrement directement vers la côte du golfe pour désactiver, sinon détruire, la ligne de défense anti-aérienne laissant une ouverture béante dans leur défense pour faciliter l'attaque des Pornevs.

Il jeta un coup d'œil nerveux au thermomètre mural : vingt-cinq degrés. En pleine saison sèche et avec très peu de vent depuis la côte, il lui semblait qu'il faisait bien plus chaud. Il allait se diriger vers la fontaine à eau, comme il le faisait une cinquantaine de fois par jour pour s'hydrater quand il reçut un appel en vidéoconférence depuis Canton. Il se rassit, habitué à leurs demandes répétées de statut sur les évènements en cours et accepta la communication.

Sur son écran l'image se scinda en deux parties; il reconnu à gauche le Dauphin eurasiatique, dirigeant la nation pendant la guerre et à droite un homme et une femme qu'il ne connaissait pas. Ceux-ci se trouvaient visiblement dans une salle d'opérations, à en juger par les opérateurs s'affairant en arrière plan. Tandis que le Dauphin s'introduisait, le général Shinawatra tiqua sur l'uniforme de l'inconnu se tenant debout. Il n'eut le temps de réagir qu'il lui fallait répondre à son supérieur hiérarchique sur les évènements dans le Golfe de Siam.

_ La situation n'a pas beaucoup changé, entama-t-il, six Pornevs dans le Golfe, une avance des troupes terrestres au sud-est devant sûrement ouvrir une brèche dans nos défenses et la réparation du générateur qui devrait prendre encore trois jours.

_ Voilà qui est concis, sourit l'homme à droite de son écran. Pouvez-vous faire mieux pour la réparation du générateur ?

Le général se renfrogna dans son siège et jeta un regard au Dauphin comme pour vérifier qu'il pouvait répondre, bien que cette précaution ne puisse être perçue comme telle à travers la vidéo conférence.

_ Amiral Ethan je présume ? choisit de répondre le Général eurasiatique.

Son interlocuteur haussa les sourcils :

_ En effet, je ne crois pas que nous nous sommes…

_ Votre uniforme, coupa le Général, mais aussi le fait que l'Eurasie ne peut déployer de renforts vers notre position, étant assiégée dans toutes ses villes. La seule possibilité était d'avoir un support d'une partie de la flotte spatiale, gérée par une rébellion de la CITL sous la direction de l'Amiral Ethan, qui a déjà fait part de son désir d'aider notre nation. N'étant visiblement pas dans un vaisseau, mais plutôt sur Aïo, je présume que vous avez repris le commandement de l'orbite terrestre et vous préparez à nous donner un coup de main.

L'amiral en question sourit à nouveau quelque peu intéressé de travailler avec un homme qui visiblement mettait à profit sa matière grise :

_ En effet, veuillez pardonner mon impolitesse. Je suis effectivement Ethan et à mes côtés le Major Naïa Dinnings, agent du CRIJ et pilote émérite, qui va coordonner cette opération de soutien. Pour y revenir…

_ La plupart de nos ingénieurs sont disséminés dans la ville pour maintenir les défenses automatisées, les relais de communications sécurisées, les opérations militaires nécessitant leur expertise, et cætera. Ils nous sont plus utiles là où ils sont actuellement et sans leur présence nos défenses auraient probablement sérieusement souffert avant même que les autres ne rétablissent le bouclier. Nous avons longtemps privilégié le "lentement mais sûrement" et à juste titre mais à présent nous n'avons plus le temps ou les ressources.

_ Combien de temps vous faut-il si vous réaffectez le nécessaire à la réparation du générateur ? demanda Ethan.

Le général réfléchit rapidement, consulta un rapport sur son bureau puis répondit :

_ Une journée. Les dégâts sont dus à une bombe que les saboteurs ont déclenchée avant que l'on ne les déloge complètement. Les liaisons sont rétablies, la connectique et le câblage. Nous sommes en période de tests intenses pour assurer le fonctionnement.

_ Pouvez-vous passer les tests ? demanda le Dauphin, sans pour autant suggérer que ce soit une bonne décision.

_ Non, nous y avons songé, mais la qualification de l'équipement est nécessaire et nous a déjà permis de corriger bien des erreurs. Sans cela le générateur risquerait d'importantes avaries lors de son activation. Ils y travaillent depuis une semaine d'arrache-pied quand cela avait originellement pris trois mois lors de sa première mise en service.

_ Une journée… répéta Ethan en regardant Naïa.

Celle-ci prit alors la parole, s'adressant au Général :

_ Disposez-vous d'équipements de marquage au laser utilisés pour les frappes stratégiques ?

_ Euh… oui, nous avons ça mais les tirs de missiles balistiques ne seraient d'aucune utilité, les Pornevs étant équipées de leurres et prompts à lever leur bouclier en cas d'attaque.

_ Très bien, nous pourrions alors les dévier de leur objectif. Pourriez-vous mettre à notre disposition une unité de soldats au sol, avec les dispositifs en question, ainsi qu'un opérateur pour nous relier les données du laser ?

_ Je le peux oui, même si je ne cerne pas très bien votre point. Je superviserai l'affaire.

Naïa fit un signe de tête à Ethan et sorti du champ de la caméra. Son Amiral pris alors le relais :

_ En accord avec votre Dauphin nous allons mener une opération de soutien aérien, si vous pouviez rapidement prendre des dispositions comme le Major Dinnings vient de l'indiquer, cela nous permettrait d'attaquer dès midi. Une fois l'opération déclenchée, vous devriez pouvoir réaffecter vos ingénieurs pour la réparation du générateur. Nous tâcherons de vous faire gagner ce temps pour relancer le bouclier.

Le Général réfléchissait à nouveau, pendant que ses interlocuteurs demeuraient silencieux. Ethan remarqua alors que le Dauphin avait tendance à faire confiance à ses hommes sur le terrain pour la prise de telles décisions.

_ Oui, je crois que je pourrais aussi déployer mes troupes pour contrer l'attaque terrestre de l'ennemi, cela devrait nous permettre de les maintenir hors de la ville. Néanmoins, lorsque le bouclier sera opérationnel, les Pornevs auront toujours leurs canons Dô-Lô pour le percer en dernier recours.

_ En effet, ajouta le Dauphin, la ville est intéressante car le Nouveau-Monde pourrait y installer la majeure partie de ses forces à l'abri d'un tel bouclier. En dernier recours je pense qu'ils préfèreraient la raser plutôt que de la perdre. Ces Pornevs seront encore un gros problème même après l'activation du générateur.

_ Messieurs, répondit Ethan, voyons ce que je Major Dinnings saura faire de cette opération. La donne aura peut-être changé à son issue.

_ Bien sûr, acquiesça le Dauphin, je vous remercie de votre aide Amiral Ethan et je n'attendais en aucun cas de votre part de résoudre tous nos problèmes.

L'Amiral hocha la tête et salua avant de couper sa communication. Le Général regarda alors le Dauphin dont l'image occupait à présent tout l'écran :

_ Comme cela se passe-t-il à Canton ?

_ Nous n'avons pas de soucis pour le moment. Les Pornevs restent à l'écart et ne se mesurent pas à nos défenses anti-aériennes. Je crois qu'Akdov cherche surtout à prendre les villes accessibles et à empêcher la sortie de renforts des autres cités. Mais je vous enjoins à réfléchir à la suite des évènements, Général, car lorsque le Golfe de Siam ne leur sera plus offert sur un plateau, leur stratégie risque de radicalement changer.

Le Général opina :

_ En effet, j'ai entendu parler d'Akdov et perdre n'est pas dans ses cordes. Je redoute sa réaction.

Le silence se fit entre les deux hommes puis d'un rapide hochement de tête ils coupèrent la transmission.


Sandoping

_ Général, nos unités blindées en approche des batteries anti-aériennes eurasiatiques rencontrent des difficultés.

Le Général Akdov s'approcha de l'opérateur en question, rivé sur son écran tactique affichant la position des unités déployées sur la rive nord du Yangtze.

_ Est-ce lié à l'autre exosquelette ? s'enquit celui-ci.

_ Pas seulement, mon Général. Les unités ennemies au sol se sont regroupés dans les bâtiments attenants et retiennent nos blindés par leurs feux croisés. Plusieurs rapports font également état de deux positions défensives ennemies du même type que nous avons rencontré sur le barrage.

_ Un troisième exosquelette ? fit le Général s'énervant.

_ Nous n'en avons pas encore la confirmation, mon Général. Peut-être un groupe de tireurs armés de lance-roquettes ou une station sur pied de lance-grenades. Mais elle semble être très mobile.

_ Ainsi le troisième camion renfermait lui aussi un exosquelette, jura Akdov. Logique après tout. Conservez l'objectif : détruire les batteries anti-aériennes en priorité.

Il se dirigea vers la baie vitrée du pont de commandement à travers laquelle il pouvait observer ses troupes au sol en préparation, la tranche haute du barrage encombrée d'épaves de chars légers et plus loin la rive nord où ses troupes s'efforçaient de contenir la défense eurasiatique pour la contourner et détruire ses défenses. Des tirs lointains d'artilleries lourdes et d'obus lui parvenaient étouffés tandis que sous ses pieds s'organisait une seconde vague d'offensive qui profiterait du recul des défenseurs vers l'intérieur des terres au nord, pour asseoir la position du Nouveau-Monde sur le générateur et le barrage.

Du haut de la salle des opérations logée dans la proue du Pornev, Akdov fixait à présent l'exosquelette eurasiatique qui s'était frayé un chemin vers leur camp et traversait à présent le carrefour jouxtant le barrage sur la rive sud. Il épia alors sur sa droite où se trouvait au calme, assise en tailleur à même le sol, Eliz, les yeux fermés maintenant un état de concentration intense.

Lorsqu'il avait envoyé Naem quelques années auparavant enquêter sur les Hôs, il n'avait pas cru à toutes les allégations faites à leur sujet et il avait depuis entretenu ces incertitudes tout en conservant une certaine attention à leur égard. Ces mêmes doutes étaient aujourd'hui balayés devant un de leurs membres prenant le contrôle d'un soldat adverse situé sur l'autre rive par une agression psychique.

Il n'arrivait toujours pas à concevoir l'étendue totale des possibilités qu'offraient de telles recrues.

A ce qu'il avait compris, Eliz était apparemment la plus puissante de ses membres du fait de son conditionnement dès la naissance par son père, Hayao. Quand bien même, Akdov réfléchissait déjà aux implications de cette découverte et, dès Sandoping prise puis l'installation de quartiers en Eurasie entamée, il comptait fermement se diriger vers leur communauté pour les plier à son régime et les utiliser à son compte. Oui, les perspectives étaient assez importantes pour que de nouvelles opportunités s'ouvrent après sa victoire. D'immenses possibilités apparaissaient et la primauté de cette découverte lui assurerait un avantage plus que conséquent.

Son attention revint alors vers la réalité et se reporta sur l'exosquelette en approche. Eliz l'amenait dans le rayon d'action de leur Pornev afin de s'en emparer et quitter les lieux pour étudier plus avant l'avancée technologique dont l'Eurasie avait fait preuve.

_ Où en est la préparation du troisième Pornev ? Il devra être opérationnel dans dix minutes afin de prendre notre relève, questionna le Général.

Un autre opérateur releva la tête, vérifia ses dernières informations puis répondit :

_ Ils ont pris un peu de retard, mon Général, mais les préparatifs avancent. Au dernier rapport du Lieutenant Général Zaporojsky, les pilotes de nevs étaient presque tous appareillés et le bâtiment entrait en phase de fermeture pour décollage.

_ Passez moi Zaporojsky en communication ! intima Akdov.

Il était hors de question de perdre du temps à présent. Après la fuite de Plattner, dont il se serait de toute façon chargé à sa manière, le Général avait dû remplacer la direction du Pornev par un Lieutenant Général apte à seconder Hummel dans le combat. Les pilotes qui avaient mené ce troisième Pornev à Sandoping n'étaient pas de la trempe de ce dernier, commandant maintenant le bâtiment survolant la cité fluviale à ses côtés. Preuve en était la perte du bâtiment à l'arrivée des exosquelettes eurasiatiques détruit par les batteries ennemies à cause d'un excès de zèle de son pilote.

_ Le Lieutenant Général Zaporojsky ne répond pas, mon Général. Il est sûrement en train de…

_ Je me fous de ce qu'il peut être en train de faire ! ragea Akdov.

Il jeta un œil vers Eliz, reprenant quelque peu son calme, craignant un instant l'avoir dérangée. Celle-ci avait expressément demandé le calme pour procéder à sa manœuvre de psychokinésie. Puis revenant vers l'opérateur qui semblait avoir chaud, essuyant nerveusement la sueur de son front, le Général repris sur un ton plus bas mais d'autant plus glacé :

_ Forcez une connexion.

_ B-bien mon Général.

Lequel pivota vers un écran placardé sur la cloison du Pornev, attendant la communication. Quelques secondes plus tard, l'opérateur annonça, la voix chevrotante ne sachant s'il devait se réjouir ou non :

_ Le troisième Pornev décolle, mon Général !

Puis il se ravisa au regard courroucé que son supérieur lui lança :

_ Oui, la communication, bien mon Gén… Connexion entrante ! Le Lieutenant Zaporojsky nous contacte de lui-même !

L'image se matérialisa sur l'écran qu'Akdov scrutait nerveusement. La vidéo transmettait une certaine agitation sur le pont de commandement du Pornev en question, agitation habituelle si ce n'était qu'Akdov avait fait évacué le sien de ses gratte-papiers pour conserver Eliz au calme sous sa surveillance. Le Général plissa les yeux, cherchant l'interlocuteur attendu, quand il sursauta : Plattner avait fait irruption devant la caméra du troisième Pornev en lieu et place de Zaporojsky.

_ Ah ! Mon Général ! s'enquit celui-ci sur un ton résolument irrespectueux.

_ Plattner ! grinça Akdov au visage à présent cramoisi.

_ Vous m'avez reconnu, sourit son interlocuteur. Bon, je vais faire simple et ne vais pas vous ennuyer plus longtemps : mes hommes et moi même vous empruntons ce Pornev. Il se trouve que nous partageons que trop peu vos manières dans l'art de la guerre. Considérez ainsi notre démission comme effective, ajouta-t-il d'un ton joyeux visant expressément à énerver son Général, et inutile de vous occuper des primes de fin de mission, ce bâtiment nous dédommagera déjà à juste hauteur.

_ Raaah ! ragea Akdov, je vous conseille de vous rendre de suite si vous ne voulez pas que je vous abatte sur le champ ! termina-t-il en criant.

S'emportant le Général se mit à beugler des ordres à ses opérateurs afin de descendre le bâtiment ainsi réquisitionné. Aveuglé par sa fureur il ne se rendit pas compte qu'Eliz avait rouvert les yeux, déconcentrée, et regardait à présent d'un air hébété dans sa direction, ne comprenant pas comment il avait pu oser briser son recueillement.



[1] Mécanisme qui permet l'exécution de code sans droit de modification de la machine destinataire.

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