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D'autres auraient été plus aptes que moi à vous raconter l'histoire du cuirassé "La fierté d'Ishtar", mais aucun ne semble avoir pris cette peine, aussi me revient-il, à ce qu'il semblerait, de conter comment et dans quelles circonstances il rencontra son tragique destin.

Par où commencer? Peut-être le lecteur ne se souviendra-t-il plus, en lisant ces lignes, de la fierté d'Ishtar, le cuirassé des planètes fédérées du cent septième quadrant. Il faut dire que les faits remontent déjà à fort longtemps et la fédération du cent septième a cessé d'exister peu après la perte de sa flotte. L'empire n'a jamais véritablement pris de gants avec les dissidents.

En ces temps, l'empire était bien plus faible qu'aujourd'hui et beaucoup estimaient qu'il était temps que l'aristocratie cède le pouvoir au peuple qui seul avait le droit de décider de son avenir. Il y eut des rébellion, des révoltes et beaucoup de morts, mais aucune aussi importante que la scission du cent septième quadrant qui, tout entier, s'unit pour créer une nouvelle entité, une utopie où chacun devait pouvoir vivre librement et en paix, loin de l'expansionnisme forcé de l'empire et des conflits entre nobles. La fédération disposait déjà d'une grande flotte et de suffisamment de moyens pour espérer survivre face à la fureur impériale, mais, pour dissuader toute attaque à leur encontre, le conseil de la fédération fit allouer une majeure partie des ressources et moyens du cent septième quadrant à la construction du plus gigantesque des cuirassés, bien au-delà des classes apocalypse de l'empire. La fierté d'Ishtar, à tout point de vue, était la reine des batailles et surclassait tous les autres vaisseaux en poids, en taille et en puissance de feu.

Quand enfin l'empire trouva le temps et les moyens de s'occuper du problème de la fédération, le cuirassé était terminé et s'était montré totalement opérationnel. La fédération était certaine d'avoir obtenu la paix, mais, à leur grande surprise, l'empire réunit la plus imposante des armadas jamais vue alors et attaqua.

Ce fut une longue et triste guerre, avec son lot de héros, de morts et de planètes entièrement éradiquées. La fédération devait servir d'exemple et de base pour la future cohésion de l'empire et à ce titre il ne pouvait exister la moindre pitié. Et petit à petit, les forces fédérées ressentirent le poids de leur infériorité numérique tandis que la pression impériale se faisait chaque mois plus forte et impitoyable.

Mais au milieu du désespoir rampant, la fierté d'Ishtar se distinguait dans chacune des batailles où il était engagé. Et c'était un réel émerveillement que de le voir à l'œuvre. Le cuirassé apparaissait face à la flotte impériale et, poussant l'ensemble de ses réacteurs, se déplaçait de toute sa masse vers ses adversaires souvent pris de panique. Profitant de la plus longue portée de ses canons, il ciblait un vaisseau en particuliers pour le mettre en pièce et forcer les plus lâches parmi ses ennemis à tenter de fuir, détruisant la cohésion des impériaux. Ce n'était d'ailleurs qu'une routine pour employer toutes les possibilités de l'imposant vaisseau, car son principal atout se révélait à courte portée, lorsqu'enfin l'ennemi pouvait riposter. Car à cet instant, tout en se riant des tirs qui ricochaient littéralement sur son blindage, il écrasait littéralement la zone de combat sous les lasers, obus, missiles et torpilles au point que bien souvent il semblait presque disparaître derrière un rideau de projectiles. Rien ne le menaçait et rien ne lui résistait. À l'apogée de sa gloire, soutenu à peine par le croiseur "Avant-garde" et un escadron de frégate, il détruisit la majeure partie des sixièmes et quatorzièmes flottes rassemblées dans l'attaque de la planète-mère de la fédération.

La fierté d'Ishtar était à tout point de vue invulnérable et comme tout objet invulnérable voué à être détruit.

C'est au cours du dernier grand conflit de cette guerre que la chose arriva. Décidant de tenter le tout pour le tout et de piéger les forces des planètes fédérées, les impériaux lancèrent une vaste opération de regroupement de leurs flottes et laissèrent échapper les plans d'une attaque systématique avec toute leur puissance des planètes du cent septième quadrant. Celles-ci n'attendaient pas de meilleure occasion de mettre un terme une fois pour toute à la menace impériale et, la fierté d'Ishtar dans leurs rangs, et malgré les pertes importantes subies par le reste de leur flotte, ils étaient certains de remporter la victoire. D'un point de vue plus pragmatique, ils ne pouvaient, tout simplement, pas ignorer la menace d'une telle force de combat et furent simplement forcés, devant le fait accompli, de rassembler eux aussi leurs forces pour le grand affrontement.

Et ce fut à quelques années lumière de la grande nébuleuse d'Ishtar, qui avait donné son nom au cuirassé, qu'eut lieu l'affrontement. Il y avait là un nombre incroyable des plus superbes bâtiments de toute la galaxie, mais de tous la fierté d'Ishtar demeurait le plus sublime. Fer de lance des forces fédérées, il emportait littéralement tout le reste de la flotte derrière lui. Le plan était de faire une percée au centre des forces impériales et à partir de là isoler les groupements ennemis et les anéantir. C'eut eu une chance de fonctionner…

Cependant, alors que, déployant toute sa puissance, le fantastique vaisseau fonçait sur ses proies, un homme empruntait l'un de ses nombreux ascenseurs pour descendre au niveau soixante-deux. Cet homme savait deux choses, soit l'une qu'il lui fallait agir vite et l'autre que tout système possède une faille. Le commandant de la fierté d'Ishtar se méfiait, à juste titre, des actes de sabotage et avait rendu, à ce titre, toute attaque de la passerelle, même du fait d'un commando complet, absolument vaine. Il en allait de même des principaux dépôts de munition et des huit réacteurs géants qui alimentaient tout le bâtiment. L'homme s'en fichai: malgré leurs précautions, ils ne pouvaient l'empêcher d'agir. Ce traître, en effet, avait participé à la construction du cuirassé et plus précisément avait mis au point et intégré la majeure partie de l'ordinateur central.

Il sortit de l'ascenseur, parcourut le couloir de sécurité en passant chacun des checkpoints en rigolant. Dire que tant d'autres devaient suer sang et eau pour parvenir à leurs fins, ou se risquer dans des plans insensés, alors qu'il lui suffisait de montrer son passe. Il put enfin pénétrer au cœur de l'ordinateur et s'assit devant la trentaine d'écran qui indiquaient le déroulement des principales modes de la machine. Au travers du code filtrait le calme le plus complet. On pouvait facilement oublier, dans cette salle, à l'écart de toute interférence, qu'au même moment des milliers de vies s'éteignaient dans la plus grande panique. Tout allait bientôt cesser. Le saboteur commença son ouvrage. Le programme répondait à merveille. Il débuta par désactiver quelques fonctions bénignes pour s'assurer d'avoir le contrôle, puis entama le plus gros.

Sur la passerelle, tout semblait bien se dérouler. Au travers des écrans de contrôle, l'amiral constatait une fois encore la toute puissance de son vaisseau. Plus efficace que jamais, il se frayait un chemin au travers des bâtiments adverses sans rencontrer de sérieuse résistance. Quelques minutes plus tôt, il y avait eu un violent échange de tir avec l'Agéron, un cuirassé impérial, qui n'était plus depuis qu'une vaste torche dans l'espace.  Plusieurs commandants de différents vaisseaux de la flotte fédérée avaient fait état de pertes modérées, sans qu'il y eut lieu de réellement s'inquiéter. Dans ces conditions, il prêta peu d'attention à la première annonce du disfonctionnement de trois lanceurs de missiles dans le secteur arrière.
Qu'aurait-il bien pu, de toute manière, faire? Très rapidement, les mauvaises nouvelles s'accumulèrent. Tout d'abord, ce fut le système radar principal qui cessa de fonctionner, suivi de tous les instruments d'assistance au tir. La fierté d'Ishtar, en quelques secondes, devint quasiment aveugle. Tandis que l'on s'affolait pour trouver l'origine du disfonctionnement, les tourelles principales firent état d'une panne du réseau hydraulique qui empêchait non seulement la rotation, mais aussi l'élévation et l'abaissement des tubes. Cette annonce fut suivie de plusieurs autres parlant dans l'ordre de l'arrêt du système de chargement automatique, d'une baisse importante de la tension électrique et d'une apparente panne du système informatique de tir. L'amiral et ses subordonnés échangèrent un regard lourd de conséquences. Bien qu'il ne devait jamais être dans leur intention d'abandonner, ils se rendaient compte que quelque chose leur avait échappé qui devait leur coûter cher.

Depuis le cœur de l'ordinateur central, le traître les observait au travers des caméras. Il riait de bon cœur et s'empressa de passer à l'étape suivante de l'application de son plan, tout en savourant chaque seconde du désarroi de l'équipage.
Plutôt que de désarroi, on pouvait doucement commencer à parler de désespoir. Message après message, l'amiral apprit l'arrêt des huit générateurs du bâtiment, ne laissant guère plus que de quoi alimenter l'électronique, les systèmes de survie et l'armement autonome qui, de toute manière, tirait depuis quelques minutes sans pouvoir apercevoir l'ennemi.
Soudainement, une violente secousse fit trembler tout le vaisseau, suivie de plusieurs autres. Soumis à un feu de plus en plus violent, face à des tirs de plus en plus précis alors que l'ennemi se rapprochait, la fierté d'Ishtar commençait à subir des dommages dans l'armature extérieure. Mais ce furent surtout les messages des autres vaisseaux de la flotte fédérée qui rendaient fou d'impuissance tout l'état-major sur la passerelle. C'était un flot continu entre des appels à l'aide et des inquiétudes quant à la situation du cuirassé géant. Depuis que celui-ci avait cessé son déluge de feu, la flotte impériale avait stoppé la percée et entrepris d'isoler l'immense bâtiment tout comme d'encercler l'avant garde des forces fédérées pour la couper du reste de l'armada. Privée du soutien de la fierté d'Ishtar, cette avant-garde se retrouvait soudainement dans une écrasante position d'infériorité et semblait avoir décidé d'engager le corps à corps avec la flotte impériale pour éviter l'anéantissement.

Dans l'imposant cuirassé désormais réduit au silence, les cris des plus lâches retentissaient à côté d'hommes médusés, incapables de réaliser toute la portée de la situation. Mais les cris cédèrent en beaucoup d'endroits à un pesant silence sur fond d'explosion lointaines et de sourds pleurs. Malgré toute la puissance de feu déployée contre lui, le blindage de la fierté d'Ishtar ne cédait pas. Aucune arme d'aucun calibre ne parvenait à lui occasionner des dommages suffisants. Une moitié d'ordre retentit dans le bâtiment avant que les communications internes ne soient coupées. L'équipage devait se tenir prêt à repousser un abordage.
Mesure inutile selon beaucoup, puisqu'il suffisait au saboteur, omnipotent, de couper les systèmes de survie du vaisseau pour tuer son équipage, tout du moins la majorité de son équipage. Ce ne devait pas arriver. La série de panne cessa avec la perte de l'éclairage principal, l'éclairage de secours, moins fort, jouant en faveur des assaillants après que la majorité de l'armement ai cessé de fonctionner, à l'exception des tourelles à courte portée manuelles et des armes indépendantes. Sur la passerelle, l'amiral avait finalement compris, de par la nature des pannes, qu'il les devait à l'ordinateur central, mais il était déjà beaucoup trop tard. La fierté d'Ishtar n'était plus qu'un tombeau silencieux dans l'espace, hanté par quelques dizaines de milliers de braves hommes et femmes qui se savaient condamnés.

Tout, pourtant, n'était pas encore perdu. Une équipe constituée des gardes de la passerelle, la garde personnelle de l'amiral, se dirigeait vers le soixante-deuxième niveau avec pour mission d'éliminer, dans la mesure du possible, le traître et surtout de remettre en fonction la fierté d'Ishtar par tous les moyens.

Pour le saboteur, ce fut à cet instant que les ennuis commençaient vraiment. Enfermé dans la salle de contrôle de l'ordinateur, entouré de gardes, protégé uniquement pas les lourdes portes blindées, il ne pouvait compter que sur les troupes d'abordage impériales pour venir le sortir vivant de cette situation. C'est cependant avec calme qu'il débuta la dernière phase de son plan. Depuis un certain temps, il avait travaillé à déconnecter entièrement les huit générateurs principaux de tous les réseaux électriques, ce après les avoir éteints. Il les ré-activait désormais et avait commencé à faire augmenter leur puissance. Dès que le seuil critique serait atteint, les générateurs devaient exploser simultanément et emporter avec eux les stocks de munition dans une déflagration théoriquement suffisamment puissante pour réduire à néant le symbole de la liberté des planètes de la fédération.

L'homme, son travail terminé, se détendit du mieux qu'il put dans le confortable fauteuil dont la salle de contrôle de l'ordinateur était équipée et se mit à repenser à ce qu'il venait d'accomplir. Était-ce bien, ou mal? Sur son lit de mort, il ne voulut pas m'expliquer les raisons qui l'y avaient poussé. Il me déclara simplement que la notion de bien et de mal était trop vague pour s'appliquer à cette histoire. Il regrettait simplement que son haut ait été étouffé par l'empire.
Car il survécut à son forfait. Malgré leurs efforts, les gardes de la passerelles ne purent jamais rallier le soixante-deuxième niveau, ni empêcher les impériaux de rapatrier leur acolyte. Ils moururent avec les autres dans l'incroyable déflagration qui emporta la fierté d'Ishtar et son équipage.

Contrairement à ce que mon grand père avait espéré, tout du moins me l'avoua-t-il ainsi, la destruction du cuirassé géant fut systématiquement passée sous silence. L'empire, qui avait espéré s'en emparer et qui était rentré bredouille, avait décidé qu'il était trop dangereux de laisser un tel symbole entre les mains des séparatistes. L'empereur lui-même ordonna la destruction de tous les systèmes séditieux, sans défense avec la défaite de leur flotte et toute l'affaire fut enterrée.

Jamais les ingénieurs impéraux ne purent parvenir à recréer un cuirassé de la taille et de la puissance de la fierté d'Ishtar, dont, et c'est bien là quelque chose qui m'échappe, l'on aurait, d'après mon grand père, pas retrouvé la moindre pièce…
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