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Le citoyen Nico-R-ETT souffrait atrocement. Sa chute avait été amortie par une dalle de béton armé de la plus belle facture, sur laquelle il reposait mollement dans une position ridicule. Son pied gauche se trouvait près de son oreille droite, son visage était collé contre le sol et son coude tordu dans un angle peu orthodoxe lui faisait dresser le bras droit en l’air de façon assez pathétique. La douleur avait envahi chaque parcelle de son corps désarticulé, et il n’arrivait plus à faire grand-chose d’autre que de pousser de petits cris plaintifs de temps en temps, histoire de patienter. Le doc-bot ne tarderait plus, c’était une question de minutes. Les autres avaient dû le prévenir immédiatement. C’était la procédure standard en cas d’accident lors d’une mission à l’intérieur même d’un secteur, et le secteur GLU ne faisait pas exception. En tant qu’Officier Garant du Bonheur de la mission, il le savait bien.

La mission... Pour une fois que tout se passait bien ! Ah, si seulement il avait écouté son instinct qui lui disait de ne pas approcher de ces tubes géants dans lesquels sa chef de mission avait cru entendre un félon se nicher... Il avait voulu faire du zèle, et avait été éjecté dans les airs sans trop comprendre ce qui lui arrivait lorsque quelqu’un avait mis le système en marche. A présent, évidemment, l’utilité de ces tubes lui semblait évidente. Le groupe se trouvait dans un des hangars de lancement des engins volants des Guerriers Vautours ; les tubes devaient sans doute servir au décollage d’urgence, agissant comme de gigantesques catapultes. Le fait est que, pendant un court instant, il avait vraiment eu la sensation de voler ; quelque chose d’assez grisant au fond, un peu comme une nouvelle mutation. Il se rappelait même avoir battu des bras pour essayer de freiner sa chute, avant de constater que ses efforts étaient vains et que le sol se rapprochait à grande vitesse. Il avait bien dû parcourir 500 mètres avant de s’écraser. Par bonheur, il n’avait heurté ni véhicule ni bâtiment pendant son vol improvisé, mais son atterrissage, bien sûr, avait laissé à désirer.

Nico-R-ETT poussa un long soupir. Dans toute cette mission, il ne regrettait qu’une seule chose : avoir eu le malheur de se retrouver sous les ordres de cette chef de groupe incompétente. Bridget-O était une espèce de greluche sortie d’un secteur paumé et nommée immédiatement à l’accréditation Orange sans que personne ne comprenne pourquoi. Une erreur administrative, sans doute. Ca arrivait tout le temps. Un vrai chef aurait mené son groupe droit sur le repaire des félons, sans perdre son temps à fouiller un hangar vide dont personne n’avait rien à faire. Au lieu de cela, la nouvelle avait voulu ne rien laisser au hasard et lui avait demandé de se charger d’inspecter le tube fatal. C’était peut-être même elle qui avait mis le système de mise à feu en marche ; sans doute par stupidité plutôt que par malveillance. Il ne la pensait pas assez intelligente pour avoir reconnu en lui l’un des plus fidèles membres de la société secrète des Léopards de la Mort. En tout cas, sa prochaine cible était toute trouvée... Assassiner une citoyenne Orange, aussi gourde soit-elle, lui vaudrait sans doute quelque reconnaissance de ses pairs...
Un bruit le rappela douloureusement à la réalité. Quelqu’un s’approchait. Sans doute le doc-bot. Ses souffrances allaient bientôt cesser grâce à une bonne piqûre d’anesthésique, et le reste irait tout seul. Un bref séjour à l’infirmerie et il serait remis sur pied grâce à la technologie avancée mise à la disposition des vaillants Clarificateurs du Complexe Alpha. Son prochain clone pouvait attendre ; ce ne serait pas ce cycle-ci que Nico-R-ETT-2 prendrait le relais. Ca lui ferait les pieds, à cet arriviste toujours jaloux du succès de son aîné...


« Citoyen ? Vous êtes là ? »


Nico-R-ETT reconnut la voix d’un autre membre de son équipe de Clarificateurs : c’était Anne-R-VIF, la citoyenne qui servait d’Officier Garant de l’Hygiène dans le groupe. Ce n’était pas le doc-bot, mais c’était mieux que rien ; au moins, il avait été localisé assez rapidement et les secours allaient arriver sous peu. Douloureusement, il tenta d’agiter sa main droite qui se dressait toujours en l’air au bout de son bras cassé pour attirer l’attention de la citoyenne, tout en émettant un son qui ressemblait plus au miaulement d’un félon à l’agonie qu’à un appel à l’aide. Ca n’avait aucune importance ; le tout, c’était de se signaler.


« Ah, vous voilà ! Nordi-tout-puissant, dans quel état vous vous êtes mis ! Vous... Vous êtes encore en vie ? »


Nico-R-ETT se retint de ricaner en songeant que cela pourrait lui endommager le peu de côtes restantes qui ne s’étaient pas fracassées dans la chute. Il était bien en vie, comme n’importe qui aurait pu le constater. Encore une citoyenne qui n’avait pas inventé la poudre... D’après ce qu’il savait, Anne-R-VIF était membre du Club Sierra, une société secrète composée de doux rêveurs idéalistes et non-violents qui s’extasiaient devant le moindre organisme vivant primitif et s’échinaient à sauvegarder les cafards et autres bestioles qui pulullaient dans le Complexe. Une bande de cinglés inoffensifs comme lui et ses copains des Léopards de la Mort aimaient à tabasser lorsqu’il leur en venait l’envie – c’est à dire, souvent. Enfin, il valait mieux tomber sur elle que sur Mike-R-ONS, le cinglé des Forces Armées... Un fou dangereux, celui-là.

La citoyenne s’approcha doucement du blessé et s’agenouilla auprès de lui. Elle était plutôt mignonne et ses grands yeux marrons reflétaient toute la pitié sincère qu’elle éprouvait pour le malheureux. Les larmes aux yeux, elle ajouta :

« Je dois dire que j’aurais préféré vous retrouver mort... J’ai horreur des armes, vous savez. Mais un ordre est un ordre... »

Tout en disant cela, la citoyenne sortit son laser de son étui. En proie à une panique aussi soudaine qu’inattendue, Nico-R-ETT voulut crier mais seul un gémissement rauque parvint à sortir de sa gorge. Anne lui pointait à présent le laser sur la tempe, tout en continuant à parler d’une voix triste.

« Ce n’est pas de ma faute. C’est Bridget-O. Lorsque vous avez été éjecté, elle s’est d’abord mise à pleurer, mais après quelques minutes elle m’a envoyé voir si vous étiez encore vivant. C’est une brave petite, vous savez. Incapable de faire du mal à un bot, ou même à un IR... Elle ne pouvait se résoudre à vous abandonner sans vérifier si vous n’aviez pas survécu, par miracle... Il faut dire que c’est assez inattendu. Enfin, vous auriez pu vous en sortir, en effet... Je ne crois pas que j’aurais pris le risque de vous abattre sans avoir une excellente excuse qui puisse me permettre d’échapper moi-même au CES – même pour venger mes camarades du Club Sierra des exactions de votre petit groupe de Léopards cinglés. Et cette excuse, c’est Bridget qui me l’a fournie, sans le vouloir...

Vous allez rire, elle m’a dit, clairement et devant témoins : Assure-toi qu’il est bien mort ... Et j’ai fait répéter l’ordre en l’enregistrant sur mon Com-Unit. Désolé, citoyen. Un ordre est un ordre...»


Le laser fit feu à bout portant, et la détonation couvrit le bruit de la derniére plainte de Nico-R dont la tête éclata en petits morceaux. Anne eut un petit sourire satisfait et tout en rengainant son arme, elle alluma son Com-Unit et composa le numéro d’appel de sa chef de groupe. Le visage de Bridget apparut bientôt sur l’écran miniature de l’appareil.

« Chef ? C’est Anne-R-VIF. Oui, j’ai retrouvé le citoyen Nico-R, et je confirme qu’il est bien mort. Oui oui, je m’en suis assurée personnellement, comme vous m’aviez dit... D'un bon coup de laser en pleine tête... Chef ? Allo, chef ? Il y a un problème ?»

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