Jour 21
Je suis sur le bateau de notre Waaagh, l’air est doux et un soleil rouge s’est levé. L’ancien m’a rejoint quelques instants après que j’ai commencé à écrire ces lignes. Il me dit qu’un soleil rouge était un mauvais présage, le présage que Gork était effrayé.
C’est au moins le dixième mauvais présage de Gork depuis le début du voyage, mes résolutions de la veille me semblent à présent futiles et infondées. Les autres ont rallumé le feu de joie. Je vois les flammes sur la plage. Les flammes se propagent à tout le campement, que se passe-t-il ? Les snotlings ont du jouer avec les tisons ! Il est impossible que... Des tambours ? J’entends faiblement les résonances d’un tambour de guerre, mais il ne s’agit pas là du nôtre ! Je ne vois pas bien ce qui se passe. J’entends le tumulte d’un combat malgré la distance, ça doit être dû à un effet d’écho ou quelque chose du même genre... Je vois les canots, nos canots revenir à toute allure, je ne les ai jamais vus aller si vite ! Que se passe-t-il ? Mais que se passe-t-il ? La prédiction de l’ancien s’est-elle réalisée ? La vouivre de Tête de Mork s’envole rapidement au-dessus de la mêlée, pour me rejoindre sur le pont. Il a l’air hébété et rageur ! Son visage à demi ensommeillé me toise dans la plus totale incompréhension !
"Nous avons été attaqués."
C’est tout ce qu’il arrive à dire depuis le début de la journée, le crépuscule tombe lentement sur le bateau où les survivants de l’assaut de ce matin sont réunis. Il y a eu en définitive beaucoup plus de peur que de mal, mais le choc a été rude et de nombreuses victimes sont à déplorer. Du peu que j’ai réussi à tirer des gobelins de ma garde, complètement traumatisés, est que l’attaque s’est déroulée par surprise, une volée de flèches enflammées s’est abattue sur le camp qui a rapidement pris feu. La suite de l’assaut est très floue, des flèches s’abattaient sur les peaux vertes en fuite qui tombaient comme foudroyés par un venin mortel. Le pire reste sans doute que nul gobelin vivant n’a véritablement vu ces mystérieux tirailleurs. Je croisais au hasard le regard de l’ancien sur le pont, celui-ci était lourd de sens et suffit à me convaincre d’aller dormir.
Jour 22
Tête de Mork a arpenté son bateau de long en large pour recenser les morts, il a arrêté sur moi un regard accusateur, comme si j’étais le responsable du massacre de la veille. Son discours eut à peu près autant de ressentiment qu’il a de stupidité !
Ces ennemis lâches et cruels allaient subir la colère et le châtiment de la Waaagh de Tête de Mork ! Les hurlements d’acclamations de ses orques noirs furent interrompus par la voix de l’ancien qui tint à peu près ce langage : "Pauvres fous ! Vous ignorez les puissances qui habitent ces jungles ! Elles sont infestées de serpents, de reptiles et même d’une race terrible et puissante d’hommes à tête de crocodiles !" Ses paroles furent jalonnées de désapprobation dans l’assistance, mais ses derniers mots furent ponctués par le rire strident des snotlings. Tête de Mork déclara alors que même les snotlings avaient plus de bon sens que leur ancêtre.
Les orques et les gobelins partirent tous d’un grand rire, l’ancien était bleu de rage et je ne pus m’empêcher de repenser aux gravures en forme de serpents dans le temple que nous avions pillé. Ces créatures étaient revenues, avaient trouvé leur lieu de culte souillé et s’étaient vengés de manière terrible. La suite de la journée a été essentiellement consacrée à la préparation de la bataille qu’ils livreraient le lendemain matin dès l’aube, et cette fois impossible d’y couper.
Jour 23
Il est temps pour moi de me préparer à affronter un nouvel ennemi ! Ces créatures couardes avaient lâchement assassiné plusieurs des nôtres ! Il est temps pour eux de payer et ni serpent ni crocodile ni lézard n’arrêtera la charge de notre Waaagh !
C’est la débandade ! Presque toute notre troupe a été vaincue : je vais tenter de vous décrire précisément la bataille : nous sommes partis, le cœur fier, nos armures correctement ajustées pour une fois, et nous avons débarqué en colonnes sur la plage, notre bouclier haut pour nous protéger des traits empoisonnés des mystérieux tirailleurs. Tête de Mork, juché en haut de sa vouivre, nous haranguait avec des mots à lui. Contrairement à ce que nous attendions, aucune flèche, aucun projectile n’est sorti d’entre les épais feuillages, aucun frémissement ne trahit une présence quelconque à un tel point que nous avions l’impression de nous être levés pour rien. Notre général nous ordonna d’organiser une battue dans la jungle environnante et de tuer le premier adversaire que nous rencontrerions sur notre route. Les snotlings étaient juchés sur leur chariot et s’apprêtaient à pomper pour avancer dans la direction indiquée par leur "chef", un snotling coiffé d’une passoire et brandissant une planche dans laquelle était fiché un épais clou rouillé.
Moi et ma troupe de gobs avancèrent en rangs serrés sous nos boucliers, ne laissant aucun défaut, aucune faille dans notre garde. Nous commencions à désespérer de trouver un adversaire valable (un snotling fut dévoré par Tête de Mork pour avoir osé lui rapporter une grenouille aux couleurs vives, empalée sur un outil pointu) quand tout à coup, les tambours retentirent de nouveau, pas les élégants tam-tams de nos musiciens, mais un son plus tribal, plus sauvage, comme le battement ancestral du cœur de la jungle, le retentissement de la colère d’un occupant qui habite depuis longtemps sur ses terres.
Les loups de notre cavalerie étaient nerveux, les snotlings ne riaient plus, Tête de Mork fut figé un instant avant d’ordonner de charger à vue, mais quelle vue ? Nous n’avions devant nous que le mur d’arbres enchevêtrés, autant de passages par où l’ennemi pouvait surgir ou rester caché, d’autant que la résonance des tambours venait de partout. L’écho que j’avais remarqué la veille troublait mes sens, partout je croyais voir des ennemis, partout les ombres de la canopée dérobaient les ennemis à notre regard. Les tambours roulaient encore à nos oreilles lorsqu’ils chargèrent, non de l’avant, mais par l’arrière ! Des hordes de petites créatures à la peau écailleuse bigarrée de bleu, de noir, de jaune avec des crêtes de couleurs toutes aussi chatoyantes, couraient vers nous, armés de sagaies ou de petites dagues en poussant des cris aigus. Ils sortaient tous de l’océan, ils s’étaient embusqués dans l’eau et ils nous avaient attendus pendant la nuit pour nous prendre de revers. La confusion s’installa dans nos rangs, le temps que nous nous soyons retournés, ils étaient presque sur nous. Prêts à les recevoir, nous attendions la charge lorsqu’ils se stoppèrent brusquement à une cinquantaine de mètres de là où nous nous trouvions. Leurs petits yeux noirs nous toisaient avec curiosité, ils ressemblaient à des salamandres géantes avec des crêtes, mais surtout, aucun d’entre eux ne portait de tambour... La charge nous prit par l’arrière, et, de l’orée du bois, surgit la charge la plus violente.
Des guerriers aux épaules larges et à la peau écailleuse fonçaient sur nous et j’eus à peine le temps de me retourner pour encaisser le choc qui suivit. Plusieurs guerriers lézards enfoncèrent nos lignes et nombre d’entre nous périrent. Je fus projeté au sol et levais mon regard au-dessus de moi, je vis de près pour la première fois un de ces soldats : ce n’étaient point des hommes à tête de crocodile, comme l’avait dit l’ancêtre. Ils avaient une tête courte et aplatie et étaient de beaucoup plus forte constitution que des humains. Il portait un large bouclier de bronze et une hache en or ornementée de nombreuses petites pierres brillantes, ses larges bras étaient couverts de bracelets colorés et je voyais ses dents pointues s’aligner derrière ses babines retroussées. Je roulais de côté pour éviter le formidable coup qu’il voulait me porter. Et je courus me réfugier vers les barques sur la plage, évitant de peu le chariot des snotlings qui fonçait à vive allure à travers le champ de bataille.
Il me restait une cinquantaine de mètres à parcourir, les chevaucheurs de loups étaient défaits par les hordes de guerriers qui fondaient sur eux. Je fus freiné dans ma course par les petites créatures de tout à l’heure, un aiguillon me perça l’épaule alors qu’ils me rabattaient vers la forêt. Un mugissement traversa le champ de bataille. La créature la plus monstrueuse que j’ai jamais vu fonçait à travers la mêlée : elle fonçait comme un immense taureau écailleux avec une crête couverte de pointes dont deux immenses cornes qui pointaient en avant, fauchant quiconque se trouvant en travers de leur trajectoire. L’immense mastodonte fonçait droit sur la vouivre, qui abattait la masse innombrable des sauriens qui l’entourait. Il la percuta avec force, et l’espace d’un instant, le temps s’arrêta.
Un immense guerrier lézard coiffé d’un casque en os descendit du howdah sur le dos du monstre et bondit sur notre général jeté à terre, avec une immense serpe semblable à celle que nous avions trouvé quelques jours plus tôt. En quelques secondes, la lame trouva son chemin et frappa droit au cœur, traversant l’épaisse peau de l’orque noir. Le sang se répandit abondamment autour de Tête de Mork qui expira quelques secondes plus tard, sous la clameur du champ de bataille. Les survivants se replièrent vers les barques, le chemin laissé libre par les petites créatures aux javelots. Nous comprîmes pourquoi dans les instants qui suivirent, lorsque des guerriers semblables à nos assaillants, mais plus gros, plus forts et maniant de lourdes haches de bronze sortirent à leur tour de l’eau. Ils fauchèrent nombre d’entre nous et rares sont ceux qui atteignirent le bateau sous le tir nourri de javelots.
Nous en sommes là, nos troupes défaites par ces mystérieux hommes lézards, notre général mort, et mon épaule me fait souffrir. Les tambours ? Non ! Ils reviennent me hanter ! J’entends le tumulte des batailles ! On se bat sur le pont, la voix rauque des hommes-lézards retentit dans ma tête ! Je suis pris d’hallucinations, je les entends mais je ne les vois pas, ils arrivent ! ILS REVIENNENT ...