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     Pourquoi faut-il que vivent les morts et meurent les vivants ? Pourquoi les morts parcourent-ils les infinis déserts tandis que périssent les vivants dans leurs tombes de terre ? Pourquoi les pieds décomposés foulent-ils le sable chaud et croupissent dans l’ombre les pieds de chair ?

-Parce que le monde est mort, fille. Parcee que les dieux nous ont abandonné et que les rois nous ont trahis.

-Mais alors, qui règne sur Albion ?

-Le Mort, fille, le Mort. Le Mort, la Hainne et l’Amour, le triumvirat maudit. Celui qui ne laisse que cadavres, cendres et roses.

-Mais, s’ils sont méchants, pourquoi diriggent-ils ?

-Ils ne sont pas méchants. Ils sont l’avennir.

-Mais pourquoi alors ?

-Parce que nous avons gagné la guerre.

-Je ne comprends pas. Explique père.

-Bien. Écoute et apprends. Il y a longtempps…Non, en fait c’était il y a peu de temps. Une dizaine d’années ? Oui, cela doit être ça. Bref, il y avait une île. Albion. L’endroit où nous nous trouvons à l’instant était cette île. Mais c’était une autre. C’était une île paradisiaque Tant et si bien qu’elle est devenue ’’Paridius’’, le Paradis. Même maintenant, cela me fait mal de repenser à toute cette beauté, ce bonheur. Heureusement, aujourd’hui c’est interdit. C’était le Paradis, fille. Mais le Paradis des Âmes Déchues. C’est ce que j’étais à l’époque. Un déchu, un traître. Mais un traître vivant dans le bonheur, aveuglé que j’étais par les illusions de la paresse. Et puis est venu Shaes. Shaes, celui qui nous a délivré de cette malédiction heureuse, celui qui nous a ouvert les yeux. La révolution a débuté. Nous avons gagné. Paridius n’a jamais eu à ce défendre et elle est tombée en quelques jours. À sa place ont été installés les Trois.

-Mais qui était au pouvoir avant ? Et pourrquoi n’y-t-il jamais eu de guerres ?

-Avant était le Roi. Le Haut-Roi. Il étaitt le premier et le serait resté sans Shaes. Il a toujours guidé Albion au bonheur…On ne peut imaginer des êtres pareils…Tout sacrifier pour les autres. Horrible ! Mais Shaes a changé tout cela. Maintenant est le chaos. Que Mohaam soit loué et que les cris des suppliciés atteignent les espaces incommensurables qui nous surmontent. Il n’y a pas eu de guerres. Il n’y en aurait jamais. Il n’y a eu qu’une libération. Shaes a réclamé pour nous la liberté d’être malheureux.

-Je ne comprends toujours pas.

     L’homme poussa un long soupir.

-Tu comprendras quand tu seras plus grande.

-Je veux savoir. Explique ! Le ton de l’enfant s’était durcit.

-Non.

     L’enfant prit alors un crochet qui servait à remuer les bûches et le plongea dans l’âtre brûlant.

-Dis le moi, répéta-elle quelques minutes plus tard.

     Et, sans attendre de réponse, elle sortit le tisonnier et le planta dans la gorge de l’homme.

-Je voulais savoir. Fit elle avant de craccher sur le cadavre. T’avais qu’à me le dire.

     Et la fillette sorti de la maison, partant en quête de connaissances.

 

     Le sol de sang s’enfonçait sous les pieds écorchés de l’enfant. Chaque pas était plus difficile que le précédent et le poids des vivants s’accrochait aux jambes frêles de la fillette. Le soleil mort parcourait sa monotone ellipse et ses rayons chargés de négation asséchaient les rares plantes aux épines acérées. Les rares îlots de terre sèche qui apparaissaient n’abritaient que des flots de vie ayant survécu à la chute du Roi. Trois jours sans trouver une seule source d’eau morte. C’était tout bonnement incroyable. Mais le Nord est réputé pour être une région très vivante. D’autant plus si proche de Shaes. Shaes, symbole de la vie et de ce qu’il avait avant la Chute. Shaes, si mort qu’il connaissait tout les secrets de la Vie.

     Chaque instant qui passait la rendait plus faible, plus vulnérable aux attaques des créatures vivantes. Mais peu importait car elle approchait du palais du Mort. Les épreuves qu’il lui faudrait surmonter pour y arriver étaient innommables. Car Shaes, avant d’être Mort avait été en vie et les pouvoirs que lui procurait cette existence sinistre étaient exceptionnels. Mais elle y arriverai. Car elle voulais savoir. Savoir pourquoi le monde était mort et les enfers emplis de vivants.

     La première chose qu’elle eut à vaincre fut les résidus de vie qui coulaient encore en elle. Elle les perdit en rencontrant ceux que Shaes nommerait plus tard les Seigneurs de la Négation. Les tourments qu’elle endura lorsque les lames des plans transpercèrent ses entrailles sont éternels. Ils sont impossibles à décrire car tout lecteur périrait, emporté par les Hymnes de la Négation qu’elles chantent. Chacun des coups portés la plongeait dans les abîmes éternels de la souffrance. Elle comprit ce que cela devait être de mourir lorsqu’on était en vie. Et ce qui arrivait après une fois que le mort arrivait à la fin du Styx : le Vide.

     Malgré la douleur, le mal physique et psychique, elle n’opposa aucune résistance.

     La rencontre eut lieu à la sortie des Marais de Sang. Après avoir peiné pendant des jours dans une étendue de plus en plus vivante, elle réussi à s’extirper de la tourbe regorgeant de sang pour poser le pied sur un sol mort, dur et stérile. Pour peu, elle se serait jetée à terre en remerciant Mohaam de sa générosité mortelle. Mais la lugubre présence des Six l’en empêcha. Ils étaient six, deux de blanc, deux de noir et deux de néant. Vie, Mort, Vide. Ils l’entourèrent et sortirent leurs épées flamboyantes. Lorsque celle de la vie la transperça, elle ne ressenti qu’une vague de chaleur horrible et un bonheur intense, tellement intense qu’il en était mortel. Puis, la mort déchira son corps. Elle perdit tout sentiment, elle ne pensait plus qu’à être vivante, elle était malheureuse et jalouse. Enfin, le vide s’empara d’elle, la laissant glaciale et distante. Une coquille refermée sur le rien.

     Une seconde fois le douloureux cercle s’accompli. Puis, les deux lames de la mort détruirent simultanément un Seigneur de la Vie et du Vide, tandis que les deux restants s’entretuaient. La mort s’empara d’elle. Jamais elle n’avait connu pareilles souffrances. Les coups s’enchaînaient en une macabre et funèbre danse. La mort la posséda toute la nuit.

     Au matin, lorsque l’astre mort la réveilla de ses rayons, elle sentit la puissance couler en elle.

     Les cadavres des Seigneurs avaient disparus.

     Ne restait qu’une épée, plantée dans le sol sanguinolent, telle était Excalibur. Elle était Vie, Mort et Vide. Elle était tout. La fillette la retira aisément du sol, la ceignit à sa ceinture, et bizarrement, l’épée sembla rétrécir. Les particules de mort qui palpitaient en elle se transmirent à l’épée et cette dernière se teint d’un reflet noir.

 

     Elle avait surmonté les Seigneurs de la Négation, elle était Morte. Et elle le resterait.

     Enfin, quittant les Marais Vivants, elle pénétra dans la Plaine de Vide. Une infinité de non-espace s’étendant aux limites de l’univers. Et qu’elle devrait franchir. Elle qui était pleine de Mort…Car les Hymnes de la Négation avaient parlé…

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