Reflets dorés et poudre magique, la joie régnait dans la colonie féerique au sein de la forêt de " Belcolline ". Comme tous les jours, mille petits êtres voltigeaient, heureux de vivre, comblés par la nature et le soleil, buvant l’eau directement à sa source, d’où elle fissurait la roche, discutant, chantant … Le sol, sous les pas de Finebune, semblait soupirer, comme si l’on pansait ses blessures par la plus douce des médecines. Elle n’y prêtait pas toujours attention, mais s’en étonnait encore, parfois. Elle reçut un grain de poudre magique dans l’œil, et le monde tout entier devint alors un grand arc-en-ciel flamboyant, chaque détail enrichi d’un mélange de teintes inédites, toutes les formes gonflant ou diminuant comme à travers les fioles d’un alchimiste.
Ce fut vite passé, et elle reprit son chemin, essayant d’être le moins possible déconcentrée par les files indiennes que formaient les fourmis, noirs chevaux à ses yeux. Avec elle marchait Marguerin, une fée mâle, ami d’enfance de Finebune. Ils allaient bon train, discutant de la pluie, mais surtout du beau temps, de la tige et de la fleur, de la chenille et du papillon. Ainsi se rendaient-ils insouciamment chez Solenne, une fée savante qui connaissait les plantes, et qui soignait les fées qui parfois se blessaient, par malheur.
À son tour, Marguerin reçut un grain de poudre magique dans l’œil. Finebune rit de bon coeur à le voir dans un si drôle d’état. L’effet fût si fort qu’il tomba sur la fée et qu’ils se retrouvèrent au sol, Finebune sous Marguerin, tout proche. Il l’aida à se relever, puis ils reprirent leur chemin. Finebune avait tout de même eu une bien drôle d’impression quand elle avait senti le corps de son ami allongé sur le sien. Avait-il eu la même sensation ? Toujours était-il qu’ils avaient tout deux rougi jusqu’aux ailes et que l’atmosphère paraissait soudain, à Finebune, encore plus joyeuse.
Ils arrivèrent au pied d’un grand arbre dont ils eurent du mal à distinguer la cîme, du fait de leur petite taille. À la base du tronc était ménagée une petite entrée qui menait à l’intérieur de l’arbre, dans une sorte de grotte aux parois d’écorce, écorce recouverte de poudre magique aux reflets verts, jaunes, rouges et bleus, qui éclairait l’intérieur de la cavité. Solenne était là, au-dessus d’un chaudron fumant. Les cheveux ébouriffés par les vapeurs, elle jetait dans la marmite des grains de pollen, et des morceaux de pétales de fleurs champêtres, le tout sans ménagement. Ses deux visiteurs se tenaient à l’entrée immobiles, et croyaient l’observer à son insu. Mais il n’en était rien. Elle connaissait si bien les reflets de sa grotte qu’ils lui avaient révélé la présence des deux intrus.
" Alors petits espions, entrez ! Puisque que vous venez sur ma demande. " Dit-elle sur le ton joyeux que seules les fées savent donner à leur voix, même pour annoncer un malheur.
_Bonjour Solenne ! " Dirent Finebune et Marguerin de concert. " Que nous vaut le plaisir de cette invitation, madame ? "
_Holà ! Une chose après l’autre, et avant tout, prenons une collation. Asseyez-vous donc ! "
Ils s’assirent autour d’une table ronde, taillée dans le bois de l’arbre, tout comme les tabourets. Sur celui de Finebune poussait encore une petite branche avec une feuille jeune et verte pointant au bout. Ils eurent bientôt chacun un verre cristallin, bien vite rempli par une boisson colorée et parfumée. Ils rirent et burent doucement. Peu à peu, ils rirent de plus en plus. Ils partirent dans un fou rire et en roulèrent au bas des tabourets. Ils se rassirent et se calmèrent lentement, avant que Solenne n’amène un gâteau rond et gonflé. Elle y coupa de généreuses parts qu’elle distribua à ses invités. Finebune goutta la saveur fruitée et apaisante du gâteau, tout comme Marguerin. Ils étaient maintenant joyeux, mais non plus hilares comme deux minutes auparavant. Solenne leur parla alors doucement :
" Nous voilà repus, parlons bien maintenant ! Pourquoi vous ai-je fait venir ? Vous demandez-vous ! Bonne question, pour sûr ! Eh bien, c’est un peu compliqué… "
Sur ce mot : " compliqué ", Finebune et Marguerin sursautèrent. Chez les fées, le bonheur était simple, et le malheur compliqué, et toute chose compliquée ne pouvait être que source de malheur, même si la notion de malheur, au sens où nous le connaissons, est plutôt inconcevable pour les fées.
" " Compliqué " ? Interrogea Finebune, un peu inquiète
_Et bien, hier au soir, je me suis rendue chez Rosahin, notre chef, pour lui porter un breuvage fortifiant, comme à chaque pleine lune. Je lui ai remis la potion en bonne et due forme, et il l’a reçut comme il se doit. Je n’y pris pas garde sur le moment, mais j’ai trouvé qu’il était étrangement peu gai.
_Par mes ailes, ce n’est… Ce n’est… Pas joyeux comme histoire ! " S’exclama Marguerin dont le moral était presque affecté par cette nouvelle.
_Oui, ça ne l’est pas, pour sûr ! Et ce n’est pas fini… N’avez-vous pas vous-même remarqué, mes chères fées, la colonie n’était pas aussi joyeuse aujourd’hui qu’à l’accoutumée ?
_Maintenant que vous me le dites, Solenne, c’est vrai qu’il y avait moins de poudre magique dans l’air… " Remarqua Finebune.
_Pourtant, j’étais moi-même très joyeux aujourd’hui. " Dit Marguerin.
_Moi aussi, tient ! Je me suis rarement sentie aussi légère !
_C’est parce qu’un type de joie très particulier vous anime, pour sûr, mes deux petites fées. " Leur dit Solenne, souriante. " Mais je me suis moi-même moins amusée aujourd’hui en préparant mes potions, que d’habitude. Pour être franche avec vous, je pense que la colonie est touchée par une maladie ! "
_Une maladie ? Mais qu’est ce ? " Firent les deux invités dans le même temps.
_Hum, c’est comme une blessure. Comme quand un merle a une aile froissée, voyez-vous ? Mais cette blessure ne se voit pas. Cette blessure invisible nous affecte tous, même vous, mais vous y êtes immunisés, je l’ai vu. D’où cela vient-il ? Je ne le sais point. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il faut y remédier, et je pense savoir comment faire.
_Comment ?!
_Avec une simple potion, qu’il suffirait de distribuer à toutes les fées, mais…
_Mais ?
_Mais il me manque un ingrédient essentiel !
_Un ingrédient ? Quel est-il ?
_Un morceau de cactus… Un cactus que l’on dit magique, et qui est très rare ! Voyant que la maladie ne pouvait vous affecter, je pensais vous demander, si vous le vouliez bien, de partir à la recherche de ce cactus !
_Bien sûr ! Partons immédiatement ! " S’exclama Finebune.
_Attendez ! Vous n’en trouverez pas sans la moindre indication ! Tout d’abord, il pousse loin au sud, à plus d’un quart de lune à vol de fée je pense. C’est une distance, n’est ce pas ?
_Certes.
_Je vous conseil de ne pas le chercher ensemble, si vous vous séparez, cela fait deux fois plus de chance de trouver ce cactus !
_Bien, nous le ferons.
_Enfin voilà de quoi vous aider dans vos recherches… "
Sur ce, elle leur tendit des bouts de feuille de chêne sur lesquelles avaient été dessiné des croquis du cactus magique. Il était rondouillard et n’avait pas d’épines, Finebune le trouva même très mignon. Elle leur tendit aussi quelques vivres pour le voyage, toutes savoureuses et légères, mais aussi énergétiques et stimulantes.
" Il faut faire vite, j’ai bien peur que la situation risque d’empirer. Qui sait ? On va même voir de la mélancolie ici bas !
_De la quoi ? Fit Marguerin en frétillant de l’aile gauche.
_Oh rien ! Partez quand vous voudrez, mais faites-le vite. Je ne veux pas que vous y alliez sous la contrainte. Si vous ne vous sentez pas de taille, dites-le maintenant mes enfants. "
Marguerin et Finebune se regardèrent alors dans le blanc des yeux. Ils ne saisissaient pas vraiment ce qui se passait dans la féerie ; pour eux, toute chose était joie et joie encore, ils ne comprenaient pas non plus toutes les conséquences de leur départ, les épreuves qu’ils auraient à surmonter et la solitude qu’il leur faudrait affronter ; tout cela leur échappait, mais ils savaient, au fond d’eux-même, qu’ils devaient partir, pour le bien des choses qu’ils connaissaient, celles qui les entouraient depuis si longtemps d’un manteau de douceur.
Finebune détourna son regard de celui de Marguerin, troublée encore une fois puis elle dit :
" J’irai, s’il le faut.
_C’est dommage, mais il le faut, pour sûr…
_J’irai aussi ! " Fit fièrement Marguerin.
-Et bien, mes enfants, que la joie vous accompagne sur ce chemin ! "
Les deux fées sortirent du tronc, le soleil était un peu voilé et moins de lumière parvenait sur le sol de la forêt de " Belcolline ". Finebune était sur le seuil, au côté de Marguerin. Elle ne voulait soudain plus partir, en tout cas, elle aurait voulu faire un bout de route avec son ami. Mais il était trop tard. Elle prit l’autre fée dans ses bras, ils se serrèrent bien fort puis prirent leur envol harmonieux.
Et voilà que Finebune se retrouvait à voler très vite vers le sud, un peu vers l’est, Marguerin avait pris un chemin plus à l’ouest. Le sol défilait à toute allure. Elle contournait d’énormes troncs sous un feuillage vert magnifique. Elle avait déjà oublié l’étrange amertume du départ, et était de nouveau absorbée par la magnificence de la forêt millénaire de " Belcolline ". D’après une légende fée, la forêt existait depuis le début, avant même que la première fée n’ait pris son premier envol. Même le sol était beau, plein de contrastes, les fougèrent étaient voisines des feuilles mortes sur et sous lesquelles courait la vie, sous de multiples formes amusantes. L’air était chaud et agréable, des conditions idéales pour le vol et la détente. Cette journée passa telle un rêve pour la jeune fée. Elle avait volé plusieurs heures durant, même si elle n’était pas fatiguée, elle ressentit tout de même le besoin de prendre du repos. Elle fit une vrille habile en direction du sol et se posa légèrement sur un champignon blanc. Elle s’assit sur le chapeau rond et sombra dans un sommeil enrêvé.
Un matin plus beau que le soir venait de naître, et Finebune s’éveilla. Elle était tournée vers le nord, posée sur le champignon. Venant de cette direction, un lapin détalait à toute allure, à grands coups de bons agiles. Passant tout près de la fée, celle-ci s’accrocha à l’un des poils de la bête. Elle allait voyager sur son dos tant qu’il irait vers le sud. L’animal avait une blessure à la cuisse. Attristée par le sort du lapin, Finebune battit des ailes au-dessus de la blessure. Des grains de poudre magique vinrent se poser sur la plaie que se referma petit à petit. Bientôt, il n’y avait plus aucune trace de la blessure, et même les poils bruns avaient repoussé. Le lapin soigné redoubla d’effort, cette fois-ci, et Finebune ne put admirer le paysage, celui-ci défilant si vite qu’il en devenait flou. Au bout d’une grosse heure, le lapin, à bout de force, s’arrêta. Finebune le quitta alors et reprit elle-même la route. L’animal n’avait pas eu conscience de la présence de la fée, mais lui-même se sentait étrangement soulagé et bien portant malgré la longue course qu’il venait de faire. Finebune avait gagné une bonne demi journée de voyage grâce au lapin, mais elle ne fit pas attention à un tel détail. Pour elle, l’important se trouvait dans l’entraide qu’il y avait eut entre la fée et l’animal.
Elle avait donc repris son vol. C’était toujours aussi enivrant d’admirer les beautés de la nature. A la mi journée, elle mangea un peu ; ses forces en furent multipliées. Et elle se remit en route, encore et encore. Tout cela était bien beau, mais la solitude commençait à se faire sentir, elle ne se manifestait pour l’instant que ponctuellement. Dans ces moments là, Finebune se surprit à penser principalement à Marguerin. Où était-il ? Que faisait-il ? Pensait-il à elle au même moment ? Toujours était-il qu’elle volait vite et bien. En ligne droite de préférence, car " c’est le plus court chemin " comme elle se plaisait à se dire. Cette ligne droite n’était entrecoupée que de quelques contournements d’obstacles divers, surtout des arbres et des rochers. Le soleil une fois de plus allait se coucher, Finebune prit cette fois comme couchette une touffe de lichen frais. La texture était moelleuse et agréable, et elle y dormit bien.
Un autre matin vint. Mais cette fois, Finebune le trouva moins beau ; elle se sentait, pour la seconde fois de sa vie, loin de tout : elle devait pourtant encore plus s’éloigner, plutôt que de partir à la recherche de la colonie. Ces deux jours étaient passés vite ; cependant, il semblait à la fée qu’elle n’avait pas vu ceux qu’elle aimait depuis bien longtemps. Elle se remit alors en tête les paroles de Solenne, et pleine de détermination, elle prit plein sud.
Ainsi passèrent de nombreux jours. Rythmés par le l’alternance entre le soleil et la lune. Finebune volait encore et encore, malgré la solitude qui la tenait. Petit à petit, le monde qui l’entourait changeait. D’une part, l’air se réchauffait, mais surtout, la végétation devenait de moins en moins dense. Elle finit même par sortir de la forêt de " Belcolline ". C’était la première fois qu’elle la quittait ; d’un côté, cela lui plaisait de découvrir de nouveaux horizons, mais de l’autre, elle était tout de même triste de quitter son berceau de verdure pour tomber dans cette contrée rouge et épineuse. Car en effet, le paysage finit par devenir quasiment désertique. La roche paraissait dure et poussiéreuse. C’était bon signe puisque les cactus poussaient dans ce genre d’endroit. Finebune ralentit donc un peu et se mit à observer attentivement pour trouver les cactus. De toute façon, elle ne pourrait pas le louper puisqu’il devait être gigantesque comparé à sa taille.
Du fait de sa recherche, elle ne regardait plus désormais en face d’elle, elle se cogna même plusieurs fois contre certains obstacles. Mais par un grand malheur, l’un de ces obstacles fut une toile d’araignée. Finebune s’emmailla toute entière au milieu de ce piège collant. Plus elle se débattait, plus les fils venaient se coller sur son corps immobilisé. Elle était prise de panique, elle n’avait jamais senti son corps lui échapper, elle se sentait paralysée. La peur lui appuyait sur la gorge. Par chance, ou par malchance, l’araignée n’était pas là. Si bien que Finebune resta encollée là durant de nombreuses heures. Elle se sentait perdue, qui pourrait l’aider ? Si loin des fées, aucune d’entre elles ne viendrait la secourir. Ironie du sort, elle qui voulait sauver les fées, avait maintenant besoin de l’aide de ses semblables. Elle sombra dans un sommeil sans rêves.
Elle fut réveillée par un lent balancement. L’araignée était revenue, et ses pattes faisaient bouger la toile où la fée était engluée. L’araignée s’approcha lentement mais sûrement de sa proie sans défense, les crocs en avant. Finebune ne comprenait pas ce qui se passait, mais l’instinct de survie prit le dessus et elle se mit à hurler de peur.
" À l’aide ! S’il vous plaît ! Au secours ! "
La situation était désespérée, l’araignée toute proche. Finebune voyait son propre visage se refléter par facettes dans les multiples yeux de la bête. Le monstre allait abaisser ses griffes sur l’innocente victime quand un léger voile multicolore tomba du ciel. De petits grains lumineux se posèrent sur les fils de la toile, ceux-ci furent alors sectionnés, comme rongés par de l’acide. Finebune chuta, les fils qui l’engluaient encore collés contre elle. Le sol se rapprochait dangereusement, au point qu’elle crut sa fin venue, déjà, quand elle sentit soudain deux bras forts la rattraper. Et le sol s’éloigna enfin. Finebune s’évanouit, choquée qu’elle était.
La première chose qu’elle vit en se réveillant fut le visage doux et clair de Marguerin. Alors, poussée par une force inconnue et irrésistible, elle se rapprocha doucement de lui et déposa ses lèvres contre les siennes. Elle ne retrouva que très rarement un tel bonheur durant le reste de sa longue vie. Un tel instant resterait gravé à jamais dans sa mémoire. Elle aurait tant aimé rester immobile à jamais, dans cette position, donnant un baiser à son héros, penché sur elle.
Mais bientôt, il s’éloigna, le visage tourné vers le sol et caché par sa longue chevelure. Finebune prit la parole, encore émerveillée :
" Comment as-tu su ?
_Je l’ai su, c’est tout… Mais maintenant, je dois m’en retourner, il m’est arrivé des choses… Adieu ! "
Et il prit soudain son envol, Finebune prise de court l’interpella avant de le perdre de vue :
" Attends ! Où te rends-tu mon aimé ? "
Il se retourna une dernière fois et répondit d’une voie triste est terrible :
" Là d’où seules les ombres peuvent revenir "
Et il fila droit vers l’est sans se retourner. Finebune eut le cœur glacé par ces dernières paroles. Elle voulut le poursuivre, mais à peine avait elle battu des ailes vers l’est qu’une terrible bourrasque de vent la poussa à l’opposé de ses désirs. Elle finit à genoux, le visage dans les mains. Entre ses doigts coulaient ses larmes douloureuses. Elle goûtait encore la salive de Marguerin, mêlée à la sienne durant cet instant magique.
Deux jours durant elle le pleura, seule dans ce désert. Rien ne pourrait la soulager, elle resterait ici pour toujours, se disait-elle. Elle repensait à tous les moments qu’ils avaient passés ensemble, toutes les clairières qu’ils avaient survolées, toutes les fleurs sur lesquelles ils s’étaient assis côte à côte, leurs amis communs, tout cela lui revenait à la mémoire.
Et puis elle se remémora l’instant où il avait trébuché sur elle, avant d’aller chez Solenne. Solenne, qu’avait elle dit ? Les fées étaient malades, le cactus, il fallait faire vite ! Elle se prit soudain à se détester, elle se trouvait égoïste de ne plus avoir pensé à son peuple qui souffrait sans le savoir, elle n’avait pensé qu’à Marguerin et à son chagrin. Animée d’une nouvelle détermination, elle se dressa sur ses jambes, titubante. Elle désengourdit ses ailes brillantes. Elle allait trouver le cactus et racheter ses fautes.
Elle ne prit aucun repos, aucune nourriture, et reprit sa quête à corps perdu.
Ballottée par les vents, elle avançait, les larmes toujours aux yeux, la mâchoire serrée fortement, pour faire taire la douleur. Elle n’avait plus qu’une seule pensé : le cactus, il fallait le trouver. A chaque minute, elle s’en voulait de ne toujours pas l’avoir trouvé.
" Tu perds du temps, ils n’en ont plus, eux, trouve ce cactus et vite ! S’ordonnait-elle "
Elle ne fit point de pause, elle mangeait très peu. La fatigue l’écrasait, mais sa peine la poussait encore plus loin, toujours plus loin, elle chercherait toute sa vie s’il le fallait !
Mais ses efforts furent récompensés. Elle trouva enfin la plante, perdue au milieu du désert rouge, il était plus gros qu’une maison à côté de Finebune. Elle mit les pieds sur la grosse masse verte, à bout de souffle. Assoiffée, la fée y planta les dents. Un liquide abondant émergea de la cicatrice. Elle le but, c’était amer, mais rafraîchissant. Elle s’abreuva jusqu’à plus soif, le ventre lui en gonflait. Soudain, se relevant, le tête lui tourna violemment, elle chuta sur le postérieur, éberluée qu’elle était, ses gros yeux tout ronds. Petit à petit, les couleurs et les formes commencèrent à bouger toutes seules, comme si elles étaient animées par une vie propre. Des choses s’approchaient d’elle, semblait-il. Bientôt, elle fut prise d’un grand fou rire, elle s’en pressait les reins, courbée sur le cactus. Le rire était si violent qu’elle se convulsait, rien ne pouvait la retenir, c’était plus fort qu’elle, c’était magique…
Elle constata qu’elle n’avait point rêvé en se réveillant : elle était toujours seule dans le désert, sur le cactus qui portait encore la marque de ses dents. Elle n’était plus fatiguée, elle n’avait plus soif, et le moral était légèrement revenu. Elle mangea un peu puis entreprit de partir. Il fallait qu’elle emporte un morceau du cactus. A la force de ses mains, elle y sculpta un cube. La chaire était tendre, ce ne fut pas trop dur. Elle détacha le cube, et à moitié pleine d’espoir, à moitié emplie de peine, elle entama le chemin du retour.
Elle fut chez elle après un long voyage au cours duquel elle redécouvrit le bonheur de vivre dans " Belcolline " parmi toute cette beauté. Mais elle fut attristée en voyant les autres fées qui ne volaient pas, la poudre magique ne voltigeant plus dans l’air. Elle se rendit sans attendre chez Solenne. La grotte était maintenant bien sombre, l’air y était presque étouffant, saturé de vapeurs. Solenne semblait fatiguée, mais son visage s’éclaira quand elle vit Finebune de retour, et elle l’accueillit à bras ouvert :
" Te voilà enfin ! Je me faisais un sang d’encre ici-bas ! Comment vas-tu ?
_Je vais bien " Fit Finebune en se forçant à paraître forte, mais Solenne n’eu aucun mal pour lire en elle la douleur et l’affliction. " Mais vous et les autres fées doivent être soignées. J’ai le cactus !
_Très bien Finebune, je, nous ne pourrons jamais te remercier. Je cours préparer le remède ! Merci mille fois ! Reviens me voir demain ! "
Le soleil se rapprochait déjà de l’horizon. Il ressemblait à un gros ballon rouge. Finebune le regardait se coucher, assise seule au monde, sur une branche de chêne, à la cîme de l’arbre. C’était enfin fini pour elle, mais où était Marguerin ? Elle versa une larme en pensant à lui. Comment allait-il ? Elle se le demandait. Alors que le soleil allait disparaître, loin en bas, elle crut voir passer une ombre filante. Pourtant rien n’avait bougé.
" Tu rêves trop ma pauvre fée, pensa-t-elle "
Et elle se coucha sur place.
Au matin, le monde, semblait-il, était redevenu jeune. Des dizaines de fées chantaient leur joie. La poudre magique jaillissait sur de longues traînées fantastiques. Même la forêt était devenue encore plus belle. Les écureuils sortaient leur tête orgueilleuse, les oiseaux planaient doucement en chantant. De partout naissaient des cris joyeux et des hymnes à la nature résonnaient entre les troncs. Finebune était heureuse de retrouver ce spectacle, mais, pour la première fois de sa vie, elle s’y sentait étrangère. Quelque chose avait changé en elle.
Elle se rendit une nouvelle fois chez Solenne. De nouveau les murs brillaient de mille feux multicolores.
" Bonjour Finebune ! Belle journée n’est ce pas ? Entre donc ! Lui dit la fée qui l’attendait sur le seuil.
_Oui belle journée. Finebune s’efforçait à sourire.
_Comme tu l’as vu, le remède a parfaitement fonctionné ! Nous sommes guéries ! J’ai même gardé un peu de cactus au cas où.
_C’est magnifique Solenne, c’est magnifique "
Sur ce, le visage de Solenne se fit dur :
" Non, ça ne l’est pas, je sens bien qu’il s’est passé quelque chose, où est Marguerin… ? "
Sur ce, Finebune éclata en sanglots et se jeta dans les bras de l’autre fée pour être réconfortée. Elle raconta tout ce qui s’était passé, l’araignée, son sauvetage, le baiser, leur séparation et la phrase qu’il avait répondu.
" Là d’où seules les ombres peuvent revenir "
Solenne était elle-même très affectée par cette nouvelle. Mais elle prit les mains de Finebune dans les siennes, et la regardant dans les yeux, elle lui dit :
" Écoute-moi Finebune, il reviendra, mais si mais si, il reviendra… Pour sûr ! En attendant, vole ma fée, vole et vole encore ! Attends-le, il reviendra ! Peut-être qu’il cherche encore le cactus ! Reprends ta vie normalement, cours voir tes amis ! Vis ! C’est un bon conseil ! Il reviendra ! Si tu le gardes dans ton cœur, il finira par te revenir !"
Finebune fut prise d’une soudaine envie de vivre comme jamais elle n’avait vécu, il fallait profiter du bonheur tant qu’il était là ! Sans dire un mot, elle se retourna, prit son élan et s’envola dans la forêt de " Belcolline " où la joie régnait à nouveau.
Fin
Illustration " Finebune " par Helm
" Lifté " par Lorindil
Merci à eux !