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La nuit est déjà tombée, la neige a recouvert la rue, les montagnes et le ciel. C’est la fin d’une journée triste, morne, sans sens comme il en a tant existé dans la vie de Steve. Il a passé sa journée à écrire, puis à aller regarder le feu brûler dans l’âtre, crépiter joyeusement, lui rappelant les flammes, supprimant toute pensée pendant un moment pour, brusquement, retourner écrire. Il n’a rien mangé, il ne mange d’ailleurs jamais. Pourtant, sur la table, entourée d’un tas impressionnant de feuille de papiers, de divers essais et de torchons mille fois chiffonnés, trône une assiette. Elle contient un repas normal, fait de pommes de terre bouillies, d’un peu de ragoût, de quelques petits pois, le tout servi avec une magnifique tranche de steak recouverte d’une sauce aux morilles à l’aspect succulent. L’odeur qui s’en échappe vous fait saliver, votre faim s’éveille, vous voulez manger. Mais, pour Steve, l’assiette reste à sa place, à portée de main, simplement ignorée, comme si elle n’en valait pas la peine, malgré son alléchant contenu.


Lui se tient les tempes, un crayon dans une main, les ongles enfoncés profondément dans la chair pour l’autre. Il a des débuts de sanglots, puis refoule tout en lui pour présenter une figure grave, la figure de tous les jours, celle qu’il doit porter pour ne pas se révéler. L’étreinte se relâche, la tête est figée, immobile et recouverte des ombres en mouvement, seul indice de la faible présence du bougeoir et de son contenu bientôt entièrement fondu. Déjà, en effet, la lumière pâle qui traverse la fenêtre ainsi que celle, plus vivace, du doux foyer, a remplacé la bougie dans l’éclairage de la scène. Il fait froid. Dans un ultime effort, Steve se redresse, laissant tomber au sol le fameux crayon mâchonné pour, silencieusement, se couler jusqu’à la chambre à côté. Le feu crépite encore un moment, puis s’éteint. La nuit a, encore une fois, vaincu la vie, du moins jusqu’au matin.

La scène, muette, s’est déroulée dans une petite maison, à l’aspect délabré, en lisière de forêt. Le toit est crevé en plusieurs endroits, la réserve de bois est vide, soit volée soit épuisée, la cheminée ne semble, et ce depuis des temps immémoriaux, n’avoir jamais plus lâché la moindre volute de fumée. Tout y est mort, tout y est calme. Parfois, un ours s’aventure proche de la ruine, de son pas lourd. Rien ne laisse présager de la présence de Steve, ni lumière, ni son, ni fumée. La masure, comme son propriétaire, se tait. Sur une pierre, au bout du reste de l’ancienne barrière, sont gravé les lettres composant un nom. Mais vous aurez beau vous approcher, ausculter, mesurer, lire et relire mille fois, jamais vous ne pourriez déchiffrer l’inscription.

Mais, ce qui est intéressant, ce soir, ce qui change de toutes les nuits passées auparavant et qui ont vu tant de fois la maison enveloppée par la noirceur traître, c’est l’approche de ces deux êtres.

Ils sont fiévreux, malades. Leurs vêtements, transformé en lambeaux pleins de boue, ne les protègent pas du froid intense régnant en ces lieux. Ils grelottent, ils gémissent. Un peu plus tôt, ils se sont vu refuser l’hospitalité et ont bien crut mourir au pied d’un grand rocher, seule pierre tombale à laquelle ont droit les mendiants et les miséreux. Mais ils se sont bien vite remis à marcher, dans l’espoir d’un foyer, ou d’une âme bienveillante. Quand ils eurent aperçu la vieille et mystérieuse bâtisse de Steve, ils y virent un refuge abandonné.

Ils, ce sont Louis et sa fille, la jeune et innocente Azalée. Projeté dans la plus profonde misère par le refus du père d’exécuter un homme, ils se sont vus déchus par ceux-là même qui se disaient leurs amis. Dépités, la mort dans l’âme, ils s’étaient mis à marcher, comme le font les autres, avant de crever. Triste destinée, mais partagée par tant qu’il ne vaut même plus la peine d’y penser, seulement de regretter.

Au moins, cette nuit-là, la chance ne les a pas abandonnés. Du moins, c’est ce qu’ils croient. Le tas de pierre qui s’élève à leurs yeux est perçu comme un paradis terrestre. L’idée même de ne plus avoir à subir l’assaut du vent et des bourrasques impitoyables du blizzard réchauffe leur cœur. Le père est le premier à pousser la porte. Elle n’offre aucune résistance et s’ouvre dans un gémissement lugubre. Une cloche retentit, au loin, avec la même sonorité que le glas. Bien que cela terrorise le mendiant, il s’aventure plus avant, dans le noir, pour sa fille, pour son ultime trésor.

L’atmosphère est chaude, le mobilier, bien qu’à moitié défoncé et éparpillé au sol, comme après une tornade, est bien fourni et contraste étrangement avec l’aspect extérieur de la maison. La fille observe les murs, elle y voit des tableaux, des peintures… Là, un vase brisé, ici des fleurs fanées, asséchées. Ses yeux, soudain, s’éclairent. Elle aperçoit le repas, l’assiette. Elle se sent revivre, elle hume à pleins poumons l’odeur enivrante de la nourriture. Quelque chose en elle vient de se déverrouiller. Cette demeure la libère, comme si elle allait lui donner une nouvelle vie, effacer son passé. Mais une pression sur son épaule la fait sursauter. C’est Louis, c’est le père qui s’inquiète de voir le lieu sûrement habité. Mais, après bien des hésitations, après avoir scruté le regard de son enfant, après avoir aperçut, au coin des yeux, la lueur d’espoir que nourrissait cette âme si jeune, après en avoir eut le cœur brisé, après cela seulement il se résolut à emmener sa fille vers l’objet de ses envies. Mais à peine arrivés, à peine la fourchette soulevée, un bruit puissant émane de la pièce à côté. En une seconde, la salle se fige. La douce chaleur devient glacée, la peur se saisit des nouveaux arrivants, la lumière s’appauvri. Un pas lourd retenti. Il martèle le sol d’une fureur à peine contenue, au même rythme que les cœurs terrorisés qui s’emballent de se voir ainsi menacés d’exil et de reprendre leur voyage. Les pas cessent, la porte de la chambre s’entre-ouvre, laissant passer Steve, fulminant, rageant, le regard rempli d’une haine démoniaque. Mais, à la vue de Louis et d’Azalée, ses yeux reprennent un éclat humain, ses muscles se détendent, sa respiration reprend. La métamorphose en est si complète que le père effrayé trouve tout de même la force de dire :
- Monsieur, croyez bien que nous ne vous voulons pas de mal et que nous ne sommes pas des voleurs. Nous nous en allons à l’instant.
Et la parole, suivie du geste, voit se diriger les deux parents vers la porte.
- Je… Restez, je vous en supplie.
Cela est dit sur un ton triste, perturbé. Cela est dit par le Steve qui, continuant sur sa pensée, va barrer le chemin autant à la fille qu’au père pour ajouter :
- Vous êtes fatigué, je le vois. Restez, je vous en conjure. Ici, il n’y a ni vent, ni froidure. Ma maison est la vôtre pour autant que vous le vouliez, et je serais content de vous offrir à manger, si vous le souhaitez.
D’un mouvement rapide, il court à la table, soulève l’assiette et l’amène devant Louis tout en ajoutant :
- N’ayez pas peur, moi non plus je ne vous veux pas de mal. Les visites sont rares, et vous ne me paraissez pas de mauvais bougres. Acceptez mon hospitalité, cela vous changera de tous les tourments dont sont ornés vos fronts.
Puis, en se baissant vers la petite :
- Mange, n’aie craintes. Je suis un ami. Dehors, c’est la mort qui t’attend, alors qu’ici, c’est la vie.

Louis, étonné et surpris de tant de dévouement, ne sais que dire. Il veut d’abord s’enfuir, puis, regardant sa fille, levant les yeux vers ce jeune homme à l’allure si gentille à présent, il se jette dans ses bras, comme le ferait n’importe qui qui, après plusieurs mois d’errance, aperçoit enfin, dans le dernier endroit où il aurait put espérer la trouver, de la bonté. D’émotion, il pleure, et l’autre pleure avec lui. Ils s’enlacent un moment puis, les estomacs gargouillant, ils se dirigent ensemble vers la table. Steve, soudain pris d’une joie inexprimable, se met à voler de sa chambre à la table et de la table à la chambre, rapportant à chaque fois un plat, constituant rapidement un festin digne de ce nom. Et, voyant que les deux se régalent, il les laisse à leur repas, s’en retournant dans sa pièce, sans avaler une miette, avec juste la promesse de se retrouver le lendemain matin. Sans plus se méfier, Azalée et son père mangent, se régalant de ces mets dont les plus grands cuisiniers ont le secret, puis, tranquillement, ferment les yeux pour s’endormir paisiblement, dans une paix intérieure perdue il y a longtemps de cela. Le reste de la nuit passe paisiblement.


Le matin arrive, suivi de près par un soleil éclatant de joie et beauté, d’un astre lumineux qui arrose généreusement de ses rayons la petite chaumière. À l’intérieur, Azalée, réveillée par ce merveilleux phénomène, ouvre les yeux. Le bleu de ceux-ci se confondent soudain avec le ciel, ce dont Azalée, en riant, s’émerveille. La neige a fondu, le vent semble avoir fuit. Elle aperçoit, par la fenêtre, des champs de fleurs, des gerbes de roses, des tulipes, des jonquilles et de nombreuses plantes plus jolies les unes que les autres. Des oiseaux égaient l’azur de leur sol majestueux ou loufoque, sérieux et droit, ou insouciant et au parcours sinueux. Seul le mobilier toujours épars de la pièce rappelle le mauvais temps d’hier. En voyant une pareille scène de désolation, au milieu de tant de bonheur, elle se met à plaindre leur hôte et, regardant du côté de son père et s’apercevant de son sommeil, se met au devoir de tout ranger. Elle commence par relever les tableaux, ramasser les morceaux de vase. Elle remet les fleurs fanées dans leur pot en se promettant d’aller en cueillir d’autre, dehors. Soudain, son regard se pose sur la table. La montagne de feuille s’y trouve toujours, comme narguant toute forme d’ordre. Courageusement, elle s’en approche et se saisit de la première du tas, la plus proche. À peine l’a t’elle saisit qu’un puissant et formidable « NON ! » retentit, immédiatement suivi de « Lâche ça, entends-tu, lâche ça tout de suite ! ». Steve est là, les yeux injecté de sang et le regard méchant. La douce Azalée plie devant tant de colère et, aussitôt, se met à pleurer. Aussi subitement que la dernière fois, l’étrange homme change de visage, devenant aimable, attentionné. Il s’agenouille devant la fillette couchée à ses pieds et qui sanglote pour, piteusement, lui dire :
- Excuse-moi, je n’aurais pas dût m’emporter… Je suis désolé. »
Elle le regarde, le scrute du regard pour s’assurer de sa sincérité. Il la fixe à nouveau, le visage plein de repentir, pour ajouter :
- Ces feuillets sont à moi, c’est tout ce à quoi je tiens. Tout ce qui est ici t’appartiens, mais ne touches pas à mes écrits, c’est interdit. Allons, relève la tête, tu ne pouvais pas savoir, et puis… J’ai été trop dur. Tu me pardonne ?
Elle lui fait un léger signe de la tête, encore légèrement effrayée malgré la bonhomie de Steve. Celui-ci, pour changer de sujet et lui faire retrouver le sourire, se mit à rire pour dire :
- C’est toi qui a si bien arrangé ma maison ? Elle devrait t’en être bien reconnaissante, je ne l’ai jamais encore vue aussi belle. C’est gentil de ta part, je t’en remercie.
Cette fois, la jeune fille arrête ses pleurs et, heureuse de se voir ainsi récompensée de son labeur, s’amuse à faire l’inventaire de ce qui reste à faire, au grand amusement de Steve qui l’observe faire, comme un enfant qui apprend la leçon. Arrêtant finalement Azalée dans son jeu, il lui demande de l’attendre là, jusqu’à ce qu’il revienne pour apporter le déjeuner. Après quoi il s’empare de la montagne de papier pour, avec un éclat de jalousie bien trop visible, les emporter de son côté. Dans son mouvement, une feuille tombe à terre, sans qu’il ne s’en rende compte. Azalée la voit et hésite. Lui faut-il percer le mystère et répondre à sa curiosité, ou l’ignorer pour ne pas risque de se retrouver à nouveau exposée à la colère de l’hôte. Cette dernière pensée, et la proximité de sa terreur, suffit à la faire reculer. Elle reste là, figée et se contente d’observer la blanche page de loin, avec peur et envie. Mais Steve revient. Il voit la page et le visage de la fille. Un éclair lui rembrunit le visage, donnant à sa face un aspect bestial, mais rien de plus. Il ramasse la feuille, avec énormément de douceur, scrutant les réactions d’Azalée, puis, se retire. À ce moment, la petite entend de sourds battements comme celui de pierre tombant du ciel et s’écrasant. Mais ce n’est que son cœur qui, sans qu’elle ne s’en doute, avait redoublé d’ardeur.

Son père, enfin, se réveille. Il aperçoit lui aussi les fleurs, le soleil et les oiseaux, mais seul sa fille lui semble, en tant que spectacle, beau. Elle, préférant ne rien dire de la scène passée, l’aide à se lever puis, avec des signes de la main, lui indique sa pensée. Elle lui explique les projets de ce début de journée, et l’invite à patienter. En vérité, il n’eurent pas à attendre longtemps et Steve arrive rapidement avec un panier de fruit, du pain et du miel. De son autre bras, il décharge bien des merveilles, comme des biscuits, des pâtisseries et du gâteau à la pelle. Tout y respire la richesse et le luxe, tout rend joyeux, heureux…

Les deux nouveaux, oubliant leurs soucis, mangent à pleine dent, trouvant bien beau tant de choses, sans faire attention d’abord à Steve qui, nonchalamment, les observe. Mais rapidement, Azalée et son parent, honteux de se comporter de la sorte, arrêtent le festin et demande à leur hôte de s’y joindre. Celui-ci répond évasivement par un « j’ai déjà mangé », en leur faisant signe de continuer. Après le repas, tous sortent à l’extérieur, respirer l’ai frais, observer la nature. Et, ce qui est normal pour Steve qui, d’ailleurs, reste devant la porte, sans chercher à plus loin s’aventurer, ni Louis ni sa fille ne cherchent à savoir où est passé la neige en plein hiver. Ils sont vivants, contents d’être là, dans un endroit aussi charmant. Azalée, particulièrement, n’en peut plus de donner la chasse aux papillons, de bondir au dessus des pâtés de fleurs, de tourner avec les frelons. Son regard se pose sur Steve, elle l’admire soudainement. D’abord, se dit-elle, parce qu’il est gentil, et généreux. Mais peu à peu, elle le trouve charmant, et envoûtant. Pourtant, s’insurge-t’elle, il est petit, et bien ténébreux. Trop triste, ajoute-t’elle, avant d’observer tour-à-tour l’aspect cadavérique de l’être et ses cheveux, laissé sauvage par une mauvaise négligence. Mais elle n’y peut rien, tout la dépasse et elle s’abandonne. En un instant, elle a décidé que Steve deviendrait son amant. La scène, visible pourtant, passe inaperçue de Louis qui, flânant, ne se doute pas une seconde de toute la sombre machination projetée contre lui et sa fille. Il s’émerveille, certes, mais il veut surtout remercier les dieux pour lui avoir offert, au milieu de la tourment, un si bon abri et un si généreux jeune homme. Le dévouement de celui-ci l’étonne, d’ailleurs. Mais, à voir le visage défait par des rides de tristesse, les yeux renfoncés sous des arcades proéminentes, signe de douleurs latentes, il ne doute pas que le passé de cet être explique le présent.

Mais déjà, il pense à s’en aller.


Il s’en retourne contempler le paysage, lorsqu’il remarque un objet blanc au sol, comme un gros caillou, banal pierre, mais qui attire inexorablement son regard. Peu méfiant, il se baisse, et ramasse la chose. Rapidement, il le relâche, il a reconnu le morceau d’os, il a aperçut le reste du squelette, négligemment disloqué au sol. Sa tête lui tourne, il a l’impression que le monde s’écroule autour de lui. Il sent soudain une présence, lourde, oppressante. Il se retourne, mais ne voit rien, si ce n’est un ciel gris sur lequel se découpent quelques gibets et cages supportant des cadavres pourrissants. À nouveau, il ressent le regard se poser sur lui, on l’épie, il en est certain. Alors, il se met à courir, dans un sens d’abord, puis à l’opposé, sans chercher à comprendre. Il ne réfléchit plus, il se laisse guider, sans pouvoir s’en empêcher, écrasant sans y regarder les crânes et les os qui jonchent le sol. La présence se fait plus proche, la sensation d’être épié, plus brûlante. Chaque seconde devient un calvaire, chaque petit instant qui s’écoule voit Louis glisser de plus en plus vers une profonde folie. Le brouillard l’a cerné, il est coincé. Il se sent enveloppé par la fine brume, il veut s’en échapper, mais ne voit aucune issue. Il trébuche soudain et se retrouve à genou devant le rocher à l’inscription. Seulement, à ce moment, les lettres sont visibles, gravées en rouge sur la surface lisse de la pierre, formant un long texte. Il veut le lire, mais un seul mot s’affiche dans son esprit, s’y épanouissant comme un écho, comme un ordre impératif, amenant avec lui la peur et l’angoisse : « Fuyez ».

Ses yeux s’ouvrent alors sur le jardin, il se relève et observe la roche, mais elle est à nouveau usée et illisible. Il cherche trace du brouillard, mais seul le soleil à la beauté éclatante lui répond, soutenu par le chant mélodieux des oiseaux. Il se retourne mais tombe nez-à-nez avec Steve qui, le regard froid, le visage à peine déridé d’un faible et maigre sourire plus forcé que désiré, lui demande :
- Que s’est-il passé ? Qu’avez-vous vu ?
Louis le regarde, se demandant s’il rêvait encore, puis, devant l’insistance de l’autre répond :
- Rien, je n’ai… rien vu.
Il se tait, il a compris que son mensonge n’a pas été accepté. Pourquoi a-t’il caché la vérité d’ailleurs ? Il se le demande… Après tout, il a été reçus, il a été nourri. Mais cet homme qui, une seconde plus tôt, l’a toisé d’un regard sans vie ne lui inspire pas confiance, et puis, ce mot, ce terrible mot gravé autant sur la pierre que sur son esprit… Non, rien ne peut le pousser à dire la vérité. Peut-être doit-il vraiment fuir ? « Il est temps, se dit-il. »

Mais, à peine a-t’il terminé de raisonner que Steve, d’un ton plus amer que jamais, s’écrie :
- Rentrez vite, la pluie revient. Courrez, je vais vous rejoindre, mais, d’abord, j’ai une affaire à régler. Surtout, ne touchez à rien chez moi, attendez mon retour !
Et, sur ces mots, il bondit pour, grâce à la lueur d’un éclair, disparaître dans la soudainement épaisse végétation. Une goutte d’eau touche le bras d’Azalée, suivie de sa sœur jumelle. Bientôt, d’autres les suivent, jusqu’à former un dense rideaux de cordes. En bien trop peu de temps pour que ce soit naturel, l’averse devient totale, animée de tout côtés par des éclairs furieux déchirants les cieux. Le père et sa fille sont, heureusement, revenu dans la maison et se contentent d’observer, non sans appréhension, le spectacle merveilleux des éléments déchaînés. La jeune fille s’en fait, un moment, pour le jeune garçon resté sous la pluie, et croit même l’apercevoir un moment, forme diffuse sous la pluie battante, mais se résigne à attendre. Elle n’aperçoit plus aucune trace des animaux ou des plantes qui paraissaient auparavant, uniquement l’anarchie totale, incontrôlable, terrifiante, magnifique…

La neige, finalement, se mets à tomber, et l’arrêt des pluies d’éclairs crée un silence si complet qu’il réveille les deux effrayés. Un regard alentour apprend au père que leur hôte n’est toujours pas rentré et il se rendort paisiblement, fatigué d’une nuit plus qu’agitée, et ne fait pas attention à sa fille qui, d’une allure lente et maladroite, se lève pour se mettre à marcher. Elle veut savoir, elle veut comprendre. Longuement, elle a réfléchi à la situation, et, de plus en plus, elle s’est sentie mal à l’aise. Une seule chose peut l’aider à comprendre, un seul lieu renferme ce qu’elle veut savoir. Cet endroit, jusque là inexploré n’est ni plus ni moins que cette chambre dont la porte semble défier tout intrus, jalouse de ses secrets, éternelle retraite du jeune homme qui les a accueilli. Azalée s’arrête soudain pour, craintivement, jeter un coup d’œil en direction de la porte, s’attendant à tout moment à en voir surgir Steve, les yeux en sang. Mais rien ne bouge ni ne fait de bruit. L’immobilité seule lui répond. Elle veut reprendre son chemin vers la vérité, mais elle hésite. Peut-elle se le permettre ? Est-ce une bonne idée ? Pourquoi ne pas attendre sagement le moment de s’en aller. Elle comprend, au fond d’elle-même, que le danger est caché à l’arrière de cette grande planche, elle sait qu’elle y risque gros, mais la sensation de peur intense ne sait l’arrêter. Elle reprend sa marche, plus résolue que jamais. Ce faisant, elle imagine des raisons pour continuer : « Il faut que l’on mange, et c’est là d’où il sortait tout ce qu’il nous a proposé. Et puis, il ne peut pas m’en vouloir, je ne ferai que regarder… Et s’il a quelque chose à cacher, c’est que cela nous concerne, et qu’il faut donc s’en instruire, et si… ».Elle s’arrête à nouveau : sa main vient de rencontrer la poignée.

Le contact glacial avec l’acier refroidit ses ardeurs, mais pas suffisamment pour l’arrêter et, avec une détermination frôlant la folie, elle commence à tourner son poignet, entraînant avec tout le mécanisme. Son front est déjà couvert de sueur, ses lèvres tremblent, sa main continue le mouvement fatal. Elle croit voir à tout instant la porte s’ouvrir violemment et des monstruosités plus terribles les unes que les autres surgir pour l’avaler, mais à chaque fois, son esprit revient sur son geste encore inachevé. Elle veut alors s’en empêcher, elle veut fuir ce lieu, fuir ces murs agressifs, fuir toutes chose ! Rien n’y fait, sa volonté a disparu et elle continue de tourner, lentement, inexorablement. Déjà, elle s’agenouille, en pleurs, implorant tout les saints qu’elle connaisse de la sauver du péril imminent, tout en continuant son geste fatal. Encore un instant d’éternité, une seconde de vie, de désespoir et, soudain, elle sent le mécanisme se bloquer et la porte s’ouvrir. D’instinct, ses yeux se ferment. Le noir complet enveloppe son regard et elle se sent faillir pour, finalement, s’évanouir…

Pendant tout ce temps, Louis, inconscient du danger, somnole tranquillement, paisiblement. Il rêve même, d’un monde joyeux, d’un monde utopique. Mais tout lui paraît bien flou, il n’arrive plus à distinguer les contours des objets, il ne voit plus rien, sinon du rouge, du rouge intense, dégoulinant. Une silhouette se dessine au milieu de son regard, une silhouette qui lui est connue, mais impossible pourtant à reconnaître. Il veut bouger un bras, pour l’attraper, mais rien ne répond. Il veut fermer les yeux, détourner le regard, mais rien ne se passe. Une voix retentit alors :
- Je vous avais dit de ne toucher à rien…
Qui a dit ça ? Il ne s’en souvient pas.
- Je n’ai touché à rien, répond-t-il, sûr de lui-même.
- En effet, mais regardez.
Il se sent d’un coup transporté, comme saisi au collet et amené de force en un autre lieu. Il y flotte dans les airs, il voit de vieux murs, un canapé où dort un vieil homme, une table, quelques tableaux puis une jeune fille qui s’avance vers une porte. Il n’arrive pas à y reconnaître Azalée et la maison qu’il occupe, il ne comprend pas.
- Elle doit être punie, reprend la sourde voix.
- Mais qui est-ce ?
- Ne vous en faites pas, vous ne la connaissez pas, vous ne l’avez jamais connue. Vous allez vous réveillez maintenant, vous allez être Louis et vous allez partir.
- Mais qui êtes-vous, vous ?
- Je ne suis plus rien, répond la voix, d’un ton sombre et ténébreux, je suis une ombre, un cauchemar ! Vous allez vous réveillez maintenant, et partir, j’ai dit.

Une affreuse douleur dans le dos se fait sentir. Le canapé n’est, il est vrai, pas très confortable… Le père, un peu sonné, se lève alors et regarde par la fenêtre. La neige est partout, recouvre tout. Il observe le reste des ruines où il a passé la nuit, les quelques vestiges de ce qui fut peut-être une maison. Peu lui importait en fait que ce tas de pierre eut put être habité ou pas, il y avait trouvé refuge pour la nuit et avait réussi à se protéger de la neige derrière un morceau de toit non encore tombé, il n’en demandait pas plus. Tout de même, malgré lui, il eut une petite larme de mélancolie en apercevant la seule porte encore debout, porte à la poignée d’acier et épargnée par les flammes. Enfin, il se décide à quitter le refuge précaire et à s’en aller. Il suit ce qui lui semble être une allée à l’extérieur et évite un gros rocher pour, après un dernier regard vers son abri, reprendre son chemin.


Chapitre 2 :

La lune est haut dans le ciel, majestueuse, arrogante, faisant passer son éclat au travers de la fine pluie qui s’abat contre la fenêtre, puis s’écoule rapidement sur la surface lisse pour disparaître. Le feu crépite dans l’âtre, éclairant la grande pièce au mobilier éparpillé, comme jeté à bas par une tempête. Steve est à sa chaise, attablé, une plume à la main, son éternelle plume. Les feuilles se sont à nouveau entassées, l’assiette a aussi été posée, puis négligée, la chandelle comme régénérée tente encore une fois de faire bénéficier de sa lumière à celui qu’elle sert, à Steve. Mais quelque chose a changé. La résignation a quitté ces lieux, laissant le regard du jeune homme se promener sur toute la salle, comme cherchant inlassablement quelque chose qu’y ne s’y trouverais que dans son esprit. Par moment, il ose risquer un coup d’œil vers sa chambre, mais détourne bien vite la tête, ne supportant d’en voir la porte ouverte. Il se lève, fait le tour de la table et s’assoit. Sa main remue la montagne de papier sans grande conviction, plus par inadvertance que par volonté. Son front se plisse, ses sourcils se froncent, il se relève et se dirige vers le foyer. La vue des flammes léchant le bois, détruisant les brindilles, anéantissant toute trace de ses victimes semble, un moment, le calmer. Il se détend, se relâche. Mais, à nouveau, il ne peut empêcher une œillade en direction de son sanctuaire. La réaction est directe et violente. D’un bond, il s’élance en direction de la porte, mais, finit par se retrouver devant sa table après avoir tourné six fois en rond dans la pièce, comme perdu. Il s’assied, le visage pâle, les yeux malade, le teint blême. Son bras s’avance, il prend sa fourchette puis pique une pomme de terre. Alors qu’il s’apprête à l’amener à sa bouche, il se met à crier, d’un cri terrible effrayant, hallucinant de puissance. Les feuillets s’envolent, l’assiette est projetée à l’autre bout de la pièce pour éclater contre le mur dans un immense fracas. Le cri devient râle, le râle gémissement. Steve est maintenant à terre, agenouillé au milieu de la salle, ne prêtant pas garde à la table renversée ou aux débris multiples qui recouvrent le sol. Le râle, plaintif, devient un murmure à peine audible.


Enfin, il se relève, droit comme une statue. Son regard est devenu froid, non pas résigné mais plein d’une inhumaine résolution. D’un pas ferme mais naturel, il se dirige vers la porte terrible pour, une fois arrivé, terminer de l’ouvrir. Un soupir profond lui échappe, mais, bien vite, la résolution reprend possession de son visage. Sans broncher, il s’avance au travers de l’ouverture pour disparaître purement et simplement.

La salle est maintenant vide, et seule la pagaille régnante peut rappeler ce qui s’y est passé. La porte s’est refermée sur son maître, un calme pesant a envahit l’espace, une lourdeur mortelle se répand insidieusement dans chaque coin de la masure. Enfin, après une éternité, l’ouverture se rouvre pour laisser passage à Steve. Dans ses bras, un corps ravagé, dévasté, un squelette putride, une dépouille horrible faite de lambeaux de chair dans lesquels les vers pullulent encore, tombant sur le plancher en une masse infecte et répugnante. Les yeux, cavés, ne sont plus que deux orbites vides à l’intérieur desquelles, toutefois, s’est cachée une douleur affreuse, insupportable, infernale, dernier reflet de l’atroce agonie de l’être brisé.

Steve dépose le corps sur le canapé, sans faire aucunement attention à son état lamentable, puis s’agenouille à ses côtés :
- Tu n’aurais pas dût… commence-t-il, avant de s’interrompre pour, semble-t-il, chercher les mots.
La pause dure un long moment durant lequel rien ne bouge, si ce n’est les mouches et larves qui se repaissent en un bruissement infect du cadavre fétide.
- Petite, je te pardonne. Oui, je te pardonne, car tu es toi. Je vais effacer ta faute, effacer tes souffrances et nous pourrons enfin apprendre à nous connaître un peu… Tu apprendras à me connaître.
Ces derniers mots dits avec un accent peu engageant, il se relève et, après un soupir, abaisse la main. En un instant, la chair reprend possession du corps, la peau recouvre à nouveau l’ensemble et du sang se remets instantanément à couler dans des veines d’une vivacité effarante. De l'image du cadavre ne reste même pas les habitants. Azalée se réveille enfin. Son regard parcourt d’abord la pièce, sans tout de suite la reconnaître, malgré un air de déjà-vu saisissant, puis vient se poser sur le visage osseux de Steve. Doucement, un peu effrayée et surtout désorientée, elle demande :
- Où suis-je ?
Il l’observe un instant, tantôt avec un regard conciliant, touchant, tantôt avec un air fou, railleur. Soudain, il s’assied à ses côtés et approche sa bouche de son oreille pour lui murmurer au creux de celle-ci :
- Tu es chez moi, tu es ici chez toi.
- Je ne comprends pas, je ne sais plus… enchaîne-t-elle, comme droguée.
- Ce n’est rien, tu vas bientôt reprendre tout tes esprits… Repose-toi encore un moment, je reviendrais t’apporter à manger. Surtout, quoi qu’il arrive, ne sort pas d’ici, veux-tu bien ? Ce ne serais pas raisonnable, je n’ai pas eut le temps de régler certains problèmes…
- Mais où est mon père ? demande-t-elle, une larme à l’œil, cherchant par là un refuge devant tout ce qui l’oppresse sur le moment, devant cet inconnu qui l’entoure.
- Il est partit, il ne reviendra plus jamais, oublie-le. Tu es avec moi désormais, tu n’as plus à avoir peur. Maintenant, dors. Je reviendrai.

Il se lève alors pour se diriger vers son sanctuaire dans lequel il ne tarde pas à disparaître. Elle, exténuée au même point qu’après une vie de dur labeur et de souffrance, se laisse bercer par une fatigue envahissante qui, rapidement, la fait sombrer dans un profond sommeil. Dehors, la pluie est drue, violente, vraiment très violente. Les gouttes s’écrasent sur les vitres au travers desquelles le noir de la nuit ne permet pas de voir. Le son répétitif de l’eau venant s’écraser sur la surface de verre semble accompagner le flamboiement de l’âtre, avec ses hauts et ses bas, jouant une espèce de mélodie à l’air morbide. L’atmosphère de la pièce est redevenue lourde et oppressante. Avec Azalée, c’est le monde qui semble s’être endormi, d’un sommeil troublé de cauchemars, dans une nuit de tourments.

Chapitre 3

À nouveau, une forme se meut au milieu du salon dévasté par les ans. Frêle, la silhouette bouge très peu, paralysée par une peur sourde, par une angoisse inconnue. Enfin, après bien des petits pas, Azalée, car il s’agit d’elle, se laisse chuter dans le fond de l’immense canapé. Elle a bien regardé, il n’y a aucun moyen de sortir. La porte semble impossible à mouvoir, comme bloquée par une force maléfique, et la fenêtre reste indifférente à toute tentative d’ouverture, s’amusant à laisser apercevoir au travers d’elle le monde qu’elle empêche d’atteindre. Au fond, se dit-elle, ça ne fait rien. Il est vrai qu’elle ne sait même pas pourquoi elle veut fuir, ni où elle compte vraiment aller. Parfois, sans y faire tellement attention, elle jette un regard furtif vers la verrière, toujours sans raison, bien qu’elle sache en elle-même qu’elle y cherche quelque chose, quelque chose ou quelqu’un. Le souvenir de son père, omniprésent, lui rend encore plus difficile son absence. Où a-t-il put bien aller ? Pourquoi l’a-t-elle laissé ? Trop de question, trop de pourquoi, de comment…
Elle se met tout naturellement à pleurer, versant des larmes de rage au milieu de l’inconnu qui l’obsède. Inconsciemment, son regard s’arrête encore une fois sur la fameuse fenêtre et là, au milieu de la pluie, grâce à la lumière d’un éclair, pendant un millième de seconde, elle l’aperçoit. En un rien de temps la vision disparaît, engloutie par les flots, les trombes d’eau qui se précipitent en furie sur la vitre glacée.
Il n’en faut pas plus pour qu’Azalée se lève et, l’esprit embrouillé par un combat entre sa joie et sa peur, s’approche de la surface de verre. N’y apercevant rien, elle va jusqu’à coller son visage contre la lisse surface, la mouillant de ses pleurs, se lamentant de son malheur. Mais seul l’orage lui répond, ténébreux, jaloux de ses secrets. Un temps incroyablement long s’écoule alors et, à chaque seconde, Azalée perd un peu plus l’espoir de revoir son père. Finalement, elle retire son visage de la baie vitrée et, avec tristesse, se prépare à retourner livrer son esprit au sommeil. Mais son mouvement s’arrête brusquement. Là, de l’autre côté du verre, au milieu de la tempête terrible, elle voit le visage de Louis.
En un instant, elle aperçoit le teint pâle, blême de sa peau, l’incroyable manque d’expression de sa bouche, les yeux vides de tout sentiments, sans pupille mais qui semblent la fixer dans un mouvement malsain. Elle en reste muette, interdite, laissant la vision de cauchemar disparaître sans broncher. Inquiète, elle entend le pas maladroit de son père au travers des parois, elle sent l’être se déplacer et, non sans appréhension, elle finit par se rendre compte que la chose se rapproche de la porte. D’un bond, elle s’élance et, au moment même où la poignée commence à bouger, elle la saisit et, de toute ses forces, bloque l’entrée. La pression, d’abord un moment relâchée, devient de plus en plus intense, et, petit à petit, Azalée se sent faiblir. Mais il lui faut tenir, coûte que coûte. Au fond d’elle-même, elle est certaine que si cet être entre, elle va périr. Alors, elle rassemble ce qui lui reste d’énergie, et, par un effort surhumain, défend le passage dans un désespoir accompagné de nombreux pleurs, de regrets intenses. Son âme entière s’insurge face à sa réaction, lui rappelant que, si elle continue, elle voue son père à une mort certain au milieu des éléments déchaînés ! Elle hésite, mais la pression sur la poignée devient immense, plus puissante que jamais et elle laisse sa terreur l’emporter pour, dans un ultime sursaut, retenir le morceau de fer. De l’autre côté, elle entend une voix plaintive, au timbre disloqué, mais aisément reconnaissable, celle de son père :
- Azalée, par pitié, ouvre-moi, je t’en prie, ne me laisse pas…Ils vont me tuer...
- Va-t-en, murmure-t-elle entre deux sanglots.
- Azalée…
La voix cesse, la pression aussi. Elle s’écroule alors, épuisée de cette lutte, épuisée de son combat contre elle-même. Seulement, et alors seulement, elle comprend qu’elle vient de livrer au faucheur celui qui lui avait voué sa vie. Une larme coulant de sa joue reflète l’image de Steve qui, debout au milieu du salon, l’observe, un sourire de satisfaction lui défigurant la face. Doucement, pour ne pas la brusquer, il s’approche d’Azalée et, sûr de lui, la prend par le bras. Elle n’offre pas de résistance et se laisse emmener jusqu’à la chambre où elle disparaît en compagnie du ténébreux personnage.
À peine ont-ils franchi le pas et refermé l’entrée de la chambre que la porte de la maison s’ouvre dans un grand éclat. La pluie seule franchit le seuil d’entrée et, aussi loin que porte le regard, il n’y trace de l’individu venu plutôt. Le vent s’engouffre dans la masure, faisant s’envoler les feuilles de la table, soulevant la poussière de la pièce, éteignant le feu, sifflant dans le silence comme le hurlement d'une âme trahie.


Chapitre 4:

Qui n’as jamais imaginé la mort ? Belle, poignante, pathétique ou carrément horrible, elle nous apparaît sous bien des formes, mais celle que voit maintenant Azalée est vide, froide et noire, à tel point qu’on en viendrait à l’imaginer comme un royaume sur lequel la nuit a vaincu le soleil qui, désormais, ne pourrait plus revenir chaque jour soutenir la vie et l’espoir, abandonnant à la peur et au chaos toute vie. La jeune fille sent pourtant sous ses pieds, sous ses genoux et son corps affalé, une surface solide, mais ses mains ont beau fouiller, elles ne trouvent rien sinon un vide toujours plus pesant, plus oppressant. Parler dès lors de peur n’a plus de sens, car rien ne semble exister dans ce monde maudit, dans ce monde sans sens, sans fondement, nu jusque dans la raison d’être…
- Ne t’inquiète pas, je vais veiller sur toi.
C’est la voix de Steve, une voix déformée qui se veut chaleureuse et accueillante, mais qui, comme tout le rien alentour, est creuse, dépouillée de ses sentiments. Comme elle ne répond rien, il reprend :
- Je suis avec toi, nous allons pouvoir être ensemble désormais. Viens, je vais te montrer ta chambre.
À peine a-t-il prononcé ces paroles qu’un faisceau de lumière envahit l’espace et vient se jeter sur elle. La clarté, bien loin de l’aveugler, ne lui rend que plus présent le sentiment de froid et de vide des lieux. Un moment, elle espère que le rayonnement si soudainement apparu va lui permettre d’observer l’endroit, mais elle se rend vite compte qu’il n’en est rien et elle doit se contenter de suivre le passage qui lui est fait au milieu de la nuit.

Alors, devant ses yeux, se découvre soudain un majestueux lit, fait de soie, de broderie et de magnifiques édredons. Des pierres précieuses ont été serties tout autour du sommier et une couverture d’or aussi resplendissante et soyeuse que les plus parfaits tissus qu’eussent put souhaiter des dieux recouvrent un matelas dont la couleur invite au repos paisible et serein. Juste à côté de tant de richesses, une grande porte suspendue au-dessus du même vide de lumière sur lequel Azalée a jusqu’ici marché. Point de plafond et point de murs. Derrière elle, la voix s’élève à nouveau :
- Est-ce que ça te plaît ? Je sais que c’est bien peu, mais avec le temps, nous pourrons t’offrir une chambre qui soit vraiment digne de toi. En attendant, je te propose d’aller visiter la penderie.
Sans chercher à comprendre, elle suit Steve jusqu’à la grande porte, tout en remarquant ses changements. Il est toujours le même être squelettique, mais son regard est plus dur, plus sûr et ne cherche plus à dissimuler l’étincelle de haine qui les fait dès lors pétiller d’un feu mauvais. Une grande cape s’étale sur ses épaules et un magnifique vêtement brodé d’or et de diamant habille son corps. Enfin, sur sa tête, une couronne plutôt simple, dont l’aspect mat amène à douter qu’elle soit faite d’or ou d’une quelconque matière précieuse.
- Voilà.
Elle sort de ses observations et fait un pas en avant, dépassant le seuil de l’imposante ouverture maintenant faite et où Steve, d’un geste très peu équivoque, l’invite à entrer. Un petit cri s’échappe de ses lèvres. Devant elle et à perte de vue s’étend un véritable champ d’habit en tout genre, du plus loqueteux au plus splendide et somptueux. Son regard s’arrête sur une robe qu’aucune reine du monde n’aura un jour l’occasion d’admirer et, aussitôt, elle passe à la suivante, encore plus belle, encore plus impressionnante. Bientôt, elle finit par oublier la présence de Steve et se met à fureter dans un monde de merveilles, rêve de porter l’une des splendeurs qui s’y trouve et, épuisée, revient vers le jeune homme, sans faire attention à son air maléfique.
- Tout cela est si joli. Dit-elle alors.
- Tout cela est à toi. Se contente-t-il de répondre.
La surprise la submerge un moment, puis les questions s’enchaînent d’elles-mêmes, dans sa tête : Pourquoi ? Comment ? Par quel prodige ? Est-ce un rêve ? La voyant hésitante, Steve se met à tout lui expliquer :
- Azalée, ma chère, très chère Azalée. Ceci n’est qu’un faible échantillon de tout ce que tu trouvera en ma demeure. Je vais progressivement t’amener à contempler ton futur royaume, un royaume dont, j’en suis sûr, tu acceptera de partager le pouvoir avec moi. Et si ce n’est pas le cas, sache que tu pourras te contenter de vivre ici et je m’assurerai que jamais tu ne manque de rien. Désormais, tu es mon impératrice, et je me fais fort de satisfaire tes moindres désirs. Plus rien ne te retiens dans l’autre monde, et il est bien moins accueillant que celui que je veux t’offrir. Ce soir, au souper, il va falloir que tu me dise si oui ou non tu veux rester à mes côtés.
Avant qu’elle n’aie le temps de répondre quoi que ce soit, il reprend :
- Surtout, s’il se passe quoi que ce soit d’étrange, d’anormal ou qui t’effraie, appelle-moi. N’hésite pas, car j’ai un ennemi en ces lieux. Il ne peut rien te faire, mais il peut te parler et je suis le seul à pouvoir le faire fuir. S’il vient, ferme tes oreilles avec tes mains et appelle-moi. Maintenant, je vais te laisser. Je viens te chercher au crépuscule. D’ici-là, essaie de trouver une robe qui te plaise, car je doute que tu souhaite rester dans ces guenilles qui conviennent bien mal à une personne pour qui j’ai tant d’estime.
Au dernier mot, il claque des doigts et, à la façon d’une vision, s’évapore pour ne laisser derrière lui qu’un grand sablier dont les grains se mettent immédiatement en mouvement. Azalée, elle, reste là, abasourdie par ce qu’elle vient d’entendre. L’idée qu’il ne puisse y avoir de crépuscule dans ce monde sans soleil lui traverse l’esprit, mais, bien vite, c’est la terreur de l’inconnu qui la saisit, l’étreint et la presse comme une orange pour en tirer toute la force, toute la vie.

Enfin, quand le sablier s’est presque entièrement vidé, elle revient à elle et se rend compte, presque instinctivement, que l’échéance est bientôt arrivée. Elle saute et traverse l’entrée de la penderie comme une furie, un peu déconcertée de devoir chercher une robe dans un endroit qui ne lui dit, pour une personne qui ne lui dit rien afin d’aller dans un lieu qu’elle n’a certainement jamais vu et qu’elle ne voit pas comment atteindre. Toutefois, elle se met à essayer une robe, puis une autre. Une jupe lui plaît, mais son choix change pour un magnifique ensemble. D’une main, elle rejette le tout pour se jeter sur une robe blanche. Presque contente de son choix, consciente en tout cas qu’elle n’a pas envie de plus chercher, elle pense malgré elle aux bijoux qu’il lui faudrait peut-être porter. Aussitôt est-elle comme transportée devant une immense glace reflétant son image, seule chose contenant de la vie au milieu du reste, et un ensemble de tiroir et de coffres regorgeant de pierres, de colliers et de bagues, d’anneau et de bracelet, allant de l’objet en cuivre jusqu’au plus pur saphir. Il lui faut plus de deux heures pour sortir ce qui lui plaît des caprices des coffres, boîtes et tiroirs. Un dernier coup d’œil dans le miroir et elle se sent prête, ou tout du moins habillée, car, au fond, elle en vient à espérer que le gros sablier ne videra jamais son contenu avant au moins quelques années. Espoir futile, car il ne reste peut-être que pour trois ou deux minutes de grains. C’est alors qu’une petite voix, triste, gentille, humble, se fait entendre à l’oreille d’Azalée :
- Bonjour…
Elle sursaute, mais ne voit rien et alors qu’elle croit simplement avoir craqué, la voix reprend :
- Bonjour…
Elle pâlit. Que répondre, faut-il répondre, quelle horreur encore se cache dans ces lieux ? Pourquoi elle ?
- Tu ne veux pas parler ?
Fini les questions, le vide se fait dans son esprit. De grosses gouttes de sueurs se mettent à perler sur son front, ses mains tremblent… Soudain, dans un éclair, les paroles de Steve lui reviennent à l’esprit et elle veut l’appeler à l’aide, mais son cri meurt en silence dans le fond de sa gorge sèche.
- N’aie pas peur, je ne te veux pas de mal.
Mais qui cela peut-il être ? D’où, comment ? Après des hésitations, elle se décide enfin à répondre, tout en jetant son regard un peu partout, espérant trouver la source de sa folie :
- Je n’ai pas peur.
- Tant mieux, lui répond l’autre, car ainsi, nous pourrons parler.
- Je ne peux pas, rétorque-t-elle d’une voix timide et faible, les bras repliés pour se protéger d’un danger imaginaire…
- Qui l’a dit ?
- Je…
- Ce n’est pas grave. Si tu ne peux discuter, alors contente-toi de m’écouter, cela fait si longtemps que je n’ai put parler à quiconque… Après, nous verrons bien. Cela te dit-il ou me refuseras-tu ce petit plaisir ?
Devant la douceur de la voix, la peur animant Azalée retombe, elle cesse son manège et, décidant d’un coup de s’appuyer sur ce son salvateur, commence sa foule de questions :
- Dis-moi: où sommes-nous, que fais-je ici, pourquoi tout est si clair, pourquoi n’y a t’il pas de sol, pourquoi ne puis-je te voir et d’abord où es-tu ?
- Allons, du calme, nous avons encore un peu de temps, à ce que je vois de ton sablier…
Elle arrête de gesticuler et, avant qu’elle ne puisse reprendre plus lentement son interrogatoire, l’autre continue :
- Nous sommes ici nulle part, à vrai dire. Ce lieu n’existe pas et je ne saurais t’expliquer simplement comment tu peux ne pas exister toi non plus… De toute manière, cela me dépasse un peu. La lumière qui nous entoure est simplement la base du monde que tu habite en ce moment et sert donc de support au reste. De plus, sans lumière, tu ne pourrais admirer toutes ces robes aux multiples couleurs, n’est-ce pas ? La lumière a donc tout simplement été jugée indispensable à l’élaboration de cet endroit…
- Mais alors, qui es-tu, et comment faisons-nous pour… Pourquoi sommes-nous ici, demanda-t-elle, manquant de s’embrouiller.
- Je ne suis pas vraiment là, ou d’une toute autre manière que toi et si tu ne peux m’apercevoir, c’est que mon corps, que je ne possède pas d’ailleurs, n’est pas là. Bref, je ne suis, pour le moment du moins, qu’un esprit un peu perdu en recherche de compagnie. Et toi, tu es là pour… Pour… Je ne sais pas trop, le maître des lieux est un peu trop étrange pour que ce soit explicable.
- Que va-t-il m’arriver ?
- Et bien… Rien de grave j’espère… Je suis désolé d’avoir à te le dire, mais la vie n’est pas toujours rose en ces lieux et j’ai vu bien des atrocités qui m’ont bouleversé jusqu’au trèfond de l’âme. Pour le moment, il a l’air de bien te traiter, mais avec lui, qui sait… Mais, dis-moi, qui es-tu en fait ?
- Je me nomme…
Elle s’arrête, car un regard sur le grand sablier lui a appris qu’il ne lui reste pas de temps.
- Je dois m’enfuir, dit-elle en toute hâte.
- Ce me semble un choix raisonnable.
- Peux-tu m’aider ?
- Je peux oui, mais pour cela, il faut que j’en sache plus sur toi. Mais voilà qu’il arrive… Voici ce que je te propose : Suis-le et dès que tu reviendras, nous discuterons de cela, d’accord ?
- Oui, oui, bien sûr, je compte sur toi !

Mais alors qu’elle s’attend à entendre teinter une fois de plus la douce mélodie de son nouvel ami, c’est une voix sombre, dur comme le roc qui lui demande :
- Tu compte sur qui ? À qui parle-tu ?
Elle a juste le temps de promener son regard alentour pour se rendre compte que sa chambre a disparu et qu’elle est à présent devant une immense table recouverte d’une nappe d’un blanc à faire pâlir la neige la plus pure, éclairée par deux chandeliers et une grande cheminée sur le côté que les plus beaux châteaux pourraient encore longtemps jalouser. Devant elle, à moins de trois ou quatre pas, se trouve Steve, l’air furieux et inquisiteur, le regard embrasé, qui répète une nouvelle fois sa question :
- À qui parlais-tu ?
Étrange fait humain, loi universelle incontestée, devant le danger, la fillette trouva une grande force en elle et suffisamment d’intelligence pour répondre sans sourciller et d’un air assuré :
- À moi. Je me disais que je comptais sur moi pour être à la hauteur de tout cela. Ces bijoux sont magnifiques et je ne peux qu’être immensément reconnaissante.
Elle a dit cela rapidement, inventant au fur et à mesure, priant pour que la chose ne paraisse pas étrange, mais, à son grand soulagement, le visage de son interlocuteur s’illumine un instant et elle comprend que tout est passé en bloc. Steve, en effet, heureux d’apprendre ainsi le contentement de son invitée, remercie le ciel, la terre et les profondeurs des ténèbres d’avoir donné à Azalée d’aussi bons sentiments. Cette dernière décide de continuer à le bluffer en lui donnant l’impression d’être heureuse et contente de son sort à ses côtés jusqu’à son retour dans sa chambre. « C’est le meilleur moyen », se dit-elle tout bas.

Le repas pouvait commencer.


Elle se laisse asseoir à un bout de la table et lui alla de l’autre côté, claque des doigts et, sur le champ, des plateaux se mettent à voyager du noir jusqu’à eux, flottant plutôt drôlement au-dessus de ce qui est sensé être le sol, se balançant de gauche à droite et de droite à gauche comme ballottés par le vent. L’un d’eux, particulièrement intrépide, vient se placer devant Azalée et s’ouvre pour lui faire découvrir un grand lot de fruits de toutes sortes, allant de grosses pastèques jusqu’aux prunes et à d’autres espèces plut petites et même certaines tout à fait inconnues sur notre beau monde. Tournant sa tête à l’opposé, elle voit un autre plateau ouvert qui lui propose un choix de salades, de viandes crues et séchées de toutes sortes dont les couleurs attrayantes donnent l’eau à la bouche. Elle hésite un moment sur la conduite à tenir, mais voyant Steve se servant à l’autre bout de la table, elle se lève et se met à récolter dans les plats ce qui lui plait, amenant en peu de temps une quantité de nourriture considérable dans sa petite assiette de cristal qui se voit rapidement submergée. De plus, tout ses verres sont remplis à raz-bord après le passage d’une quantité de bouteilles en file indienne s’étant présentée chacune à leur tour. Apercevant cela, Steve éclate de rire et, après un nouveau claquement de doigts, fait disparaître toute trace de contenu dans le cristal. Son invitée ne peut que soupirer d’aise, se promettant de contrôler par la suite ses choix. Au passage d’un plateau de viandes se composant entre autre de steaks, filets mignon et entrecôtes, elle laisse soudainement, dans un grand mouvement d'enthousiasme, tomber une bague à terre. Un peu gênée de sa maladresse, elle se baisse pour la ramasser, ne faisant pas attention au plateau qui passe et, à sa grande horreur, rencontre deux jambes. Elle les touche, elle les tâte et, n’arrivant pas à les discerner, se recule dans un mouvement d’effroi et de dégoût. Le plateau, quant à lui, continue son chemin soutenu par son invisible porteur. Azalée jette un regard à Steve qui, sans trop y faire attention, lui demande si le dîner lui plaît ou s’il lui faut faire venir autre chose, tout en ajoutant de ne pas oublier de garder un peu de place pour le dessert.
- Oui, bien sûr, murmure-t-elle, puis plus haut: non, tout va bien, c’est excellent.
Malgré ces paroles, elle ne touche plus à rien, se contentant de regarder par moment le jeune homme en face, et le reste du temps les plats devant elle. L’autre, visiblement un peu contrarié de ce mouvement d’humeur, laisse faire, d’un air un peu résigné et continue donc à manger seul sans prêter attention aux regards étranges se posant sur lui en décidant que son invitée ne peut être que légèrement souffrante et qu’elle irait mieux demain.

Mais Azalée ne s’intéresse qu’au gigot dans son assiette. Amusant ce gigot d’ailleurs. Un petit coup d’œil aux petits poids ? Hum, ils ont l’air croustillants… Et l’autre qui continue à manger comme si de rien n’était… Tiens, cette pomme me semble très appétissante et…

La pensée s’arrête, subjuguée par l’horreur de ce qu’elle vient de voir. Plus de pomme, plus de rôtie ni de petits poids, mais des larves grouillants dans un suc baveux, des araignées velues et dodues tissant leurs toiles autour de l’assiette ébréchée, des verres renversés déversant d’immondes horreurs grouillantes… La nappe est tachée de multiples couleurs immondes et parsemées de coupures et déchirures plus violentes les unes que les autres. En face, à la place de Steve, une silhouette, une abomination, un monstre dont l’horreur n’a d’égal que la sadicité du sourire qu’il affiche. Tout n'est plus qu'abject et répugnant, et ce jusqu'à la chaise sur laquelle elle se trouve. Un battement de paupières et tout redevient normal. Les flammes rougeoient normalement dans l’âtre, Steve continue tranquillement et paisiblement son dîner, le ballets des plateaux a cessé. Tout est calme, tout est tranquille sauf Azalée qui, complètement retranchée sur son siège, les yeux révulsés d’horreur et de dégoût, traumatisée par ce qu’elle vient de voir, tremblote en se mordillant nerveusement le bout des doigts, tout en jetant des regards furtifs et inquiets du côté du jeune homme qui l’a attirée en ces lieux maudits…

Ce dernier, étonné d’un tel comportement, arrête son repas, puis, après plusieurs hésitations, se lève et, doucement, marche vers son invitée qui, d’un mouvement instinctif de préservation, se resserre encore plus au point d’avoir du mal à respirer. Il veut étendre sa main jusque sur son épaule, mais, au vu de la réaction de panique qu'il provoque, arrête son geste et, le regard un peu triste, commence à parler :
- Que se passe-t-il ?
Aucune réponse sinon de petits pleurs et gémissements.
- Voyons, parle-moi… Je t’en prie, je t’en supplie, dis-moi ce qui ne va pas.
Il est à genou, le regard pleins de larmes, mais rien n’y fait. Finalement, il se relève et, doucement, murmure :
- Allons, retourne dans ta chambre. Là-bas, tu pourras te reposer. Dès que tu te sentira prête, appelle-moi, et je viendrai te voir.
Sa voix est véritablement triste, pleine de compassion et surtout, remplie d’une sourde inquiétude au point qu’un moment, juste avant de disparaître de la salle, Azalée croit apercevoir quelque chose d’humain en lui…Mais déjà, c’est le lit de flanelle incrusté de diamants. Elle se raidit encore un peu puis, épuisée, s’effondre comme une masse dans les doux draps salvateurs pour pleurer de tout son corps et de toute son âme, pleurer sa peur, pleurer pour ne plus penser, pour oublier, pour ne plus être là, pour se sauver de l’enfer…

Chapitre 5 :

Plusieurs jours sont passés. Azalée, très doucement, progressivement, s’est remise de ses émotions. Calmement, elle a réussit à surmonter sa panique et, finalement, grâce à l’aide de son ami, s’est remise sur pied en se gardant bien d’appeler à un quelconque moment Steve d’une manière ou d’une autre… Elle pleure encore, mais plus doucement et de manière paisible, de larmes chaudes et grosses comme autant de cœurs palpitant d’une envie de fuir un cauchemar qui ne veut pas finir. Depuis qu’elle a retrouvé et son ami et l’usage de la parole, les deux n’arrêtent pas de discuter :
- C’est donc à cela qu’il ressemble… dit à un moment Azalée.
- Je ne sais pas ce que tu as vu, mais ce ne doit être qu’une de ses nombreuses formes. Il est très puissant, immensément puissant et cette puissance ne peut que jalouser sa haine. Au moins, maintenant, tu sais à quoi t’en tenir…
- Je n’aurais jamais crut que…que… Comment dire ?
- Ne dis rien… il va sûrement te falloir du temps pour échapper aux souvenirs, mais ceux-ci finissent un jour par disparaître, c’est une question de temps…
- Tu crois ?
- J’en suis sûr, mais, en attendant, Azalée, dis-moi : veux-tu toujours fuir ?
- Comment ose-tu me le demander ? Je ne veux que ça, oui, emporte-moi où tu veux, maintenant, et je t’en serais infiniment reconnaissante ! Je ferais ce que tu veux, ce que tu veux...
- Allons, du calme, je t’assure que je ne veux que ton bien et qu’à aucun moment je ne souhaite te demander quoi que ce soit en retour.
- Alors tu vas m’aider ? supplie-t-elle d’un regard qu’eut envié un nouveau né devant une gourmandise dont il est particulièrement friand.
- Oui, je vais t’aider. Mais d’abord, j’aimerais savoir pourquoi tu es là et donc, pour cela, savoir ce qui t’es arrivé avant d’être là. Raconte-moi toute l’histoire, d’accord ?

Elle accepte de la tête et commence son récit, le parsemant de nombreux « si j’avais su » et « le fourbe »… Arrivé à l’orage, elle s’arrête, repensant à son père, certainement mort à l’heure actuelle. Une grosse larme parcourt sa joue pour tomber au travers du sol, dans le noir, dans l’inconnu.
- Tu l’aimais beaucoup, hein ?
- Oui…
- Et il t’aimait aussi énormément…
- …
- Ne t’en fais pas, rien ne dit qu’il soit mort.
Elle releva la tête dans un immense mouvement.
- Tu crois ? demande-t-elle, plein d’espoirs.
- Oui, j’ai beaucoup de raisons de le croire, dit-il avec malice. Premièrement, « Steve », car je continuerai à l’appeler ainsi, vu que c’est sous ce nom que tu l’as connu, est bien capable d’avoir préféré une grande illusion au risque de faire revenir ton père et tout ce qui pouvait déraper avec. De plus, il n’avait aucun intérêt à le tuer, et je le connais assez pour savoir qu’il ne fait pas grand chose sans intérêt. S’il veut quelque chose de toi, du reste, ton père est un bon moyen de pression et il lui servira mieux vivant que mort… De plus, j’ai une raison toute personnelle de croire qu’il est encore en vie, finit-il sur un ton amusé.
- Que veux-tu dire ? demande-t-elle immédiatement.
Mais l’air reste sourd à sa question. C’est donc toujours un peu inquiète, mais animée de l’espoir qu’elle termina le récit de son aventure sans toutefois omettre de reposer plusieurs fois sa question sans jamais recevoir de réponse.

Pourquoi ne se demande-t-elle pas le pourquoi de ce silence ? Peut-être pour s’assurer le soutien de son ami, peut-être parce que, au fond d’elle même, elle pense que cet ami a imaginé ces raisons pour la rassurer… En tout cas, une chose, pour elle, est sûre, c’est que cet être, cette chose avec laquelle elle vient de discuter va l’aider et que cette chose est l’unique douée de sentiments dans cet endroit lugubre. D'ailleurs, au fond, elle ne peut s'empêcher de croire que, quoi que ce puisse être, cette voix l'aime... C’est sur cette pensée qu’elle termine son histoire par :
- Et voilà, je me suis réveillée dans le noir et il m’a appelée.
- Je vois. Écoute : je ne sais pas pourquoi il a fait tout cela, mais je te promets que je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour te sortir de cette situation ! Surtout, prend patience et attend mon signal. Je viendrais te dire si j’ai trouvé une solution en temps utile. Pour le moment, tu devrais retourner le voir… Oui, je sais que tu ne veux pas, mais écoute : il ne doit se douter de rien et j’ai besoin que tu l’occupe un instant. Surtout, ne t’étonne pas de ce que tu verra et sois brave. Si tu réussi à l’occuper suffisamment longtemps, je devrais trouver une solution à ton problème. Mais ne prend pas de risques et promets-moi de te faire croire malade au premier instant où tu te sens fléchir, car je ne veux pas qu’il t’arrive quoi que ce soit, d’accord ?
- D’accord, accorde-t-elle dans un soupir, commençant à mal augurer pour l’avenir…
- Je ne serais pas long, promis. Fais attention à toi.
- Dis !
- Oui ?
- Merci…
- Non, de rien… C’est vraiment naturel, je t’assure. Je te dois au moins ça, non de par sa barbarie, mais je te dois au moins ça. Une fois libre, tu pourras enfin vraiment vivre, connaître le bonheur, t’amuser… C’est là mon unique souhait car l’autre est bien trop grand. Je vais y aller maintenant. Sois prudente. Tu vas me manquer...
- Sois prudent…

Mais déjà, elle le sait, il est partit. Quel est ce secret, ce fameux souhait « bien trop grand » ? Elle se le demande et échafaude bien des hypothèses… D’abord sa proposition d’aide et son quasi sacrifice pour cette action… Au fond, elle ne peut s’empêcher de l’aimer un peu, elle aussi. « Au moins, en enfer, aurais-je découvert quelqu’un digne d’affection… ». Sur ces mots, elle s’assied sur son lit et, doucement, ferme les yeux pour se préparer à appeler son bourreau.


Quelque chose a changé…Rapidement, elle rouvre ses paupières et se rend tout de suite compte qu’elle n’est plus sur son lit, dans sa chambre, mais assise sur une chaise de fourrure, à l’intérieur de ce qui semble être une tente. Devant ce qui semble être son bureau, une plume d’oie à la main, très affairé, Steve lui tourne le dos, semblant n’avoir même pas perçu sa présence. Elle voit la plume tourbillonner, danser dans l’air d’une manière gracieuse, comme une ballerine, jusqu’au moment où le mouvement s’arrête. Le jeune homme se retourne, présentant son visage heureux, mais rempli d’une immense fatigue, à son invitée.
- Tu t’es enfin remise de ton malaise ? lui demande-t-il à l’instant.
Elle ne sait quoi répondre, encore effrayée par cet être maléfique au sourire si hypocritement doux et gentil.
- Tu ne veux vraiment pas me dire pourquoi tu t’es mise dans cet état ? tente-t-il, avec un sourire sensé la mettre en confiance.
Mais elle reste muette. Dépité, mais non abattu, il se retourne, ramasse une pile de feuille sur son bureau et les enferme dans son coffre, puis reviens à Azalée. Cette dernière, bien que n’ayant pas bougé, observe fébrilement les lieux, faisant tressauter ses pupilles d’un côté à l’autre de ses yeux. Point de porte, point d’ouverture, des fourrures un peu partout et diverses armes et boucliers un peu éparpillés, le tout dans un cafarnaeüm digne des plus grands négligeants qui soient. Pourtant, une douce chaleur émane de chaque coin de l’ensemble, amenant une torpeur bienfaisante.
- Es-tu prête à commencer la visite de notre royaume ?
Elle arrêt son manège et lève à lui ses yeux pleins de frayeur.
- Notre… royaume ? articule-t-elle difficilement.
- Je vois que tu es encore sous le choc. Allons, viens, je vais tout te montrer, mais chaque chose en son temps, jusqu’à ce que tu sache exactement ce que je compte t’offrir.
Elle se lève, il se met en route vers un pan de la tente, puis se retourne, constatant qu’elle n’avance pas.
- Viens te dis-je, tu verra, il n’y a pas de quoi avoir peur.
Il étend la main vers elle en l’invitant à le suivre, elle refuse et se contente d’avancer, se répétant sans cesse : « Il faut gagner du temps, gagner du temps… ».

Sortis incompréhensiblement de la tente, les deux êtres se retrouvent au haut d’une immense tour, sur un vaste balcon dominant le vide, donnant au regard une impressionnante vue sur les terres alentours. Le tout eut put être merveilleux et fascinant, si les terres en question, en contradiction avec les parois reluisantes de la tour, n’étaient qu’un vaste ensemble de roches et rocs, de champs arides où rien n’a dût pousser depuis des siècles, puant la mort et le désespoir, sentant à mille lieux l’abandon et l’absence de toute vie. Par moment, un arbre mort, à l’écorce noircie par une couche de sable si dense qu’elle en a empêcher la disparition, momifiant cette preuve de vie avant désolation, vient renier la lassitude de ces mornes landes et leur déchéance.
- Voici l’une des plus importantes parties de notre empire… commence Steve.
- C’est triste, ne peux s’empêcher de s’écrier la conscience d’Azalée.
À la grande horreur de cette dernière, son compagnon lui prend la main et, tentant de la réconforter :
- Je sais que ce n’est pas beau à voir, qu’il n’y a là rien qui te plaise, mais, avec le temps, ces déserts se couvriront d’une verdure luxuriante, les peuples qui ont fuit reviendront s’installer et te vénéreront comme tu mérite de l’être. D’un bout à l’autre de ce terrain, tu ne verra que merveilles et enchantements. De ces bouts de bois momifiés que tu aperçois en ce moment vont jaillir des arbres millénaires à l’ombre desquels les enfants viendront rire et jouer. Leurs cris pourront venir jusqu’à nos oreilles et la joie que nous y percevront nous remplira nous aussi d’une satisfaction complète et entière, comme si nous aussi, nous jouiions et riions. Regarde attentivement, au fond dans cette direction… mon désert fleuri et c’est bien grâce à toi ! Vois l’herbe que tu fais pousser. Certes, il n’y a là encore qu’une touffe, mais ce n’est qu’un début.
Et comme elle se tait :
- Tu sais, je soupçonne que ton malaise ne soit dût qu’à une peur panique de ce qui t’arrive… Je suis presque content de ta disposition car, si je t’avais fait venir plus tôt, tu aurais vu en ces terres des spectacles qui t’auraient bien plus affligés. Tu sais, j’étais si malheureux avant ta venue…
Il plonge soudain son regard au fond de ses yeux que, très vite, elle détourne :
- Nous en reparlerons un jour. Tiens, je sais ce qui pourrais te rendre le sourire…
Elle se fixe, signe de son intérêt, poussant ainsi Steve plus avant.
- Voilà ce que je pense : tu dois être bien malheureuse de ne pouvoir voyager en totale liberté dans ce royaume… Je te comprends. La liberté est un grand bien et en être privé est monstrueux. Si tu me promets de ne pas retourner dans l’endroit où nous étions précédemment, et qui est ma chambre, alors je t’enseignerai à te déplacer dans ce monde. Veux-tu ?
Elle hésite. Évidemment, se déplacer de son propre chef sans se retrouver à tout moment en un autre lieu serait agréable, mais elle préférerait rester distante, le laisser parler et se contenter de répéter encore et toujours dans sa tête que, bientôt, le cauchemar prendra fin. Mais d’un autre côté, elle comprend que ce peut être là un avantage considérable pour son projet d’évasion…
- Alors, tu es d’accord, marché conclu ?
- D’accord… murmure-t-elle, encore en proie au doute.
- Bien. Alors écoute bien. C’est d’une simplicité enfantine, car je l’ai voulu ainsi. Dès que tu veux aller quelque part, tu n’as qu’à y penser et, au fond de toi, si tu as vraiment l’intention de t’y trouver, tu y seras. Ne cherche pas à comprendre comment, mais c’est ainsi. Évidemment, tu ne peux encore te rendre que dans les parties que je t’ai déjà montrées, mais tu en découvrira une foule d’autres et, avec le temps, tu apprendra à créer les salles qui te plaisent. Je tiens à te prévenir tout de suite, il n’y a pas de plan de cet endroit et donc seules existent les salles où se trouve quelqu’un. Pour le reste, elles se contentent de remplacer le lieu où tu te trouve déjà. Ah, encore une chose… Ce monde assez étrange pour toi n’est pas le seul qui compose ton nouveau royaume. Par après, je te montrerais ma forteresse de métal et la cité de sagesse. Ces deux lieux sont les seuls que j’aie gardé après mon exil. Mais tout cela, c’est une bien longue histoire qui me prendra au bas mots cinq ou six siècles à te résumer…
Et le voilà qui éclate de rire, emportant, malgré elle, Azalée avec lui.
- Allons, fait un essai : va à la salle à manger et reviens me voir juste après, d’accord ?
Elle ne sait pas pourquoi, mais sa peur l’a quittée et une soudaine gaieté l’a remplacée. Pourquoi résister ? Une partie d’elle tente de remettre au-dessus le souvenir de l’horreur, mais l’autre partie refuse tout de go et ajoute, en argument définitif: que cela est conforme à tout ce qu’elle s’est projetée de faire, c’est à dire occuper Steve pendant que son ami cherche à l’aider… Finalement, c’est la sensation de bien être qui l’emporte et elle accepte l’offre dans un petit sourire qui fait bondir celui de Steve plus loin qu’il n’est humainement possible. Il se rattrape rapidement et, dans un petit rire, appréciant de la voir s’amuser, lui dit :
- Allons, je fais le compte à rebours : trois… deux… un… et… top !
Elle pense immédiatement à la cuisine, aux plateaux volants et à la grande cheminée. Sa vision se brouille et, une seconde plus tard, elle se retrouve devant la longue table nappée de blanc. Elle ne peut retenir un petit rire, puis va inspecter les assiettes de cristal, observe longuement la cheminée, pars innocemment à la recherche de murs… Mais soudain, elle se rappelle que Steve l’attend. Se souvenant de ses possibles fureurs, elle ferme les yeux, se concentre et se met à penser au balcon de la tour…

Chapitre 6 :

Quand elle les rouvre, c’est pour tomber nez-à-nez avec, bien en dessous d’elle, une immense ville, une cité gigantesque, titanesque aux nombreux murs plus larges qu’une armées et sur lesquels lesdites armées pourraient manœuvrer sans difficulté, aux édifices colossaux et à l’architecture pourtant plus que primaire… Plusieurs points d’eau semblent être la cause d’une grande végétation dont une partie s’étend jusqu’au balcon où elle se trouve à l’instant. Au milieu de tout cela, tels des fourmis, des centaines, des milliers ou des millions de petits points noirs semblent s’animer dans un cortège de cris et de hurlements. Un peu partout, en observant bien, peuvent s’apercevoir des gardes noirs, recouverts de la tête au pieds d’armure, faisant plus de deux à trois fois la taille des êtres grouillants autour et dont la plupart sont occupés à fouetter avec une générosité sans égales la masse grouillant à ses pieds. Mais ce n’est pas cela qui préoccupe le plus Azalée, mais la statue monumentale qui orne le centre de tout. Non par sa taille, non par la perfection de sa découpe, mais surtout parce qu’elle y reconnaît Steve, en armure, un fouet à la main et le regard mauvais, tyrannique, regardant en despote et maître cette cité d'esclaves. Elle va jusqu’à craindre qu’il ne se mette à bouger, puis se rend compte qu’il n’y a en face d’elle que de la pierre. Toutefois, elle ferme à nouveau les yeux, fouillant dans sa mémoire un lieu où se réfugier.

Mais lorsqu’elle se décide enfin à jeter un coup d’œil, elle reconnaît à nouveau le balcon. Seulement, certaines choses ont changées. D’abord, il n’y a plus ni ville, ni végétation, uniquement du désert. Ensuite, Steve se trouve face à elle, un sourire au coin de l’œil. Avant qu’elle ne dise quoique ce soit, lui, d’un air malicieux, tout en montrant bien qu’il plaisante, la taquine :
- Alors, tu ne voulais plus revenir à moi ?
Mais elle ne répond pas et lui se rend compte qu’elle est retombée dans ses sombres pensées…
- Ce n’est pas possible ? s’écrie-t-il, moitié furieux, moitié fou d’inquiétude. Maintenant, cela devient trop grave ! Il faut, tu entends, il faut me dire ce qui se passe ! Écoute-moi, je sais maintenant que tu ne cherche plus à m’éviter ou à te réfugier… Tu es véritablement effrayée et il faut que je sache par quoi , tu entends ? C’est crucial, tu dois me le dire, je t’en prie, je t’en supplie.
Et comme elle se tait, il tombe à genou à ses pieds, s’accrochant à sa robe tout en pleurant :
- Dis-moi ce qui se passe, je dois le savoir, je ne peux rien faire sinon… Explique-moi, dis-moi tout.
Soudain touchée par ces pleurs et ces larmes, mais trop choquée pour pouvoir articuler un mot, elle pose doucement sa main droite sur la tête du jeune homme maintenant complètement écroulé à ses pieds, tandis que de l’autre, elle chasse les gouttes tombant de ses yeux.
- Je ne peux rien faire… continue son compagnon dans une série de sursauts et de sanglots.
Mais, à sa grande surprise, il se relève soudain dans un bond terrible, les yeux injectés de sang, le visage déformé par la colère, les membres déchiquetés par l’horreur, le corps horriblement mutilé, presque inhumain, pour s’écrier, au milieu des coups de foudre et à la lueur des éclairs qui zèbrent instantanément le ciel, illuminant l’orage d’une violence inouïe qui s’abat soudain, pour hurler au milieu de la pluie dense et drue qui martèle le sol de pierre comme une horde de chevaux en colère :
- C’est lui, hein ?, C’est lui ! Ne nie pas, je le sais, ah, petite peste !
Elle ne comprend pas, elle ne voit que ces yeux et ces yeux la fixe méchamment, sadiquement…
- C’est lui et tu l’as écouté ! Je devrais te tuer sur le champs, oui, sur le champs ! Ne t’avais-je pas ordonné de m’appeler s’il se montrait ? Ne t’avais-je donc rien dit ? Cette petite chose veut contrecarrer mes projets, ajoute-t-il, en desserrant l’étreinte mortelle qui venait de manquer de la tuer. Ah oui ? Eh bien, je te réserve bien des surprises ! Ainsi tu voulais la protéger…
Mais, alors qu’il finit sa phrase, il se retourne, voit Azalée qui, cherchant à s’enfuir, à naïvement couru à l’autre bout du balcon, espérant ainsi échapper à cette furie.
- Azalée…
Sa voix montre un immense étonnement, une surprise sans frontière, sincère. L’orage a cessé, Steve a repris son apparence humaine, le balcon n’a même pas gardé une goutte d’eau de l’averse passée, tout est redevenu normal. Mais quand le jeune homme fait un pas vers elle en ajoutant en gémissant « Me diras-tu donc ce qui se passe ? », Azalée rencontre son regard, ses yeux ne peuvent plus le lâcher, son être entier est captivé par la puissance qui en émane. Car ce n’est plus la petite lueur de rancœur, l’étincelle de haine qui l’anime d’habitude, mais un fleuve de rage, un torrent de méchanceté pure, un océan de haine qui se déverse dans une abîme sans fond de rage dans un grondement diabolique, dans un tumulte à faire trembler les fondations des plus solides âmes, et, tout au fond, dans un alcôve de ténèbres et de désolations, la mort sous sa forme originelle.

Elle crie alors, de tout ses poumons, de tout son être et lui s’avance, doucement, comme hésitant, mais tout en dardant sur elle son terrible regard. Au dernier moment, la petite voix amie, rapidement, s’écrie :
- Vite, viens dans la chambre, j’ai trouvé un moyen !
Aussitôt, elle s’exécute, évitant de peu la charge terrible de Steve, dont elle aperçoit juste la bouche qui tente d’émettre un son qu’elle n’entend pas. Déjà, elle est dans sa chambre, mais le lit n’est plus qu’un vieux sommier jeté à terre, dévoré par les mythes et infestés d’insectes de toutes sortes. Au milieu de la pièce l’attend un être au visage elfique qui, sans lui laisser le temps de souffler, lui crie :
- Suis-moi, j’ai trouvé la sortie.
- Le lit, répond-t-elle, encore choquée, se rendant à peine compte de l'apparence de son ami qu'elle ne reconnait qu'à la voix.
- Pas le temps, viens, vite…
Ils se mettent à courir sur une raie de lumière puis sur une autre, passant ainsi au milieu d’un réseau de traits de lumières alors que cette dernière faiblit. Sans ralentir l’allure, l’elfe prend le temps de dire :
- Il est en colère, il va tout faire pour nous arrêter ! Je sais où est la sortie, il faut me faire confiance et me suivre où que j’aille !
Mais déjà, devant eux, tel un immense titan, s’élève Steve qui, implorant et ignorant l’elfe, s’adressant à Azalée, demande :
- Mais pourquoi fuis-tu ? Que compte-tu faire ?
- Ne l’écoute pas, ce n’est même pas lui… Cours !
Et elle continue à courir. Soudain, la lumière cesse, des parois apparaissent sur le côtés, des parois de métal, ternes, froides.
- Viens, c’est par ici. S’écrie son partenaire sans lui laisser le temps d’admirer l’endroit.
Ils tournent à gauche, à droite, à nouveau à droite. Derrière eux, un tumulte de pas, de voix et de cliquetis de tout genre se fait entendre et commence à se rapprocher. Ils redoublent d’allure, mais n’arrivent pas à le distancer. Soudain, ils arrivent dans une immense pièce remplie de divers gigantesques créatures métalliques endormies. Dans le fond, au travers des divers animaux, apparaissent les étoiles. Mais Azalée n’a pas le temps de les observer bien longtemps, car le bruit se rapproche encore, et cette fois de plusieurs côtés.
- Par là, cours par ce conduit, il te mènera là où il faut. Surtout ne t’arrête pas ! hurle l’elfe qui, sans attendre de réponse, fonce vers une autre porte d’où semble émaner les cris d’une meute de loups en colère.
Elle hésite une seconde puis se jette dans le conduit indiqué, sans réfléchir, sans chercher à comprendre. Juste avant de quitter la salle, elle a aperçut ses poursuivants, ensemble de monstres mi-humain mi-démon, de créatures plus hideuses les unes que les autres, gesticulant et grouillant somme autant de cafards. Elle n’y réfléchit même plus. Les mètres s’enchaînent dans sa course éperdue et pas une seconde ne passe sans qu’elle ne se retourne dans la crainte d’être suivie. Soudain, le sol se dérobe sous ses pieds et la voilà qui chute dans le vide pour, finalement, se poser en douceur plusieurs mètres plus bas. Devant elle, derrière elle, des dizaines de couloirs plongés dans le noir le plus total. Elle ne sait plus que faire, plus par où aller. Au loin, se répercutant sans doute sur les parois métalliques, les cris des créatures se font entendre, de plus en plus distinctement. Elle va retomber dans les griffes du monstre, attrapée par les sbires de ce dernier, c’est à présent inéluctable. « Et mon ami qui s’est sacrifié en vain pour moi… » s’écrie-t-elle. « Non, c’est bien trop injuste, nous ne pouvons échouer ici ! » et, immédiatement, elle accompagne le geste à la parole en fonçant tête baissée dans un tunnel à l’intérieur duquel le son semble moins fort. Elle se cogne aux murs, à des marches que la nuit dissimule à sa vision, elle tombe à plusieurs reprises, mais, à chaque fois, se relève, plus déterminée encore à survivre, à se battre pour ne plus revoir ce monstre, cet horrible monstre, tout plutôt que de finir entre ses mains, même mourir. À plusieurs reprises, elle manque de s’écraser contre les parois quand le tunnel se met à tourner, mais, incessamment, elle reprend la route, jusqu’à apercevoir, devant elle, de la lumière. Prise d’une joie incontrôlable, elle fonce vers la liberté, sûre d’avoir échappé au terribles pièges de l’endroit. Mais quand elle approche enfin de la sortie, elle sent deux mains la happer et la ramener à terre, stoppant net son élan. La voilà étendue au sol, au prise avec l’ennemi… La lumière, pourtant si proche, semble soudain si lointaine… Elle veut crier, mais une des mains vient lui couvrir la bouche. Un murmure se fait alors entendre :
- Surtout, ne bouge pas, ne dis rien, ne fait pas de bruit…
Elle l’a reconnu, elle se tait. À l’instant, une immense troupe de monstres passe devant eux, effaçant au passage la lumière pour la restituer par après. Azalée sent son cœur battre fortement dans sa poitrine, comme s’il voulait en sortir, mais elle n’y fait pas attention, toute entière qu’elle est dans la peur que quelqu’un les aies repéré. Des gouttes de sueurs perlent sur son front, elle sent l’étreinte se resserrer, puis enfin la relâcher.
- C’est bon, ils ne nous ont pas vu.
- Comment m’as-tu retrouvée, s’exclame Azalée, trop heureuse d’être encore vivante.
Mais son compagnon s’empresse de la calmer.


- Ce n’est pas fini, nous sommes proches de la sortie, mais il faut te taire.
Et voyant qu’elle semble en meilleures dispositions :
- Très bien, suis-moi.

Il commence à lui faire faire marche arrière, la ramenant au travers des couloirs noirs, lui montrant les embûches, les pièges et les tournants. Après de silencieuses et longues minutes, ils débouchent sur la salle aux multiples tunnels. Sans même prendre le temps d’observer, l’elfe s’engouffre dans l’un d’eux, sans toutefois oublier de s’assurer que son amie le suive. Rapidement, ils arrivent à une corniche qui longe un couloir aux dimensions colossales, remplis d’une foules de créatures immondes et d’immenses chenilles au reflets d’argent. Dans le ciel, plusieurs multitudes d’insectes géants bourdonnent et s’agitent dans une grande valse rapide et magnifique.

Sans s’attarder sur ce prodigieux spectacle, l’elfe continue son chemin. À plusieurs reprises, les insectes d’approchent, mais pas un seul ne semble les remarquer. Enfin, après une longue et pénible heure de marche, d’autant plus pénible à Azalée qu’elle n’a put s’empêcher de s’effrayer à chaque fois qu’un des nuisibles volatile l’approchait, manquant de tomber à bien des reprises. Enfin, ils peuvent retourner dans un petit conduit, laissant derrière eux le couloir et les monstres. À un moment, l’elfe décide de s’arrêter et, d’une voix remplie de joie, déclare :
- Nous voici arrivé !
Devant eux, le conduit se termine en une porte aux puissants verrous qui, à première vue, semble infranchissable.
- Très bien, parfait, reprend l’elfe, tout se passe comme prévu. Maintenant, il va falloir courir. Derrière cette porte se trouve un portail en forme d’ovale. Il va falloir que tu rentre à l’intérieur aussi vite que tu le pourras. Si tu l’atteint, tu seras sauvée.
- Mais toi… commence soudain Azalée, sentant un léger tremblement dans la voix de son ami.
Le sourire de ce dernier s'éteint brusquement et il la regarde un long moment dans les yeux, laissant un regard rempli de mélancolie, d’une douce tristesse et d’une forte lueur d’amour percer jusqu’au tréfond de son âme, puis, doucement, avec une peine difficilement dissimulée, répond :
- Ne t’en fais pas pour moi, je… Je m’en sortirais, tu verra…
Et, ce disant, il lui prend la main, le regard soudain fuyant, un peu de sueur coulant sur son front et avant qu’elle ne puisse reprendre, il continue :
- Surtout, ne me regarde pas, veux-tu ? Fais… Fais ça pour moi… Il ne faudra pas te retourner, jamais…
- Mais…
Il lui pose un doigt sur la bouche, lui intimant par là de s’arrêter.
- Tout va bien se passer, tu va retrouver ton père…
Et, après une hésitation :
- Tu ne m’oubliera pas trop vite, dis ?
Et il tombe en pleurs. Touchée, Azalée le relève gentiment.
- Non, commence-t-elle, je ne t’oublierais jamais, jamais.
Alors, comme attiré par une force incontrôlable, ils s’embrassent, longuement, passionnément, dans une étreinte qu’aucun ne veut relâcher, sentant que, au fond, ils étaient fait pour s'aimer. Finalement, après bien des pleurs, l’elfe se ressaisit :
- Allons, c’est ta dernière épreuve. Toi… un seul pourra échapper à son courroux. Ce doit être toi, tu entends… Je ne veux pas vivre sans toi, et préfère mourir si cela peut te sauver. Tu courras, me le promets-tu ?
- Mais..
- Promets-moi.
Dans un petit mouvement de tête, elle acquiesce. Dans ses pensées, elle s’est résignée, mais, pour la première fois, son cœur refuse de suivre son esprit. Une larme, plus grosse que toutes les autres, tombe sur le sol et l’elfe reprend soudain :
- À mon signal , tu fonces !
Et, sans attendre de réponse, il appuie sur la lourde porte avec sa main droite, faisant purement et simplement disparaître celle-ci.
- Maintenant ! s’écrie-t-il de tout ses poumons.

Sans plus penser, Azalée se jette littéralement dans la salle, et, éblouie par la lumière, elle n’en aperçois pas moins la grande ogive qu’elle doit atteindre et se mets immédiatement à courir. Derrière elle, fusent des cris, des hurlements et, parmi le tas, une voix particulièrement connue, celle de Steve :
- Non, Azalée, je t’en supplie, arrête-toi !
Soudain, une immense explosion la projette à terre violemment, sans toutefois la blesser en quoi que ce soit. Rapidement, elle relève la tête, mais c’est pour soudain se retrouver dans le silence le plus total. Doucement, elle se met debout et, d’un pas boiteux de part sa soudaine fatigue, se dirige lentement vers le portail.
- Vas-y, je le retiens, fonce, ne t’arrête pas !
C’est la voix de son amour, il est encore en vie. Elle se met donc à courir de plus belle, oubliant tout son épuisement, négligeant ses membres fatigués, recherchant au fond d’elle-même l’énergie pour avancer, négligeant aussi les bruits de coups violents qui résonnent dans la pièce, se dévouant à la dernière mission confiée par celui que, elle le sent, elle ne reverra jamais. Mais alors qu’elle n’est plus qu’à moins d’un mètre du passage et s’apprête à sauter, elle entend un corps s’écraser juste derrière et s’arrête.
- Maintenant, Azalée, ma chère, ma tendre, cesse donc ta folie et éloigne-toi de ce portail…
C’est la voix de Steve, une voix qui lui semble agréable, attentive, d’une gentillesse sans borne, mais qu’elle sait hypocrite. De toute manière, bien loin d’écouter ce qu’il dit, elle ne pense qu’à son amour qui, certainement mort pour elle, doit être allongé juste à côté d’elle. Peut-être est-il encore vivant, peut-être peut-elle encore le sauver ? Son esprit lui dit de sauver sa peau, mais son cœur, plus puissant, la pousse alors à se retourner pour secourir celui qu'elle aime.

Mais sous ses yeux, c’est un spectacle des plus étrange qui l’attend. Steve est en face d’elle, à plus de quatre mètres, et tout autour de lui, les murs sont cabossés, le sol couvert de marques noirs ou même de trous béants. Tout a été massacrés et de nombreux corps de créatures parsèment l’endroit. Mais, chez certains monstres, le visage a été arraché, laissant apparaître une tête d’homme maculée de sang. Ailleurs, ils sont empalés sur de longs pieux, à nu, parfaitement humains. Mais Azalée n’en a cure. Elle, complètement absorbée par ses pensées, ne peut soutirer son regard de son ami agonisant à ses pieds, lui faisant signe de la main de s'en aller tout en répandant par terre un liquide rouge et odorant. Son visage est plein d'une tendresse excessive, d'amour et d'une résolution au dévouement qui retiennent le regard, découvrant l'âme de l'être.
- Il faut revenir, commence Steve…
- Jamais ! s’écrie-t-elle, en larme
- Pourqu… veut continuer le jeune homme, avant d’être violemment projeté contre un des longs pics par un rayon pourpre. Alors, dans un phénomène parfaitement inexplicable, le corps implose, ne laissant aucune trace de son ancienne présence, comme s’il n’avait jamais existé.
Mais Azalée ne s’occupe déjà plus que d’aider à relever son ami, pleurant à chaude larme de le voir aussi gravement touché.
- Ce n’est rien, commence celui-ci avec une voix faible… Je vais m’en sortir, ment-il en tentant un faible sourire.
Elle le soutient et le bras de son ami vient chercher prise sur son épaule. Ainsi rassurée, elle se retourne vers le portail, tout en répondant :
- Nous avons réussi, nous allons nous en sortir ensemble.
- C’est ce que toi tu crois, petite idiote…
De frayeur, elle se retourne.

Devant elle, à sa grande horreur, se trouve son ami, sans une trace de blessure, droit sur ses jambes, qui la regarde d’un œil mauvais.
- Que veux-tu dire ? s’exclame-t-elle, sans comprendre ce qui se passe.
- Je veux dire que le seul qui s’en sort ici, c’est moi… Mais tu aura l’éternité pour comprendre… Les âmes errantes finissent toujours par trouver une réponse à leur question. Ah, encore une chose… Je tiens juste à me montrer enfin à toi comme chacun devrait me voir et comme tu te souviendra de moi !
Et, sous ses yeux, sa peau se craquèle pour, finalement, se déchirer dans un bruit malsain et laisser place à une monstruosité qui, rapidement, prend forme. Elle le reconnaît tout de suite, elle l’a déjà vu. Une fois en mangeant, une autre alors qu’elle était sur le balcon… Dans un éclair de lucidité, surmontant sa terreur, elle s’écrie :
- Mais alors, ça veut dire que…
- … Que tu as perdu, répond dans un rire satanique, railleur et machiavélique l’immense démon, tout en la soulevant pour, avec férocité, la projeter dans le portail.

Chapitre 7.

Sa chute n'a pas été longue, ni douloureuse. Elle est ressortie de la chambre. La petite maison a bien changé depuis son départ. Le toit s’est écroulé, la neige a envahi les lieux. Étrangement, elle ne se sent pas touchée par la désolation ambiante, comme si tout cela n’avait plus d’importance. Elle avance d’un pas, écrasant au passage des fleurs congelées, mortes depuis des années. Elle se retourne, et, sans trop de surprise, s’aperçois que la porte n’est plus là, si l’on excepte certains restes pouvant encore rappeler son antique présence. Comme un fantôme, elle s’avance jusqu’au canapé qu’elle aperçoit, un peu plus loin et, avec une sensation de malaise inattendue, se penche par dessus le dossier. Il est bien là, la bouche ouverte, encore marqué par les affres de la mort, suppliant mais figé pour l’éternité comme la preuve d’une injustice. Elle voudrait pleurer, mais rien ne coule de ses yeux. Un doute lui parcourt le corps et elle se mets à observer ses mains. Là où auraient dût se trouver deux gracieuses petites menottes, il n’y a plus que des doigts squelettiques, aussi morts que le cadavre de son père. Incompréhensiblement résignée, elle se met à marcher, ne sachant où elle va aller, comprenant instinctivement que c’est là tout son destin désormais. Elle tente une dernière fois de verser une larme, mais, finalement, s’apercevant que tout espoir est perdu, s’éloigne définitivement d’une masure qu’elle ne devait plus jamais revoir, pour un lieu qui n’existe pas. Dans son esprit ravagé par le son du glas, un seul mot résonne encore : fantôme.

Épilogue :

La nuit est déjà tombée, la neige a recouvert la rue, les montagnes et le ciel. C’est la fin d’une journée triste, morne, sans sens comme il en a tant existé dans la vie de Steve. Il a passé sa journée à écrire, puis à aller regarder le feu brûler dans l’âtre, crépiter joyeusement, lui rappelant les flammes, supprimant toute pensée pendant un moment pour, brusquement, retourner écrire. Il n’a rien mangé, il ne mange d’ailleurs jamais. Pourtant, sur la table, entourée d’un tas impressionnant de feuille de papiers, de divers essais et de torchons mille fois chiffonnés, trône une assiette. Elle contient un repas normal, fait de pommes de terre bouillies, d’un peu de ragoût, de quelques petits pois, le tout servi avec une magnifique tranche de steak recouvert d’une sauce aux morilles à l’aspect succulent. L’odeur qui s’en échappe vous fait saliver, votre faim s’éveille, vous voulez manger. Mais, pour Steve, l’assiette reste à sa place, à portée de main, simplement ignorée, comme si elle n’en valait pas la peine, malgré son alléchant contenu.

Lui se tient les tempes, un crayon dans une main, les ongles enfoncés profondément dans la chair pour l’autre. Il a des débuts de sanglots, puis refoule tout en lui pour présenter une figure grave, la figure de tous les jours, celle qu’il doit porter pour ne pas se révéler. L’étreinte se relâche, la tête est figée, immobile et recouverte des ombres en mouvement, seul indice de la faible présence du bougeoir et de son contenu bientôt entièrement fondu. Déjà, en effet, la lumière pâle qui traverse la fenêtre ainsi que celle, plus vivace, du doux foyer, a remplacé la bougie dans l’éclairage de la scène. Il fait froid. Soudain, il laisse tomber la feuille sur laquelle il s’acharne depuis des heures, laissant apercevoir ce qui se retrouve sur toutes les autres, la seule chose qui l’aie jamais intéressé, le visage d’une femme, déjà oubliée…
- Tu ne réussira pas à chaque fois, elle reviendra…
- Je la chasserais à nouveau.
Steve, ce monologue terminé, se soulève douloureusement et, dans une grande lassitude, va se couler dans sa chambre. Cette dernière nuit, il le sait, la mort a vaincu la vie…

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