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     Un funeste destin anime la gente Dame de Mortelune, elle poursuit, pauvre âme perdue, un être, un fantôme dans l’horizon sanglant. Sanglant aussi son règne noir sur les sables aux cheveux d’or, où mort et désolation sont un quotidien pour les mortels. Quel souffle maudit fait vivre ses chairs, quel issue reste-t-il à son cœur aride, abreuvé du sang de ses ennemis ? Que peut encore espérer son âme souillée pour retrouver sa limpidité d’antan ? La damnation guette, la trahison pointe une fois de plus son nez desséché dans la vie d’Elanore. La reine des morts aux bras blancs choit sous les pièges de sa destinée. Elle poursuit un homme et fuit ses fonctions, laissant sans maîtresse la patrie de Nehekhara.

     Sa large robe lui battant le côté, Elanore s’éloignait lentement de la grande cité. Une fois de plus, la vengeance guidait ses moindres gestes. Les destriers osseux galopaient et à chaque pas, un nuage de poussière s’envolait, retombant dans une pluie d’or. Leurs orbites creuses dénuées d’expression, leurs dents blanchies par le temps qui luisaient d’un pâle éclat dans le soleil du matin donnaient à l’ensemble un air de scène macabre. Le char avançait rapidement à travers le désert, mais déjà Elanore regrettait d’avoir une fois de plus agi intempestivement, sans prendre le temps de préparer son voyage, de se renseigner auprès de l’oracle sur la signification de ses rêves. L’homme qui apparaissait dans son rêve lui paraissait lointain et elle n’arrivait pas à cerner son visage qui redevenait flou chaque fois qu’elle y pensait.

     D’un autre côté, elle ne pouvait pas non plus revenir et avouer sa faiblesse devant son peuple.

     Elle aperçut soudain, à l’orée du désert, un mort-vivant avancer précautionneusement vers une oasis. Elanore plissa les yeux pour essayer d’apercevoir ce qu’il comptait faire. Il s’était arrêté devant une sorte de limite entre le désert et l’abondance, entre la mort et la vie. Il tentait apparemment d’outrepasser cette limite mais n’osait le faire.

     Lorsque son pied toucha l’herbe tendre et verte, immédiatement il s’affala sur le sol.

     La Dame s’approcha, toujours juchée sur son char, observant avec une mine qui reflétait son incompréhension les restes poussiéreux du squelette qui se tenait debout il y a un instant.

     Elle poussa son char plus avant, et ses chevaux s’affaissèrent de même.

     Elle était arrivée à la frontière des pouvoirs nécromantiques de Nehekhara, là où nul mort ne pouvait s’aventurer sans périr. C’est là que l’avait envoyée Ihmarhi.

     Où qu’elle aille serait-elle donc trahie ?

     Elle s’assit un moment pour réfléchir.

     Sa vie avait basculé le jour où le seigneur Hilgrim avait trouvé la mort.

     Elle était passée du rêve idyllique au cauchemar effrayant.

     La trahison était sa pire ennemie, comme si quoi qu’elle fasse pour retrouver un semblant de bonheur, on venait le lui enlever par soif de pouvoir ou pour toute autre raison.

     Elle poursuivait à présent un fantôme, un homme qu’elle ne connaissait même pas, tout ça parce qu’il était apparu dans un de ses rêves. Elle se convainquit de sa stupidité et partit d’un grand rire. Un rire sec où perçaient l’amertume et la rage. Un rire qui ne tarda pas à céder la place aux larmes.

     Des larmes de sang.

     Elle se résolut à chercher la mort qui aurait dû la prendre depuis bien longtemps.

     Elle franchit la ligne invisible qui séparait la vie de la mort.

     Elle s’écroula dans le sable.

     Elle resta longtemps ainsi, presque un siècle entier, le soleil et les vents battant ce corps inerte et pourtant impérissable. Un homme vint, la prit dans ses bras et la conduisit sur sa monture. Ils partirent ainsi très loin, en Ulthuan, chez les Elfes.

     Dans ses tourments de mort et de folie, tourments dans lesquels elle se trouvait plongée depuis un siècle déjà, Elanore entrevit l’homme qui la sauva, comme un rai de lumière dans les ténèbres.

     Elanore le reconnut.

     L’homme de son rêve.

     Des pensées l’assaillirent, des questions se bousculèrent. Qui était-il ? Comment se faisait-il qu’elle avait rêvé de cet homme il y a cent ans ? Alors qu’il ne devait pas être né ?

     Quelle est cette aura étrange qui l’entourait comme une brume floue et lumineuse ? Cette aura dont émanait une puissance évidente et palpable ?

     Quel était ce masque qui lui couvrait le visage ? Ce masque macabre dont la couleur rappelait le sang ? Et ses vêtements ? Des vêtements comme elle n’en avait jamais vu. Un pantalon large de tissus écarlates, dont les plis arborent des reflets soyeux, une cuirasse légère du même métal que le masque. De longs cheveux couleur de feu couvraient ses épaules et couronnaient son visage comme un panache de flammes. Une longue arme battait son côté alors qu’il galopait à travers le sable, une arme qui pouvait s’apparenter à une épée mais dont la lame à double tranchant était crénelée, avec un manche légèrement courbe et des symboles runiques compliqués qui couvraient la majeure partie de l’objet.

     C’en était trop pour Elanore, qui rechuta dans la folie alors qu’ils pénétraient sur les terres immortelles d’Ulthuan, au terme d’un long voyage à travers le Vieux Monde.

 

     Une lumière, blanche, un visage, des voix, Elanore ne comprenait plus rien, elle se réveilla avec peine, un vieil Elfe sage penché sur elle.

"Es-tu vivante ?

-Non, je suis morte."

     Et elle retomba dans un sommeil profond.

     Un sommeil sans rêve.

 

     Elle entendit des voix dans l’autre pièce.

"Deux ans qu’elle est là et elle n’a pas fait un geste, je pense qu’il faut se rendre à l’évidence, elle a été frappée par quelque maléfice dont elle ne peut guérir.

-Nous devons la garder ici, en sûreté. Il nous l’a demandé.

-Mais si... Si jamais il ne revenait pas la prendre, qu’en ferions-nous ? Elle est mortelle et nous ne pouvons tolérer quelqu’un de sa race sur nos terres, pas ici.

-Elle n’est plus mortelle, elle est morte, elle fut ressuscitée par les mages nécromanciens, mais d’une façon que je ne m’explique pas : sa peau ne présente aucune lésion, elle n’a pas été embaumée et elle ne se nécrose pas, de plus, le sang ne coule plus dans ses veines, ce n’est donc pas une vampire.

-C’est peut-être une Banshee ?

-Non, les Banshee ne dorment pas et ce sont des créatures éthérées. Celle-ci est faite de chair, de chair et d’os. Elle est unique, mais je la pense dangereuse."

     Elanore fit un bond. Ihmarhi l’avait trahie, il l’avait envoyée aux confins du désert pour qu’elle y trouve une mort certaine : aucun mort-vivant ne pouvait survivre sans l’influence d’une liche, mais elle, elle avait survécu.

     Elle regarda longuement ses mains avec un sourire, l’Elfe la pensait dangereuse ? Si Ihmarhi avait pu la ressusciter, il lui avait peut être transmis une partie de ses pouvoirs en même temps que sa force de vie, après tout elle était unique alors... pourquoi pas ?

     Elle tendit les mains et répéta les incantations qu’elle avait maintes fois entendu proférer dans les sous-sols de la nécropole Nekhearienne.

     Un éclair ocre jaillit de ses doigts et vint frapper le mur, soulevant une quantité formidable de gravats. Les deux Elfes qui parlaient firent irruption dans la pièce, le spectacle qu’ils trouvèrent étalé sous leurs yeux était bien plus qu’impressionnant.

 

     Elanore planait, à quelques centimètres du sol, sa robe noire agitée d’éclairs magiques, ses cheveux soulevés par les vents d’énergie formaient autour de sa tête une terrible auréole, ses yeux emplis de fureur brillaient d’un feu intérieur et elle parlait d’une voix surnaturelle :

"Ihmarhi, tu m’as trahie. Subis dès à présent le courroux d’Elanore de Mortelune, la reine des morts."

     Son corps s’enveloppa de tourbillons d’électricité et disparut dans une forte odeur de soufre.

     Le plus vieux des Elfes se tourna vers son compère.

"Il ne reste plus qu’à espérer qu’Il ne nous tuera pas."

     Elanore traversa des tourbillons de couleurs et de lumières, et reprit pied dans le monde matériel, debout sur l’autel, devant Ihmarhi qui accomplissait les rites funéraires d’un nouveau mort.

     Effaré, il reprit contenance tout d’un coup, jaugeant la menace que présentait Elanore devant lui.

« Je suis revenue me venger, Ihmarhi le parjure, Ihmarhi le traître.

-Te venger ? Je ne t’ai rien fait !

-Tu as usurpé mon pouvoir et a cherché à me conduire à la mort, c’est donc à mon tour de te châtier !

-Tu ne le peux point.

-Le crois-tu vraiment ?

-Si je meurs, alors notre peuple ne se relèvera pas ! Nos sujets vont tomber en poussière sans l’influence de mes pouvoirs !

-Nos sujets ? Tu veux je pense parler de mes sujets."

     Ihmarhi vit clairement sa fin annoncée, les pouvoirs d’Elanore avaient suffisamment crut pour qu’elle puisse maintenir son peuple en vie.

"De cette pièce, un seul de nous deux ressortira entier, Elanore de Mortelune, mauvaise épouse, mauvaise reine et mauvaise femme. Montre-nous si tu es aussi mauvaise mage !

-Ta langue est fourchue comme jadis, Ihmarhi le fourbe ! C’est par ta faute si je suis morte, sous tes ordres que l’on m’a ressuscitée, sur tes conseils que j’ai abandonné mon peuple ! Prépare-toi à payer pour tes méfaits. Le plus grand de ceux-ci étant d’avoir voulu relever un peuple déchu !

-Tu n’es rien !"

Les deux morts-vivants se firent face, Elanore tendit la main, un sceptre d’or et de lumière y apparut.

"Comment peut tu connaître cette magie ?

-Je l’ignore. Est-ce car tu m’as transmis tes pouvoirs, ou pour toute autre raison ? Je n’en sais rien. Les faits sont là, les temps doivent changer, tu n’appartiens plus à cette époque !

-Tu l’as trouvé n’est ce pas ? L’homme de ton rêve ? Tu l’as trouvé mais tu n’as pas pu le tuer. Pourquoi ?

-La réponse tu la connais, Ihmarhi. Cet homme, cet inconnu, c’est lui qui m’a sauvée de ton crime, lui qui m’as recueillie et lui qui m’as conduite chez les Elfes. J’ai l’impression de le connaître alors que je ne l’ai jamais qu’entr’aperçu.

-Tu l’aimes n’est-ce pas ? Alors mes dernières paroles seront pour toi ! Je te maudis Elanore, je te maudis comme je t’ai toujours maudit, je te souhaite des générations de malheur et de souffrance ! Chacune de tes mésaventures ont été commanditées par moi ! Tes songes, tes maux de tête, la perte de ton bien aimé Hilgrim, Oui, je suis auteur de tout cela !"

     Les larmes coulèrent le long des joues d’Elanore, des larmes de lumière, les larmes de la reine des morts.

"Pourquoi ? POURQUOI ?

-Car... Car c’est ta destinée, souffrir des vies entières pour l’amour de l’unique, devenir reine des morts quand le pouvoir ne t’intéresse pas. Il te suffit de conduire le peuple de Nehekhara à sa renaissance et à sa gloire et enfin, tu pourras te libérer de ta malédiction."

     Elanore tendit fébrilement le sceptre vers le crâne desséché de la liche et le corps de celle-ci s’effaça dans un dernier sourire, un mot de reconnaissance sur les lèvres. Merci.

     Les années passèrent sans que rien ne viennent troubler le siège du pouvoir des morts.

     La nécropole paraissait à présent invincible.

     Elanore restait assise sur son trône, elle pensait.

     D’où lui venaient ses pouvoirs ? Qui était cet homme, sa plus terrible passion et son tourment le plus exquis, l’Unique, comme l’avait nommé Ihmarhi ? Quelle issue trouver ?

     Elanore ne présageait de tout ceci que quelque funeste destin.

     Elle s’en moquait.

     La mort viendrait, mais l’attente serait longue, trop longue.

     Une nouvelle ère arrivait où les morts-vivants de Nehekhara marcheraient vers la gloire.

     Et alors, Elanore pourrait trouver le repos.

     Tout n’est que poussière.

 

Ainsi s’achève ma complainte, la chanson d’une femme trahie. Le dernier acte de la pièce n’est pas encore joué, bientôt le rideau tombera. Elanore attend toujours, pauvre âme, sa délivrance. Elle paie pour ses péchés, sa destinée lui est fatale. Pour l’amour de l’unique, les âmes dépérissent. Quelle leçon doit-on en tirer ? C’est à vous d’y réfléchir.

Il est tard, une flamme s’éteint en même temps que ma voix se tait.

Ainsi s’achève la chanson de Mortelune

 

FIN

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