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Nous avons tous notre petite idée sur ce qui nous attend (ou pas) après la mort. Avant de passer l’arme à gauche, le sergent O’Connor avait la sienne lui aussi...

     Sur sa droite, du sable. Sur sa gauche, du sable. Devant lui des dunes de sable à perte de vue. Le sergent William O’Connor luta contre l’envie de jeter un coup d’œil derrière lui. A quoi bon ? Ses yeux ne rencontreraient que sécheresse et désolation. L’homme traînait inlassablement un pied devant l’autre alors que l’air brûlant de cette fournaise lui meurtrissait les poumons à chaque respiration.

     Un moment il avait cru en sa bonne étoile. Il était le seul soldat du 7ème régiment de cavalerie à avoir échappé (« fui » est le terme plus exact) au massacre de Little Big Horn. Le général Custer, confiant dans sa puissance de feu et assoiffé de faits d’armes glorieux, avait lancé ses 600 soldats contre 3000 guerriers Sioux enragés. Les manuels d’histoire raconteraient peut-être un jour combien cette charge fut héroïque. Mais pour l’heure, le scalp sanguinolent du général pendait à la ceinture du chef Sitting Bull et les cadavres de ses malheureux soldats offriraient pendant plusieurs jours un festin royal aux charognards des Blacks Hills. La salive semblant avoir déserté sa bouche, le sergent O’Connor ne put cracher sa haine et son mépris envers son défunt officier supérieur.

     Le destin lui avait permis de fausser compagnie à ces diables de peaux-rouges mais ça avait été pour le jeter dans les bras d’un ennemi autrement plus impitoyable : cette boule de feu qui embrasait le ciel et qui lentement aspirait ses forces et sa vie. Perdu au milieu du désert, sans eau et sans monture, l’homme savait qu’il n’en avait plus pour longtemps. Alors pourquoi continuer à avancer ? Pourquoi ne pas simplement se laisser tomber et attendre patiemment la mort ? Les lèvres morcelées du sergent esquissèrent un sourire. « Sans doute ce fichu tempérament irlandais » pensa-t-il avec ironie.

     Soudain, le silence de mort qui régnait jusqu’ici fut brisé par le bruit lointain d’un cheval lancé au galop. Le son sourd et étouffé provenait de derrière le sergent et semblait s’approcher rapidement. « Cette fois mon vieux Bill c’est fini », pensa le soldat. Il s’agissait sûrement d’un brave qui ayant découvert la piste du fugitif avait décidé de traquer sa proie et de ramener sinon sa tête au moins une partie de son cuir chevelu. L’homme continua d’avancer sans se retourner, attendant avec résignation que son poursuivant soit sur lui et lui ôte la vie d’un adroit coup de tomahawk sur le crâne.

     Le cheval arriva à sa hauteur, le dépassa même, mais le coup ne vint pas. Le sergent vit le cavalier faire tourner bride à sa monture et revenir vers lui au petit trot. Comme la sueur qui lui coulait dans les yeux l’empêchait de discerner à qui il avait à faire, William O’Connor s’essuya le visage du revers de la manche. Il comprit alors que ce maudit soleil avait fini par griller les derniers vestiges de raison qu’il avait conservés jusqu’ici. Devant lui se tenait le caporal Gibbs. Ce même caporal qu’il avait laissé gisant à Little Big Horn, une flèche plantée dans la gorge et une pointe de lance lui sortant du nombril après être passée par son trou du c… Jonathan Gibbs revêtu de son uniforme d’apparat, impeccable, et droit comme un i sur son beau cheval blanc arborait un visage radieux. Il tendit une main au sergent pour manifestement l’aider à se hisser derrière lui et l’autre ne se fit pas prier. La magnifique monture repartit aussitôt au galop alors que le sergent, perplexe, tentait de déterminer s’il était juste fou ou bien aussi mort que son infortuné subordonné.

     Il en était là de ses pensées lorsque, au détour d’une dune, surgit une magnifique bâtisse portant l’enseigne : Saloon. Il n’y avait rien d’autre au milieu de cette mer de sable et le sergent O’Connor comprit que c’était leur destination. Jonathan Gibbs sauta au bas de sa monture et attacha celle-ci à une poutre juste en face de l’entrée de l’établissement. Le sergent sauta lestement à son tour et fut agréablement surpris de constater que la douleur et la fatigue l’avaient quitté. « Normal Bill, t’es mort », se dit-il intérieurement avant de suivre le caporal Gibbs à l’intérieur. Il poussa fermement les battants de la porte et s’immobilisa à l’entrée afin que sa vue s’habitue à la pénombre qui régnait dans la salle bondée et bruyante. Ils étaient tous là : Billy Logan et son frère Wyatt, Monty « chaude-pisse », le sergent Walker, Jim « le rouquin » et même le capitaine Grant qui tirait habilement d’un vieil orgue une musique endiablée … Il y avait là tous les gars du 7ème régiment. Certains fumaient et jouaient aux cartes, d’autres se défiaient au lancer de fléchettes, d’autres encore faisaient des avances à des filles de joie peu farouches. Tous buvaient, riaient et semblaient heureux.

     William O’Connor se dirigea vers le bar afin de commander de quoi humecter son gosier desséché. Il ne put s’empêcher d’exploser de rire en voyant qui se tenait derrière le comptoir à astiquer des verres avec un chiffon propre : le général Custer lui-même.

- Whisky ! rugit-il avec bonne humeur.

     Muni de son verre, il se dirigea vers la table autour de laquelle s’étaient réunis le caporal Gibbs et d’autres compagnons. Une partie de poker était sur le point de débuter. Il s’installa confortablement et sirota son whisky avec délice en attendant que le caporal ait fini de distribuer les cartes. Le sergent O’Connor eut soudain une pensée attendrissante pour ses parents qui l’avaient élevé dans la foi et l’avaient abreuvé de toutes ces sornettes sur le paradis et l’enfer. S’ils savaient les pauvres vieux !


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